Design thinking, pensée créative ou culture de l’innovation ?
by Évolt
Le design est manifestement un « sujet chaud ». Pour comprendre cet engouement, il faut se référer à une ligne de force qui traverse notre société depuis quelques années : le renversement de la vision de l’innovation.
La conception largement dominante de l’innovation jusqu’au début des années 2000 se fonde sur un cycle doublement « descendant », de la recherche à l’application industrielle et, du centre de R&D de l’entreprise vers le marché. Aujourd’hui, le cycle de l’innovation se fonde sur l’utilisateur (à ne pas confondre avec le marché) et sur l’apport d’une solution opérationnelle et la plus immédiate possible à un problème concret. Nous sommes donc désormais dans une logique de pilotage par l’aval et d’expérimentation. Cette nouvelle manière de faire s’accompagne le plus souvent d’une approche globale, c’est-à-dire de la prise en compte de l’ensemble des impacts, y compris à long terme, des solutions proposées.
A quoi sert le design ?
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Au-delà de la position de l’utilisateur, il y a dans le savoir-faire du design un certain nombre d’éléments clés en forte résonance avec les nouvelles manières de faire en matière d’innovation.
L’importance de l’hybridation, de la complémentarité des cultures et des compétences ainsi que la transversalité
Le design, c’est l’art d’articuler des regards différents afin de dégager une vision globale et renouvelée du sujet traité.
L’expérimentation des solutions le plus en amont possible
Contrairement aux formes traditionnelles d’innovation, il ne s’agit plus de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche » avant de passer à l’acte. Il faut, au contraire, expérimenter le plus en amont possible. Cela ne remet pas en cause l’importance de « penser » une solution, un objet, un process. Dans la démarche contemporaine d’innovation, cette pensée est produite par l’expérimentation.
La mobilisation de l’intelligence collective et le partage sont au cœur de cette démarche contemporaine d’innovation
L’émergence des pratiques d’open innovation, de crowdsourcing, etc. démontre la puissance du phénomène. Là aussi, on est à l’opposé de la culture du secret qui caractérise l’époque précédente.
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Le design n’a certes pas le monopole du partage et de l’intelligence collective. Cependant, il apporte une méthode particulièrement efficace.
« En effet, le designer apporte là un outil essentiel enrichi d’une forte culture qui complète parfaitement « la pensée design » : celui de matérialiser, de donner forme à l’idée par le dessin. Dans les séances de créativité, le dessin est un outil de dialogue, d’échange et de partage de la conception…Au cours du process d’innovation, le dessin est un moyen de « mapper » une vision globale, afin d’embrasser visuellement et cognitivement la complexité de la démarche créative avec ses tenants et ses aboutissants. » (Maurile Larivière, interview par Without Model)
Le design thinking, levier de l’innovation contemporaine ?
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Pour autant, le design doit-il assurer le leadership dans la dynamique d’innovation ? Un tel raisonnement n’est que l’expression de ce que j’appelle le « syndrome de l’expert ». Notre société avait confié la charge de l’innovation à une famille d’experts, en l’occurrence les scientifiques (durs) et les ingénieurs et s’était laissée vivre. Nous ne sortirons pas de la crise structurelle en nous contentant de changer d’experts en déléguant l’affaire aux designers.
Il faut d’ailleurs remarquer que l’effervescence autour du design concerne en premier lieu le « design thinking » c’est-à-dire la capacité à aborder les problèmes à résoudre avec une culture design.
C’est bien de cela que traite la mission design conduite par Alain CADIX.
Le même Alain CADIX insère le développement du design dans une dynamique plus large qui impactera nécessairement le fonctionnement de l’entreprise. « (…) le numérique et le design sont les deux catalyseurs du redressement productif (…) En effet, le design et le numérique modifient profondément l’offre industrielle, sa nature, les processus de conception, de développement, de production, de diffusion des « objets » (…) Il ne peut y avoir redressement productif sans redressement créatif ».
Enfin, l’ouverture de nouveaux champs d’innovation comme l’innovation service, l’innovation sociale, etc. ainsi que l’approche fondée sur la démarche design ne disqualifie aucunement l’innovation « de papa ». Les évolutions technologiques restent essentielles et la combinaison des besoins sociétaux et de la richesse de la connaissance scientifique et technique ne peuvent qu’accélérer l’innovation technologique. De plus, il faut s’arrêter à l’articulation entre l’innovation technologique, la démarche design et les nouveaux domaines d’innovation.
L’émergence de solutions nouvelles de services très rapidement conçues et mises en œuvre grâce à la culture design vont inévitablement créer un « appel d’air » qui va « tirer » l’innovation technologique.
En effet, elle seule est capable d’apporter les solutions technologiques qui permettront à des innovations non technologiques de se déployer complètement. La dynamique de l’innovation qui se profile va donc insérer l’innovation technologique dans une logique de pilotage par l’aval et d’approche globale.
En conclusion
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Le design joue aujourd’hui le rôle d’un poisson pilote dans l’émergence d’une nouvelle démarche d’innovation. Mais, cela ne suffit pas à cristalliser une culture renouvelée et solide de l’innovation. Cette culture et, au-delà, ces nouveaux paradigmes constituent une pièce maîtresse des nouvelles dynamiques socioéconomiques en gestation.
Pierre Chapignac, fondateur de l’agence d’innovation service Évolt
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