Que retenir des levées Tech 2016 ? Le point de vue d’un VC.

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8 min readJul 27, 2016

Writer: Bartosz Jakubowski

Credits: Sony

En tant qu’investisseur en Venture Capital, les levées de fonds de startups sont mon pain quotidien. En voyant passer quelques deux mille “opportunités” (ie startups) par an, je perçois quelques tendances de fonds, mais suis surtout submergé par la quantité d’informations qui circule.

La fin d’un semestre, de façon un peu arbitraire, est une bonne occasion pour une prise de recul et pour une analyse rigoureuse et sans a priori de ce qui s’est passé sur la scène des levées de fonds Tech.

Des idées pour le slide “Use of Funds”

Discours de la Méthode

Les quelques “learnings” qui suivent sont tous issus de l’analyse du tableau qui figure en bas de cet article. Il recense les 251 levées de fonds “tech” faites par les startups françaises au 1er semestre de 2016.

Quelques points à retenir sur les critères que j’ai retenus pour faire ce tableau(m’écrire sur twitter pour que je partage le fichier excel) :

  • Sources : WhoGotFunded, la très utile newsletter d’eCap Partners, Crunchbase et mon information personnelle
  • Taille : levée de fonds > 100k€
  • Secteur : Numérique. Pas de “Biotech” (sciences de la vie), ni de “Cleantech” (énergie).
  • Investisseurs : tous. Du tier-1 américain au crowdfunding en passant par les corporates, les investisseurs régionaux, publics, privés, nationaux. Tous.
  • Modèle d’affaires : j’ai évincé de ce tableau les entreprises ayant majoritairement une activité de conseil

Si vous en voyez une qui respecte ces critères et qui ne figure pas dans le tableau, n’hésitez pas à me le signaler en commentaire ou sur Twitter.

Le Monde comme volonté et comme représentation

Sans aller creuser bien loin, plusieurs choses apparaissent :

  • Un montant moyen de levée de €3m, qui cache la multitude de ‘petites’ levées de fonds. €787,6m ont été levés au H1 2016 sur des startups tech françaises, soit un montant moyen de €3,1m. Ce chiffre cache pourtant une réalité frappante : la prépondérance des “petites” levées de fonds, str. inférieures à €1m, qui représentent 95 levées soit 39% de l’effectif, faisant baisser le montant médian à un peu plus de €1m. A l’inverse, les startups ayant levé plus de €10m ne représentant que 8% des effectifs mais 52% des montants levés, emmenés par Deezer et sa levée de €100m.
Miaou.
  • B2B et B2C se partagent la vedette, avec néanmoins un montant moyen plus élevés pour les startups orientées vers le consommateur final (€3,7m contre €2,7m pour le B2B — la différence étant beaucoup plus ténue une fois retraitée de Deezer), ce qui tend à montrer qu’il faut plus de capital en moyenne pour faire grandir un consumer business, comme le notait déjàGP Bullhound. Le montant médian y était plus faible (€1m vs. €1,2m), c’est aussi la confirmation de la tendance “winner-takes-all” du B2C.
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  • Les business models natifs d’internet se taillent la part du lion.

— Le Software, essentiellement B2B vendu en SaaS mais aussi parfois sous forme d’app mobile (que j’ai classé en Software lorsque le logiciel est la principale valeur apportée par le produit) est la catégorie de startups qui a le plus levé au S1 2016, que ce soit en valeur (€252m; 32% des investissements) ou en nombre. Le Software est ici essentiellement horizontal (c’est-à-dire applicable à de multiples industries et non à une seule verticale), à 59%, même si le logiciel à destination de la Finance (9%), des Telecom (8%) et du Retail (5%) se détachent. En termes de fonctionnalités, le trio représenté par le software servant au Marketing et à la connaissance client (41%), et la productivité en entreprise (21%) trustent la majorité des applications, sans surprise. A noter la très bonne tenue des Developer tools, avec 30% des levées de S1 2016, qui dénote encore une fois la tendance à la plus grande disponibilité ‘sur étagère’ de toutes sortes de fonctions qui autrefois nécessitaient un développement en interne (création de sites, de marketplaces, modules de sécurité, etc.).

— Suit de près la catégorie ‘Intermédiation’ (27%), qui regroupe dans mon esprit les marketplaces (au sens de transaction se faisant sur la plateforme, avec % de commission), les plateformes de réservation, bref tout ce qui permet de mettre en relation une offre et une demande par internet. Le transport est l’industrie qui est le principal driver de cette tendance avec 34% des montants investis, majoritairement pour le transport terrestre de personnes (ie la bagnole, quoi — Drivy et Koolicar n’y sont pas étrangers, voir point 2 ci-dessous). Le voyage / hébergement portent aussi fortement la croissance de ce modèle, avec le peer-to-peer rental perçu comme un réel enjeu (Nightswapping, Welkeys, BnBSitter, SquareBreak et Le Collectionist).L’appréhension de l’espace a l’air d’être un vrai sujet d’actualité

  • Immobilier, Food, Entertainment, Retail et RH comme industries ‘à disrupter’. L’approche par industries donne une métrique intéressante. En mesurant le delta entre % des montants levés et % des nombre d’investissement, on remarque quelles industries ont le plus grand nombre d’investissements Seed, c’est-à-dire de paris sur le moyen terme. Je prends ça comme un proxy des industries que l’on commence à ‘disrupter’ (hello le jargon !).
    — Les investissements qui concernent l’immobilier (8% en nombre) laissent à penser que la gestion contrainte de notre espace de vie devient de plus en plus une question brûlante, que ce soit pour les travaillers (Office Space) ou pour trouver (cherchemonnid, locat’me, Studylease, …) ou concevoir (Habiteo, Bowie, Strains) un logement.
    — Vous n’avez pas pu le rater depuis un an, la Food (6%) est en pleine évolution. Que ce soit l’optimisation de restaurants (Tableonline, Tiller, Innovorder), la livraison d’ingrédients ou de vins, ou la livraison de plats préparés (Frichti, Nestor), voire l’organisation de repas chez le voisin / l’habitant, notre manière de nous nourrir est le champ de bataille de nombreuses startups.
    — Enfin, phénomène intéressant, l’activité est naissante/croissante/bouillonnante dans le secteur des RH. L’éclatement annoncé et analysé du travail en une juxtaposition de tâches effectuées indépendamment (jobbing) émerge peu à peu (Extracadabra, Cremedelacreme, Gojob). Les manières de trouver un job sont, elles, de moins en moins conventionnelles, que ce soit démocratiser l’accès aux chasseurs de tête (Hunteed), ou utiliser l’intelligence collective du ‘crowd’ et des réseaux de connaissances pour recruter (MyJobCompany).

Méditations métaphysiques

En adoptant un regard un peu plus critique (ie un regard de VC :)) sur ces informations, voici les quelques leçons intéressantes que je tire de ce travail :

  1. Ne vous laissez pas aveugler par les ‘buzzwords’.
    Si elle est sur toutes les bouches, la ‘Blockchain’ en France a connu autant de levées de fonds ce semestre que tout ce qui a trait à l’équitation (2 levées, 2x moins en montant). Qui pour parler d’équitech ?
    De la même manière, ‘impression 3D’ + ‘drones’ < startups qui s’adressent aux étudiants.
  2. Attention aux marchés hyper-concurrentiels.
    Sur certains marchés à faible barrière à l’entrée pullulent nombre d’acteurs dont la différentiation n’est pas très marquée, et qui pour l’instant sont de taille et de financement plus ou moins proches. Il y a fort à parier dans chacun de ces espaces se décantera un gagnant dans les mois à venir.
    Parking. 3 startups qui veulent nous épargner le sentiment d’impuissance qui émerge lorsqu’on tourne en voiture à la recherche d’une place ont levé de l’argent ce semestre (Drop Don’t Park, ZenPark, OnePark)
    Location d’espace de bureau à court terme. Pas moins de 4 startups qui s’y intéressent ont levée de l’argent ce semestre, sans leader clair (€400k-€1200k). L’essor de l’entrepreneuriat et du freelancing, en plus du succès phénoménal de WeWork sont de bons drivers de croissance, mais ces startups peuvent-elles créer de la demande dans un pays où l’attachement aux locaux est si fort ?
    Location de voiture entre particuliers. Là aussi, de nombreuses et importantes levées de fonds au cours de ces 6 derniers mois : un gargantuesque €31m pour Drivy, €18m pour Koolikar, au moins €6m pour TravelerCar… il y a certes des différentiations ténues entre ces startups mais à l’heure où le secteur se consolide (Drivy et Buzzcar, SNCF et OuiCar), cette course est-elle bien raisonnable ?
    Crowdfunding. Le tag Crowdfunding est revenu 11 fois sur les 250 levées de fonds, et a représenté 4% des montants totaux levés. S’il est principalement tiré par les grandes plateformes (Lendix, KissKissBankBank, SmartAngels), on observe une verticalisation du crowdfunding, que ce soit sur l’agriculture (Miimosa), le social business (HelloAsso, 1001pact), ou l’énergie (Enerfip). La liquidité (au sens de vraie crowd, pas d’investisseurs institutionnels cherchant des meilleurs taux ;)) déjà faible sur les plateformes classiques me fait me poser des questions sur l’opportunité de cette verticalisation croissante vers des niches sectorielles …
  3. Attention à l’évolution à 5 ans+.
    Les points soulevés ci-dessous m’amènent à me poser des questions à plus long terme.
    — Quand on voit que les investissements liés à l’automobile (13, soit 2 par mois et le tag le plus représenté et 9% de TOUS les investissements) totalisent un montant de levée de €70m, comment réconcilier cette information avec toute l’excitation autour de la voiture autonome (représentée en France par Navya) ?
    Je n’ai personnellement aucune idée de ce qui roulera sur nos routes (ouau dessus de nos routes) dans 5 à 10 ans.
    — En grossissant le trait, le même raisonnement pourrait s’appliquer à la logistique. Les solutions de packaging (Wing, Cubyn), ou de transport routier (Convargo, Shippeo) pour les entreprises qui livrent des bien à leurs clients connaissent un intérêt grandissant ce semestre. Même chose dans le secteur de la Food delivery qui est devenu le poncif du secteur en effervescence (sur des modèles différents : Nestor, Frichti, Cookonly et QuiToque ce semestre + une levée en préparation). Lorsqu’on voit qu’Amazon par exemple avec son programme LaunchPad se positionne de plus en plus comme une plateforme ‘enabler’ pour le lancement de startups (que ce soit en ligne avec AWS ou hors ligne avec la logistique), capable par sa taille de faire baisser drastiquement les coûts et fixe des nouveaux standards (same-day delivery), je me pose des questions sur ce à quoi va ressembler l’approvisionnement et l’envoi d’un produit dans les années à venir.
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