En Mauritanie, sur la Route de l’Espoir

La traversée du« Tarik Lel Emel », la route de l’espoir, qui relie les deux extrêmes de la Mauritanie, de la façade Atlantique jusqu’au cœur du Sahara permet de prendre le pouls du pays, et des difficultés climatiques auxquelles il est confronté.

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De l’ouest a l’est le Tarik Lel Emel fait près de 1107 kilomètres, soit la distance entre Paris et Rome. Mais en Mauritanie, onzième plus grand pays d’Afrique, il ne s’agit que d’un tronçon intérieur qui sépare Nouakchott, la capitale et principale porte d’entrée commerciale du pays, et Nema, petite ville atemporelle nichée dans le désert à la frontière du Mali. En voiture, il faut compter deux jours de voyage pour faire le trajet. Quatre pour un camion.

Lorsque l’on traverse certaines parties des régions occidentales du Trarza et du Brakna, il se dégage cette année l’impression d’une atmosphère lunaire. Les craquelures sur le sol sont révélatrices du manque d’eau. La végétation est quasi-inexistante. Pas un arbre, tout au plus quelques buissons. Rien que du sable et des pierres. Dans ces conditions, l’équilibre précaire qu’entretiennent les communautés avec leur environnement est menacé. 2018 est une année particulièrement dure pour la Mauritanie.

Dans la région de l’Hodh-el-Charghi, la route de l’Espoir fait la jonction entre les villages et les grandes villes, et de nombreuses charettes font l’aller-retour dans la journée pour se procurer les produits de premiere necessité. Photo : WFP/Adrien Rebours

L’année dernière, les pluies insuffisantes et éparses ont eu un impact considérable sur la production agricole du pays, qui n’est d’ailleurs pas le seul dans la zone à faire face à ces difficultés. C’est en effet toute la région du Sahel qui est désormais particulièrement vulnérable aux variations climatiques extrêmes. La dernière grande sécheresse remonte à 2012, mais les tendances et analyses historiques indiquent qu’une sécheresse survient tous les trois ans dans la région, et une grande sécheresse tous les cinq à dix ans. Avec une telle prévision, la question n’est plus de savoir si une grande sécheresse aura lieu, mais plutôt quand aura-t-elle lieu.

Dans certaines régions, le manque d’eau a profondément transformé les paysages désertiques, et fait émerger de nouveaux défis pour les hommes qui y vivent. Photo : WFP/Adrien Rebours

« L’année dernière, la saison des pluies nous a fait beaucoup de mal », confie Khadijetou, une villageoise de 38 ans aux traits fatigués, qui gagne sa vie en vendant les quelques légumes que produit son jardin. « Il n’a presque pas plu en juillet et en aout. A ce moment-là, nous aurions dû voir la végétation pousser dans le désert, les arbres auraient dû verdir. Au lieu de ça, nous avons assisté impuissant à la destruction de nos récoltes par le soleil. Nous n’avons presque rien réussi à sauver, et les greniers étaient déjà vides au moment de la moisson. C’est pour cela que nous sommes aussi désespérés cette année ».

Khadijetou. Photo : WFP/Adrien Rebours

Les propos de Khadijetou mettent l’accent sur la double peine que génère une sécheresse. En plus de la subir tout au long de l’année où celle-ci survient, ses effets se répercutent sur le mode de vie des villageois sur un temps beaucoup plus long. Lorsque les précipitations sont inférieures à la normale pendant plusieurs années consécutives, le système agricole en est profondément affecté. Progressivement, les populations les plus démunies s’enfoncent dans un cercle vicieux, où chaque saison, chaque journée est plus difficile à vivre que la précédente.

Le village de Mata El Akarich, dans la région de l’Hodh-el-Charghi. Photo : WFP/Adrien Rebours

Dans le petit village de 250 habitants de Mata El Akarich, dans le sud-est de la Mauritanie, Mohammed, le chef du village, témoigne : « Ici, la culture du sorgho est la principale source d’alimentation. Mais cela fait trois saisons de suite que les récoltes sont mauvaises. L’année dernière les pluies ont été insuffisantes. Cette année, les premières pluies sont arrivées en août, et nous avons très peur des conséquences que cela va avoir sur nos cultures. Nous avons utilisé toutes les semences qu’il nous restait, notre survie dépend de cette prochaine récolte ».

Mohammed, Chef du village de Mata El Akarich. Photo : WFP/Adrien Rebours

Le cas de Mohammed n’est pas un cas isolé. Comme lui, une grande partie des villageois n’a plus de réserves de céréales et a dû adapter son quotidien pour faire face à cette pénurie, en réduisant le nombre de repas journaliers ou bien la quantité de nourriture par repas. Parfois, les familles sont forcées de prendre des mesures plus radicales, en vendant leur petit bétail et leurs outils aratoires, ou en ayant recours à des crédits usuriers. Ces actions, que l’on désigne sous le terme de stratégies d’adaptations négatives, fragilisent considérablement la capacité de redressement après un choc, et ont un impact potentiel sur l’état nutritionnel des personnes issues des familles les plus vulnérables.

Durant ces périodes, les populations vulnérables et les cultures ne sont pas les seules à souffrir, le cheptel est lui aussi particulièrement vulnérable, et la production de lait en est fortement impactée. Problème : Le lait est un élément essentiel du régime alimentaire Sahélien, et aussi une source de revenus.

Cette saison, les bêtes produisent moins de lait que d’habitude, faute de fourrage. Photo : WFP/Adrien Rebours

L’absence de fourrage est donc une catastrophe pour les éleveurs, qui doivent alors parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour trouver des points d’eau et des pâturages suffisants pour nourrir leur cheptel. Parfois, cela ne suffit pas, comme en témoignent les nombreux cadavres d’animaux qui jonchent le long de la route.

L’impact du manque de pluie, Mamadou, un bouvier de 45 ans, la ressent au quotidien : « Regardez nos vaches, elles n’ont que la peau sur les os et pourtant, cela fait plus de neuf mois que nous sommes partis loin de nos villages pour faire la transhumance, trois mois plus tôt que d’habitude. L’herbe est trop courte pour le bétail ! Nous avons été jusqu’au Mali, mais même là-bas, les pâturages ne sont pas suffisants pour nourrir toutes les bêtes. Nous avons décidé de rentrer et de tenter notre chance chez nous en Mauritanie, j’ai entendu dire qu’avec les dernière pluies, l’herbe y était sortie dans le sud-est du pays ».

Les inondations ont transformé les paysages. Dans un concert de meuglements, les éleveurs font traverser à leur bétail la rivière qui est apparue dans la nuit. Photo : WFP/Adrien Rebours

Mamadou a été bien renseigné. Dans le désert, les rumeurs circulent vite, surtout lorsqu’elles concernent une ressource aussi précieuse que les pâturages. Ainsi, dans l’Assaba ou l’Hodh El Gharbi, une surface d’émeraude recouvre par endroits le désert à perte de vue, vision surréaliste d’une plaine luxuriante dominée par les dunes de sable ocre.

Les pluies ont fait apparaitre la verdure, et fait fleurir le désert. Photo : WFP/Adrien Rebours

Mais les images idylliques et impressions sont trompeuses, et la couverture végétale reste inférieure à la moyenne, et ce principalement dû aux retards des pluies. Les troupeaux aurons vite fait d’épuiser les jeunes pousses d’herbe.

Dans le même temps, les régions du Sud-est du pays doivent faire face à un autre type de choc naturel, désormais récurrent : la violence des pluies, qui représente un nouveau défi d’adaptation majeur pour une région déjà instable. Dans le village de Worken, à quelques kilomètres de Nema, les habitants sont inquiets. Les pluies, en devenant plus violentes, inondent, ravinent les sols et ravagent les cultures. Parfois, ce sont les populations elles-mêmes qui sont menacées, comme en témoignent les ruines des maisons détruites par les inondations.

Les orages de la veille ont transformé les plaines en torrent, et isolé les communautés les plus vulnérables. Les équipes du PAM devront attendre la décrue pour leur porter assistance. Photo : WFP/Adrien Rebours

Face à cette situation, le Programme Alimentaire Mondial, en coordination avec le Gouvernement de la République Islamique de Mauritanie et les partenaires présents dans le pays, a rapidement pu mobiliser des ressources. Le but ? Fournir une assistance alimentaire qui contribue à couvrir les besoins immédiats en nourriture des populations affectées, et ainsi sauver des vies et protéger les moyens d’existence. Afin d’essayer d’atténuer la menace que faisait courir sur les populations les plus vulnérables une saison de soudure particulièrement précoce et difficile, le PAM a choisi de faire débuter ses premières interventions durant les mois d’avril et de mai, au lieu de juin habituellement.

Dans le village, l’arrivée des vivres est acceuillie avec soulagement et reconaissance. Photo : WFP/Charlie Musoka

Ces interventions lui ont permis d’être pleinement opérationnel au moment du pic de la saison, de juin à septembre, et où le problème de l’insécurité alimentaire est particulièrement criant. Cette année, le PAM prévoit de porter assistance à 427 000 personnes, à travers des distributions sous forme de vivres ou transferts en espèces, dans 8 régions du pays, tout en fournissant aux enfants et femmes enceintes et allaitantes un apport nutritionnel pour le traitement et la prévention de la malnutrition aigüe.

Echange avec les bénéficiaires de l’aide Alimentaire du PAM. Photo : WFP/Agron Dragaj

Ces interventions sont d’autant plus nécessaires que ces phénomènes sont désormais récurrents et s’inscrivent dans une problématique cyclique. C’est en effet la fréquence répétitive de ces chocs, moins espacés qu’autrefois, et la nature plus irrégulière des pluies, combinées avec des vulnérabilités économiques, sociales et environnementales sous-jacentes, qui font que les sécheresses ont un impact de plus en plus destructeur sur les populations les plus vulnérables.

Boide a toujours vécu dans le village de Aweinat Rajat, situé dans les environs de Nema. Il fait partie des bénéficiaires de l’assistance du PAM. A 60 ans, il est l’un des doyens de la communauté.

A l’abri de la chaleur, assis sur les tapis de la salle de conseil du village, Boide s’interroge sur l’avenir de sa communauté . Photo : WFP/Adrien Rebours

Lorsqu’on lui demande si la vie a toujours été aussi difficile pour les villageois, sa voix s’anime et il se redresse alors sur sa canne pour répondre avec émotion : « Je suis né dans ce village. Lorsque j’étais jeune, nous étions beaucoup plus nombreux à vivre ici. Je gardais le petit bétail de la famille et je travaillais au champ. Ce n’était pas une vie facile, mais nous arrivions à produire suffisamment pour nous nourrir. Je me souviens même de fêtes ou nous arrivions à manger beaucoup de viande. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment d’animaux dans le village. Lorsque tu as 5 chèvres, tu es déjà considéré comme un homme riche au sein de la communauté. Le village s’est appauvri, il n’y a plus d’avenir ici pour nous.

Scéne de vie dans le village de Worken, alors que dans le ciel l’orage se fait de plus en plus menacant. Photo : WFP/Adrien Rebours

Les mauvaises récoltes se suivent et nous n’arrivons plus à mettre quoi que ce soit de côté. Je passe mes journées à couper du bois, pour le vendre le long de la route, mais cela ne suffit pas. Si le PAM ne nous était pas venu en aide cette année, je ne sais pas comment nous aurions fait pour tenir. Parfois, je pense sincèrement à quitter le village. Pour aller où ? Je ne sais pas, mais rien ne pourrait être pire qu’ici ».

Les mots de Boidé, prononcés avec simplicité, résonnent d’autant plus durement qu’on les retrouve dans la bouche de tous les bénéficiaires des interventions humanitaires du PAM. Comment porter assistance, mais aussi redonner une perspective d’avenir à ces communautés? C’est le défi auquel s’attèle le PAM depuis de nombreuses années, et ce malgré le manque de ressources : ne pas se contenter de sauver des vies, mais les changer durablement, en donnant aux communautés les outils nécessaires pour leur permettre de se réinventer face à ce qui est devenu leur nouvel environemment, et de ne plus avoir besoin de la moindre aide extérieure pour vivre leur vie.

Malgré les difficultés qui frappent les habitants du village de Worken, les rires continuent de résonner et le taxi écologique du village continue de transporter les plus anciens et les plus jeunes. Photo : WFP/Adrien Rebours

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