Walt Disney, idéologue du futur

Lilas D.
Yellow Vision
Published in
4 min readJul 16, 2018

On associe souvent, avec un brin de nostalgie, les parcs d’attraction à l’enfance. Mais au-delà de l’émerveillement, ils sont aussi porteurs de visions futuristes et utopiques.

Volontiers associés à de purs moments de divertissement pour les visiteurs, les parcs d’attraction sont aussi au coeur d’un juteux business. Selon le cabinet d’intelligence spécialisé The Park Database, les tauliers du secteur comme Universal ou Disney peuvent débourser entre 30 et 100 millions de dollars pour une nouvelle attraction.

Certes, l’investissement paraît plutôt justifié, puisque chacun de ces parcs attire des dizaines de millions de visiteurs par an (20,45 millions pour Disney World aux États-Unis en 2017, selon Statista). Mais au-delà du pur divertissement et de la foire aux produits dérivés, ces complexes fonctionnent aussi comme des univers à part entière, où se testent grandeur nature les visions du futur de leurs créateurs.

Walt Disney, visionnaire

C’est le père de Mickey Mouse, Walt Disney, qui a donné au parc d’attractions ses lettres de noblesse. Il est en effet le premier à penser le parc d’attractions comme un monde à part entière. En 1955 ouvre Disneyland, qui mixe deux univers : un traditionnel, répliquant une ville du XIXe siècle avec des trains à vapeur et rappelant l’imaginaire de la conquête de l’ouest, et l’autre très futuriste, qui inspirera “Tomorrow Land” (un monde dédié à la conquête spatiale dès les années 1950 en pleine guerre froide). L’occasion pour Walt Disney, qui est devenu passionné d’urbanisme et de nouvelles technologies, d’exprimer certaines de ses aspirations pour l’avenir. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’en 1964, lors de l’exposition universelle à New York, Disney inaugure une ribambelle d’innovations dans le pavillon américain. Dans un article très documenté, Ian Bogost, auteur et professeur de media studies et game design à l’université de Georgia Tech, relate les progrès de Disney : “Des robots électromécaniques, une salle de cinéma rotative sponsorisée par General Electric et appelée “Progressland”. Enfin, un train imaginé dans les années 1930 par Walt Disney (The PeopleMover) fait également sa première apparition en grande pompe dans le complexe Disneyland.”

EPCOT réinvente le quotidien par la technologie

Mais Walt Disney va encore plus loin. Dès 1959, déçu de ne pouvoir contrôler la spéculation immobilière autour de Disneyland, il se met en quête d’un lieu où il pourra inventer un véritable monde : ce sera Disney World, à Orlando (le parc ouvre ses portes quelques années après sa mort, en 1971). Walt Disney aura passé les dernières années de sa vie à imaginer une communauté futuriste baptisée EPCOT (Experimental Prototype Community of Tomorrow). Son but ? Réinventer le quotidien à travers la technologie. L’idée était d’en faire une ville d’un nouveau genre et une rampe de lancement pour tester des innovations. Après sa mort en 1966, son frère Roy tente de poursuivre le projet au sein du parc d’attractions de Disney World, mais cette ville du futur ne verra jamais le jour. En 1982, le parc à thème EPCOT ouvre à Disney World ; il célèbre les exploits de l’Humanité, de la conquête spatiale aux pavillons nationaux et a presque des airs de mini expo universelle.

De Disney World à Westworld ?

En un sens, Walt Disney s’est ni plus ni moins servi de ses parcs d’attractions pour faire du design spéculatif. Comme l’auteur de science-fiction américain Bruce Sterling l’expliquait en 2005 : “Le design spéculatif combine des extrapolations hypothétiques et informées du développement d’une technologie émergente avec une conscience profonde du paysage culturel dans laquelle elle pourrait être déployée, afin de réfléchir produits, systèmes et services futurs.” Aujourd’hui, c’est un parc d’attractions de fiction qui reprend le flambeau.

La série de science-fiction Westworld, adaptée du film éponyme de 1973 par la chaîne américaine HBO, imagine un parc d’attractions futuriste recréant l’univers de l’Ouest américain du XIXe siècle — un cadre décidément populaire. Le parc est peuplé d’androïdes, appelés « hôtes » (hosts), qui suivent chacun des fils narratifs liés à l’univers. Chaque jour, les visiteurs du parc peuvent participer aux scénarios spécialement écrits pour eux et interagir avec les personnages du parc sans aucune conséquence. Après une première saison dédiée à la notion de conscience de l’intelligence artificielle, la seconde saison déploie un arc narratif où l’on découvre que les concepteurs du parc collectent des données sur les visiteurs, afin de leur proposer une expérience toujours plus personnalisée… mais aussi de leur promettre la vie éternelle. Westworld fait le pari que, dans un parc d’attractions (a fortiori quand il est ultra-réaliste), on est complètement soi-même, sans jugement, sans retenue et sans crainte. Le cadre idéal pour recueillir les détails qui font vraiment une personne, et pouvoir les faire survivre dans une enveloppe corporelle à son image. Le parc d’attraction, première étape vers la vie éternelle ?

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