Hillsborough, justice rendue.

Yohan Mizzi
Yohan Mizzi
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6 min readApr 29, 2016
Une jeune supportrice des Reds devant le mémorial des 96 victimes.

C’était il y a vingt-sept ans déjà, mais la mémoire des 96 victimes du drame d’Hillsborough n’a jamais été oubliée par tous les fans de Liverpool. Un drame qui donnera suite à l’enquête judiciaire la plus longue de l’histoire d’Outre-Manche, dont le verdict a été rendu ce 26 avril 2016. Une enquête où les familles des victimes n’ont jamais lâché l’affaire, jusqu’à obtenir la vérité.

Le drame

Le 15 avril 1989, dans le stade de Hillsborough, les Reds de Liverpool rencontraient Nottingham Forrest pour les demi-finales de la Coupe d’Angleterre. Une époque où la police britannique était obsédée par les hooligans et où les supporters étaient parqués, souvent debout et déchaînés, dans des espaces grillagés, pour éviter tout débordement et affrontements. Mais ce jour-là, des erreurs dans la gestion de la foule liverpuldienne ont conduit deux fois trop de supporters de Liverpool dans la partie qui leur était réservée.

Un peu plus de 10 000 fans des Reds ont été forcés de passer par seulement sept tourniquets. Face à la lenteur de l’entrée de tous les supporters, la police a décidé d’ouvrir une porte, laissant donc la foule se diriger en masse vers la tribune inférieure. Petit à petit, la foule s’est entassée. Le nombre de personnes dans la tribune est inconcevable, incapables de bouger, les choses ont empirées. Le coup d’envoi du match est donné à 15h, avant que la rencontre soit interrompue à 15h06 car des supporters se sont échappés de leur tribune par une brèche dans le grillage. La situation dégénère, la panique commence à se faire ressentir et va entraîner un énorme mouvement de foules dans la tribune accueillant le double du nombre de personnes prévues. Ce mouvement de foule va être meurtrier. Certains supporters arrivent à échapper à l’entassement et à l’écrasement en se hissant sur la tribune supérieure grâce à l’aide des supporters présents au-dessus d’eux. Mais malheureusement, 96 personnes vont y perdre la vie. Une partie d’entre eux ont été écrasés contre les grillages, d’autres ont succombé à l’asphyxie et d’autres ont péris suite à leurs blessures.

Les services médicaux ainsi que les supporters valides, ont aidés du mieux possible avec des moyens rudimentaires. Des réanimations à main nues sont tentées sur les victimes, les panneaux publicitaires sont utilisés comme brancards pour éloigner les blessés de la tribune meurtrière tandis que le gymnase de Sheffield, lui, servira temporairement de morgue.

La police, débordée par l’ampleur de la foule et complètement obsédée par le risque des débordements, avait refusée de rouvrir les portes pour allégée la tribune avant le début du match. Une décision fatale. Au total, 96 supporters de Liverpool, âgés de 10 à 68 ans, sont morts de manières épouvantables alors qu’ils venaient simplement encourager leur club.

La polémique “The Truth”

Quelques jours seulement après le drame, la police a tenté de faire porter la responsabilité aux supporters de Liverpool. Après avoir obtenu le témoignage anonyme d’un policier, le Sun a publié un article aussi choquant que faux : “ Des supporters ont fait les poches des victimes. D’autres ont uriné sur les courageux policiers. D’autres ont frappé des policiers qui faisaient du bouche-à-bouche aux victimes […] et d’autres abusaient d’une morte. ” A la suite de cet article choc, le système judiciaire s’est refermé sur les familles des victimes. L’enquête initiale avait conclu à une mort accidentelle et la version de la police avait été acceptée.

Le gouvernement suit alors la police. Bernard Ingham, porte-parole de Margaret Thatcher, déclare les supporters des Reds comme une « horde enivrée » coupable de cette tragédie.

Après ça, le journal a donc été boycotté par la plupart des points de ventes de presse de Liverpool, beaucoup d’entre eux allant même jusqu’à refuser de stocker le moindre journal. De nombreux lecteurs de la ville vont, eux, annulé leur abonnement et ont arrêté de fréquenter les points de presse distribuant encore ce journal.

Des décennies de mensonges

Le comportement de la police après le drame est aussi choquant, pour accabler les supporters, des tests d’alcoolémie ont été menés sur les cadavres, y compris sur les enfants. Les tests étant tous négatifs, les policiers ont ensuite cherché dans leurs fichiers des éléments pour ternir le plus de réputation possible sur l’ensemble des fans présents. Enfin, ils ont été jusqu’à trafiquer des témoignages. Selon le rapport, les policiers ont censurés, amendés 164 procès-verbaux, dont 116 s’en prenaient explicitement à eux.

“ La scandaleuse vérité, c’est que durant la majorité des vingt-sept années qui se sont écoulées depuis le drame, nous, les familles, les survivants et les supporters, nous avons été systématiquement harcelés, intimidés et manipulés avec perfidie. On nous a menti et on a menti sur nous. ” La soeur d’une victime.

En 2004, le tabloïd “The Sun” détenu par Rupert Murdoch, haïs depuis par tout le peuple rouge, avait fini par reconnaître son erreur, “la plus terrible erreur de son histoire.”

Le dénouement

En 2012, un rapport rendu par une commission indépendante (créée en 2009 par Gordon Brown) avait permis d’affirmer que ces témoignages de policiers avaient pour unique but de faire porter l’entière responsabilité de la tragédie sur les épaules des fans des Reds, provoquant un immense scandale dans le pays.

En Mars 2015, la thèse du complot a été confirmée grâce aux affirmations du chef chargé de la sécurité du stade ce jour-là. Aujourd’hui âgé de 70 ans, David Duckenfield a tout simplement avoué avoir menti : « Tout le monde connaît la vérité, les supporters et la police connaissent la vérité, nous avons ouvert ces portes ”, a confié le retraité qui a reconnu « une grave erreur ” avant de présenter ses excuses.

Enfin, après 27 années de combats, les supporters du club de la Mersey ont été exonérés de toutes responsabilités dans cette affaire. La police a donc été jugée responsable à part entière dans cette tragédie. Pour les fans et les familles de Liverpool, c’est la fin d’un très long et éprouvant combat. Le club réclamait depuis des années la vérité. Cette “ vérité ” (“ The Truth ”) que croyait détenir le Sun.

“ Je voudrais rendre hommage au courage extraordinaire des militants de Hillsborough dans leur longue quête de la vérité. ” David Cameron.

Après l’annonce du verdict final de l’enquête sur le drame de Hillsborough, les familles des victimes se sont réunies devant le tribunal de la ville, entonnant leur chant de cœur, le célèbre hymne du Liverpool Football Club : “ You’ll never walk alone ”. Ce n’était pas le plus bel hymne entendu dans la ville musicalement parlant mais c’était surement le plus fort émotionnellement. Les larmes des familles se mélangeaient à leurs sourires de soulagement et à leurs deuils. Un rassemblement marquant l’extraordinaire victoire de ces familles qui se sont battues pendant plus de 27 ans contre un système judiciaire britannique entièrement tourné contre eux.

A l’image de leur club de cœur, les 96 supporters disparus n’ont jamais marché seuls.

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