Deeptech : de l’importance d’un cofondateur « business »

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7 min readOct 15, 2019

By : Alban Oudin

Construire une belle startup deeptech requiert des compétences entrepreneuriales hors-normes. Pour nous faire une idée du potentiel d’un projet, nous avons vite appris à regarder au-delà du prestige scientifique du CV des fondateurs.

La deeptech a le vent en poupe. En janvier dernier, BPIFrance a annoncé un plan d’investissement de 1,3 milliard d’euros sur 4 ans pour ces startups ayant une innovation scientifique de rupture au cœur de leur business modèle. Des projets comme DNA script, Farmwise, Dreem, Tempow sont de beaux exemples de Deeptech françaises — XAnge en finance certaines : Wandercraft, Treefrog Therapeutics, Gleamer, ou encore Aerospacelab.

Pas étonnant de voir éclore ce modèle de startup en Europe : l’excellence de la recherche et les salaires bon marché des ingénieurs (2 à 3 fois moins élevés qu’aux US) permettent aux entrepreneurs locaux d’être très compétitifs dans un business qui implique une forte intensité capitalistique au démarrage.

Car l’exercice n’est pas simple : avant de réaliser leur premier euro de chiffre d’affaire, les entrepreneurs doivent travailler avec des ingénieurs pour « productiser » les travaux de recherche. L’intensité capitalistique des projets impose souvent plusieurs levées de fonds successives, sans pour autant avoir de « metrics » à montrer aux investisseurs.

On voit ainsi fleurir des structures d’accompagnement dédiées. Outre les incontournables Agoranov et Institut Pierre Gilles de Gennes à Paris, émergent désormais des startups studio comme Entrepreneur First venu d’outre Manche ou encore Deeptech Founders qui proposent de former des équipes dirigeantes à l’entrepreneuriat si particulier qu’est la deeptech.

Le paradoxe est là. Il y a autant, voire davantage, d’enjeux extra scientifiques pour une deeptech, que pour une startup digitale. Trouver des financements, communiquer sur les avancées de la R&D (et donc de la startup), décrocher les premiers contrats… Ces dirigeants ont en général un bagage scientifique exceptionnel, mais peu d’entre eux arrivent à le conjuguer avec des compétences business et marketing. Et le travers naturel de tout bon scientifique est de négliger ces derniers aspects au profit des développements techniques.

Grave erreur. Il lui faut donc souvent trouver son pendant parfait : le co-fondateur business. Celui que Matt Cliffort, fondateur d’Entrepreneur First appelle « le catalyseur ». Son profil est corporate, financier, serial entrepreneur ou même scientifique, à condition qu’il ait la fibre business et marketing. Quelles sont ses fonctions, et qu’attend-on de lui ?

L’angle Alpha au démarrage

Tout le monde n’est pas Elon Musk. Mais chacun comprend bien son rôle : incarner les projets, trouver les financements, faire rêver… Mais aussi et surtout impulser un rythme (élevé) de développement.

Maîtriser le tempo et les effets d’annonce est crucial pour créer un engouement autour d’un projet. Chez XAnge, c’est ce qu’on appelle l’Angle Alpha au Démarrage. Plus la startup part sur une belle dynamique, en accumulant rapidement les succès et en capitalisant sur les précédents pour en décrocher de nouveaux, plus le projet ira loin. Un premier tour de financement, des succès dans des concours de startups (Ilab, Concours mondial d’innovation, H2020, etc.), un premier contrat commercial, une deuxième levée de fonds… Quand tout s’enchaîne vite, la startup part avec « un bel angle alpha » au démarrage et démultiplie ses chances de réussite.

Pas d’argent, pas de Deeptech

Une deeptech à succès est avant tout une startup qui sait trouver les financements nécessaires à son développement. Sans financement, pas de R&D, et donc pas de produit. Les cimetières de la tech sont remplis de « technologies de rupture » qui n’ont jamais vraiment percé faute d’argent: l’aérotrain entre Paris et Orléans, le réseau cyclades dans les années 70 en France qui aurait pu être l’ancêtre d’internet, le visiophone… Le contraste avec le digital est saisissant, où l’on voit chaque jour des produits « simples » générer très tôt leurs premiers revenus, qui permettent d’autofinancer le développement de la startup.

Savoir lever des fonds est donc crucial. Il y a là une profonde réflexion à mener sur la manière dont l’entrepreneur présente le projet : quelle finalité pour sa startup deeptech ? Quel bénéfice d’usage ? En quoi bouleverse-t-elle l’ordre scientifique établi ? Aerospacelab ne se contente pas de bâtir une constellation de nanosatellites : elle contribue à la souveraineté spatiale de l’Europe au moment où les startups américaines et chinoises mettent sur orbite des milliers de satellites. Dans un autre registre Dreem, qui ne se contente pas de mieux vous faire dormir, mais vous propose de préserver votre santé et d’augmenter votre performance en journée grâce à un sommeil plus réparateur…

Dans un précédent article, je vous avais déjà partagé quelques conseils de méthode pour parler à un investisseur.

Coupler la roadmap technique et le plan de financement

Du MVP (Minimum viable product) aux versions plus abouties des produits, chaque itération est une avancée tangible aux yeux d’un investisseur. Ces itérations permettent de démontrer des premiers résultats scientifiques ou commerciaux, et donc de valider les potentiels.

Il est donc intéressant pour une startup deeptech de découper sa roadmap technique en différentes phases aboutissant chacune à une nouvelle version du produit, avec des objectifs scientifiques et commerciaux de plus en plus ambitieux. Là encore, une réflexion « produit » est nécessaire en amont des développements.

Une autre priorité de l’équipe dirigeante est d’avoir une excellente connaissance de ses clients, de l’état du marché et de son évolution. Je m’explique: les temps de R&D dans la deeptech sont longs. Plusieurs années peuvent passer entre la phase de R&D et le moment où le produit sort. Il est alors primordial d’anticiper les évolutions de marché et d’orienter la roadmap technique dans le bon axe. L’exemple de Tempow est caractéristique: la technologie bluetooth multi-stream qu’ils développent a su s’adapter aux évolutions du marché, en passant d’une technologie pour enceintes connectées aux earpods, dont la sortie était compliquée à imaginer 4 ans auparavant. L’agilité requise pour s’orienter rapidement vers un marché émergent est l’un des atouts des startups deep-tech par rapport aux mastodontes en place.

Enfin, la capacité à rationaliser les coûts de développement, montrer que la startup est capable de faire beaucoup avec peu de moyens, optimiser l’allocation des capitaux, sont des signaux très intéressants pour un investisseur. La frugalité est une qualité précieuse en toutes circonstances. À condition de savoir bien dépenser le moment venu. Et d’investir le marketing et les talents. Après tout, c’est à ça que servent les levées de fonds.

Engager fortement ses équipes

Les ingénieurs aiment la science évidemment, mais ils cherchent avant tout des entreprises prometteuses, qui pourront leur permettre d’évoluer en responsabilités et en mission. Dans la silicon valley par exemple, la volatilité des développeurs est très élevée. On reste en poste 1 ou 2 ans en moyenne, avant de passer à un autre contrat — pour atterrir dans la startup qui aura le plus de chance d’aller jusqu’à l’IPO, synonyme d’une belle opération financière. La volatilité des employés tech n’est pas aussi grande en Europe mais il est évident qu’avoir une image forte permet de mieux recruter et conserver ses employés clés.

Le rôle du catalyseur doit être d’engager les salariés derrière la vision, et de leur transmettre la conviction qu’ils sont en train de bouleverser leur marché. Et par la même occasion de se diriger vers une IPO/ une grosse sortie.

Appliquer les codes du consumer

La communication, le site Web, le design graphique sont les premiers points d’entrée sur l’univers d’une startup. Pour un prospect ou un investisseur, ce sont des éléments essentiels dans le processus de découverte de la tech et du produit. Une interface soignée et des messages clairs ne sont-ils pas les meilleurs révélateur de l’attention portée à l’UX du produit ? Ou que les fondateurs ont une vraie fibre commerciale ?

C’est une tendance de fond : les pratiques de go-to market des startups B2C s’appliquent de plus en plus au B2B, depuis le marketing jusqu’aux techniques de vente. Avant la rencontre en entre un commercial et son prospect, ce dernier aura eu accès à une quantité d’informations : site, vidéos de présentation, témoignages de clients, etc., eux-mêmes habilement poussés grâce à un SEO bien optimisé. Mis bout-à-bout, ces éléments sont autant d’arguments pour nouer une relation et faciliter la vente finale.

Une visite d’un prospect sur une landing page négligée est une occasion ratée pour la startup de convaincre quant à l’efficacité de sa technologie ou de son produit…

Au-delà de la science

La dominante scientifique des startups deeptech n’exonère pas leurs fondateurs de leurs obligations plus business. Travailler son marketing et sa communication, engager les salariés, porter une vision, savoir lever des fonds… sont des enjeux aussi vitaux pour elles que pour les startups du digital — voire davantage. Un curriculum long et prestigieux ne suffit pas.

Nous avons pris l’habitude, chez XAnge, d’intégrer tous ces éléments extra-scientifiques à notre analyse des startups deeptech. Ce qui ne nous dispense évidemment pas d’une due-diligence technique approfondie (nous aurons l’occasion d’y revenir). Quoiqu’il en soit, si vous partagez notre vision, n’hésitez pas à me contacter !

Alban Oudin est startup scooter chez XAnge, sa fonction principale est de détecter très tôt les startups à haut potentiel de croissance : sur le terrain, dans les incubateurs et au contact des autres VCs, Business Angels, Corporate Venture Capitalists et entrepreneurs.

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