La France, enfin prête pour devenir une startup nation ?

Il semblerait que de nombreux indices soient réunis pour désormais le dire

Sébastien Louradour
Yellow Vision
9 min readSep 6, 2017

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Il y a 10 ans encore, lancer une startup en France relevait au mieux du courage, au pire du suicide. Mais en 10 ans, beaucoup de chemin a été fait. Que ce soit sur le plan légal, en termes de financement, ou bien dans les talents à disposition, il semblerait que les conditions n’aient jamais été meilleures pour devenir entrepreneur en France.

reasons to like France

Un terrain légal qui favorise l’émergence des petites sociétés

Crée en 2009, le statut d’auto-entrepreneur (devenu depuis le régime du micro-entrepreneur) permet aux businessmen en herbe de tester leur marché sans s’engager dans des démarches administratives trop lourdes. Trente minutes suffisent désormais pour s’inscrire en ligne, et recevoir deux semaines plus tard son numéro de SIRET.

Si l’activité se développe, l’étape suivante en toute logique est de fonder une SAS, ou Société par Action Simplifiée. Là encore, la France offre un outil légal très puissant pour les startups. En effet, le statut de SAS est non seulement très simple à mettre en place, mais offre également une liberté contractuelle très adaptée aux spécificités que va rencontrer une startup au cours de sa vie : répartition du pouvoir, entrée de nouveaux actionnaires au capital, etc.

De nombreuses startups crées pour accompagner… les startups

Quand un entrepreneur pense « légal », il pense généralement aux coûts. De ce point de vue-là, les avocats français sont significativement moins chers que leurs homologues américains, une donnée à garder en tête. Mais au lancement, chaque euro compte et c’est pourquoi de nombreuses initiatives visent à apporter les fonctions support à l’entrepreneur à coût réduit. On pourra notamment retenir Legal Start pour la création de société, Captain Contrat pour les documents juridiques ou même Fred de la compta pour ce qui est de la comptabilité. Mention spéciale à Jurismatic, une effort collaboratif et 100% gratuit qui met à disposition toute la doc légale et open source pour les startups.

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Une justice protectrice pour les jeunes entreprises

Enfin, un des avantages majeurs de l’hexagone pour les fondateurs de projets techniques est l’absence de patent trolls. Le patent troll est une personne ou une société qui poursuit en justice uns startup sur des bases fallacieuses avec pour objectif d’en tirer de l’argent. Ce type de pratique est monnaie courante aux Etats-Unis, où le coût d’un procès décourage souvent les startups qui préfèrent payer dans le cadre d’un arrangement à l’amiable plutôt que d’aller devant le juge. En France, notre système juridique protège mieux les entrepreneurs contre ce type d’attaques.

Il est donc raisonnable de dire que la France a un système légal qui favorise l’émergence des startups, et en particulier comparé aux USA.

Un circuit de financement qui se structure et se renforce

L’évolution positive que connaît la France est encore plus frappante quand on regarde l’état du financement des startups en France en 2017. Et parce qu’une image vaut mille mots, le graphe ci-dessous capture bien ce changement saisissant (source).

En pre-seed, il est de notoriété commune que la France manque de financeurs privés, autrement dit de business angels. En particulier comparé au Royaume-Uni, les incitations fiscales sont relativement faibles sur ce type d’investissement. Mais c’est sans compter sur notre Etat Providence et ses deux bras financiers : BPI France et aux URSSAF (par l’intermédiaire de Pôle Emploi). BPI France, la Banque Publique d’Investissement, joue par défaut ce rôle crucial de premier financeur avec une multitude de subventions et de prêts bonifiés. Par exemple, la fameuse Bourse French Tech couvre jusqu`à 45 000€ des coûts de lancement pour une startup, soit un coup de pouce plus que significatif pour une jeune pousse. Quant aux URSSAF, le système d’indemnisation du chômage français, ils permettent à une personne qui quitte son emploi salarié pour fonder une startup de bénéficier de près de 60% de son salaire pendant 2 ans. Lire à ce sujet l’excellent article d’Usine Digitale. Bien que cette pratique se situe dans une « zone grise » légale, elle a permis à des milliers d’entrepreneurs de développer leur projet pour aller potentiellement jusqu’à un seed.

Les startups françaises peuvent désormais prétendre à du financement du seed à la Series B

Le seed funding a connu une montée en force spectaculaire en France ces dernières années, avec la multiplication de fonds dédiés comme ISAI Seed Club, Kima Ventures ou plus récemment Iron Capital. Quant aux financements en Series A et B, ils sont maintenant bien organisés avec un tissu étroit d’acteurs bien établis : 360, Iris, Idinvest, Serena, etc. Après la Series B, les financements nationaux s’étiolent et il faut aller chercher par-delà les frontières des fonds désireux de suivre l’aventure. Et les Français deviennent meilleurs chaque année à ce jeu-là : entre 2015 et 2017, les français Algolia, BlaBlaCar et Zenly ont levé des montant considérables auprès de VC anglais et américains. Des succès abondamment relayés et qui ouvrent la voie pour les jeunes pousses de la FrenchTech.

Toujours difficile néanmoins de réaliser une exit

Le seul point noir en France demeure la question des exits. En effet, tout le circuit de financement d’une startup repose sur la possibilité pour les investisseurs de « sortir » quand la startup se fait racheter (acquisition) ou rentre en Bourse (IPO), et de réaliser ainsi leur retour sur investissement. On a tous en tête l’IPO de Criteo en 2013, et depuis, pas grand-chose. Côté acquisitions, les grands groupes français sont encore timides sur le sujet, à l’exception de quelques acteurs courageux qui prennent des risques et investissent. Entre 2016 et 2017, AccorHotels a par exemple acquis John Paul, OneFineStay, VeryChic, et Availpro (source). Il faut du temps mais les consciences s’éveillent, les comités exécutifs évoluent, et il y a fort à parier que les prochaines années vont voir une agressivité croissante du M&A par les acteurs du CAC40 français.

Une nouvelle génération de talents globalisés, compétents et data-centric

Si l’infrastructure légale et de financement de l’écosystème s’est sensiblement améliorée, qu’en est-il des talents qui composent ce dernier ?

Le premier constat est une hausse sensible de la qualité des projets développés par les startupers français. La nouvelle génération d’entrepreneurs a appris de ses aînés. À une vision parfois romantique et naïve de l’inventeur dans son garage, ils y substituent une approche méthodique et structurée, et in fine plus professionnelle. Parce qu’ils sont désormais à l’aise en anglais, les nouveaux entrepreneurs français peuvent directement s’abreuver à la source et s’approprier gratuitement les codes de la Silicon Valley sur SaaStr, Coelevate, ou l’iconique Startup Class de Sam Altman. Cette professionnalisation du métier de « startuper » est un vecteur fort de la montée en puissance de l’écosystème français.

Une attractivité de plus en plus forte auprès des jeunes talents

A mesure que les startups deviennent « à la mode », on observe également une réorientation des talents et du système éducatif vers cette nouvelle « industrie ». Les grandes écoles de commerce par exemple alimentent traditionnellement les grands groupes en managers, banquiers et consultants. Désormais, non seulement HEC, ESSEC et l’EMLYON proposent des spécialisations « Startups », mais les têtes de promos qui auparavant allaient grossir les rangs de Goldman Sachs ou McKinsey choisissent désormais de lancer leur startup. Bien que les volumes en question demeurent modestes, c’est une tendance croissante qui marque une évolution culturelle.

L’intelligence artificielle va être le champ de bataille des startups pour les dix prochaines années, c’est un fait. Or les data scientists sont une ressource extrêmement rare sur le marché du travail. Il se trouve que la France, par un heureux hasard historique, fait partie des quelques pays avec les USA, le Canada, le Royaume-Uni et la Chine à former chaque année des data scientists de très haut niveau. L’excellence de l’école mathématique française est reconnue à travers le monde, en témoigne la foule d’ingénieurs français qui prospèrent en Silicon Valley. Cette main d’œuvre ultra-qualifiée est un avantage concurrentiel stratégique pour les startups françaises, et ce d’autant plus qu’un data scientist français est peu cher payé par rapport à son homologue californien — le salaire de base pour un data scientist chez Google (hors bonus, primes, stock options et bénéfices) étant de $160,000.

L’entrepreneur autodidacte et milliardaire Mark Cuban a déclaré en mars 2017 : « Le premier trillionaire sera un entrepreneur dans l’intelligence artificielle. ». Avec l’émergence d’une nouvelle génération de startupers plus globalisée, plus professionnelle et centrée sur la data science, la France pourrait bien être la terre de naissance — ou d’accueil — des futurs licornes de l’IA.

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Un contexte politique et géopolitique porteur pour la FrenchTech

Bien souvent, le timing est l’élément clé. Et dans le cas présent, le timing est idéal pour la France. Pour planter le décor, le tableau ci-dessous classe Paris au 11ème rang des écosystèmes startup dans le monde et 3ème au niveau européen (source).

Le 23 juin 2016, les Britanniques ont voté pour sortir de l’Union Européenne. Jusqu’alors, le Royaume-Uni était le centre incontesté de l’écosystème startup en Europe. Avec le Brexit, les choses changent : contraintes fortes sur l’immigration, fin de l’accès au marché unique, autant d’éléments qui agissent comme des repoussoirs sur des entrepreneurs indiens, chinois ou américains désireux de s’établir en Europe. Même son de cloche de l’autre côté de l’Atlantique : l’élection de Donald Trump à la présidence fin 2016 et la suppression par ce dernier du startup visa initié par Obama ferme les portes de l’Amérique aux entrepreneurs étrangers. Tout le contraire de la France, qui a lancé en juin dernier son Startup Visa pour accueillir les talents tech venus du monde entier. En l’espace d’un an, la France a bondi en tête des options à considérer pour un startuper itinérant.

Dans cette compétition internationale, la France dispose d’un autre atout : sa centralisation. La concentration des activités, des financements et des talents est une condition nécessaire à l’émergence d’un écosystème startup de premier ordre. C’est le cas en Silicon Valley, à Tel Aviv, à Singapour et à Shanghai. C’est aussi le cas en France, où Paris concentre sur elle l’essentiel des universités et grandes écoles, des sièges des grands groupes, des fonds de capital-risque et des médias. Ce caractère macrocéphale de la France hérité d’une tradition jacobine, et que dénonçait Jean-François Gravier en 1947 dans Paris et le désert français devient ici une force. La France, championne des effets de réseaux et des synergies !

Enfin, la France, c’est sexy. La France, et en particulier Paris, continue de faire rêver. La récente élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République renforce cette image de la France moderne et connectée. À la façon de Justin Trudeau au Canada, Macron est jeune, il Tweete, il parle anglais, et il comprend les startups. De la même façon, le lancement de Vivatech en 2016 et de Station F en 2017 propulsent un peu plus Paris sur le devant de la scène internationale et consacrent la France comme le cœur de la tech européenne.

Conclusion : la France, future startup nation ?

Depuis quelques années, les Français — chose rare — se félicitent des progrès effectués par l’écosystème startup. Au vu des progrès effectués ces dix dernières années, c’est légitime. Certains osent même parler de « startup nation » du bout des lèvres. Mais pour mériter ce qualificatif, il va falloir délivrer sur un dernier point : des exits régulières, nombreuses et massives. Avec tous les indicateurs au vert, il est temps !

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Sébastien Louradour
Yellow Vision

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