Aller au-delà de l’assistance nutritionnelle: le combat du PAM au Mali

Cecilia Aspe
Histoires du Programme Alimentaire Mondial
6 min readNov 20, 2017
PAM/Cecilia Aspe

Certains obstacles apparemment secondaires peuvent parfois s’avérer insurmontables et avoir des conséquences fatales. Ainsi par exemple, les familles qui n’ont pas les moyens de supporter les coûts annexes liés à l’hospitalisation d’un enfant souffrant de malnutrition aigüe sévère pourront renoncer ou écourter les soins de l’enfant, mettant en péril ses chances de survie. Pour aider ces familles et lutter contre la malnutrition, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) prend en charge les repas de l’adulte accompagnant (quasiment toujours la maman) pendant l’hospitalisation de l’enfant. J’ai rendu visite à ses personnes que nous appelons « caretakers » au sein de l’Unité de Récupération et d’Education Nutritionnelle Intensive (URENI) du Centre de Santé de Référence de Kalabankoro, une commune limitrophe de Bamako. C’était l’heure du repas…un plat de riz sauce yassa.

Il est 12h30 à l’URENI : un bâtiment avec des fresques qui sensibilisent les visiteurs aux bonnes pratiques nutritionnelles, une terrasse couverte d’un toit en tôle, une grande table en bois et quelques bancs à l’ombre. C’est ici que sont pris en charge les enfants souffrant de malnutrition aigüe sévère (MAS). Pour les adultes qui accompagnent ces enfants, le repas vient d’être livré par une restauratrice des environs : au menu aujourd’hui, du riz sauce yassa.

Je n’en menais pas large ce matin-là. Etait-ce vraiment une bonne idée de préparer un article sur le projet de soutien aux « caretakers » ? On ne se sent jamais à l’aise en entrant dans un hôpital : imaginez lorsque vous y entrez avec un appareil photo.

L’Unité de Récupération et d’Education Nutritionnelle Intensive du Centre de Santé de Référence de Kalabankoro (Mali). Crédit : PAM/Cecilia Aspe

Je suis accompagnée de mon collègue Yacouba, qui est chargé du suivi de nos activités nutritionnelles dans la zone. Il connait parfaitement ce projet et nos partenaires. Nous nous approchons, nous saluons les mères accompagnantes, le docteur, les infirmières, la restauratrice. Les mamans ne parlent pas français, Yacouba est mon interprète en Bambara.

Je lui demande d’expliquer que je voudrais parler avec elles et prendre des photos. Et espérant qu’elles me comprennent, je souris beaucoup. Toutes répondent qu’il n’y a pas de problème. L’ambiance est étonnamment détendue, beaucoup moins pénible que je l’avais imaginée : assez rapidement, on se sent en famille et les mamans m’interpellent. « Elle ne nous prend pas en photo ? ». Alors je sors mon appareil. Je fais quelques photos.

Awa apporte et sert trois repas par jour aux adultes qui accompagnent les enfants sévèrement malnutris pris en charge dans le Centre de Santé. Ce repas est fourni par le PAM, grâce à l’appui de ECHO et de UK Aid. Crédit : PAM/Cecilia Aspe

Je fixe le viseur sur Daoda, petit garçon de onze mois, qui est sagement installé sur les genoux de sa mère. Daoda a de grands yeux et un visage grave, qui lui donnent un air très sage et très sérieux. « Non, Daoda n’est pas toujours sage… C’est parce que tu n’es pas venue quand il crie ! » précise affectueusement l’infirmière, Mme Kadia Dembelé.

Daoda a 11 mois. Il souffre de malnutrition aigüe sévère. Il a été hospitalisé au Centre de Santé de Référence de Kalabankoro (Mali) la veille de notre visite. Crédit : PAM/Cecilia Aspe.

A côté de Daoda et sa maman, il y a Fatoumata. Le riz sauce yassa, c’est justement son plat préféré, me dit-elle.

Astan, son fils Daoda et Fatoumata. Centre de Santé de Référence de Kalabankoro (Mali). Crédit : PAM/Cecilia Aspe

Le repas terminé, Fatoumata me glisse encore quelques mots en Français, alors je lui demande si elle est d’accord pour me raconter son histoire. Elle est d’accord mais elle préfère s’exprimer en Bambara, l’infirmière traduit. Elle va chercher sa fille qui s’est réveillée entre temps et nous nous installons sur un banc.

Elles viennent de Kabala, un village situé à une dizaine de kilomètres du centre de santé. Sa fille, Aïchata, est âgée de 6 mois et souffre de malnutrition aigüe sévère. Aïchata a deux grandes sœurs qui n’ont jamais souffert de malnutrition. Fatoumata est tombée malade pendant la grossesse et selon elle, c’est pour cela que sa fille est malade elle aussi aujourd’hui.

Fatoumata et sa fille Aïchata, âgée de 6 mois. Aïchata souffre de malnutrition aigüe sévère. Crédit : PAM/Cecilia Aspe

Si le coût de la prise en charge hospitalière des enfants sévèrement malnutris est couvert grâce à l’appui des partenaires humanitaires, l’hospitalisation des enfants entraine des frais annexes pour les accompagnants, en particulier pour se nourrir. Ces frais peuvent être rédhibitoires pour une famille pauvre et souvent les parents refusent d’accompagner leur enfant à l’URENI ou décident de rentrer à la maison et d’interrompre la prise en charge avant son terme parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers suffisants.

A côté de ses efforts pour lutter contre la malnutrition chronique et la MAM, le PAM a donc développé un projet financé par l’Union Européenne et la Grande-Bretagne pour appuyer ses partenaires à lutter contre la malnutrition aigue sévère. Ainsi, le PAM fournit chaque jour trois repas à l’adulte qui accompagne l’enfant, durant toute la durée de l’hospitalisation. Ces repas jouent un rôle déterminant dans la décision des parents de faire hospitaliser l’enfant ou non et font chuter les cas d’abandon.

Aïchata est fragile et agitée, elle réclame constamment le réconfort de sa maman. Fatoumata doit rester nuit et jour auprès de son enfant, elle ne peut pas se déplacer facilement pour chercher ses repas et elle n’a personne qui pourrait les lui apporter. Elle m’explique que sans les repas fournis par le PAM, elle ne pourrait pas rester au Centre de Santé.

Pour le Docteur Youssouf Sally, le référent médical de l’Unité de Récupération et d’Education Nutritionnelle Intensive depuis 2015, les repas offerts aux accompagnants sont déterminants dans la décision des parents de faire hospitaliser l’enfant ou non et font chuter les cas d’abandon. Crédit : PAM/Cecilia Aspe

Malgré son inquiétude et son chagrin, Fatoumata garde le sourire : ce qu’elle désire le plus, dit-elle, c’est la bonne santé de son enfant. Sa fille est prise en charge à l’URENI depuis trois jours et elle observe déjà qu’elles ont pris du poids… toutes les deux !

Mme Kadia Dembelé, l’infirmière, confirme : grâce aux repas offerts aux accompagnants, les mamans — qui souffrent souvent de malnutrition elles aussi — prennent du poids. C’est un autre effet positif du projet d’appui aux « caretakers » : il n’encourage pas seulement la prise en charge des enfants sévèrement malnutris mais il permet aussi aux accompagnants de manger des repas variés et suffisants pendant la durée de l’hospitalisation. Leur séjour à l’URENI est souvent pour elles aussi un temps pour reprendre un peu de force.

J’ai encore fait quelques photos de Daoda et de ses grands yeux, puis je les ai tous remerciés pour leur accueil chaleureux et, alors que je rangeais mon appareil photo, Kadia l’infirmière m’a demandé : « Tu pourrais faire des photos pour moi ? ». Toutes les mamans m’ont bien fait comprendre qu’elles aussi étaient intéressées.

Alors, j’ai pris cette photo pour Kadia.

Kadia, l’infirmière, entourée de ses petits patients et de leurs mamans. Au Centre de Santé de Référence de Kalabankoro (Mali). Crédit : PAM/Cecilia Aspe.

Lorsque le week-end est arrivé, j’ai fait tirer les photos chez le photographe et je suis retournée à l’URENI. Kadia n’était pas là, elle ne fait pas les gardes le week-end mais deux infirmières étaient là et bien sûr, les 3 enfants et leurs mamans. Elles étaient étonnées de me voir je crois, mais très contentes aussi. Elles ne reçoivent pas beaucoup de visites à l’URENI. Aminata m’a dit qu’elle allait montrer la photo à tout le monde lorsqu’elle et sa fille seront rentrées à la maison. Et j’espère en effet que tout le monde verra ces photos parce qu’au-delà de la terrible fragilité de ces enfants et des angoisses de leurs mamans, c’est très beau aussi, ce qui se passe à l’URENI.

Kadia, l’infirmière, plaisante avec les mamans. De bons moments qui allègent un peu leurs angoisses par-rapport à l’état de santé de leurs enfants. Crédit : PAM/Cecilia Aspe

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