Jeudi 7 juin 2029 : une journée comme les autres pour Juliette.

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7 min readNov 15, 2019

Note : Cet exercice de projection dans un futur proche est basé sur les tendances que nous observons, nos thèses d’investissements — et un peu aussi sur nos convictions personnelles (quand ce ne sont pas des craintes …). 2029, c’est demain. 2029, ce n’est donc pas de la science fiction ; quand bien même la Juliette que nous contons est le fruit de notre imagination.

Par l’équipe XAnge : Cyril Bertrand, Victor Charpentier, Alexis du Pelous, Mathias Flattin, Manon Gazzotti, Guillaume Meulle, Alban Oudin, Nicolas Rose et Guilhem de Vregille.

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Comme tous les matins depuis 4 mois, Juliette se réveille en grande forme. Elle ne peut plus se passer de son casque de gestion du sommeil acheté au creux de l’hiver. Ce casque, parait-il, envoie des ondes par transmission osseuse. Elle n’en est pas certaine et ne veut pas en savoir plus. Trop souvent fatiguée, à 29 ans, il lui fallait faire quelque chose.

Juliette est adepte des petits déjeuners anglais. Malheureusement, il lui est de plus en plus compliqué de trouver des protéines animales à prix raisonnable. Une alternative a récemment émergée grâce à l’ouverture d’une ferme verticale dans son quartier du Parc aux Lièvres à Evry. Elle y trouve notamment des blinis et du caviar intégralement issus de graisses et protéines végétales. C’est bon, local et abordable. Son petit-déjeuner avalé, Juliette est prête à commencer sa journée.

Mobilités douces & compétition féroce.

Juliette est cadre dans un laboratoire pharmaceutique. Chaque jeudi matin, son employeur lui paye 3 heures de développement personnel. Elle a choisi “Communication non-violente”, un bon moyen pour elle de gérer la pression. La compétition est rude, la promesse née des recherches autour des cellules souches a fait basculer l’industrie dans une course effrénée à l’innovation.

Son cours est dans le 8ème arrondissement de Paris. Pour s’y rendre, elle saute dans une voiture autonome partagée. Ces dernières années, le marché des mobilités s’est radicalement transformé : les trajets courts se font en vélo électrique, on utilise les voitures autonomes pour les trajets moyens. Quant aux longs voyages, ils se font en transports en commun. Tous ou presque sont partagés, et les voitures individuelles sont en passe d’être interdites sur la voie publique. Les jeunes, d’ailleurs, ne passent presque plus le permis de conduire.

Juliette arrive à son cours à l’heure. Les embouteillages sont en voie de disparition, grâce aux voies dédiées aux véhicules autonomes partagés mais aussi au fort développement de la livraison par drones. Elle a même pu tirer parti de ces 45 minutes pour travailler dans la voiture. Il y a encore deux ans, ce même trajet prenait plus d’une heure dans un train bondé, insalubre et le plus souvent en retard.

Depuis que l’on peut travailler confortablement dans une voiture, le rapport à l’espace s’est radicalement transformé. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a quitté son co-living parisien pour Evry. D’autant qu’elle n’est tenue d’être que deux demi-journées par semaine au bureau. Le reste du temps, elle travaille depuis chez elle. Elle n’est pas la seule à avoir fait ce choix. On observe même une légère baisse des prix de l’immobilier à Paris et sa première couronne !

Nouvel or noir.

Après son cours, Juliette part au bureau. En enfourchant son vélo électrique, direction le quartier d’Austerlitz, Juliette se rappelle que c’est le dernier jour pour envoyer sa déclaration d’impôts. Elle sort son smartphone, et la valide en quelques secondes. Les finances personnelles ont connu un bouleversement colossal durant ces 10 dernières années. Les cartes de paiement n’existent plus et l’argent liquide est devenu une affaire de collectionneurs. Deux plateformes ont pris le marché et agrègent toute l’information financière des citoyens (paiements, impôts, prêts…). Le confort offert par ces services est tel, qu’il s’est répandu dans tous les foyers comme une traînée de poudre. Pourtant, beaucoup s’alarment des risques de confidentialité que représentent la mainmise de ces deux grands acteurs privés américains et chinois sur les données financières des citoyens. Pendant ce temps là, la Commission Européenne tente de se mettre d’accord sur une directive permettant de mieux encadrer ces services. La DSP2 et le RGPD sont déjà dépassés — et depuis longtemps.

En arrivant au bureau, Juliette croise son collègue Robin avec qui elle va chercher un sandwich. Au supermarché, il en profite pour s’acheter un test sanguin pour 39 € qui lui permettra de connaître son patrimoine génétique et les maladies auxquelles son séquençage l’exposent. Presque tous les amis de Juliette ont fait le test. Elle ne sait pas trop quoi en penser, mais elle est de plus en plus tentée. “Après tout, si ça peut m’aider à me protéger d’une future maladie !” se dit-elle. Sur ces réflexions, elle termine son déjeuner, et met ses emballages dans les nouveaux bacs à consignes installés par la Ville de Paris.

Au bureau, la moitié des ordinateurs ont planté. Depuis peu, le propriétaire de l’immeuble du bureau a installé des serveurs informatiques au sous-sol. La chaleur générée permet de chauffer l’immeuble. Ce choix, de plus en plus fréquent dans les immeubles de bureaux comme dans les grandes copropriétés, fait l’objet de lourds investissements sur les infrastructures réseau de la part de l’Etat. Il faut en passer par là, mais en attendant, les petits désagréments du quotidien, comme ce bug, se multiplient.

Juliette et ses collègues profitent de la panne pour aller prendre un café dans un des nombreux parkings désaffectés de centre-ville, reconvertis en immenses salles de sport et cafés arborés. Se parler, face à face, n’est plus si fréquent. En général, c’est plutôt des échanges sur Slack. Parmi la vingtaine de membres de son équipe, tous travaillent de chez eux au moins 50 % du temps, et la moitié sont freelance. Mais cela ne dérange personne. Pour Juliette et ses amis, avoir une relation virtuelle avec une personne réelle n’est pas un problème, raison pour laquelle d’ailleurs les jeux persistants sont devenus la nouvelle norme pour sociabiliser.

Fin du bug. Tout le monde se remet au travail. Juliette branche son porte-clés sécurisé dans lequel se trouve absolument toutes les données la concernant : I.D., santé, mais aussi fichiers de travail. En se connectant, elle reçoit une notification d’un broker de données certifiées lui proposant 9,99 € pour acheter ses données personnelles de niveau 1, (âge, taille, poids, etc.). Elle ne donne pas suite, c’est le jeu. Il reviendra à la charge avec une offre plus intéressante et avisera à ce moment là.

Faux nez personnels.

Le jeudi est aussi le jour où elle va voir son grand-père Guy. Le dernier EHPAD a fermé il y a deux ans. Le développement d’infrastructures médicales et de services pour les repas, le ménage, l’entretien des jardins permettent enfin de maintenir les plus âgés chez eux. De plus, la qualité des diagnostics et des prescriptions changent la vie des plus âgées : ils sont en forme et autonomes plus longtemps.

Grand-Père Guy a 82 ans. Il adore ce petit rituel hebdomadaire avec son unique petit fille. Il faut dire que Juliette le lui rend bien en lui racontant sa vie dans les moindres détails. En quelque sorte, elle l’aide à rester jeune. Ces derniers temps, elle l’initie aux mystères des crypto-monnaies.

L’hyper-centralisation des données financières personnelles entre les mains des deux plateformes privées a entraîné un boom spectaculaire des crypto-monnaies perçues comme un refuge pour payer discrètement ce que l’on veut garder pour soi. Depuis quelques mois, Juliette s’est par exemple mise à consommer un booster d’humeur et de productivité. Elle préfère que cela ne se sache pas, et achète donc ses produits avec des crypto-monnaies.

C’est l’anonymat garanti, et il n’y a rien d’illégal à cela. Les autorités de régulation ont intégré la fonction de “chambre de compensation” symbolique que les crypto-monnaies ont prises en réaction aux plateformes hégémoniques. Les crypto permettent aux pouvoirs publics d’acheter une paix sociale à peu de frais. Grand-Père Guy se demande quand même si en acheter à visage découvert ne serait pas un aveu de culpabilité, quelle qu’elle soit.

Juliette lui raconte alors comment elle procède. Sa petite-fille, si calme, a un double numérique. Sous son avatar, #HEL+X!!, inspiré de la déesse nordique des enfers, Juliette est une star du rock dodécaphonique. Grand-Père Guy en reste bouche bée, il comprend : pour assister à ses concerts en ligne ou pour streamer ses albums, il faut la payer en crypto. Un petit sourire admiratif se devine sur son visage. #HEL+X!! rougit.

L’amour mis en équation.

Juliette se reprend. Elle doit filer. Elle a rendez-vous dans une guinguette en bord de Seine avec des amis. En attendant sa consommation au bar, Juliette éconduit un prétendant jugé trop insistant. Découragé, il s’en va tenter sa chance ailleurs. Légèrement vexée, et malgré elle, Juliette songe alors à ces nouveaux services de matching ultra-puissants qui proposent des profils d’âme soeur et n’hésitent pas à annoncer la fin du divorce par la seule force de leurs algorithmes. “Il faudrait peut-être que j’essaie” songe-t-elle.

Juliette rentre à pied. Sur le chemin, elle passe devant le premier parc de plantes génétiquement modifiées pour absorber plus vite le CO2. Evry a été choisi dans le cadre d’un projet européen pour améliorer la qualité de l’air : un premier hectare vient d’être planté. Ce projet, Evry l’a gagné de haute lutte dans une votation menée à l’échelle européenne. Juliette se rappelle encore des nombreuses notifications qu’elle recevait pour ne pas oublier de voter sur son portable et déjà, via ces deux plateformes. En tout cas, si les tests sont fructueux, ces parcs se développeront un peu partout dans les grands ensembles urbains européens.

Arrivée devant sa porte d’entrée, la serrure connectée à identification biométrique reconnaît Juliette et s’ouvre automatiquement. Elle se branche sur un nouveau jeu en ligne et y retrouve avec plaisir de nombreux amis qu’elle côtoie le plus souvent la nuit et qu’elle ne rencontrera probablement jamais. À 4 heures du matin, il est temps d’aller se coucher. Elle met son casque de gestion du sommeil et s’endort comme une enfant. Demain, c’est décidé, elle essaie ce fameux test génétique.

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