Copier-Coller

Si vous aussi vous étiez là depuis quelques millénaires vous comprendriez.

Peko Peko
Weirdos
3 min readSep 15, 2019

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Au début on tombe amoureux, on construit une famille. Une fois, deux fois, même au bout de dix fois, une autre âme nous touche. Une autre étincelle jaillit le temps d’un énième amour. Mais comme pour les guerres, après quelques dizaines, soyons réaliste. Ça ne fait plus rien.

Je ne méprise pas les mortels. Mais voyons les choses en face, nous ne sommes plus de la même espèce. Vous avez déjà interféré avec une colonne de fourmis ? Vous avez vu comme elle se reforme ? Et bien l’Humanité c’est pareil. Même le plus innommable des génocides, le Monde oublie après quelques décennies.

Alors oui, je comprend que mon passe-temps puisse vous horrifier. Mais comprenez que même la mort tragique d’un être qui vous est cher, quand bien même votre monde s’écroule, l’Univers s’en fout. Et si l’Univers s’en fout, moi je m’en fous aussi. Un humain est un amas de cellules mourantes, un corps ambulant en décomposition. Dans quelques décennies il n’y aura plus de trace de votre passage. Tout le monde est disposable ; à part moi.

J’ai bien essayé de tromper l’ennui d’autres manières. Sauver des vies, mettre fin à des guerres. Sensations fortes, saut en parachute. Essayez de sauter d’un avion quand vous ne pouvez pas mourir, vous ! Ça ne vous procurera pas le moindre frisson, je vous le garantis.

Parfois l’ennui et la solitude m’étreignent et frappent si fort que je me replie sur moi. S’ensuivent 30 ans,50 ans,70 ans, de réclusion dans une grotte ou sur un sommet de montagne. Mais je suis toujours de retour. Je suis un junkie d’adrénaline. Ce shoot que mon cerveau reptilien continue de me fournir jusqu’à aujourd’hui. Rien, vraiment rien ne me distrait comme tuer.

C’est vrai que les premiers siècles de ma vie, c’était un peu perturbant. L’empathie frappe et l’on se sent mal à l’aise. On se retrouve même à se confondre en excuse face au regard vitreux du corps qui s’affaisse. Puis au fur et à mesure on accepte l’évidence. Vous n’êtes rien de plus que de beaux papillons éphémères. Tous différents et tous semblables.

À la lisière de votre vie, c’est à-peu-près toujours la même histoire.Vous suppliez et négociez. Puis vous vous mettez en colère. Et à la fin vous vous résignez. Ou une autre combinaison du même genre. Enfin, vu votre ridicule espérance de vie, à tous, imaginez bien que votre réaction c’est presque du copier-coller.

Mais Léon, je dois avouer qu’il est différent.

Léon c’est le premier ami que j’aie eu depuis une éternité. Léon quand je l’ai menacé avec une arme il a pas cherché à s’enfuir ou me désarmer. Il s’est pas mis a genoux, il a pas hurlé.

Léon, il s’est mis à me raconter des blagues. De bonnes blagues en plus, je sais pas d’où il tient ça, c’est incroyable. Il nous arrive encore de nous asseoir parfois et pendant des heures je rie aux larmes de ses histoires. Il est vraiment unique au monde.

Mais le temps lui est compté aussi. Et lorsque je le regarde dormir avec ses cheveux grisonnants, je ne vois rien d’autre que son échéance prochaine. Et ça me brise le cœur. La tristesse et l’urgence de sa courte vie me pèsent alors si fort que je frappe d’un coup sec aux barreaux de sa cage. Comme à chaque fois, il sursautera et s’assoira dans un souffle. La gueule enfarinée, les yeux rougis et cernés il regardera dans ma direction. Il regardera vers moi et dira la voix tremblante :

“OK patron, de quoi on veut parler aujourd’hui ?”

Et de cette voix éclatera un petit rire nerveux.

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