Comment j’ai monté une néobanque en 6 semaines — Episode 1
Cayenne — 8 Août 2017 8h07
Je prends mon café en contemplant l’ilet la Mère, au pied du mont Bourda, et me remémore ses instants de vie passés avec ma femme et ma fille en Amazonie lorsque quatre ans plus tôt je quittais Paris pour gérer une exploitation minière en Guyane.
J’avais 29 ans et démarrait déjà mon deuxième projet entrepreneurial. Avec la même conviction, la même ardeur que j’avais à la sortie de l’Essec.
J’ouvre mon iPad, et lis religieusement un article des Echos sur une loi européenne qui va bouleverser la relation qu’ont les banques avec leurs clients. Le journaliste fait une analyse édifiante : les banques sont désormais obligées d’ouvrir les données bancaires qu’elles protégeaient jusqu’alors jalousement. Et cela va permettre à de jeunes acteurs, les FinTech, de bâtir des services innovants et de créer la rupture dans la relation bancaire.
Une rupture qui s’inscrit dans un positionnement d’offre et de service “customer centric”, une tarification transparente et agressive, et surtout une désintermédiation profonde entre la consommation bancaire et le client final.
Cette loi s’appelle la DSP2. C’est la brêche dans la muraille bancaire.
Je pose mon café et reprends tranquillement mes activités.
Paris — 12 septembre 2017
Je viens de finir ma présentation (un slidedeck de 6 pages méticuleusement préparé dans l’avion) devant un VC expérimenté en guise de tour d’échauffement.
- “Des particuliers confieraient leurs identifiants à un acteur non bancaire pour gérer leurs économies à leur place ?
- Vous n’avez pas de banquier dans l’équipe (sous entendu vous ne connaissez rien à la FinTech)
- Vous ne savez pas vraiment comment vous positionner par rapport aux acteurs bancaires qui entretiennent des coûts d’acquisition tellement élevés que tout effort paraît vain sur ce segment (sous entendu vous n’avez pas de modèle de distribution)
- Vous voulez levez de d’argent? C’est trop early, créez un produit d’abord et démontrer la traction. (sous entendu, nous n’allons pas prendre le risque d’investir sur un concept qui n’a pas été prouvé)
Questions-réflexes de venture capitalist. Presque pavlovien…
La première question ne me fait pas peur. Elle traduit juste la méconnaissance de ce VC des nouveaux services bancaires sortis en Europe et aux US puisque des fintechs y font de l’agrégation depuis près de 10 ans. Le leader français revendique 1 million de téléchargements sur les stores et la moitié en utilisateurs actifs. Mais dans la mesure où c’est une question que nos utilisateurs pourraient se poser, je préfère étayer ma réponse. Pour les identifiants, nous allons revendiquer un niveau de sécurité inégalé en matière de néobanque : du chiffrement end-to-end, de la double authentification ludique et surtout une vocation à être encadré par l’ACPR et répondre à toutes les normes RTS (qui ne verront définitivement le jour qu’en novembre 2018).
On sera donc régulé par l’Europe et on aura un statut d’Account Information Service Provider (AISP).
Mes explications ésotériques sur la sécurité comme priorité absolue suffisent visiblement à clore le débat.
La deuxième question est balayée aussi vite que la première. C’est en forgeant que l’on devient forgeron, comme dit l’adage. C’est en faisant de la Fintech qu’on va disrupter ces vieilles dames riches que sont les banques. Chez Yeeld, nous ne cherchons pas de banquier qui souhaite reproduire leur schéma, avec leurs méthodes corporate centric, plaçant leurs bonus (ou leur 13ème mois lorsqu’ils sont en agence) au dessus de l’intérêt de leurs clients. Et en terme d’expertise, on ne veut surtout pas que notre app ressemble à celle de la Société Générale, nous n’avons pas les mêmes références (au passage, on recrute des data scientists, des dev et des designers passionnés, hello@yeeld.fr). Next question ?
La troisième question est plus surprenante de la part d’un VC qui devrait avoir l’habitude d’observer des startups. Il est évident qu’une Fintech ne va pas s’aligner sur le budget d’acquisition d’une banque qui doit tourner autour de 400€/client. Nous devons donc trouver un modèle de lean marketing permettant de démontrer une capacité à convaincre d’utiliser notre service sans que cela ne coûte des sommes exorbitantes: cela s’appelle le Growth Hacking et cela fait déjà quelques temps que le terme a émergé…
La dernière question posée est la plus symptomatique du paradoxe du financement des startups en France. Un problème structurel et culturel: on veut une prime de risque maximale sans prendre le moindre risque.
Prochain épisode: comment répondre à cette dernière question et réussir sa première levée de fonds.