Laurent Alexandre : la France pourrait devenir une colonie des GAFA

Laurent Alexandre, Chirurgien et cofondateur de Doctissimo a livré devant un public clairsemé de sénateurs sa vision de l’impact de l’intelligence artificielle dans les années à venir. Autant le dire, il est grand temps de se réveiller…

Sébastien Louradour
Yellow Vision
4 min readFeb 2, 2017

--

Invité le 19 janvier par le Sénat à une audition publique sur l’intelligence artificielle, Laurent Alexandre n’y est pas allé par quatre chemins pour dénoncer l’inaction politique dans ce domaine tout comme la naïveté totale de l’Europe face à la vague de l’intelligence artificielle, son impact sur l’emploi et la mise en péril de la souveraineté numérique des Etats au profit d’entreprises de la tech toutes puissantes, les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

En guise d’introduction, il annonce sans détour qu’en matière d’intelligence artificielle (IA), nous sommes un pays du tiers monde. Nous savons exporter des cerveaux qui travaillent pour Google ou Apple mais 65 millions de nos concitoyens passent en revanche leur journée à importer de l’intelligence artificielle à travers leurs applications : Siri, Google Photos, etc. Pour l’instant, la part d’IA dans les apps est encore faible, mais les GAFA sont prêts à l’intégrer massivement dans leurs services. Vu comme ça, la balance commerciale semble en effet très déséquilibrée. Pour être tout à fait exact, l’intelligence artificielle telle que nous la connaissons aujourd’hui n’en est qu’à ses débuts, et nous sommes encore à des décennies d’une IA forte, c’est à dire consciente d’elle même comme le précise le médecin. En revanche l’IA qui se développe aujourd’hui (“l’IA faible”) autour de services dont les prémices sont Amazon Echo pourrait avoir des conséquences économiques et sociales très importantes.

L’IA va être gratuite face à l’intelligence biologique

Les conséquences en termes d’emplois pourraient être colossales pronostique Laurent Alexandre. N’existeront selon lui plus que deux types de métiers : les métiers de substitution et les métiers complémentaires. Les métiers de substitution corresponderont aux métiers entrant directement en compétition avec l’IA, et qui pourraient à terme se retrouver totalement remplacés par celle-ci. Les métiers complémentaires quant à eux seront capables de créer de l’IA ou de co-exister avec, et pourraient voir leur valeur substantiellement augmenter.

Nous sommes selon lui devenus “les idiots utiles de l’intelligence artificielle en mettant chaque jour 10 milliards de photos gratuitement à disposition sur la nébuleuse Facebook, Messenger, et Whatsapp”

Mais au delà de cette transformation radicale du marché du travail, les pays européens ont pris un retard abyssal face aux Google et autres Apple selon celui qui fut un temps secrétaire national du parti politique lancé par Alain Madelin. Ces entreprises ont en effet créé des plateformes recueillant les données de milliards d’utilisateurs leur permettant d’entraîner leurs réseaux de neurones et d’alimenter leur machine learning à une vitesse qu’aucun autre ne peut aujourd’hui égaler.

Au final, en utilisant ces plateformes, nous sommes selon lui devenus “les idiots utiles de l’intelligence artificielle en mettant chaque jour 10 milliards de photos gratuitement à disposition sur la nébuleuse Facebook, Messenger, et Whatsapp”. Or si l’Europe n’est pas en mesure de créer de telles plateformes, face aux Etats-Unis ou la Chine, celle-ci pourrait devenir une colonie numérique des GAFA”.

Le secteur tertiaire encore plus en danger que le secteur industriel

Si on a longtemps pu croire que la robotisation allait la première supprimer des emplois, notamment industriels, Laurent Alexandre précise que l’IA n’aura pas une croissance exponentielle dans ce domaine notamment à cause des complexités mécaniques à prendre en compte.

En revanche, l’intelligence artificielle tertiaire sans robot peut avoir une croissance exponentielle et des conséquences sur l’ensemble du secteur des services. Et dans ce domaine, il insiste sur le fait que ce ne sont pas seulement les chauffeurs Uber qui vont être concernés, les métiers très qualifiés pourront également l’être. Les médecins pourraient par exemple se faire bousculer par des algorithmes capables de réaliser des analyses comportants des téraoctets de données relatives à l’ADN, mettant au second plan les diagnostics réalisés par le corps médical.

“dans 50 ans on a Metropolis et dans 100 ans on a Matrix”

Insistant sur le fait que tout métier entrant en concurrence avec l’IA sera par définition supprimé, il rappelle l’importance de former dès à présent les jeunes à des métiers qui seront complémentaires avec l’IA.

Enfin, le chirurgien annonce sans détour que si l’on attribue aux travailleurs n’occupant pas des métiers complémentaires à l’IA un revenu universel, “dans 50 ans on a Metropolis et dans 100 ans on a Matrix”. Visiblement, intelligence artificielle et science fiction font encore très bon ménage dans les débats sur l’avenir de nos sociétés technologiques.

Mais sinon, on fait quoi ?

Au delà de ce tableau noir dressé (volontairement ?) en direction des élus de la République, de nombreux indices donnent à penser que tout n’est pas encore joué. Premièrement, la data est en effet une ressource significative pour faire apprendre un réseau de neurones, mais celle-ci est de plus en plus facilement accessible même pour des acteurs de la taille d’une startup. Cela signifie in fine que l’IA n’est pas nécessairement la chasse gardée des GAFA. C’est en tous cas la théorie développée par l’influent VC Marc Andreessen au cours de Tech Crunch Disrupt 2016.

La data est en effet une ressource significative pour faire apprendre un réseau de neurones, mais celle-ci est de plus en plus facilement accessible même pour des acteurs de la taille d’une startup

Ensuite les talents français qui partent en masse vers la Silicon Valley ne sont pas encore tous partis, et la qualité de recherche de certains laboratoires français n’a rien à envier à ceux basés outre-Atlantique. Il n’y a qu’à voir à ce propos le travail réalisé par le Limsi sur le campus de Saclay.

Enfin, l’impact de l’IA dans nos vies quotidiennes pourrait significativement améliorer nos conditions de santé, réduire les risques d’accidents de la route, alléger les travailleurs de tâches ingrates ou répétitives ou anticiper nos besoins, bref changer nos vies, en mieux.

Originally published at yellowvision.fr on February 2, 2017.

--

--

Sébastien Louradour
Yellow Vision

#French Government Fellow #AI team @WorldEconomicForum #TechPolicy #C4IR