Relation autoritaire parent/ado, comment oser le changement?

Vers l’autonomisation et la responsabilisation de la jeunesse

Laila Ducher
Weeprep
13 min readFeb 14, 2018

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Don Corleone, The Godfather

L’histoire est une éternelle rengaine, celle d’un père et de son fils. L’un n’attend qu’une seule chose de l’autre: qu’il ait de bons résultats scolaires. L’autre, en pleine crise d’adolescence, se pose des tonnes de questions, il n’est pas sûr de lui, il ne se sent pas à la hauteur. Plus son père lui met la pression, plus il doute de ses capacités, ce qui énerve au plus haut point son père qui redouble la pression. Le fils se sent incapable, impuissant à se gérer seul et adopte des comportements encore plus puérils… Le père réagit en le contrôlant et en l’infantilisant davantage.

Voici un exemple parfait de cercle vicieux, qui peut nous faire penser à une situation déjà vécue en tant qu’ado, ou en tant que parent, éducateur, professeur…

Quand on fait “toujours plus de la même chose”, le résultat ne tarde pas et n’est d’ailleurs pas si étonnant que cela : Rien ne change! Nous sommes tous d’accord qu’on ne change pas une équipe qui gagne mais quand l’équipe ne gagne pas, on en fait quoi?

Comment sortir de l’autoritarisme parental pour autonomiser et responsabiliser nos enfants, pour mieux les préparer à la vie?

I. Analyse systémique: et si nous nous amusions à décortiquer le système relationnel entre parent et enfant

Les relations parent/enfant sont asymétriques: d’un côté, il y a celui qui donne la vie, qui nourrit, qui éduque, et de l’autre il y a celui qui reçoit, qui apprend et qui doit rendre des comptes. L’objectif des parents est principalement de rendre leurs enfants autonomes et responsables. Cela va leur permettre de vivre leur vie et de voler de leurs propres ailes.

Cette dyade père/fils, que nous avons décrite ci-dessus est assez commune. Elle est fondée sur l’autoritarisme: contrôle et injonction pour obtenir obéissance du plus faible. Ce mode éducatif “à la dure” va engendrer des blocages chez l’enfant très rapidement, les parents le savent, mais ils persistent et signent.

L’enfant dépend affectivement de ses parents, c’est pour cela qu’il n’ose pas s’opposer de façon frontale à ses parents. Nous allons donc tenter de comprendre comment fonctionne cette relation particulière entre parent et enfant.

Pourquoi nos enfants nous obéissent-ils?

il est légitime de poser cette question à un moment où l’on voit fleurir un tas d’articles qui soutiennent que les enfants n’obéissent plus à leur parents. Mais ce groupe d’enfants désobéissants représente t-il vraiment tous les enfants?

Commençons par le commencement en rappelant les principes de la théorie de l’attachement pour expliquer les origines de l’obéissance de l’enfant à ses parents.

1.1 La théorie de l’attachement: mère-enfant

“L’attachement désigne le comportement de l’individu qui cherche à se rapprocher d’une personne particulière (sa figure d’attachement) dans les situations potentiellement dangereuses. Le processus d’attachement a donc essentiellement une fonction adaptative” (Pierrehumbert, 2003, p. 87–88)

C’est John Bowlby, un psychiatre anglais, qui est à l’origine de la théorie de l’attachement. Il a travaillé sur les enfants ayant grandi dans des orphelinats et a publié Attachment and Loss vers la fin des années 60. Bowlby nous apprend qu’il y aurait un système d’attachement réciproque entre la mère et l’enfant. Ceux-ci seraient comme des aimants s’attirant mutuellement, la proximité représentant l’état d’équilibre. L’attachement correspond à un besoin primaire chez l’enfant, au même titre que le fait de se nourrir ou de dormir.

Souvenons-nous de cette atroce expérience médiévale de l’Empereur Frédéric II de Hohenstaufen (XIIIè S.) qui voulait comprendre l’origine des langues. Son idée était de savoir quelle langue choisirait spontanément un enfant privé de tout contact humain. Il les empêcha donc d’entendre toute parole.

Le résultat a été sans appel: les bébés soumis à cette expérience se sont tous laissé mourir.

Bien plus tard, un psychologue, Seth Pollak a fait un comparatif des taux de vassopresine et d’ocytocine connues pour leur implication dans les liens sociaux, le stress et la confiance entre des bébés adoptés issus d’orphelinat et des bébés naturels âgés de 16 mois. La sécrétion de vassopresine et ocytocine (hormone de l’attachement), était inférieure chez les enfants en orphelinat alors même qu’ils avaient trouvé une mère adoptive, la réponse affective, sociale n’était pas la même que chez les autres enfants naturels avec leur mère biologique.

Quand la relation à la mère est sécurisante, cela accroît la confiance et l’estime de soi. En revanche, une relation vécue comme non sécurisante avec la mère engendrera chez l’enfant un sentiment d’auto dévalorisation.

L’attachement ne se fait pas tout d’un coup, il s’agit plutôt d’une co-construction qui s’étale sur les premières années de sa vie.

Il existe des liens étroits entre la qualité de la relation d’attachement de l’enfant à sa mère et sa sociabilité (avec les autres enfants ou avec ses frères et sœurs) mais également avec son estime de soi.

  1. 2 La théorie de l’attachement père-enfant
Menteur Menteur

Il faut attendre les années 90 pour que les psychologues s’interrogent à l’attachement de l’enfant à son père, avant cela, ils avaient tendance à cantonner les études à la mère uniquement. Ceci a d’ailleurs largement contribué au fait que si l’enfant ne va pas bien c’est souvent à cause de sa mère.

Dans la théorie de l’attachement de l’enfant à son père, les éléments qu’on retrouve restent assez inconnus car peu étudiés. Elle reste associée à celle de la mère et des autres personnes proches de l’enfant. Il n’en reste pas moins que la dimension du jeu est une spécificité de la relation père-enfant..

L’apport de la systémique dans le domaine est de souligner l’importance de l’environnement et l’influence réciproque de celui-ci sur les relations de l’enfant aux autres. Le système est donc lui-même composé de sous-systèmes qui sont les dyades mère-enfant, père-enfant, frère-sœur, frère-frère… Ces sous-systèmes sont complexes et influencent à leur tour le développement de l’enfant. Avec la présence du père et /ou de la mère: les comportements relationnels changent chez l’enfant mais aussi chez le parents.

2. Pourquoi en tant que parents nous nous permettons l’autoritarisme avec nos enfants?

Le rôle premier des parents est d’assurer la survie de leur enfant, ce qui pourrait conduire à une confusion sur la toute puissance à exercer sur son enfant.

Fences, 2017

Nous basculons de l’autorité à l’autoritarisme quand nous sommes perdus, que nous avons le sentiment de perdre le contrôle sur notre enfant. Nous décidons de resserrer la vis pour montrer qui commande et nous rentrons dans un bras de fer qui fera des dégâts dans la relation.

Selon Hannah Arendt:

“l’autorité requiert toujours l’obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. L’autorité, d’autre part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. Là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté. Face à l’ordre égalitaire de la persuasion, se tient l’ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique.”

Toujours selon la philosophe:

“La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée.)

L’autoritarisme est donc imposé à la personne qui le subit forcément et ne peut en aucun cas aboutir à une relation équilibrée et épanouissante.

II. la résistance au changement

La première raison qui fait que l’être humain a tendance à ne pas changer est la peur de lâcher la proie pour l’ombre, peur de se remettre en question, peur d’abandonner cette routine qui est certes, difficile mais a l’avantage d’être connue.

Dans le “Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens” Joule et Beauvois, (1988), ouvrage qui décortique le phénomène de soumission librement consentie, évoquent une notion issue de la psychologie de l’engagement qui pourrait expliquer également la résistance au changement, l’effet de gel (Kurt Lewin 1890–1947). C’est l’idée selon laquelle une personne reste attachée à la décision qu’elle a prise. Si nous reprenons notre situation initiale c’est l’idée que chacun reste campé sur ses positions pour aller au bout de sa décision. Le père continue de contrôler son fils en espérant que celui-ci fera des efforts. Le fils continue à faire l’enfant tant que le père a un comportement contrôlant.

Deux autres concepts abordés dans cet ouvrage peuvent également éclairer notre lanterne en ce qui concerne les raisons qui poussent les personnes à adhérer à leur décision initiale et à ne pas en démordre: il s’agit de la dépense gâchée et du piège abscons. La première est le fait qu’une personne persévère dans une stratégie ou dans un comportement dans lequel il s’est engagé auparavant, sans prendre en considération d’autres lignes de conduite qui pourraient être plus intéressantes ou plus rentables. Le second est défini par les auteurs comme une “escalade d’engagement, une tendance qu’ont les gens à persévérer dans un cours d’action, même quand celui-ci devient déraisonnablement coûteux ou ne permet plus d’atteindre les objectifs fixés.”

Un autre phénomène qui peut expliquer la résistance au changement, c’est qu’on ne change pas les autres. Nous tenons à préciser que cette résistance n’est pas toujours négative. Comme le dit Christine MARSAN (2008)“ Si l’autre résiste à l’intention d’être changé, c’est en soi une bonne chose: une marque de confiance en soi et du maintien de son originalité existentielle.”

  1. Les avantages à ne pas changer

a. Pour l’adulte

Il y a donc bien des avantages à ne pas changer. Le parent, lui, reste dans sa zone de confort, même si elle n’est pas si confortable que cela. Il ne remet pas en question ses principes d’éducation, il reste convaincu qu’il va mettre son enfant dans le droit chemin de l’obéissance en gardant le contrôle sur lui.

b. Pour l’ado

L’ado qui ne change pas, reste également dans sa zone de confort, il ne part pas explorer l’inconnu et les méandres d’une autonomie qui lui fait peur parce qu’il ne la connaît pas encore.

2. Les avantages à changer

Le Larousse nous donne différentes définitions du changement: Action, fait de changer, de modifier quelque chose, passage d’un état à un autre : Changement de propriétaire, de ministère. Celle qui correspond le plus à notre propos est celle-ci: Fait d’être modifié, changé ; modification, transformation : Des changements sont intervenus dans son attitude.

Il s’agit donc bien d’une transformation qui, si elle a lieu, aura son lot de conséquences positives. Voyons les plus en détail pour nos deux protagonistes:

a. Pour l’adulte

En décidant de changer durablement son attitude envers son enfant, l’adulte pourra réduire le stress lié à son désir de tout contrôler. Il pourra également renouer le dialogue. Il se sentira soulagé de voir que s’il commence à changer, son enfant suivra le mouvement en se responsabilisant.

b. Pour l’ado

Du côté de l’enfant, il y aura bien sûr la responsabilisation, l’autonomie qui viennent avec le changement et permettent une séparation en douceur d’avec son parent. Il va gagner en estime de soi (j’existe sans mes parents) et va pouvoir se réaliser et voler de ses propres ailes tout en se sentant d’avantage protégé.

Les éléments qui seront bénéfiques à tous les deux sont le déblocage de la parole et surtout la confiance mutuelle qui va pouvoir s’installer.

III. Comment transformer sa posture de parent?

1. Vers quelle type de relation?

Stop l’autoritarisme, bonjour l’autorité bienveillante! Le parent devra faire en sorte que la relation qu’il entretient avec son ado soit de plus en plus équilibrée. L’adolescent est un adulte en devenir, il est fondamental de commencer à le traiter comme un alter ego et arrêter de :

  • Donner des ordres
  • Menacer
  • Crier
  • Donner des conseils
  • Faire la morale
  • Persuader par la logique
  • Juger, critiquer
  • Flatter
  • Insulter
  • Faire honte
  • Interpréter négativement les situations « tu me cherches »
  • Ironiser/ se moquer

Dans cette nouvelle relation, la non-complaisance et la bienveillance sont de rigueur.

2. Les éléments systémiques du comportement parental à modifier pour impulser le véritable changement

2.1 Prendre conscience que la situation ne peut plus durer

Tout changement passe par une prise de conscience profonde, qui va venir bouleverser toutes les croyances sur lesquelles nous avions fondé notre mode éducatif. En tant que parent, nous sommes les héritiers d’un mode éducatif autoritaire, permissif ou encore, démocratique, avec les blessures de l’enfance que l’on ne souhaite pas faire vivre à nos propres enfants. Être trop prudent, surprotéger ses enfants n’est pas la solution et ceci n’évitera pas à nos enfants de se brûler les ailes tôt ou tard.

La conscience est, selon Henri Rey, “cette modalité de l’être psychique par quoi il s’institue comme sujet de sa connaissance et auteur de son propre monde” (Encyclopédie Universalis, Conscience, 1990).

La conscience est liée à la connaissance ; c’est par la conscience que le sujet connaît le monde et se connaît comme être connaissant et construisant son monde.

Gerald Edelman (1992) nous rappelle les propriétés de la conscience identifiées par James : elle est personnelle, changeante mais continue, elle a affaire à des “objets”, elle est sélective dans le temps, intentionnelle (conscience de quelque chose) et liée à la volonté.

Pour qu’une personne change, il faut donc une connaissance précise de soi et de son environnement.

2.2 Se faire aider

D’autre part, pour qu’une personne accepte de changer, il lui faut l’aide d’un tiers: un ami bienveillant, ou un professionnel.

2.3 Une approche qui facilite le changement

Voici les étapes clés de la conduite du changement selon Kurt Lewin (1890–1947, psychologue américain, comportementalisme et psychologie sociale) :

A. Dégeler la situation de blocage, créer la motivation pour s’apprêter à changer

A.1. Aider la personne à comprendre sa situation de blocage:

  • En accueillant ses émotions et en lui montrant de l’empathie
  • En lui fournissant un maximum d’informations sur les bénéfices du changement
  • En la rassurant sur les éléments qui ne changeront pas pour elle
  • En traitant le passé de la personne avec respect
  • En visualisant les écarts avant/après

B. Changer et être en mouvement — Créer un nouveau point de vue

B.1 Technique de renforcement du mouvement (action)

  • Donner à la personne un objectif à atteindre et une direction claire
  • L’aider à renforcer ses liens avec son environnement (créer un environnement aidant)
  • Donner à la personne un rôle particulier dans le processus du changement
  • Donner du leadership à la personne et lui dire qu’elle est capable d’y arriver
  • Maximiser l’engagement de la personne

C. Regeler la nouvelle situation de changement en intégrant les nouvelles perspectives

C.1. Techniques de renforcement du “re-gel”

  • Déployer les premiers résultats et souligner les succès
  • S’assurer que la personne s’approprie ses nouveaux comportements
  • Faire des feedbacks positifs à la personne de façon systématique
  • récompenser et reconnaître les efforts de la personne
  • Célébrer le changement!

C’est ainsi que le parent peut agir sur ses croyances non-aidantes par rapport à son mode éducatif. Il pourra en construire de plus aidantes pour mieux avancer avec son enfant. Il pourra ensuite redéfinir son mode éducatif et accéder à une meilleure connaissance de son enfant. L’enfant sera libéré de la contrainte tout en ayant la latéralité nécessaire pour construire son identité, prendre des décisions qui lui sont propres, devenir son propre gestionnaire et prendre sa liberté en conscience.

Précisons aussi que le processus de changement est plus lent chez les personnes qui n’ont pas l’habitude d’être bousculées dans leur routine. La bonne nouvelle c’est que plus nous sommes habitués au changement et plus c’est simple d’accepter de changer !

IV. conclusion

Nous souhaitons conclure cet article en insistant sur le fait que les relations autoritaires entre parents et adolescents, en plus d’être stressantes et énergivores, ne sont aucunement bénéfiques au développement cognitif de ces derniers. Rappelons que nos adolescents en tant que futurs adultes, ont encore besoin de cadre, de structure pour pouvoir appréhender les limites et grandir sereinement. En effet, les ado qui bénéficient de relations saines, fermes et empreintes de respect et de tolérance auront des facilités à s’épanouir. Ils se sentiront “mieux dans leurs baskets” et plus confiants.

Le changement est nécessaire pour sortir des cercles vicieux qui nous emprisonnent et abîment nos relations. On ne se construit pas tout seul, on se construit avec le regard des autres. Les deux mots d’ordre pour y travailler sont expérience, dialogue et acceptation.

Expérience

“C’est en forgeant qu’on devient forgeron”donc c’est en adoptant de nouvelles attitudes et en utilisant ses nouvelles compétences qu’on finit par les intégrer, et ne même plus se rendre compte qu’elles font partie de soi.

Dialogue

C’est par la communication que tout passe. C’est en parlant des difficultés, en les abordant selon différents points de vue, qu’on avance. N’oublions pas non plus de parler aussi de ce qui va bien, cela améliore la confiance en soi, entre autres…

Acceptation

L’acceptation de soi mais aussi de l’autre. La reconnaissance que l’adolescent est un individu à part entière et pas le prolongement de soi. Il a sa personnalité, ses envie, ses rêves, sa voie et c’est au parent de l’accompagner même si ceux ci ne correspondent pas à ce qu’il aurait aimé ou ce qu’il aurait jugé bon pour son enfant.

On rêverait que tous les parents puissent tenir un tel discours à leurs enfants:

A la recherche du bonheur

A très bientôt sur https://weeprep.org

Laila Ducher

Bibliographie

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