Observations tirées d’un «road trip» culinaire tout canadien
Lorsqu’il est question de cuisine canadienne, ces deux amies de la Colombie-Britannique peuvent dire «been there, ate that»
[Texte initialement publié sur Passeport2017.ca le 24 mars 2017]
Il vous faudrait toute une passion pour la cuisine canadienne, ou à tout le moins pour la route, pour parcourir 37 000 kilomètres dans le seul but de répondre à la question «C’est quoi, la cuisine canadienne?». C’est pourtant exactement ce qu’ont fait Lindsay Anderson et Dana VanVeller, deux amies de la Colombie-Britannique au sérieux penchant pour la découverte.
Après cinq mois passés à dévorer les routes du pays, huit à remâcher tous les textes qu’elles ont écrit au fil de leurs aventures et un bon moment à mijoter un livre sur leur aventure, elles présentent aujourd’hui FEAST: Recipes & Stories from a Canadian Road Trip, bouquin qui rassemble anecdotes, découvertes et recettes tirées de leur voyage à travers les dix provinces et trois territoires du pays. Le livre, disponible en anglais, est sorti et vous pourrez le trouver ici.
Lindsay et Dana étaient de passage à Montréal, mardi dernier, où on en a profité pour s’assoir avec elles afin de discuter de leur voyage, pour jaser de ce qu’elles ont découvert en cinq mois de route et pour avoir un avant-goût de ce qu’on retrouve dans FEAST.
Comment en êtes-vous venues à vous intéresser à l’alimentation de la sorte?
Lindsay Anderson: J’ai longtemps travaillé en cuisine. J’ai d’ailleurs une maîtrise en culture culinaire et communications de l’Université des sciences gastronomiques, en Italie. Quand je suis rentrée en Colombie-Britannique, où j’ai grandi, j’ai décroché un emploi à Tourism Richmond dans le cadre d’un programme appelé 365 Days of Dining. Je devais manger à 365 restaurants en 365 jours et écrire sur chacun d’entre eux — c’était plutôt bien! J’ai rencontré Dana alors que je cuisinais pour les reboiseurs, au nord de la Colombie-Britannique. Là-bas, je suis devenue amie avec quelques-uns de ses amis, qui nous ont éventuellement présentées l’une à l’autre.
Dana VanBeller: J’ai grandi à Sarnia, en Ontario, et j’ai étudié sur la côte est. Quand j’ai terminé mes études, je n’avais jamais visité la côte ouest, alors j’ai décidé de m’y rendre en voiture. Une fois là-bas, j’ai décidé d’y rester. J’enseignais l’anglais aux nouveaux arrivants. Un peu plus tard, j’ai suivi des cours en sécurité alimentaire, et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré Lindsay.
Comment vous est venue l’idée de ce road trip?
L.A.: On était en camping — c’était près de la fin de mon contrat avec Tourism Richmond et Dana se préparait, elle aussi, à quitter son emploi. On a commencé à parler de cuisine canadienne et d’à quel point elle n’obtient pas l’attention qu’elle mérite. On disait qu’il serait intéressant que quelqu’un fasse un road trip dans les dix provinces et les trois territoires pour mener une exploration en profondeur de ce qu’est la bouffe canadienne — de sonder le concept de la culture alimentaire au pays et d’en partager des histoires. Plus on parlait, plus on réalisait que nous étions toutes deux sans attaches — pas d’enfants, pas d’hypothèques — et que c’était quelque chose que nous pouvions faire nous-même.
Quelle était votre vision initiale de votre voyage?
D.V.: Notre plan était de faire un road trip de quatre mois. On a divisé le temps entre les provinces et territoires, puis on a commencé à bâtir l’itinéraire en parlant avec des amis et des amis d’amis de partout au pays, lesquels nous donnaient des pistes de trucs à voir, à essayer, à faire. On a intentionnellement laissé la moitié du parcours vide, question de pouvoir découvrir, rencontrer des gens, obtenir des conseils de locaux — question de vivre, au fond.
L.A.: Quand on a quitté la Colombie-Britannique, c’était le printemps. Puis on a vécu un été très chaud, et quand on est arrivées à l’Île-du-Cap-Breton, c’était l’automne — c’est là qu’on a célébré l’Action de Grâce, avec toutes les jolies couleurs. En novembre, on est arrivées au Nunavut, et on a dû emprunter beaucoup de vêtements d’hiver à des amis parce qu’il y faisait déjà -30 degrés, sans compter le refroidissement éolien. C’était tellement froid! Des 37 000 kilomètres du voyage, on en a conduits environ 34 000. Le reste s’est fait par train, en bateau ou en avion.
Qu’avez-vous appris sur le Canada au fil de vos découvertes?
D.V.: On s’est lancées dans ce voyage sachant ce qu’on voulait: revenir avec des histoires prouvant qu’il n’y a pas telle chose qu’un seul plat typiquement canadien. On savait qu’on voulait dépasser les stéréotypes usuels de la cuisine canadienne: la poutine, les barres Nanaimo, les tartelettes, par exemple. Reste qu’on a été franchement surprises par l’ampleur de ce qu’on a découvert. La cuisine canadienne est largement régionale: il y a des centaines de micro-régions qui ont toutes leur culture distincte lorsqu’il est question de bouffe. Il existe une diversité beaucoup plus grande que celle que l’on s’imaginait.
L.A.: C’est réducteur que de tenter de réduire la cuisine canadienne à une seule idée ou à un seul plat. Ce faisant, on ne brosse pas un portrait véridique de la réalité: nous vivons dans un immense pays, un pays diversifié et qui évolue sans cesse.
D.V.: C’est important de savoir que notre cuisine est diversifiée et influencée par l’immigration, mais également et fortement par les Premières Nations. Ce que l’on consomme aujourd’hui, les Autochtones l’ont découvert et cultivé en premier: ce qu’on trouve dans nos lacs, ce qu’on cueille dans nos forêts et les fruits et légumes qui poussent naturellement ici, par exemple.
Quelles ont été vos plus belles surprises? Avez-vous découvert quelque chose dont vous ne soupçonniez pas l’existence?
D.V.: Une tonne de choses! Une délicieuse découverte que l’on a faite était à Charlevoix, où on a bu du vin de tomates. Il y a un homme à Baie Saint-Paul qui cultive la tomate héritage, la presse et la fait fermenter pour en faire un vin magnifique. On imagine de facto un vin rouge-orangé et au goût de tomate, mais non: il ressemble au vin blanc, et son goût y est assez similaire.
L.A.: Pour moi, c’est la poutine râpée du Nouveau-Brunswick. On n’avait jamais entendu parler de ça auparavant. On visitait un parc et on a parlé de notre projet à la garde-parc, qui nous a dit «Si c’est ce que vous voulez faire, vous devez rencontrer ma mère, elle va vous montrer comment cuisiner la poutine râpée», qui est un morceau de lard salé dans une pâte à base de pomme de terre et bouilli pendant des heures. On pensait déjà avoir fait le tour de ce que l’on peut faire avec des patates. Mais vous goûtez quelque chose comme ça, et toutes vos certitudes s’envolent. La texture est un peu gluante, assez compacte — peu semblable à ce qu’on fait traditionnellement avec des pommes de terres. On se sert une boule sur laquelle on dépose un peu de poivre noir et de sucre brun. On n’aurait certainement pas pensé être surprises par des patates!