La géolocalisation, un outil qui nous a rendus idiots ?

Ariane Ville
Yellow Vision
Published in
3 min readApr 16, 2017

La question était déjà posée au moment de l’invention de l’imprimerie : cette nouvelle technologie qui nous donne la capacité de fixer sur un support un ensemble de connaissance nous rend-elle idiot en supprimant nos habitudes de mémorisation et de transmission orale ?

Elle se repose en des termes à peu près équivalents aujourd’hui : la capacité que nous offre le monde digital de nous situer dans l’espace avec une relativement bonne précision, de nous guider d’un point vers un autre sans que nous ayons à vraiment réfléchir, ce mode « auto-pilote » est-il en train de nous dépourvoir de nos réflexes situationnels ?

Les erreurs de la machine

Un des problèmes de s’en remettre à l’intelligence de la machine pour nous guider dans l’espace tient aux confusions qu’il lui arrive de faire. Tout comme les traducteurs automatiques qui ratent parfois un élément du contexte, ce qui rend le résultat de leur traduction absurde, il arrive à Google Maps de nous envoyer balader, littéralement. Les exemples sont nombreux.

La leçon préliminaire est donc de ne jamais compromettre notre esprit critique, et toujours mettre en regard l’itinéraire proposé par la machine et les indices que nous fournit le monde physique.

L’écran nous happe hors du monde

Cette première remarque nous conduit tout droit au deuxième problème de l’utilisation répétitive du GPS dans notre quotidien : l’écran nous captive tellement qu’il nous aspire hors du monde qui nous entoure. Toutes les informations que nous avions l’habitude de recueillir par l’observation des alentours — une boulangerie appétissante qui marque l’endroit où il faut tourner, un joli parc, un poteau de signalisation dangereusement rigide qui se dresse sur le trottoir où nous marchons — tous ces indices nous échappent quand nous avons les yeux rivés sur un petit écran. Nous arrivons en général de manière efficace jusqu’au point B, mais nous n’avons pas véritablement vécu le déplacement entre A et B. La situation est similaire à celle du passager en voiture, qui est immanquablement moins à-même que le conducteur du véhicule de reproduire le trajet qu’il vient de faire, puisqu’il est dans une attitude plus passive que ce-dernier.

Perte de notre agilité spatiale

Qu’en est-il à plus long terme de l’atrophie de nos capacités neuronales à nous repérer dans l’espace ? Les scientifiques sont formels, atrophie il y a. Plus nous utilisons notre capacité à nous repérer dans l’espace, plus celle-ci s’améliore. Et la réciproque est malheureusement vraie. Les cas se multiplient dans les zones montagneuses, où des randonneurs peu prévoyants se retrouvent incapables de trouver leur chemin suite à une batterie de smartphone déchargée, incapables de lire les cartes IGN.

Un monde auto-centré

Enfin, une implication plus philosophique de notre recours systématique au GPS est qu’il nous habitue à une image du monde qui nous place systématiquement au centre de la réalité observée. Plutôt que de faire le travail de décryptage du monde qui nous entoure, et de savoir nous placer dans sa représentation symbolique (la carte papier), le GPS nous fait contempler par défaut un monde dont le centre est invariablement nous-même.

Perte de notre agilité spatiale

Le bilan n’est bien sûr pas complètement négatif pour le recours à la représentation digitale du monde physique. Tout comme l’imprimerie est venue soulager notre mémoire (capacité brute à emmagasiner des connaissances) en nous permettant un retour réflexif et agile sur les connaissances stockées dans les livres, les cartes digitales représentent un énorme pas en avant, en particulier grâce à la représentation des données en temps réel qu’elles permettent. Il est bien pratique de savoir qu’un bouchon sur telle route rend un autre itinéraire bien plus efficace. Au-delà des applications pour notre quotidien, d’énormes progrès seront possibles à l’échelle de la ville grâce à la collecte et à la visualisation des données sur une carte digitale : amélioration du trafic routier, de la répartition des flux de transports en commun, meilleure compréhension des dynamiques sociales et des disparités entre quartier, optimisation de l’accès aux services. Il semble donc que la combinaison idéale soit d’une part, un réengagement des personnes avec leur environnement physique par l’observation active, et d’autre part, la multiplication des capteurs de façon à collecter toujours plus de données pour une meilleure modélisation digitale du monde physique et un retour actif sur lui.

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