Les nouveaux enjeux d’arbitrage dans l’expérience client
Les paradigmes de choix des consommateurs évoluent, de nouvelles exigences semblent dicter les règles et imposent aux organisations de redéfinir leur proposition de valeurs.
41% des consommateurs cherchent à acheter auprès d’entreprises qui paraissent cohérentes vis à vis de leurs valeurs. (Forrester 2019)
Mais qu’entendons nous par valeurs ? Une notion très personnelle et émotionnelle. Selon le psychologue social Shalom H. Schwartz Les valeurs transcendent les comportements. Elles guident les actions en fonction de motivations définies de manière relative aux objectifs que se fixent les individus.
1 - De nouvelles exigences qui s’affirment
La prise de conscience vis à vis de la question environnementale est sur le devant de la scène, les articles et les chiffres pullulent sur la toile et dans la presse à ce sujet. La consommation responsable n’est plus le fait de quelques altermondialistes enragés.
Le citoyen comme le consommateur sont amenés à questionner l’engagement des organisations. La RSE n’est plus un sujet de communication corporate, c’est un sujet de société qui va faire partie intégrante de la stratégie des entreprises et de leur marketing.
La responsabilité environnementale peut se résumer par une réflexion durable sur l’exploitation des ressources terrestres. La responsabilité sociale, quant à elle, consisterait à favoriser le développement des sociétés en combattant les actes basés sur l’exploitation de l’humain en tant que ressource vivante, permettant de baisser les coûts des entreprises pour le confort des sociétés développées.
Ethique et comportements
La question de l’éthique des organisations, de plus en plus présente, apparaît plus complexe à définir. Elle questionne la fiabilité des organisations sur leurs engagements environnementaux et sociétaux, mais aussi sur le respect de notre vie privée voire de notre libre arbitre. Un sujet que le législateur a du mal à cadrer même avec RGPD ou ePrivacy.
Le design éthique est au coeur des polémiques qui pointant les terribles disrupteurs de la Silicon Valley, qui nous ont rendu dépendants ( En 2020, Deloitte prévoit qu’en France 50% des adultes auront au moins quatre abonnements pour accéder à des contenus payants). Leurs propres créateurs lèvent le voile.
Des communautés ont émergées et se font entendre. Aux États unis, avec des mouvements comme Time Well Spent (initié par un ancien de Google) jusqu’en France où les conférences Ethic by design (que nous soutenons depuis le début) nous mettent en garde et questionnent l’éthique dans le nouveau monde digital.
Du point de vue de la psychologie sociale et comportementale, les actions non éthiques, pourraient se résumer par l’exploitation de nos mécanismes cognitifs avec le projet d’influer sur les comportements afin d’atteindre des objectifs non partagés : exploitation commerciale des données personnelles, non respect de la vie privée, marketing d’influence et design incitatif, économie de l’attention…le sujet de l’éthique des entreprises est vaste.
Des consommateurs en quête de sens, mais toujours plus en demande de performance.
La performance, une exigence toujours en hausse de la part des utilisateurs, (peu importe le terme que nous leur donnons ; consommateurs ou usagers). Ils deviennent tous des « utilisateurs des organisations”, qui ont une marque de fabrique que l’on peut appeler l’expérience.
Qui ne s’est jamais senti agacé d’un temps d’attente au restaurant, sur une hotline à 19:00, ou face au micro-ondes que l’on vient de lancer pour 1mn ? Oui, notre rapport au temps évolue, et notre perception du temps est bien subjective — voir notre article sur la perception du temps en e-commerce. Nous sommes toujours plus impatients. Pour illustration, depuis 2016, les recherches Google avec le mot “now” sont en croissance exponentielle ce qui illustre parfaitement ce besoin d’immédiateté.
C’est plus précisément notre niveau d’exigence qui augmente. Nous devenons très sensibles à la qualité de service, le référentiel issu de l’expérience Gafa a mis la barre haute, très haute #challenge
2 - Le paradoxe en terme d’expérience client
54% des e-acheteurs ont déjà modifié leurs habitudes de consommation par souci environnemental (Fevad/CSA -Février 2019)
Le consommateur responsable : prêt à faire des efforts quitte à réduire son confort, et à reprendre à sa charge des efforts qu’il déléguait jusqu’à présent aux marques. Mais jusqu’à quel point ?
Ses nobles aspirations se trouvent souvent en contradiction avec ses exigences en terme de confort : le coût énergétique d’un iPhone, la provenance des produits et les délais de livraison, le temps passé sur les écrans, ou plus simplement le temps perdu sur les réseaux sociaux, ou sur les giga catalogues disponibles en ligne…
Combien de soirées avons nous passées à chercher ce que l’on allait regarder sur Netflix pour finalement ne rien regarder car il était trop tard pour lancer un film ou prendre le risque d’arriver à se contenter d’un seul épisode d’une nouvelle série ? Comportement peu responsable lorsque l’on connaît le coût énergétique du cloud. Une soirée à flâner sur les sites de streaming… ça pollue #grave.
Nous avons d’une part, de nouvelles exigences qui tendent à rationaliser les actes de consommation, et d’autre part un besoin en performance croissant qui semble antinomique avec ces exigences éthiques et responsables. Quel impact sur les comportements ?
Comment compenser une baisse de performance dans les parcours client ? : attendre plus longtemps, payer plus cher et avoir moins de choix (délais de livraisons, produits de saison, made in France etc…), ou encore chercher plus longtemps les informations qui nous intéressent en évitant les services de personnalisation pour conserver notre vie privée. Les marques vont devoir conforter les utilisateurs dans leurs valeurs pour qu’ils restent motivés face à ces efforts.
Toujours selon Schwartz :
“L’impact des valeurs sur les décisions quotidiennes est rarement conscient, c’est l’importance relative des multiples valeurs concurrentes qui guident toute action ou attitude, c’est-à-dire les compromis entre les valeurs.”
Pour résumer
Nous serions donc prêts à consommer différemment, à changer nos habitudes et potentiellement à disposer de moins de confort, mais il faut que le jeu en vaille la chandelle…
Cet arbitrage se fera en fonction de nos valeurs… et de la capacité des organisations à nous rassurer sur l’adéquation entre nos exigences et les engagements de la marque.
L’essor d’ECOSIA, illustre bien la problématique, car il nous propose une sorte de contrat : nous acceptons un service moins performant que celui de Google (quoique pour un usage courant c’est largement suffisant), en contrepartie la marque s’engage à planter des arbres dans les pays qui en ont le plus besoin pour le bien-être des populations. Et Ecosia s’engage au total respect de notre vie privée en n’exploitant pas nos données. #deal
De nouveaux mécanismes d’arbitrages
Les mécanismes de prise de décision vont se complexifier car ces exigences vont au delà de l’expérience du produit et de la relation client, ils touchent aux valeurs de l’entreprise et à leurs incarnations dans ses actions concrètes.
Ces arbitrages impliquent un questionnement permanent dans les actes du quotidien et donc sur la totalité de l’acte de consommation : en amont de l’acte d’achat (considération de la marque et du vendeur), lors du choix (produit), lors de la transaction (protection des données), dans l’utilisation et la qualité du service client (performance et éthique), jusqu’à la fin de vie du produit ou service (recyclage, liberté de désengagement etc..)
L’utilisateur doit donc jongler avec de nombreuses données pour se décider (arbitrage) et agir (performance). Il se demande de plus en plus si les informations communiquées sont fiables, s’il les comprend bien, s’il n’est pas manipulé.
Un nouveau stress qui s’illustre par un manque de confiance dans les marques que la presse spécialisée évoque souvent, et qui se traduit par une tendance à la dé-consommation, mesurée à -0,8% pour la 1ère fois en France depuis 2008 (source IRI WorldWild Les Echos 2019).
Si le stress est trop important il aura donc un impact sur le comportement :
- Soit par la non prise de décision due à une surcharge cognitive (et non par choix éthiques). “ça me saoul, j’achète pas” — Biais de status quo
- Soit par des actes incohérents issus d’une repriorisation temporaire dans le système de valeur “ là ils exagèrent quand même 25€ pour une livraison sous 4 jours… je vais sur Amazon”. Comportement qui sera probablement associé inconsciemment à votre marque car elle vous aura finalement incité à cet acte non conforme à vos valeurs, elle n’aura pas été à la hauteur de vos exigences — Biais de l’illusion de corrélation.
Dans les 2 cas, la marque est perdante.
L’émergence de nouveaux codes
Les critères de choix des consommateurs vont changer, se diversifier, et se complexifier. De nouveaux codes vont apparaître pour aider l’utilisateur/consommateur à prendre des décisions. Les labels vont se multiplier pour guider et rassurer l’utilisateur sur la fiabilité des engagements de l’entreprise, de ses produits et de ses services.
De nouveaux labels émergent, par exemple Darty qui reste fidèle à son contrat de confiance en proposant des sélections de produits labellisées « choix durable ».
Même les publicitaires s’y mettent et lancent un label publicitaire social pour aider les internautes à cliquer sur les publicités engagées. En cliquant sur une publicité labellisée WhatRocks, ils gagneront des jetons d’une chaîne de blocs (blockchain) qu’ils pourront distribuer aux associations…
De nouveaux services d’arbitrage, pour aider à la prise de décision, vont continuer à émerger, dans le sillon par exemple de Yuka. Ils aident les consommateurs à y voir plus clair dans les labels (à la place des marques).
Des services comme EthicAdvisor, Scan Up ou Moralscore, MyLabel (la start-up lyonnaise) permettent eux-aussi d’évaluer les produits et services de grande consommation mais ils vont plus loin que Yuka en proposant d’évaluer le caractère éthique des entreprises qui les fabriquent.
Côté numérique, même constat : oui le numérique pollue, les français commencent à en prendre conscience. Demain les sites web et les applications des entreprises devront être cohérents de ce point de vue là, aussi. Un ECOindex digital est déjà disponible, essayez pour votre marque, c’est déprimant… Nous allons passer à l’ère de l’écoconstruction digitale et à la sobriété numérique.
La sobriété numérique, cumulée à RGPD et ePrivacy, va demander encore plus d’efforts en conception de service pour offrir des expériences différenciantes et personnalisées.
3 - Challenges et opportunités pour les marques
Dans ce contexte les marques doivent absolument interroger leurs valeurs et initier le shift nécessaire pour être en adéquation avec les attentes de la société et du marché. Pour que ces réflexions deviennent des réalités (et non de simples promesses avec quelques exemples qui brillent dans les rapports annuels), les organisations ne pourront pas se limiter à la simple communication, certes importante mais pas suffisante, comme l’illustre la conférence COM fo GOOD (organisé par le Magazine Stratégie). Il faudra des preuves.
2020 sera-t-elle l’année du retour du branding, où les marques songent à redéfinir leur proposition de valeur ?
Les organisations vont devoir renforcer leur démarche de compréhension des exigences de leurs clients devenus utilisateurs et sortir du paradigme de l’étude marketing pour aller aller au delà de l’expérience du produit. L’enjeu sera donc de créer une relation équilibrée entre performance et adéquation aux valeurs pour recréer la confiance auprès des utilisateurs/consommateurs.
Pour cela les engagements doivent s’incarner dans des choix structurels des organisations, des choix visibles et compréhensibles pour les utilisateurs, dans chaque interaction, sur chaque touchpoint (du papier recyclé, à la localisation des call centers, jusqu’à la sobriété numérique du site e-commerce). Mais également sur la définition de l’offre, du produit, et de la relation afin de redéfinir la valeur du service rendu … Et in fine être en mesure d’adresser la satisfaction client sous l’angle de la quête de sens.
En tant que designer, c’est là que nous intervenons afin de pouvoir mieux comprendre ces contradictions et aider les organisations à se frayer un chemin dans cette nouvelle dimension de la transformation.
Conclusion
Ce que nous appelons le design de service vise justement à transformer les interactions avec les organisations en expérience servicielle. Il s’agit de composer avec le niveau d’exigence des utilisateurs et les capacités de l’organisation, le tout dans le but d’offrir un meilleur confort aux usagers (psychologique et effectif). Une meilleure qualité de service, une meilleure expérience.
Le challenge des organisations sera précisément de trouver cet équilibre. Pour y arriver la co-construction va devenir centrale dans les stratégies afin de rapidement adresser ces nouvelles exigences de l’expérience client. Il faudra être plus que jamais à l’écoute des consommateurs, pour identifier des opportunités et les adresser de la bonne manière afin de ne pas se réveiller un jour avec “la gueule de bois” comme le décrit Emmanuel Faber, PDG de Danone dans Les Echos lors de son bilan de la décennie.
On a pas fini d’entendre parler de transformation…