“Etre développeur, c’est apprendre en permanence”

Aude Tarbouriech
WhozApp
Published in
11 min readAug 1, 2018

Pauline et Olivier, respectivement 25 et 40 ans, sont développeurs front-end au sein du même projet hébergé au sein d’un digital lab international. Des âges différents, des niveaux d’expérience différents, des sexes différents, et pourtant des visions et des aspirations assez proches quant au métier de développeur. Interview croisée.

Pourquoi as-tu choisi ce métier ?

Pauline : « Depuis toute petite je suis passée par plein de métiers mais je n’avais aucune idée de ce que je voulais vraiment faire plus tard. J’ai fait un lycée Scientifique car j’aimais bien tout ce qui était mathématiques, physique et chimie. Après le bac, je ne savais toujours pas vraiment ce que je voulais faire… C’est mon père qui m’a poussée à faire une prépa en 2 ans à Dijon. Je ne m’en sentais pas capable et les débuts ont été durs jusqu’à ce que je prenne finalement le pas. J’ai ensuite passé les concours mais sans obtenir des écoles de haut rang… Il faut dire que je gère mal le stress. Je suis arrivée sur Paris directement en école d’ingénieur pour mes 3 dernières années d’études. Je ne savais toujours pas dans quel domaine m’orienter, même si j’étais sûre de vouloir faire le métier d’ingénieur. Mon école proposait 4 filières. J’ai tenté des stages dans l’informatique car c’est un peu une passion familiale (mon père est aussi dans ce domaine-là, c’est lui qui m’a orientée dans ce métier). J’adore les maths et les problèmes de manière générale et j’ai retrouvé ça dans mes différents stages. Mon stage de 4ème année m’a vraiment ouvert les yeux. C’était à Paris, j’ai enfin eu de l’autonomie, j’ai eu la possibilité de réaliser tout un projet à moi toute seule, d’apprendre toujours constamment de nouvelles technos, des nouvelles choses, en plus d’être dans une super équipe qui m’a soutenue. C’est donc pour cela qu’en 5ème année, j’ai choisi une spécialité informatique. »

Olivier : « je suis ingénieur télécom et je ne pensais pas devenir développeur à la base, mais il se trouve que, dans les années 2000, quand j’ai commencé à travailler, développeur était un passage obligé. J’avoue que cela ne m’a pas trop plu car à cette époque-là, le développeur était un peu la 5ème roue du carrosse… Au bout d’un an ou 2 j’ai donc voulu évoluer et je suis devenu chef de projet, et ce jusqu’en 2010 environ.

C’est à cette époque-là que les applis sont arrivées sur les téléphones. J’avais un ami qui en développait et j’ai trouvé cela intéressant. Ça m’a fait me remettre au dev et tenter ma chance dans ce domaine. J’ai alors retrouvé des aspects que j’avais un peu perdu en étant chef de projet, comme le fait d’apprendre en permanence, de découvrir des choses nouvelles, d’être challengé, etc.

Selon moi, le métier de développeur a vraiment changé entre les années 2000 et les années 2010. Dans les années 2000, le développeur faisait ce qu’on lui disait de faire et puis basta. Dans les années 2010 j’ai découvert un autre métier. En tant que chef de projet, j’avais pas mal de responsabilités mais en même temps j’avais parfois l’impression de perdre un peu mon temps (notamment dans les nombreuses réunions), je n’avais plus l’impression d’apprendre.

J’ai beaucoup plus apprécié ce nouveau métier de développeur tel qu’il est maintenant, notamment grâce aux nouvelles technos (iOS, etc). Pour moi c’est un nouveau décor dans lequel on peut vraiment apprendre en permanence, être libre, sans trop de hiérarchie.”

Qu’est ce que tu n’aimes pas dans ce métier ?

Olivier : « C’est paradoxal mais ce qui me gêne le plus c’est le côté très sédentaire devant son écran. Je me dis parfois que je passe mes journées devant mon écran assis, seul dans ma propre tête. C’est parfois too much… C’est pour cela que j’apprécie de travailler en agile avec toutes ces cérémonies et réunions qui rythment les sprints et qui sont distillées de manière continue. J’apprécie ce fonctionnement qui permet de ne pas être seul en permanence devant son écran.

Pauline : « Je ne sais pas. Pour le moment, tout me plait ! Je ne me prends pas la tête.

La seule chose peut-être c’est que ça bouge énormément côté nouvelles technologies. Tu as l’impression que tu commences à maitriser et d’un coup les choses sont bouleversées à nouveau avec une nouvelle version, un nouveau framework, etc… Par exemple, entre Angular 1 et 2… J’avais un projet que j’avais monté de A à Z et quand la version 2 d’Angular est sortie cela impliquait une refonte totale, alors que je venais à peine de finir… Même si j’aime les évolutions et la remise en question constante d’un projet en terme de performance et de qualité, j’aimerais bien que parfois on puisse faire une pause et avoir le temps de maitriser et d’aller jusqu’au fond d’une technologie »

Comment vois-tu l’évolution du métier de développeur front sur les 4 à 5 prochaines années ?

Pauline : « Je trouve que c’est un métier dynamique et qui va le rester. C’est un métier qui bouge constamment, et j’ai donc du mal à savoir ce qui va arriver sur les prochaines années. Il y a de l’incertitude mais c’est excitant à la fois ! Surement de futurs défis à réaliser »

Olivier : « Je pense que ce métier évolue par paliers, et cette évolution n’est pas linéaire. Angular a été vraiment été une révolution, un framework très important avec des apports majeurs. J’ai l’impression que la maitrise en profondeur d’Angular, de la programmation réactive, des bases de données type Firebase, des notions de store, etc, est un investissement rentable pour un développeur pour durer sur les prochaines années.

Selon moi, on est davantage dans le début d’un cycle que sur la fin, et je suis content d’avoir pris le début du cycle sur iOS et j’ai l’impression qu’on est également dans un nouveau cycle côté Javascript. »

Ton métier existera t’il encore dans 5 ans ?

Pauline et Olivier : « oui (à l’unisson) »

As-tu envie de continuer sur ce domaine du dev Front (alors qu’on parle beaucoup de full stack) ?

Olivier : « Personnellement oui. Je pense que faire des choses côté Back sera de plus en plus accessible à n’importe quel développeur, sans être un mécanicien hors pair (tant qu’il n’y a pas de problématique trop spécifique à creuser). C’est de plus en plus empaqueté. Est-ce que ça favorisera le Full Stack ? Peut-être. Quand tu regardes l’utilisation de Firebase, tu peux assez facilement mettre en place des bases de données solides sans grand effort.

Donc oui, dev front, après je reste ouvert en fonction des technologies qui se présenteraient. »

Quels sont tes objectifs professionnels à court et moyen terme ?

Olivier : « Quand je me lève le matin, j’ai besoin d’être content d’aller travailler. C’est très basique mais ça reste mon objectif. Le poste ou l’étiquette ne sont pas très importants, c’est surtout le plaisir de ce que je fais qui me motive, et pour l’instant ça me fait plaisir. Je pense que ce plaisir vient beaucoup du fait d’apprendre, d’apprendre des choses nouvelles.

Même si je n’ai plus 25 ans, je continuer à me poser la question de ce qui me plait, de ce qui fait que je suis content chaque jour, et c’est le cas de ce que je fais en ce moment. C’est mon moteur.
Et je me dis que d’aller au fond des technos évoquées, ce n’est pas si facile, tout le monde s’y casse les dents au début (on fait tous des bêtises, j’en ai fait plein, notamment sur iOS). On pourrait croire que développeur c’est « fingers in the nose » mais franchement ce n’est pas si facile. C’est d’ailleurs ça qui me donne encore plus confiance, je me dis que ce n’est pas le premier venu qui peut le faire, que ça a de la valeur. »

Pauline : « Quand je suis sortie d’école, mon objectif c’était développeuse et ensuite chef de projet. Je ne connaissais pas encore l’Agile. Sur ma précédente mission, j’ai remplacé le scrum master pendant ses vacances et j’avais donc 2 rôles. Ça m’a énormément plu de motiver l’équipe et de la pousser à réaliser son meilleur. Après, je ne sais pas si je tendrai vers ça car j’aime beaucoup développer. Faire une fonction récursive et me casser la tête à fond dessus pour trouver la meilleure solution, faire des maths, créer une super feature pour le client, c’est ce que j’aime dans le développement… Si je la fais et qu’il faut l’enlever 2 jours après, ce n’est pas grave. J’aurais aimé ma journée pour la faire car je sais que j’aurai réussi. Ce sont des petits challenges comme ça que j’aime bien. Je pense que je resterai développeuse tant que la mission me plait et que je me fais plaisir.

Y a-t-il un projet Open source que tu suis particulièrement et qui t’impressionne ?

Olivier : « Je suis dans une période où j’essaie de faire de la veille, et comme je suis assez scolaire, je prends un bouquin sur Safari book online et ça remplace un peu le suivi d’un projet open source. C’est là que je vais prendre toutes les informations qui m’intéressent, davantage que de suivre le code d’un autre développeur….

Pauline : « Moi non plus je ne suis pas de code en particulier. Je préfère checker les articles en ligne et suivre ce qui sort, les nouvelles fonctionnalités et les nouvelles versions de tel ou tel framework. Je surfe davantage sur plein de choses plutôt que sur un projet en particulier ».

As-tu des projets personnels ou bien le développement est-il uniquement professionnel ?

Pauline : « C’est principalement professionnel, après je ne refuserais pas forcément si on me proposait un projet personnel qui m’intéresse. C’est d’ailleurs le cas : en septembre, il va y avoir le festival de musique mécanique à Dijon. J’ai aidé un designer à faire l’affiche de publicité et on va faire également un petit site web pour présenter l’évènement. Mais ce n’est pas ma première activité en dehors du boulot, je vais plutôt aller vers du sport, des choses manuelles, des bouquins, voir des gens, je n’ai pas envie de passer tout mon temps devant un écran… »

Olivier : « En 2012, quand j’ai développé mes applications, c’était un job mais sans être un job. C’est-à-dire que j’ai créé mes propres applications (3 sur l’AppStore). Ce que je faisais c’était ce que je voulais, ce que j’imaginais. C’était du travail sans être du travail. Je le faisais 24 heures sur 24. Je n’arrivais pas à ne pas le faire. Mais au fond ce n’est pas comparable avec ta question car c’était ce qui à l’époque me rapportait de l’argent. J’étais passionné par ce que je faisais.

Là actuellement j’ai quelques propositions de projets personnels et je vais peut-être en faire un. Et en même temps, je sais le temps que cela prend… Si c’est un prototype, ça va, mais si c’est faire quelque chose d’abouti qui marche et qui potentiellement va se vendre, c’est beaucoup de temps, plus que ce que j’imaginais avant (rires). Donc actuellement là non je n’ai pas de side project, seulement une piste qui me plait bien, qui est en rapport avec le foot… »

Très bonne transition : quelles sont tes passions ? Tes hobbies ? Tes centres d’intérêt ?

Pauline : « Sport et voyages. On ne pourra jamais m’enlever ça. J’ai besoin de temps libre pour voyager, pour m’aérer, et faire du sport quotidiennement. Je suis prête à arriver 2 heures plus tôt le matin pour pouvoir aller faire du sport le soir. Je m’organise souvent autour de mes activités »

Olivier : « Le sport également. J’en faisais beaucoup. »

Pauline (avec malice) : « Maintenant il en fait depuis son canapé… (rires) »

Olivier : « Après, il faut dire qu’avoir eu une fille a changé ma vie. Elle a 2 ans et demi et je passe donc mon temps avec elle. Avant je faisais plein de trucs que je fais beaucoup moins, mais désormais si je vais au square avec elle, hé bien, je suis content. J’ai désormais d’autres passions… (rires)»

Un livre préféré ? Un livre qui t’a marqué ?

Olivier : « Le monde d’hier Stefan Zweig, je l’ai lu deux fois, et en très peu de temps »

Pauline : « J’en ai 2 qui me viennent à l’esprit : La fille du train et Kilomètre zéro, que je viens de commencer et qui parle de développement personnel, de réflexion intérieure et de dépassement de soi »

Un film qui t’a marqué ?

Pauline : « Le premier qui me vient à l’esprit, je ne sais plus le titre mais c’est une belle histoire d’un homme qui fait l’ascension du Kilimandjaro. C’est un film français, avec un humoriste. Il m’avait fait rire et m’avait émue à la fois, j’avoue que je suis bon public. C’est un film sur l’humain, ça parle de dépassement de soi, de voyage, d’inconnu… Le héros fait ça par amour. C’est une très belle histoire que j’ai adorée »

Olivier : « Interstellar. Le héros qui retrouve sa fille à la fin du film en étant devenu plus jeune qu’elle, ça m’a énormément ému. Etant très porté sur l’écologie, cette vision de la planète où tout est en train de mourir m’a beaucoup marqué.»

Une dernière question que je ne vais poser qu’à Pauline : le métier de développeur étant actuellement très masculin, est ce que cela change quelque chose pour toi ?

Pauline : « Pour moi ça ne change rien. Je dirais même que préfère car il y a moins de jacasseries. Je suis habituée car dans mes études, le public était déjà très masculin. Je me suis toujours fait plus d’amis garçons que filles donc je suis dans mon élément, ça ne me pose pas de problème. Après, je pense qu’être une fille dans ce milieu est peut-être un atout. Pourquoi ? Parce que justement ce milieu manque de filles… Peut être aussi que le travail d’une fille est plus précis, mieux organisé, et qu’on fait donc plus rapidement confiance à une fille, même si bien sûr ça dépend des gens avec qui on travaille. Avoir des filles permet de diversifier un peu les équipes, qu’il n’y ait pas toujours les mêmes profils. Je pense que les gens qui montent les équipes préfèrent les équipes mixtes. Mais pour moi ce n’est pas spécialement un sujet… »

Une dernière chose à ajouter ?

Olivier : « Je pense que le métier de développeur a changé, ce n’est plus le même métier qu’il y a 15 ans. C’est mieux désormais et c’est une chance de démarrer ce métier aujourd’hui. A quelqu’un qui aurait 25 ans aujourd’hui, je lui dirais de ne pas voir ça juste comme un début de carrière mais comme un vrai métier qui peut vraiment se révéler génial. C’est un métier qui permet d’être libre, tu ne dépends pas des autres et tu n’es pas interchangeable comme peut l’être un chef de projet. »

--

--