Marc Stickdorn : “Pour que l’utilisateur soit au centre des opérations, remettons en question les silos”

Gladys Diandoki
Le Laptop
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9 min readMay 21, 2019

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Crédit photo : Pauline Thomas

Le service Design n’a pas de secret pour lui et pour cause, Marc Stickdorn est auteur et co-auteur des principales références sur le sujet. En visite à Paris dans le cadre de la première Masterclass — This is Service Design Doing du Laptop, le prolifique allemand fait le point avec nous sur cette pratique qui connaît un engouement de plus en plus grand en France. Entretien.

Dans UX podcast, vous définissez le Service Design comme une manière de concevoir des services. Est-ce si simple ?

Quand on posait la question “Qu’est-ce que le design de service ?” à une amie, elle répondait : “C’est le fait de concevoir des services”. Je ne pense pas qu’il y ait un intérêt à définir le terme Service Design. Peu importe que certains l’appellent Service Design. D’autres, innovation ou expérience, voire expérience client. En fin de compte, ce que nous faisons, c’est que nous concevons quelque chose. Que ce soit un produit physique. Un service. Tout est relié ! Nous concevons tous des systèmes ou une partie d’un système. Avec l’intention de satisfaire un client, un utilisateur, un employé… Vraiment, peu importe comment nous l’appelons, si ce que nous créons est un bon design.

Mais, pourquoi les Designers sont-ils les bonnes personnes pour réaliser ces changements ?

Je ne sais pas si c’est le Design. Il s’agit surtout d’une façon de travailler. Nous, nous l’appelons Design. Dans d’autres disciplines, on dira agilité ou lean, sprint… Nous partageons avant tout un état d’esprit ! Celui que quoi que nous fassions, qu’il s’agisse d’un service ou d’un produit, il est en constante évolution. Il y aura toujours une autre itération. Le fait que nous expérimentons. Nous testons après avoir émis des hypothèses, en impliquant d’autres êtres humains. Ce n’est pas uniquement du design. C’est beaucoup plus large que cela. Le design fait partie de ce mouvement.

Crédit photo : Pauline Thomas

Dans This is Service Design Doing, vous expliquez que la manière dont nous travaillons est le fruit du Taylorisme et sa répartition des tâches. Dans le service, nous ne travaillons pas à la chaîne, mais en silos. Pourriez-vous expliquer pourquoi et quelle sera selon vous, la prochaine révolution ?

Difficile de dire quelle sera la prochaine révolution, mais avec le taylorisme, nous voyons que les organisations sont conçues en fonction d’un modèle de gestion. Tout le monde veut atteindre le sommet et, au sommet, vous avez quelqu’un qui prend la décision finale. Ce sont des organisations en silos et hiérarchisées. Un modèle similaire à l’armée. Pour les structures actuelles, ce n’est pas le modèle idéal. Je ne crois pas qu’il faille le changer entièrement, mais nous devons en changer certains aspects. Beaucoup d’entreprises veulent être centrées sur l’utilisateur. Les gouvernements veulent être centrés sur les citoyens. Pour mettre les utilisateurs au centre des opérations, nous devons remettre en question ces silos. En effet, lorsque nous suivons le parcours de l’utilisateur au sein d’une organisation, il se heurte en permanence à des silos. Chaque passage d’un silo à l’autre est une rupture potentielle dans son expérience client. Donc il faut nous poser quelques questions : Comment pouvons-nous connecter ces silos ? Comment pouvons-nous les éliminer autant que possible ? Dans ce contexte, l’un des outils de base du Service Design, l’experience map, évolue pour devenir un outil de gestion. Une façon visuelle de gérer une organisation dont le client est au cœur de la conception.

Alors lorsque l’on est prêt, par où commencer ?

Selon moi, l’expérience des employés est le point crucial sur lequel il faut nous concentrer. Pour créer une expérience client exceptionnelle, on a besoin d’employés heureux. Si vous regardez d’où émergent les problèmes du client. Très souvent, ce n’est pas l’employé qui pose problème, mais le système dans lequel il évolue. Le système l’empêche souvent de faire évoluer les choses. C’est pourquoi nous devons nous concentrer sur ce point. Quand on parle de service Design, ou peu importe le nom qu’on lui donne, cela implique un changement de culture. La meilleure façon de déclencher ce changement débute par l’expérience des employés. Mettre l’accent sur leur engagement. Si les employés constatent que les petits problèmes auxquels ils sont confrontés quotidiennement peuvent être améliorés, ils comprennent que nous pouvons aussi le faire pour nos clients.

Diriez-vous que les agences de service design sont en concurrence avec les sociétés de conseil lorsque ces groupes commencent à se positionner en tant qu’entreprise de design ?

Ces dernières années, nous avons vu tellement d’acquisitions de grandes agences de design par des groupes de conseil que, bien sûr, elles peuvent dire « nous sommes des agences de design ». Les sociétés de conseil offrent maintenant du Service Design, de l’UX Design. Je ne pense pas qu’ils y aient vraiment une différence. Il y a des agences de service design médiocre. Il a de très bonnes agences de service design. Il y a des agences de conseil à fuir, quand d’autres sont excellentes. Tout dépend avec qui vous travaillez. C’est une question de compétences et d’expériences.

En termes de concurrence, de nombreuses entreprises sont en train de créer des pôles de Service Design. C’est d’ailleurs crucial de le faire. À long terme, ça va changer la relation agences, structures de conseil, entreprises. Si vous avez une équipe de spécialistes solide en interne, les agences seront appelées pour des projets plus précis, lorsqu’elles auront besoin d’un point de vue extérieur, lorsque qu’elles devront réduire leur équipe ou au contraire, avoir une équipe plus importante pour leurs projets. Je pense donc que la relation va changer. En fin de compte, tout dépendra des compétences et des outils.

Ce que nous constatons, c’est que les entreprises collaborent avec de nombreux partenaires et ces derniers font leur travail de manières différentes. Certaines agences médiocres pensent toujours qu’il s’agit de livrer des journey maps, mais ce n’est pas ça le service Design. Ce qui compte, ce ne sont pas les outils, mais les livrables. Nous voulons avoir un impact sur les clients, les utilisateurs, les employés. L’équipe interne est mieux équipée puisqu’elle travaille au sein de l’entreprise. Nous avons fini lorsque nous mettons en œuvre un projet. Lorsque vous travaillez au sein d’une structure, vous normalisez votre boîte à outils. Par exemple, vous vous mettez d’accord sur une façon de faire les journey maps. Peut-être que vous utilisez tous le même logiciel. Vous pouvez centraliser les experience maps de tous les projets que vous réalisez. Ce qui permet d’utiliser ces maps comme des outils de gestion. Parce que les grandes organisations travaillent avec des douzaines d’équipes de design. Les projets peuvent évoluer dans des directions différentes quand chaque équipe est autonome. Comment gérer une telle organisation ? Le journey map est un excellent outil pour cela. Si vous utilisez un outil numérique, vos différentes équipes de projet mettent à jour en permanence votre feuille de route. Vous avez une vision d’ensemble avec différents focus et toute l’équipe travaille dans une perspective centrée sur le client. Quand tout le monde travaille sur un même projet, à un niveau différent, on doit se parler. Les équipes internes, pour moi, c’est le principal concurrent des agences de design et des structures de conseil.

Et l’expérience Map dans tout ça ?

Je suis heureux ! Les gens comprennent enfin que les journey maps ne sont que des outils, pas des livrables. Pendant des années, nous avons vu des tas de belles cartes, et ça peut être utile dans certains cas. Nous en avons besoin pour la communication. Mais normalement, ces outils servent de base pour construire quelque chose. Pour cette raison, nous avons changé notre façon de parler du service design. Maintenant, nous parlons davantage de résultats. Nous mesurons l’impact que nous pouvons apporter.

Adam St John à la Masterclass This is Service Design Doing. Crédit photo : Pauline Thomas

J’aimerais beaucoup que vous nous disiez ce que le Design de Service ne peut pas résoudre.

Il y a des secteurs qui ont mis au point de très bons processus pour faire les choses. Si vous songez à construire une maison, vous allez choisir un architecte. L’architecte sait ce qu’il doit faire, et pour construire la maison, il est l’expert. Mais, le Design de Service pourrait l’aider à imaginer comment les gens utiliseront leurs maisons dans le futur par exemple. Si vous pensez aux logiciels, il faut des procédés robustes et des personnes capables de coder. Le Design de Service peut jouer un rôle auprès du maître d’ouvrage, qui aurait à présent les moyens de savoir ce que le client veut. Le Design de Service peut les aider à prendre des décisions plus éclairées. Il peut jouer un rôle dans de nombreux domaines. Mais nous devons tous comprendre quel rôle nous jouons, car l’objectif est de faire avancer les choses par la recherche et l’expérimentation ! Nous devons nous connecter aux experts, plutôt que d’essayer de les remplacer.

Quelle est la différence entre l’UX et le Service Design ?

Les gens commencent à comprendre qu’il n’y a pas une énorme différence entre l’UX et le Service Design. La différence, c’est le canal que nous utilisons. On voit l’UX comme une pratique centrée sur les interfaces. Mais si vous parlez à des collègues de la communauté UX, nombreux sont ceux qui ne se sont jamais limités à l’écran. Le numérique n’étant qu’une partie du parcours. Je suis très heureux de voir que la communauté UX fait demi-tour sur ce sujet. Les interfaces jouent un rôle important, mais nous devons comprendre l’ensemble du parcours à travers tous ses canaux. Durant les conférences, les gens voient que ce n’est pas si différent. Dans certaines entreprises, il y a des équipes d’UX, de Service Design, de Design Thinking. Ils se battent tous les uns contre les autres, mais ils font tous la même chose. Cela n’a aucun sens !

Crédit photo : Pauline Thomas

Alors, quelles sont les compétences requises pour être un bon Service Designer ?

Soyez avant tout un bon facilitateur. Les gens pensent souvent que tout se passe en atelier. C’est une idée fausse. Quatre-vingt-quinze pourcents du travail de Design de service se déroule en dehors. Notre principale mission consiste à connecter les gens. Créer des ponts entre les silos pour ouvrir de nouvelles perspectives. Nous devons améliorer la collaboration et inclure ces différents points de vue. Nous devons aussi prendre en compte l’aspect politique. Très important dans les entreprises. Un service Designer doit se demander : comment mon travail peut-il aider les gens à s’améliorer pour atteindre le succès recherché ? Il est difficile de faire travailler trois ou quatre équipes ensemble sur un projet. Pourquoi devraient-elles collaborer ? Notre travail consiste à faciliter ces processus.

En Service Design, que peut-on mesurer ?

Comme pour tous projets, le Service Design ne déroge pas à la règle. Il faut définir des KPIs, mais ceux-ci dépendent de l’entreprise et du projet. Dans tous les cas, il est important de se demander : que voulons-nous réaliser ?

Voici quelques exemples de critères qui peuvent être utilisés :

  • La satisfaction client
  • La satisfaction des employés
  • La simplification
  • La rétention
  • Les revenus
  • Durée d’un processus

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut commencer dans le Service design ?

Foncez ! Commencez là, maintenant. Ce dont vous avez besoin, c’est de l’expérience. Vous travaillez sur un projet, il n’est pas nécessaire que 100 % de ce projet soit du Design de Service. L’essentiel c’est de commencer et mon second conseil, rapprochez-vous de la communauté la plus proche de chez vous.

Pour aller plus loin :

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Gladys Diandoki
Le Laptop

I’m a UX writer interested by people, human centered and systemic experiences.