« Les femmes peuvent aussi faire ce que les hommes font ! »

Entretien avec Virginie NKOUKA et Nadège SAMINOU qui travaillent au Programme Alimentaire Mondial en République du Congo depuis respectivement 1 an et demi et 1 an, en tant que conductrices. Un fait suffisamment rare au Congo pour être relevé.

Virginie est arrivée au PAM en République du Congo il y a 1 an et demi. Elle a déjà parcouru 70% du territoire congolais en tant que conductrice. Photo : PAM/Alice Rahmoun

Est-ce que les femmes ont l’habitude de conduire au Congo ?

Nadège : Ici au Congo les femmes aiment conduire leur propre véhicule, mais normalement c’est un travail d’hommes. Pourquoi seulement les hommes ? Les femmes peuvent aussi faire ce que les hommes font !

Virginie : J’ai été la 1ère femme à être recrutée légalement en 2015, après une formation, pour la Société de Transport Public Urbaine (STPU). Je suis la 1ère femme congolaise à avoir conduit un grand bus de 12,5 mètres. Je suis actuellement en train de passer mon 4ème cachet [NDT : niveau de permis] pour les poids lourds, pour conduire les camions de livraison des cantines scolaires.

Comment avez-vous choisi ce métier ?

Nadège : J’ai d’abord fait des études de comptabilité mais ça n’a pas marché. J’ai postulé en tant que pompiste dans les stations du carburant : un travail que j’ai gardé pendant presque 15 ans. Mon contrat s’est terminé et j’ai vu que la Société de Transport Public Urbaine (STPU) du Congo cherchait des hommes et des femmes pour apprendre à conduire des grands bus.
J’ai fait 3 mois de formation et j’ai finalement été sélectionnée : on était près de 600 personnes dans la société dont 3 femmes chauffeurs, le reste c’était des hommes.

Virginie : En fait, c’est un métier qui me suit : mon père était routier, il conduisait des poids lourds. Dans la famille, il y a aussi ma grande sœur qui conduit des bus de transports en commun en France, et mon petit frère qui conduit des semi-remorques.

Il y a des gens qui ne savent pas que nous sommes les chauffeurs. Quand ils nous voient, ils s’étonnent : « Oh ! Comment ça une femme ? C’est la première fois qu’une femme me conduit ! ».

Que pensent vos proches de votre choix de carrière ?

Nadège : Ils savent que je suis courageuse, donc ma mère ne s’inquiète pas. Elle me félicite toujours en me disant : « Moi, je veux que tu puisses aller de l’avant ».

Virginie : Ma famille m’a beaucoup encouragée. Au début, mon père me questionnait : « Mais pourquoi ? Il y a déjà ta grande sœur, et toi tu t’intéresses encore à la conduite ? » . Je lui répondais alors : « Papa, je n’y peux rien, ça me suit. Je suis obligé de le faire. » Depuis, il m’encourage.
Toute la famille m’appelle La grande sœur « moupila » [= la conductrice].

Nadège est conductrice au PAM depuis un an. Après plusieurs mois au bureau pays à Brazzaville, elle vient d’intégrer le sous-bureau de Kindamba. Photo : PAM/Alice Rahmoun

Et que pensent les hommes de votre métier ?

Nadège : Parfois, quand je passe dans la rue, il y a des hommes qui disent « Pourquoi vous ? Là, c’est notre place, il fallait rester à la maison, ce sont nous les hommes qui devons travailler ». Mais certains d’entre eux nous encouragent aussi parfois.

Virginie : C’est tellement rare au Congo. Quand j’étais dans les grands bus, l’engouement était total. Il y a des gens qui posent des questions, d’autres qui pensent que c’est vraiment osé, d’autres encore considèrent que c’est risqué, enfin, certains trouvent cela extraordinaire. Les hommes m’encouragent beaucoup : ils disent que c’est bien. Leurs paroles me donnent le courage d’avancer, de prouver de quoi je suis capable.

Surtout qu’en tant que femme, je dois faire attention à moi, attention à ce que je fais, au milieu où je me trouve. Je fais attention à tout, parce que j’ai sans cesse des yeux braqués sur moi.

Vous devez aussi avoir […] des connaissances en anglais, parce qu’avec des passagers anglophones, vous ne pouvez pas faire 800 km sans échanger un mot.

En dehors de Brazzaville, lors de vos déplacements dans des villages, est-ce que les gens vous portent une attention particulière ?

Nadège : Oui, surtout les hommes quand ils voient les femmes, ils créent souvent des problèmes. Parfois, je les klaxonne pour qu’ils me laissent passer parce qu’ils me bloquent la voie. C’est un peu stressant. D’autres fois, je leur cède le passage mais ils s’arrêtent pour regarder. Ce genre de situation n’est jamais évidente.

Virginie : Chaque fois que je suis dans un village les gens sont étonnés, les gens viennent s’attrouper, ils posent des questions. J’aime bien discuter avec les femmes. Quand je suis dans un village, si des filles veulent me poser des questions, je leur réponds. Je leur conseille d’aller à l’école parce qu’être chauffeur ou chauffeuse, ça n’est pas seulement prendre le véhicule et aller déposer quelqu’un. Vous devez aussi suivre une formation sur internet, sur Word, Excel. Avoir des connaissances en anglais est également nécessaire, parce qu’avec des passagers anglophones, vous ne pouvez pas faire 800 km sans échanger un mot !

Voilà pourquoi j’essaie de faire passer un message aux filles : « Vous voulez apprendre un métier pour plus tard ? Il faut d’abord aller à l’école ! ».

Qu’est-ce que vous aimez dans ce métier ?

Nadège : J’apprécie beaucoup d’accompagner les collègues, de partager les courriers par-ci par-là, et de découvrir des lieux que je n’aurai pas connus autrement. Ce métier me permet de découvrir beaucoup de choses.

Virginie : C’est un métier qui me tient à cœur : je peux faire 600 km, ça me plait d’être au volant. Je suis déjà allée dans au moins 70% du Congo. La conduite pour moi, c’est vraiment une passion.

Pour finir, avez-vous un message à faire passer ?

Nadège : Femme ou homme, il n’y a pas de sous-métier. Si l’occasion se présente, et si tu es apte à le faire, présente-toi et tu verras que tu t’en sortiras. Lance-toi et ne reste pas à la maison, à attendre ton mari… Je veux encourager les femmes à faire comme nous.

Virginie : Je veux passer un message aux femmes en général, mais aussi aux femmes congolaises plus particulièrement : il ne faut pas baisser les bras. Il faut essayer de faire quelque chose, d’apprendre un métier. Tant qu’on vit, il faut essayer, on peut foncer et les portes s’ouvriront.

Je remercie aussi les collègues qui travaillent avec moi, hommes et femmes. Ils m’ont beaucoup soutenue moralement parce qu’au début, je ressentais beaucoup de stress. Maintenant tout est rentré dans l’ordre, je me sens comme un poisson dans l’eau.

Propos recueillis par Alice Rahmoun et Mireia Cano, et retranscrits par Alice Rahmoun.

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