Du Made In China au Created In China

Clemence Jarry
WITH We are the dots
11 min readDec 3, 2019

La Chine, le nouveau laboratoire d’innovation du monde !

Clémence Jarry — Senior Client Partner chez WITH — gère aujourd’hui l’ensemble des opérations de marketing digital pour la Chine et du voyageur chinois. A la fin de ses études en 2012, Clémence part vivre à Shanghai, où elle débute son expérience franco-chinoise travaillant pour une agence digitale accompagnant les marques de luxe, de la beauté et du retail afin de développer leur présence sur le marché chinois. Après 5 années en immersion totale, elle décide de revenir en France et d’apporter son expertise dans le développement digital en Chine et ses approches sociologiques et culturelles sur le comportement du consommateur chinois.

La fin de l’Atelier du Monde : une transition majeure !

J’observe depuis quelques temps un ralentissement de la croissance économique en Chine où de plus en plus d’entreprises quittent le pays pour ouvrir leurs usines ailleurs, dans un contexte sociologique qui a changé drastiquement.

Les nouvelles générations de Chinois ne veulent plus d’un travail physique à s’abîmer le dos et les yeux sur de la manufacture, ils ont désormais des attentes radicalement différentes : ce sont devenus des white collars qui donnent des ordres et opèrent. La main d’oeuvre dans les usines se raréfie et coûte de plus en plus cher, les entreprises délocalisent en Asie du Sud-Est, comme Foxconn, historiquement depuis toujours en Chine, qui migre ses usines petit à petit en Inde.

Le gouvernement Chinois avait déjà anticipé cette transition, ne souhaitant plus être la fabrique du monde. Dès 2015, le gouvernement a mis en place un plan national nommé “Made In China 2025”. Cette mesure à grande échelle a pour objectif de rendre le pays à 70% autonome en terme de high tech en 2025 puis d’être en position dominante dans le monde d’ici 2049 en matière d’innovation. Politiquement, c’est donc une compréhension globale du marché économique, en interne et en externe, avec une vision très large sur 20 ans qui porte tout le pays et accompagne le changement sociologique. Vision qui va dans la continuité d’un plan de Xi Jinping annoncé dès son élection en 2013, nommé la Modern Silk Road 2.0 : un projet qui reconnecte les pays laissés de côté, en Europe de l’Est ou en Afrique sur des leviers multiples — réseaux de communication, de transports, de commerce, de flux de population… Des noms tels que Tik Tok, Xiaomi, Mobike ou Bolt qui doivent vous sembler aujourd’hui familiers, ne sont que des exemples concrets de la réussite progressive de ces entreprises chinoises sur le terrain européen.

Dans tout le pays, le gouvernement investit massivement dans son réseau d’études supérieures — la Chine accueille aujourd’hui 7 des 200 meilleures universités internationales — afin de former sa cohorte d’étudiants chinois tout en même temps séduire des talents étrangers. Cela fait suite à une vague qui a eu lieu dans les années 2000 où les jeunes générations étaient amenées à faire leurs études à l’étranger dans les MBA des plus prestigieuses écoles. Et ensuite, d’entamer une première expérience dans une startup prometteuse avant de revenir travailler en Chine plus récemment et prendre des postes stratégiques autrefois occupés par des occidentaux. Les infrastructures ne sont pas en reste, il n’y a qu’à prendre l’exemple de la 5G : la Chine est un des premiers pays à la déployer, présageant énormément d’avancées en services digitaux, alors que 91% des internautes se connectent déjà via leur mobile…

La fin de la copie de piètre qualité

Il n’y a qu’à lire les couvertures de la presse dans le monde pour comprendre comment ce changement est perçu depuis l’étranger et les tensions qui en découlent déjà. En 2005, le Times titre “La Chine avance ses pions pas à pas”, puis en 2015 Wired annonce qu’il est “temps de copier la Chine”, évoquant Huawei et Alibaba avant carrément de titrer par le Times encore en 2017 “China Won”, la Chine a gagné… La transition est déjà finie et réussie. Le combat a eu lieu en silence et il a été remporté.

Indéniablement, sur le hardware, la qualité des produits atteint désormais le même niveau que celui des concurrents en Occident, ce qui est somme toute logique : les usines ayant tourné à plein régime pour les grands groupes occidentaux pendant des décennies ont forcément appris et monté en compétence car le savoir a fuité. Mais ce n’est pas là que le pays cherche à entrer en compétition, c’est plus sur le software qu’il est très agressif, développant des outils incroyables, comme WeChat. WeChat sort chaque jour des fonctionnalités qui annoncent pour nous tous, quelques mois ou quelques années plus tard, des changements d’usages inimaginables. Allez en Chine quelques jours, vous verrez qu’il est impossible de payer, d’appeler un taxi ou encore suivre son dossier médical sans son WeChat Wallet — la partie couteau suisse serviciel de la plateforme.

Zuckerberg, chez Facebook, pour les paiements notamment, avoue s’inspirer des idées chinoises en implantant de nouvelles solutions, comme le “Peer 2 Peer Payment” intégré à Messenger qui l’a lancé 2017… et qui n’a pas du tout pris. Un échec ironique : il ne suffit pas de copier une bonne idée de WeChat pour qu’un usage en découle naturellement, ce qui n’a pas refroidi Facebook, qui tente désormais d’imposer Libra, avec plus ou moins de succès. Clairement, le modèle Chinois donne le tempo à toute la Silicon Valley, désormais.

L’enfant unique est devenu l’adulte… roi !

La vieille politique de l’enfant unique a eu des répercussions qui dépassent de loin la sphère nataliste. L’enfant roi, l’enfant unique de la famille, choyé, qui n’avait qu’à claquer des doigts pour obtenir tout ce qu’il voulait est devenu un adulte consommateur très exigeant. Exigence qui transparaît dans les attentes des produits, des services, d’expériences, une tendance nommée la “Zhai economy” (ou on-demand).

Les millennials Chinois ne veulent plus (ou ne savent plus) se faire à manger, ne veulent pas repasser leurs chemises ou faire le ménage chez eux, même acheter une voiture leur semble être compliqué (trop de papiers administratifs !) : ils veulent du sur-mesure, à la demande, constamment. Par extension, beaucoup ne veulent plus travailler dans les grands groupes, avec un boss au-dessus d’eux. L’enfant roi, qui a grandi sans contrainte, sans autorité, préfère ouvrir son propre business et être son propre patron. Logique. C’est un cercle vertueux qui bouleverse toute la société et voit apparaître des quantités de petits business, tous secteurs confondus : c’est un peu le Chinese Dream.

“Puisque Jack Ma — qui a été refusé 10 fois de Harvard et 30 fois à des jobs auxquels il a postulé — est aujourd’hui le deuxième homme le plus riche de Chine après avoir construit un empire du e-commerce avec Alibaba, moi aussi je peux révolutionner mon secteur et devenir milliardaire…”.

Ce qui était l’ADN du rêve américain, le pays de cocagne où tout est possible à celui qui est travailleur, malin et prêt à tout, est devenu le quotidien de beaucoup de jeunes Chinois…et pas uniquement ! Depuis peu, tout étranger désirant s’installer en Chine pour s’y lancer dans l’entrepreneuriat ou un projet d’innovation, obtient automatiquement un visa de 2 à 5 ans. A comparer avec les USA, qui ferment leurs frontières, où tout est plus compliqué désormais.

Une nouvelle religion centrée mobile & digitale

Les consommateurs Chinois ont une confiance aveugle dans tous les sujets digitaux et plus particulièrement sur tout ce qui touche au mobile. Toutes nos angoisses (parfois légitimes…) autour de la vie privée, des données personnelles qui sont des sujets de controverses en Europe et ailleurs sont des non-sujets pour des consommateurs Chinois. Culturellement, en Chine, on n’a rien à cacher, ayant vécu dans des maisons ouvertes à toutes les générations… Donner sa data, ce n’est pas un frein aussi important que dans nos sociétés. Si on prend par exemple le sujet du “Social Credit Score” qui fait hausser les sourcils sur le vieux continent, où les internautes sont notés en fonction des échanges sur les réseaux sociaux, des données personnelles, des factures impayées, des infractions commises, ne semble pas être aussi polémique en Chine. La population ne vit pas ça de manière aussi intrusive ou négative qu’on pourrait le penser car elle obtient, en échange de sa data :

  • des services hyper customisés, totalement adaptés à ses besoins et ses envies ;
  • plus de sécurité en acceptant la reconnaissance faciale par caméra dans la rue ou lors du paiement avec Alipay ;
  • voire même un accès rapide à un crédit, des procédures de visa simplifiées ou des check-ups médicaux tous frais payés.

Ces enfants uniques sont dans une volonté constante d’obtenir une reconnaissance de leurs pairs, ce qu’on appelle “le système de face” (mianzi 面子) et de réseau (guanxi 关系), la manière dont les interactions sociales sont régies. Ma crédibilité et mon poids dans la société sont basés sur la manière dont les gens me perçoivent, et plus je suis bien perçu, plus “ils me donnent de la face”, en fonction de ce que je porte, de ce que je poste, de mes actions publiques. Le collectif donne alors du sens à l’action individuelle et donc le fait d’innover, d’être entrepreneur ou d’être un influencer (une économie en pleine expansion qui mériterait un article à part entière !) s’explique par ce système de social currency, colonne vertébrale de toute la société.

Je suis une marque, que dois-je comprendre pour réussir en Chine ?

Be local, local, local !

Avant de se lancer en Chine, il est primordial de comprendre l’importance des différents business model (comme le on-demand…) dans la façon de distribuer et de communiquer sur les produits. C’est compliqué pour les marques européennes qui se sont toujours basées sur des marchés où ils ont été des leaders connus et reconnus mais là-bas ils ne sont personne et il faut trouver le bon twist pour se positionner sur le marché, en se posant un moment pour repenser sa manière d’être et comprendre que refaire ce qui marche ailleurs ne fonctionnera pas en Chine. Même si ce que je vends est rare, luxueux et original, cela ne suffira pas pour que je touche des consommateurs Chinois. Il faut innover dans la façon de se commercialiser et de communiquer. S’offrir une égérie internationale qui coûte cher ne rapporte plus. Je cite souvent l’exemple de Becky Li, influencer lifestyle aux 3 millions de followers, ayant comme couleur favorite un vert turquoise assez particulier et qui a réussi à vendre sur son compte WeChat 100 voitures Austin Mini, peintes dans cette couleur, en moins de 5 minutes, d’une valeur de 45 000 dollars pièce ! Ou encore plus récemment, un influencer dénommé Austin Li qui a vendu 15 000 lipsticks en à peine 15 minutes. Inimaginable en Europe.

Il est primordial de réfléchir sa communication et d’anticiper les attentes énormes des consommateurs chinois. On assiste depuis quelques années à des bad buzz répétés de grandes marques de luxe qui persistent à lancer des campagnes mondiales, uniformisées, en pensant que la Chine va acheter les yeux fermés tout ce qui est cher et siglé. Rien n’est plus faux : Dolce & Gabbana l’a payé très cher récemment, comme Versace ou Dior plus récemment.

Pensez aux voyageurs chinois !

Pour ceux qui n’opèrent pas en Chine et qui sont dans des secteurs du food & beverage, de la beauté, du luxe, du lifestyle, il y a tout un potentiel énorme autour du Chinese traveler qui croît de manière exponentielle. Seuls 10% des chinois ont un passeport aujourd’hui, un acheteur sur deux dans la beauté est de nationalité chinoise : ces consommateurs-là attendent le même niveau d’expérience quand ils vont se déplacer en Europe… et c’est déjà le cas. Le décalage entre la perception d’une marque chez eux et leur arrivée dans les grandes capitales européennes où ils vivent tout autre chose est très mauvais sur le long terme. Les marques doivent s’adapter et leur offrir le meilleur “consumer journey” possible, en terme de contenu, d’expérience et de produits. Le “one size fits all” avec une seule stratégie, c’est bel et bien fini.

Pour vous donner un exemple, chez WITH, nous avons accompagné L’Oréal Travel Retail — la marque leader du marché marquant une croissance de 27.1% représentant 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires — sur une opération smart et efficiente alliant influence et media pour la rénovation d’un produit iconique de Lancôme, le sérum Génifique. Pour ce faire, nous avons identifié et amené une influencer chinoise spécialisée dans le skincare, lors d’un pop-up de la marque à Dubaï, l’un des hubs de transit clés pour les voyageurs chinois, afin de créer des formats vlogs qui ont été ensuite utilisés en média pour cibler les personnes en transit à Dubaï lors de la Golden Week. Les voyageurs étaient exposés alors un contenu localisé, adapté à qui elles étaient en reprenant des codes de l’influencer, très loin d’une communication centrale et institutionnelle habituelle.

Une expérience 360° unique

Lorsque qu’on regarde les pages Tmall — la plateforme e-commerce B2C du groupe Alibaba — on se rend compte que l’expérience utilisateur est très innovante, très riche, exhaustive. Les pages produits offrent tous les visuels clés de la marque, les études effectuées sur l’efficacité des produits, la routine d’utilisation du produit mis en avant, les influencers qui en parlent, n’en jetez plus. Tout est pensé et conçu pour anticiper n’importe quelle question qu’un consommateur pourrait poser sur un produit. A comparer avec les pages Sephora ou Amazon auxquelles nous sommes habitués ici, proposant quelques maigres expériences visuelles et une description sommaire.

Autre exemple, les Festival Marketing qui ont lieu tous les mois en Chine ! La tendance a été amorcée il y a quelques années par la star des festivals marketing nommée le Singles Days qui a eu lieu quelques jours auparavant ou 11.11 — le 1 comme le célibat, la Chine étant très portée sur les jeux numériques — mais désormais tous les mois, un temps fort a lieu. En janvier, cela commence par le Nouvel An Chinois puis en février la Saint Valentin, la fête des mères, etc. C’est une succession constante d’événements de qualité : l’expérience e-retail n’est plus seulement “discount, discount, discount”, loin de là. Il s’agit de trouver des concepts et un storytelling différent, de creuser des stratégies qu’on appelle de drop retail — des produits exclusifs, disponibles durant un temps donné, en édition limitée.

C’est le pari réussi d’Estée Lauder, grand gagnant du 11.11 de cette année en beauté, qui a proposé une sélection de produits exclusifs choisi sur mesure par des nouveaux talents issus du petit écran — les co-stars Xiao Zhan & Wang Wibo de la série lancée par Tencent cet été “The Untamed” — surfant ainsi sur la tendance des “little fresh meat” (xiao xianrou 小鲜肉), un terme souvent utilisé pour décrire des jeunes hommes séduisants qui attirent les masses.

Chez WITH :

Comme pour la data, la Chine semble être une boîte noire difficile à décrypter où vos équipes locales — si vous en avez — ne facilitent pas la tâche pour vous éclairer. Par manque de temps — une course effrénée au prochain coup marketing à mettre en place — ou volontairement — pour éviter le droit de regard des headquarters souvent “mal éduqués” à l’esthétisme et codes chinois, qu’on appelle chez nous le “Chinese eye”.

Les agences et partenaires locaux sont nombreux à jouer sur cette opacité : ce n’est pas pour rien d’ailleurs que la Chine héberge 83% des fraudes en advertising dans le monde ou que les coûts liés à l’influence évoluent de manière exponentielle, étant un frein d’entrée pour des marques à budget plus limité.

Chez WITH, nous sommes convaincus qu’il existe cependant des “quick wins” à mettre en place, dans une approche plus pragmatique — comme nous avons pu le tester pour le projet Lancôme cité plus haut autour de l’influence. Finalement, aborder la Chine, c’est comme un voyage, dont le premier pas serait de se laisser surprendre par la richesse des idées et commencer à identifier les business modèles hybrides, bien au delà de l’advertising only.

Notre ambition ? Construire une modern silk road entre l’Europe et la Chine. Et accompagner nos clients à la fois sur une prise de conscience des enjeux que représente ce marché, par, d’abord de la formation, puis de la co-construction — main dans la main — d’une stratégie marketing bien ficelée afin de séduire une clientèle de plus en plus exigeante.

A la fois pour des grands groupes, mais aussi des enseignes plus niches. Une stratégie e-commerce en cross-border* ? Un positionnement de marque localisé à une audience chinoise ? Des leviers d’acquisition mêlant branding et conversion ? Le champ des possibilités est large… Et si on commençait cette découverte de la Chine ensemble ?

* Plateformes e-commerce spécifiques permettant à des marques occidentales d’être distribuées en Chine sans ouvrir une entité physique localement.

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Clemence Jarry
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China specialist. 5 years in Shanghai & now bringing East in West from Paris. Currently working at with-paris.com