What’s Next : le monde d’après #COVID19

Gilles Folin
What’s Next ?
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11 min readApr 27, 2020

Miscellanées sur les jours d’après

COVID 19, premiers effets secondaires

C’EST LA CRISE

De manière immédiate et irréfutable, on est certain que la crise sanitaire a et va avoir de très graves répercussions économiques. Au premier trimestre 2020 le PIB français aurait déjà baissé de 6% par rapport à l’année dernière (pire chiffre depuis 1945) et la banque de France annonce une chute de 8% sur toute l’année. Quant au FMI, il prévoit une chute de -5,9% aux USA et de 7,5% sur la zone euro. La France et le Monde sont en récession. Et, en référence à l’année 1945, la fin du confinement ne s’apparentera pas à une sortie de guerre avec les besoins (positifs pour un redémarrage de la croissance) de reconstruction qu’elle induit.
Ce sont les revenus des entreprises et des ménages qui ont été impactés avec un stock de capital physiquement inchangé mais financièrement dévalorisé. Parallèlement les finances publiques qui ont joué et continuent à jouer un rôle d’amortisseur sur les conséquences individuelles de la chute d’activité auront peu de marge de manœuvre pour relancer la machine économique. A moins, mais c’est encore un vœu pieux, d’un New Deal à l’échelle mondiale ou, pour le moins, européenne.

64% des français anticipent que leurs finances seront affectées au-delà de deux mois.

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L’espoir d’un redémarrage rapide post confinement (la fameuse courbe en V) semble s’éloigner de plus en plus et parmi les Français moins de 20% pensent que l’économie se rétablira rapidement (1) tandis que 64% anticipent que leurs finances seront affectées au-delà de deux mois (2).

L’AVENIR N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT

A côté de cette baisse du revenu national (PIB) et des revenus individuels, la prise de conscience de la dangerosité du monde peut changer très fortement notre rapport à l’avenir. C’est là encore une différence avec les sorties de guerre. Ces dernières s’accompagnent généralement et parfois à tort (1918), de l’idée que le pire est derrière nous et que les morts ont payé le prix pour un monde à présent plus sûr. Nous sortirons en revanche du confinement pour entrer dans un monde que nous considérerons comme moins sûr et plus incertain que celui d’avant.
Même indemnes, nous nous sentirons plus vulnérables que nous ne l’étions le premier Mars. Plus désireux de nous protéger et, pour commencer, de mettre de l’argent de côté pour faire face à un prochain choc : 34% des Français planifient de diminuer leurs dépenses (3). Mais peut-être avant tout persuadés que « la fête est finie » (même si cette dernière était très relative) et que nous entrons dans des temps difficiles qui ne ressembleront pas à ce que nous avons connu jusque-là.

61% des Français pensent que nos sociétés ne pourront plus jamais fonctionner comme avant (4).

LA FIN DE LA MONDIALISATION HEUREUSE

On peut lire un peu partout que la mondialisation a du plomb dans l’aile mais on a encore du mal à savoir ce que cela veut dire concrètement. En elle-même cette crise n’est pas directement liée à la mondialisation tant celle-ci ne peut se résumer au nombre de voyageurs qui parcourent le monde. La mondialisation est plus affaire de conteneurs que de personnes. Ce qui est vrai en revanche, c’est que la perception d’un monde sans frontières où le concept de nation était de moins en moins opérant a été sérieusement démenti par la gestion de la crise. Comme dans une prison où les détenus retrouveraient des solidarités ethniques apparemment caduques, cette crise mondiale a marqué le retour du chacun chez soi et du chacun pour soi. Avec effectivement, un désarroi devant le fait que certains produits indispensables n’étaient plus fabriqués en France. Il y a donc un appel à la relocalisation, un retour au « Made In France » qui devrait profiter aux marques et entreprises qui sont déjà physiquement présentes sur le territoire - plus de neuf personnes sur dix veulent que l’exécutif garantisse « l’autonomie agricole de la France » et pousse « la relocalisation des entreprises industrielles » (5). Quant à savoir si des entreprises dont la capitalisation a fondu vont se relocaliser en masse au risque de voir leurs coûts de production grevés par des salaires nationaux, on attend de voir.

COLBERT, LE RETOUR

Le libéralisme en revanche a pris à coup sûr du plomb dans l’aile. Le Monde pouvait titrer après le 11 Septembre : « Nous sommes tous américains ». Il pourrait titrer aujourd’hui : « Nous sommes contents de ne pas être américains » tant chacun d’entre nous a pu éprouver le confort de vivre dans une social-démocratie quand les temps sont durs. Malgré les errances des politiques, la perception de l’importance du rôle de l’Etat sortira renforcée de cette crise, de même que l’idée de Nation comme cadre de référence. Avec en corollaire, une revalorisation de la sphère de la dépense publique (la santé en tête) vs le marché.

C’EST PAS L’USINE

Cette crise a aussi montré, pour un tiers des salariés français environ que le travail pouvait continuer sans présence effective sur les lieux où il s’était toujours déroulé (6). Pour beaucoup l’espace fermé de la maison ou de l’appartement a remplacé l’open-space. La crise a entériné la possibilité d’une autre organisation des modes de production de valeur tant que ceux-ci ne concernaient pas la fabrication de biens physiques (eg. Airbus).

HIP, HIP, HIP IA

Dernier point, dans un monde qui, à la sortie du confinement, aura les yeux tournés vers la prochaine crise sanitaire, l’intelligence artificielle, de par ses capacités prédictives, apparaîtra comme une des manières les plus efficaces de se protéger. Hier elle inquiétait, à présent elle rassure.

Le consommateur d’après : premiers insights

LE NOUVEAU MONDE N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT

Le COVID et la crise qu’il provoque sont vécus, sans doute en partie irrationnellement diront certains, comme un signal d’alarme que le monde tel qu’il était ne peut plus et ne doit pas continuer. Il y a un inconscient collectif qui voit dans la pandémie un peu plus qu’un problème de pangolin et la condamnation d’un mode de vie. Avec dans notre mémoire primitive le souvenir que, quand il pleuvait des sauterelles sur le Royaume d’Egypte, ce n’était pas qu’une histoire d’insectes. Derrière la crise sanitaire et la crise économique se cache alors, même si elle est chaque jour un peu plus visible, une crise morale. C’est-à-dire un moment où la finalité de nos actes autant que leurs conséquences se retrouvent de plus en plus interrogés. Ces questionnements et ces remises en causes étaient en germe avant la crise sanitaire (l’ampleur de la vague #metoo en aura été un bon exemple), elle leur aura donné un grand coup d’accélérateur. Cette attente de morale, qui peut flirter parfois avec un certain puritanisme, prend aujourd’hui la forme d’une condamnation de l’individualisme. Une condamnation qui au niveau du consommateur, marque la fin de la recherche de son bon plaisir comme seul critère de choix dans l’affectation de ses ressources.
Le COVID 19 nous a montré une fois de plus que c’est dans le malheur que les solidarités se forgent. Il aura fallu que nous vivions séparés pour avoir de nouveau le sentiment de ne faire qu’un. Et la certitude que notre destin est commun. Qu’au-dessus des individus, au-dessus de notre petite personne, il y a une chose qui s’appelle la société, n’en déplaise à feu Margaret Thatcher (« There is no such thing as society. Only individuals »).
Aussi vertueuses sur le plan de la RSE que soient les entreprises auxquelles elles appartiennent, les marques à leur tour devront être sociétales, ou ne plus être. Leurs produits et services ne pourront plus être simplement « vendus » comme une réponse à un insight, un besoin, un manque, un désir purement individuel voir égoïste mais comme une contribution à un bien commun. Qui a minima concerne son voisin de palier.

LE PARTI PRIS DES PRIX

Les marques vont s’adresser à des consommateurs avec moins d’argent (conséquence immédiate du chômage partiel), avec la crainte d’en avoir encore moins dans le futur (perte d’emploi), et la tentation d’épargner davantage pour faire face à un avenir très incertain. La dimension prix va devenir plus importante que jamais. Mais elle relèvera moins d’un effet d’aubaine (promo, soldes, bonnes affaires) que de la nécessité de défendre un pouvoir d’achat menacé ou réduit. Les marques devront donc communiquer sur leur politique de prix comme une prise en compte, une réponse à des difficultés ou des craintes vécues concrètement par l’ensemble des français. Les prix bas ne devront pas pousser à un surcroît de consommation mais à son maintien. Ils seront un équivalent de l’effort des pouvoirs publics de la part du secteur privé pour éviter la casse.

DOUCE FRANCE

Le choix du « Made in France » va devenir un must. Pour des questions de sécurité alimentaire, mais aussi au nom des emplois menacés : on voudra consommer pour protéger sa santé et pour protéger nos emplois. Aujourd’hui 89% des Français se disent ainsi prêts à y mettre le prix même si ça augmente le coût des produits (7). On peut douter quand même d’une cannibalisation des chaussures fabriquées en Asie du Sud Est par les très limousines Weston. Plus sérieusement, en période de baisse du revenu global, il n’est pas certain que les promesses d’acheter français (la fin du T-shirt à 3 euros) se concrétisent toutes.

LA PEUR DES LENDEMAINS

Le souci du bien commun n’effacera pas la nécessité pour chacun de protéger de la sécurité de sa famille face à un avenir perçu maintenant comme beaucoup plus risqué. Cette protection passera non seulement par une réaffectation de la consommation (choix du Bio, dépenses de santé) mais aussi par une diminution de celle-ci au profit de l’épargne (34% des Français ont prévu de diminuer leurs dépenses (8). S’il pouvait se mesurer, on pourrait dire que le Bêta (9) général a augmenté de façon importante. Dans le cas d’un ménage moyen cela ne voudra pas dire choisir — ceteris paribus — des actifs moins risqués, mais tout simplement essayer de se mettre à l’abri de futurs chocs tant sanitaires qu’économiques. Face à cette demande d’une épargne qui protège avant de rapporter, les banques et les assurances ont un boulevard devant elles. Mais plutôt que de jouer les pures opportunistes, elles feraient bien de reconnaître qu’elles aussi ont été surprises. « Nous l’avions peut-être oublié mais nous venons de réapprendre de la plus dure des manières que le monde dans lequel nous vivons est dangereux et incertain. Et que notre premier rôle est plus que jamais de trouver les moyens de vous en protéger. »

LES UNS ET LES AUTRES

Il paraît enfin utile, après avoir parlé de manière générale, de faire une distinction, pour mieux mesurer leurs attentes respectives, entre ceux qui seront directement impactés dans leurs revenus et ceux qui ne le seront pas.

1. Ceux qui vont perdre tout ou partie de leur revenu.

Nous avons la chance de vivre sous le couvert d’un Etat protecteur ce qui va permettre à beaucoup de gens affectés économiquement de rester des consommateurs de produits et de services. Pour ceux-là le premier rôle sociétal des marques sera comme évoqué plus haut de leur prouver qu’elles se battent pour garantir que leur pouvoir d’achat ne baisse pas et d’inventer un panier du ménage pour temps difficile.
Mais la crise actuelle aura aussi comme particularité de toucher brutalement des gens qui ne s’attendaient pas du tout à rejoindre les rangs des exclus de la prospérité (eg. les Gilets Jaunes). Des gens qui, victimes d’un licenciement imprévu (comme jadis Vincent Lindon dans « La crise ») vont connaître le déclassement. Et changer radicalement de vision sur le monde. Ces déclassés ne vont plus forcément adhérer à l’optimisme publicitaire dans lequel baigne généralement le discours des marques. Tous ces déclassés, parmi lesquels nous figurerons peut-être, se mettront peut-être même à haïr toutes les marques qui feront comme si de rien n’était, qui feront comme si ils avaient cessé d’exister alors qu’elles les courtisaient début Mars. Comme on ne peut plus parler des femmes de la même manière après #metoo (c’est un fait), on ne pourra plus parler de la même manière à ces déclassés. C’est une question de « tone of voice » mais pas que. Et vis-à-vis de ces déclassés en particulier, les marques ne pourront plus reproduire la copy stratégique universelle : « Achetez mon produit il va vous rendre plus heureux. » Elles devront plutôt apparaître aux yeux de ceux qui se retrouvent dans une situation aussi pénible qu’imprévue comme tentant de réparer les dégâts (eg. : on fabrique en France, on aide les agriculteurs) et/ou comme contribuant à un modèle de société un peu moins folle. Dont, à juste titre, ils se considéreront comme les victimes expiatoires.

2. Ceux qui ne sont pas économiquement impactés

Il y a un mois encore, on aurait pu parier sur un scénario Années Folles. Il ne nous semble plus à l’ordre du jour. On est peut-être en 1918 mais avec la certitude partagée que ce n’est pas la der des ders : il n’y aura pas de Grande Illusion.
Durant le confinement, ces épargnés auront pour la plupart basculé complètement dans un monde digital. Avec l’expérience un peu plus forte de la gratuité ou du bas coût : de Skype à Netflix sans oublier Pornhub (entre autres). Des services dont le taux d’utilisation qui a grimpé en flèche n’a pas d’influence sur la facturation. D’un autre côté ils ont vécu une cure de désintoxication de consommation. Et pour beaucoup, ils ont pu constater que leur bien-être ou leur mal être étaient assez indépendants de la quantité de biens et services payants consommés.
Avec des revenus inchangés, ils seront comme des soldats (toute proportion gardée) qui sortent de la guerre sans une égratignure : heureux d’être vivants mais conscients comme jamais de leur mortalité, de leur vulnérabilité. Ils voudront, on l’a dit, épargner sans doute davantage et prendre soin de leur organisme. Le pangolin est un bon agent d’influence pour des pratiques de santé préventives, sportives, Bio … et responsables.

Et puis surtout conscients, autant que les impactés, que le monde d’avant le confinement ne tournait pas rond et qu’il leur appartient dans leurs comportements d’achat de le changer. C’est-à-dire de ne plus penser seulement à eux quand ils consomment mais de penser aussi à l’effet de cette consommation sur les autres tant cette crise leur a remis en tête qu’ils sont partie intégrante d’une seule et même nation, celle-ci étant entendue dans le sens révolutionnaire de son millésime 89.

Gilles Folin & Walthère Malissen
Senior Partners - WNP Consulting

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Sources et commentaires
(1) : Kantar — COVID 19 Monitor, vague 2, avril 2020.
(2),(3),(8) : McKinsey — COVID 19 France Consumer Pulse, 2 au 5 avril 2020.
(4), (5), (7) : Sondage Odoxa-Comfluence pour « Les Echos » et Radio Classique, publié le 13.04.2020.
(6) : Sondage Ifop pour Le Point 09.04.2020.
(9) : la mesure du risque d’un actif selon le marché.

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