Être ensemble et se réaliser, grâce au numérique
Partie 1/3 : Qu’est-ce qu’une bonne relation?
Être ensemble est source de bonheur, c’est en tout cas ce que la Harvard Business Review a conclu dans une étude qui a été réalisée sur 75 ans auprès de 724 hommes toute classe sociale confondue dirigée par Robert Waldinger, professeur à la Harvard Medical School et psychiatre (2015).
Les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé (Robert Waldinger, conférence TED (Nov. 2015)
Bien plus que la notoriété et l’argent, les “bonnes relations” avec son prochain nous font du bien.
Pourtant, les “bonnes” relations ne sont pas aussi simples à bâtir et d’ailleurs, le mal-être des êtres humains repose souvent sur une mauvaise gestion de leurs relations à autrui.
Les échecs relationnels sont souvent dûs au fait que nous ne pouvons prédire les comportements d’autrui, et que nous nous adressons souvent à lui avec maladresse. Nous ne le connaîtrons jamais assez.
L’homme est relation, c’est un “animal social” aurait dit Aristote, et la science semble abonder dans son sens car des parties du cerveau humain qui régissent nos relations à autrui sont beaucoup plus développées que chez les animaux.
Tout ce que nous faisons, nous le faisons ensemble. Nous nous construisons par rapport à autrui : avec lui ou en opposition à lui. Si nous vivions isolés les uns des autres alors nous ne pourrions pas assurer aisément notre survie, nous ne pourrions pas vraiment savoir qui nous sommes, ce que nous valons, ce qui nous passionne, comment nous allons nous réaliser dans notre vie et nous ne pourrions rien partager, ni transmettre.
Le monde du numérique l’a bien compris. Le nombre de plateformes numériques de mise en relation, de partage, de jeux, d’apprentissage, de recherche d’emploi, de rencontre, de participation (crowdsourcing, crowdfunding) et de collaboration ne se compte plus. Il semblerait donc que le numérique a fait évoluer les modalités des relations interpersonnelles.
Sur 7,357 milliards de personnes dans le monde, on dénombre 3,715 milliards d’internautes.
Sur 3,715 milliards d’internautes, 2,206 milliards utilisent les réseaux sociaux chaque mois.
Sur 2,206 milliards d’utilisateurs des réseaux sociaux, 1,925 milliards sont actifs sur mobile. (voir sources)
Pourtant, on remarque que le numérique est souvent perçu comme un frein au développement des relations interpersonnelles. En effet, les personnes sont bien trop souvent devant leurs écrans et sont déconnectées de la “vraie vie”, celle où l’on “rencontre des gens en chair et en os”. Y a t-il vraiment une différence entre les relations que l’on tisse dans la “vraie vie” et celle de la “vie virtuelle”?
Je vais donc tenter d’interroger ces nouvelles modalités relationnelles qui ne cessent d’évoluer au gré des innovations technologiques, mais aussi et surtout des besoins des personnes d’être davantage connectées à autrui dans une société en pleine mutation. Ces modalités des relations humaines ont bouleversé notre façon d’aborder autrui et de le regarder.
Le numérique rapproche t-il davantage les personnes les unes des autres? Les rend-elles plus humaines, plus empathiques, meilleures, plus responsables vis-à-vis des autres? Et, enfin, les rend-elles plus heureuses et épanouies car davantage en lien avec les autres?
Pour répondre à ces questions, je vous propose d’approfondir dans ce premier volet, le sujet des relations interpersonnelles, les représentations que nous nous faisons des bonnes relations, et comment ces dernières parviennent-elles à se construire.
1. Les relations interpersonnelles, et si on en parlait vraiment?
Pour commencer, les relations interpersonnelles définissent la nature des liens qui unissent deux personnes: des amis, une mère et sa fille, un frère et une soeur, un salarié et son patron, un patient et son médecin etc.
Il y a relation interpersonnelle si et seulement s’il y a entre deux personnes:
- interactions
- échanges
Les relations interpersonnelles s’avèrent assez complexes à définir, compte tenu des enjeux dans l’interaction* entre les personnes, et ce, même si la taxonomie et leurs propriétés restent assez simples à définir:
Cependant, ce tableau ne permet pas de comprendre les déterminants d’une bonne relation. En effet, le lien fraternel, un lien imposé, et qui durera toute la vie, n’est pas synonyme de “bonne relation”. Appartenir à une même fratrie ne permet pas nécessairement d’instituer la fraternité. La fraternité est un lien qui existe entre les personnes appartenant à la même organisation, qui participent au même idéal.
Les mythes fondateurs comme, Abel et Caïn (La Bible), Rémus et Romulus (mythologie romaine), ainsi que les mythes littéraires comme Le Roi Lear, ou encore Richard III (Shakespeare), Le Père Goriot (Balzac), Les Frères Karamazov (Dostoyevsky), évoquent ces liens difficiles qui peuvent exister au sein d’une même fratrie (jalousie, rivalité, guerre fratricide, haine). Dans les fratries, la notion d’équité est au centre des relations. En effet, chacun jauge les ressources distribuées par les parents aux uns et aux autres. C’est en fonction de cela que les enfants vont construire entre-autre leur identité (enjeux identitaires).
D’autre part, les aînés, ont souvent l’ascendant sur leurs cadets, en effet, ils donnent l’exemple, ils éduquent, ils sont expérimentés, ils ont la légitimité et la confiance de leurs parents. Bon gré, malgré, les plus jeunes prennent exemple sur eux. L’aîné est l’enfant tant attendu, et sur lui se cristallisent les projets et les attentes des parents. L’aîné peut aussi faire vivre un véritable calvaire à ses cadets en s’érigeant en donneur de leçons, ou en sauveur. La rivalité fraternelle a cependant une fonction: la différenciation. Comment moi, au sein d’une fratrie j’arrive à exister en tant qu’individu à part entière?
Entre frère et soeur, on fait souvent les comptes: c’est oeil pour oeil, dent pour dent. “il m’a mis un claque, je lui en ai mis une aussi”, et c’est aussi du donnant/donnant: “je veux la même chose que lui”. Ici, les relations sont davantage décomplexées, plus intimes, et sont fondées sur la connaissance de l’autre: nous avons assisté à la croissance des uns et autres. Pourtant, cela ne signifie pas qu’on se connaisse vraiment, car nous évoluons, nous grandissons. Les relations fraternelles vont d’une certaine manière conditionner nos façons de nouer des relations avec autrui plus tard dans la vie.
De leur coté, les relations parents/enfants sont bâties sur l’affect, le sang mais aussi le respect des valeurs incarnées par nos géniteurs. Cette relation est souvent fondée sur l’obéissance. Les rapports entre enfants et parents sont donc de facto asymétriques, et ce même si l’on a les parents les plus aimants et bienveillants de la Terre. Quand l’enfant n’obéit pas, les parents peuvent user ou abuser de leur pouvoir en exprimant de la violence vis-à-vis de leurs enfants. Malheureusement, les liens peuvent se fragiliser au cours de la vie entre les parents et les enfants.
Même si nous rompons le liens avec nos parents, nous les portons sur notre dos, toute notre vie. Et, il en est de même avec nos enfants. À la vie, à la mort. Le lien n’est jamais vraiment rompu et nous chercherons la plupart du temps à le réparer, car nous avons besoin de ce point d’ancrage, celui où tout à commencer pour nous.
Construire de bonnes relations, en fait, ce n’est pas si simple… On ne peut donc pas dire que les liens fraternels soient nécessairement des exemples de bonnes relations.
C’est pour cela, qu’il y a quelques mois j’ai demandé à plusieurs (une cinquante environ) de mes amis qu’est-ce qu’une “bonne relation”? Voici les 7 verbalisations les plus récurrentes:
N’oublions pas que Robert Waldinger (2015) affirme que les bonnes relations sont source de bien-être.
Luc, 64 ans, me répond:
Pour moi une bonne relation c’est quand je peux envoyer chier quelqu’un sans qu’il me fasse la tronche pendant dix jours, en fait ce type de relation s’appelle l’amitié, elle est très rare.
Stéphanie, 40 ans m’affirme:
Pour moi une bonne relation c’est quand je peux être totalement moi-même avec une personne, sans que j’ai à me justifier.
Viviane, 45 ans me dit:
Pour moi une bonne relation c’est lorsque je peux compter sur quelqu’un pour m’aider à résoudre un problème.
Sylvie, 44 ans souligne:
Pour moi une bonne relation c’est quand je ne me sens pas inférieure à la personne et que la personne me regarde comme son égale
Jeanne, 15 ans ajoute:
Pour moi avoir un bonne relation, c’est être en lien avec une personne en qui j’ai confiance et qui me fait confiance et à qui je peux confier mes états d’âme, mes secrets et qui saura les garder pour elle. Elle saura m’écouter et me comprendre sans me juger.
Julien, 22 ans dit:
Pour moi une bonne relation c’est pouvoir passer un moment convivial avec une personne ou plusieurs et rire ensemble.
Anne, 36 ans affirme:
Et bien pour moi, une bonne relation c’est la possibilité d’apprendre des choses, de réfléchir à deux ou à plusieurs sur le monde, et faire naître des projets et pourquoi pas les réaliser ensemble.
Ces verbalisations nous montrent que les gens, en règle générale, évitent les relations asymétriques, même si parfois elles peuvent être inévitables en famille, en couple, au travail, avec des amis. Notons aussi, qu’aucun de mes répondants n’a évoqué ses liens fraternels comme étant gages de relation équilibrée, de confiance et d’amitié.
N’oublions jamais les enjeux dans l’interaction*. On est toujours le larbin de quelqu’un ou le bourreau d’un autre, qu’on le veuille ou non, à en juger les travaux de Joule et Beauvois sur la manipulation*(1987) et la soumission librement consentie* (1987).
Pour l’ensemble de mes amis, autrui est un autre que soi, il peut être mon reflet, et peut m’aider à grandir, et à m’accepter tel que je suis.
À travers leurs témoignages, autrui est de facto utile à soi
L’utilité est donc au centre des “bonnes relations”.
Ce que m’ont décrit mes amis, ce sont des liens fondés sur des l’affection, la réciprocité, la confiance, la reconnaissance, l’entre-aide, le partage et le plaisir. Idéalement, les individus cherchent donc l’équilibre et le soutien en cas de besoin, ou nécessité dans leurs relations. Dans leurs descriptions, autrui est conçu comme un repère et un témoin ((S., Moscovici, La psychologie sociale des relation à autrui, 2000)
Le regard bienveillant d’autrui vise avant tout à protéger l’image de soi contre les risques d’amoindrissement de l’estime de soi et de l’identité que porte en elle la relation sociale.(Moscovici, 2000)
De plus, on entrevoit bien dans leur description, qu’une relation devient bonne que si et seulement si les personnes se rencontrent physiquement à plusieurs reprises puisque cela suppose une bonne connaissance d’autrui. La construction d’une bonne relation dépend de la confiance que l’on accorde à son interlocuteur.
2. Comment bâtir de bonnes relations, alors?
La réalité des relations interpersonnelles est complexe, il n’existe pas de relation humaine parfaite, sans tension, car dans toute interaction (qu’elles soient positives, négatives ou ambivalentes), il y a des enjeux bilatéraux. C’est souvent dans le débat, la tension qu’il se passe quelque chose dans la relation à l’autre, si et seulement si cette tension est acceptée et bien gérée de part et d’autre.
La présentation de soi (apparence physique, langage verbal/non verbal, odeur, énergie) va influer les comportements des interlocuteurs. Les perceptions que l’on a de nos interlocuteurs vont donc biaiser la relation que l’on va construire avec eux. Avec autrui, bien souvent nous nous efforçons d’apparaître sous notre meilleur jour, nous mettons des filtres, portons des masques, jouons des rôles pour éviter le regard parfois impitoyable d’autrui, E. Goffman (1922–1982).
Bien sûr , que toutes les relations interpersonnelles ne sont pas fondées sur la “réciprocité, la reconnaissance, le non-jugement, la congruence, l’ouverture, et l’acceptation inconditionnelle de l’autre ” (Carl Rogers, 1902–1987). Pour bâtir de bonnes relations, il faut avoir confiance en son prochain. Cette confiance prend du temps à se mettre en place entre deux personnes.
Si l’on s’intéresse de plus près à la notion d’utilité, c’est l’intérêt qui provoque l’échange entre deux individus. Les relations sont souvent asymétriques dans bien des situations.
La nature de l’Homme est impérialiste. Il cherche à conquérir des territoires, et séduire des coeurs.
J.-F. Haumon (1802) a dit:
Le besoin nous unit, l’intérêt nous divise
Je ne sais pas quelle part de vérité il y a dans cette citation, j’ai tendance à croire que les déterminants d’une bonne relation sont multifactoriels et il ne faut surtout pas s’enfermer dans des dogmes comme celui de cet auteur.
Les bonnes relations, en admettant qu’elles existent sont non seulement difficiles à bâtir, mais ne durent pas nécessairement ad vitam aeternam. Elles ne sont ni stables ni durables, car pour qu’elles le soient, il faudrait être en accord avec la personne avec qui nous partageons notre vie, nos amis, nos familles, de façon constante. Parce que nous évoluons, nous changeons et que nos besoins sont rarement les mêmes au cours de notre vie, nous nous lassons quand les choses deviennent monotones, répétitives, nous pouvons nous détourner de celles ou de celui qui jadis faisait notre bonheur.
L’erreur que nous faisons dans nos relations aux autres, qu’elles soient amicales, amoureuses, familiales, professionnelles, c’est que nous exigeons beaucoup d’autrui et bien peu de nous-mêmes, d’où les insatisfactions, les peines de coeur, les colères, les rancoeurs, qui peuvent vite s’exprimer et balayer d’un coup d’un seul une relation qui a mis tant de temps à se construire.
Nous pouvons bâtir de bonnes relations à condition que nous acceptions qu’autrui ne peut pas être tout le temps d’accord avec nous et qu’il peut lui aussi nous apprendre sur nous-mêmes et le monde.
Il existerait en outre des facteurs biologiques qui expliquent pourquoi deux êtres se rencontrent et ne se lâchent plus jamais. Entre eux, c’est “comme une évidence”, quand bien-même ils n’auraient rien de commun en apparence. Les phéromones seraient en partie responsables de ce phénomène. D’ailleurs vous pouvez constater que des parfumeurs se sont mis sur ce crédo et proposent des parfums à base de phéromones pour aider les célibataires à trouver le bon partenaire.
Pourtant l’impact des phéromones sur nos relations à autrui est remis en cause et même minimisé par les scientifiques: ces derniers ont mis en évidence que notre capacité olfactive à trouver les meilleurs partenaires est un mythe, car l’odorat chez l’être humain n’est pas innée mais s’acquière avec le temps et l’expérience. Notons aussi que les recherches sur ce phénomène n’en sont qu’à leur balbutiement. Donc à voir…
Conclusion
Nous sommes tous si différents. Ce qui selon moi, par rapport à mes propres expériences, contribuerait à bâtir à de consolider nos bonnes relations avec autrui, c’est le partage, l’ouverture, le désintéressement, l’amour de l’autre, la compassion, l’entre-aide, l’effort de dialogue, la collaboration donc l’esprit d’équipe.
Mais au-delà de cela, être avec l’autre c’est prendre un chemin qui nous sort de notre narcissisme primaire (lien unique avec soi même, sans d’autre écho que le sien) ou secondaire (le Moi va rechercher chez l’autre, non pas un autre amour que celui qu’il se porte, mais toujours immuablement le même).
“Sortir du narcissisme, c’est incontestablement devoir aller vers l’autre dans la découverte de l’altérité, seule possibilité d’échapper au « nombrilisme primaire de l’ego ». Il y a donc d’un côté « la voie sans issue » de l’individualisme narcissique, et de l’autre « la voie royale » de l’individuation. Deux conceptions qui s’affrontent et déterminent une existence à nulle autre pareille”. (voir source ici).
Un couple, des amis, des collègues de travail, des frères et soeurs, des parents et des enfants s’entendent lorsqu’ils ont des sujets communs, des visions partagées, les valeurs ou grille de lecture du monde assez proches, mais aussi l’envie de réaliser un projet ensemble et de le mener jusqu’à maturité. Dans cette relation, la négociation, le compromis, sont de mise et sont souvent bien maîtrisés, parce que les responsabilités et les rôles de chacun sont partagés, donc les individualités sont préservées, parce qu’il y a de la confiance, bienveillance, reconnaissance et réciprocité.
Peu importe que l’issue de ces projets soit heureuse ou pas, l’essentiel c’est d’avoir partager des moments, des émotions et d’avoir souffert dans l’adversité, et d’avoir surmonter les difficultés et savourer les réussites ensemble.
Pourtant, bâtir des bonnes relations avec autrui ne dépend pas que des individus mais aussi des environnements (zone géographique, culture, éducation, religion, tradition) dans lesquels ils évoluent. Le contexte de rencontre va conditionner les modalités de la relation.
Nous allons donc dans une prochaine partie nous consacrer à ces règles formelles ou informelles que nous imposent nos environnements, notre éducation, cela nous éclairera sur les raisons de l’existence des réseaux sociaux et de leurs succès.
A très vite!
Je souhaite remercier Erwan Sellin de sa collaboration, il a été à mon écoute, et ensemble nous avons défini le style de Weeprep, coloré, positif, dynamique, et résolument centré sur les liens humains.
J’adore son style, tout en aquarelle pour Weeprep, il est méticuleux, et passionné par les gens, aime les contempler, les observer, et les illustrer avec leurs particularités et a un sens aiguisé de l’esthétique. C’est un vrai bonheur de travailler avec lui! Je suis heureuse et fière qu’il ait intégré l’équipe Weeprep, désormais il illustrera l’ensemble de mes articles et participe à l’élaboration du design de la plate-forme.
Voici son site personnel: http://www.erwansellin.com/quisuisje.html
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