Bitcoin : une solution contre-intuitive au changement climatique

Alexandre Stachtchenko
54 min readApr 25, 2023

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Préambule : l’article est long. Vous pouvez aller directement à la synthèse, en fin d’article, pour découvrir les enseignements principaux. Mais évidemment, ils sont plus éclairants lorsqu’on a lu l’article complet !

Pour ne pas alourdir d’autant plus, j’ai recours à des renvois en fin de texte signalés par des chiffres entre crochets [X]. N’hésitez pas à vous y référer tout au long de la lecture ! Je n’ai pas trouvé plus ergonomique sur Medium pour remplacer les notes de bas de page :(

« Monsieur Pasteur, vous prétendez qu’en m’injectant un virus vous allez me soigner ? ».

Oui je commence fort avec un sujet polémique et qui n’a rien à voir : la vaccination.

En réalité, ça n’a pas vraiment « rien à voir ».

Le point commun entre Bitcoin et la vaccination, c’est que les deux résolvent des problèmes de manière contre-intuitive.

L’histoire médicale est d’ailleurs extrêmement fournie en exemples de cette nature, qui nous semblent aujourd’hui drôles mais qui ne l’étaient pas du tout lors de leur occurrence. Le médecin hongrois Ignace Semmelweis fut par exemple interné dans un asile où il mourut pour avoir suggéré… que le lavage de mains des médecins pouvait réduire les infections chez les mères lors des accouchements.

Pasteur, plus connu en France, n’eut heureusement pas le même destin, et fut honoré de nombreuses distinctions nationales. Mais le procédé de vaccination reste contre-intuitif lorsqu’on n’y est pas éduqué : comment l’injection d’une maladie pourrait prévenir ladite maladie ?

De la même façon, Bitcoin est contre-intuitif : il consomme beaucoup d’électricité… ce qui lui permet de favoriser la lutte contre le changement climatique.

L’assertion peut paraître dérangeante, voire choquante, ressembler très fort à du « greenwashing », mais l’objectif de cet article est d’essayer a minima de vous présenter le plus honnêtement possible pourquoi Bitcoin n’est pas le désastre écologique que l’on vous présente, mais à l’inverse, une solution inespérée.

Pour ce faire, je vais déployer mon argumentaire en deux volets. Le premier ne traitera pas du fonctionnement « opérationnel » de Bitcoin, c’est-à-dire de sa consommation d’énergie notamment, mais de ses implications systémiques sur les comportements humains en comparaison avec le système monétaire actuel, et comment Bitcoin favorise la sobriété. Le deuxième abordera deux grandes catégories plus opérationnelles : le déploiement des énergies renouvelables (ENR) sur les réseaux électriques, et l’utilisation de Bitcoin comme catalyseur de la lutte contre le méthane.

Partie 1 : Le système monétaire actuel est la plus grande machine destructrice de l’environnement que l’humanité ait inventée

« Les pros de l’inflation argentins donnent leurs conseils à des américains désorientés ».

C’est par ces mots que Bloomberg attirait le chaland en décembre 2021 sur son article dédié à la hausse « soudaine » de l’inflation aux Etats-Unis.

Il faut dire que tous ceux qui avaient écouté doctement les banques centrales et autres spécialistes n’ont pu qu’être surpris. D’abord l’inflation n’existait pas. Ensuite elle était censée être temporaire (« I see an inflation profile which looks like a hump » dixit Madame Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE) début Décembre 2021. Comprendre : c’est une bosse passagère)[1]. Et il a fallu attendre novembre 2022 (!!) pour que cette même Christine Lagarde admette pour la première fois que nous n’avions probablement pas atteint le pic. Tout en se dédouanant bien sûr de sa responsabilité, puisque cette inflation serait « apparue de nulle part ! ».

Mais mon but ici n’est pas de jeter la pierre. Il s’agit plutôt d’attirer l’attention sur les fameux conseils prodigués par les argentins, habitués à une inflation terrible, aux américains, dont le quotidien monétaire et financier est à l’opposé, grâce à leur position de première puissance économique mondiale, assise sur la monnaie de référence internationale.

Figure 1 : Peso Argentin vs Dollar américain depuis 1992. En 5 ans, (Avril 2018), le peso argentin a perdu 90% de sa valeur face au dollar américain. Qui lui-même a perdu entre 15 et 20% en pouvoir d’achat…[2]

Quels sont ces conseils ?

« Spend your paycheck right away » nous rapporte l’article. En français, dépensez votre salaire dès que vous le recevez.

Pour lutter contre la hausse des prix, il faudrait dépenser plus vite ? Voilà qui peut sembler contre-intuitif quand on est plutôt habitué à faire attention à son porte-monnaie. Contre-intuitif car l’inflation renvoie à deux choses différentes. Au sens « commun », l’inflation désigne la hausse générale et durable des prix. Initialement cependant, l’inflation est le phénomène d’augmentation de la masse monétaire c’est-à-dire de la quantité de monnaie en circulation dans l’économie. Lorsque cette augmentation est trop rapide, par exemple plus rapide que les gains de productivité, l’inflation se traduit par la perte du pouvoir d’achat de la monnaie, qui conduit, in fine à l’augmentation générale des prix, désignée par le sens « commun » du mot inflation[3]. Ce qui est contre-intuitif est donc en réalité assez évident et révélateur : on ne dépense pas son argent parce que les prix montent. On s’en débarrasse parce que sa valeur diminue de jour en jour.

Pour s’en rendre compte, il est nécessaire de réaliser une expérience de pensée, se mettre dans la peau d’une bonne partie de la population mondiale, et envisager son quotidien dans une zone économique dont la monnaie s’effondre. Certains pays, par la gravité de leur situation, nous permettent de voir ces effets sous nos yeux, sans même avoir besoin d’ouvrir un livre d’histoire et de réviser la période de l’Allemagne de Weimar[4]. Au Venezuela notamment, depuis dix ans, (2013, ironiquement date du fameux tweet de Jean-Luc Mélenchon qualifiant le modèle de Maduro de « source d’inspiration »), la valeur de la monnaie a été divisée par 400 000. Autrement dit, en moyenne, depuis dix ans, les Vénézuéliens perdent les deux tiers de leur épargne chaque année. Si vous pouviez vous acheter une belle maison à Caracas en 2013, vous ne pouvez plus vous permettre qu’un bout de pain en 2023. En 2019, l’inflation atteignait le chiffre inimaginable de 2 000 000%.

Figure 2 : Au Venezuela, l’inflation est si forte que la monnaie vaut moins que le papier sur lequel elle est imprimée ! Cela conduit les artisans locaux à s’en servir comme matériau, comme on le voit sur cette photo, avec ce sac à main fait en billets.

Bien sûr le Venezuela est un cas extrême, mais en 2022, quasiment la moitié de l’humanité vivait avec un taux d’inflation « officiel »[5] à deux chiffres, perdant ainsi au minimum la moitié de leur épargne tous les 5 ans. Dans ce contexte, il devient « rationnel » de dépenser notre argent coûte que coûte et acheter n’importe quoi. Car n’importe quoi sera toujours mieux que de perdre le fruit de son travail. En effet, si l’argent que vous recevez perd sa valeur dans une durée qui ne se mesure plus en années, mais en mois, en semaines, voire en jours ou en heures, alors chaque minute compte.

« Consommez, pauvres fous ! »

Cette situation d’hyperinflation, que l’on peut souhaiter ne jamais voir chez nous — bien que sa probabilité d’occurrence augmente — a au moins un mérite. Elle nous ouvre les yeux, par une situation extrême, sur une réalité quotidienne plus insidieuse : le système d’incitation et de comportement économique induit par les monnaies fiduciaires traditionnelles.

En effet, que l’inflation soit à 1%, 2%, 10% ou 100%, seule l’intensité change, mais guère le mécanisme général : l’incitation à se débarrasser de son argent. Autrement dit, après satisfaction des besoins essentiels, l’incitation à l’investir en espérant battre l’inflation (actions, immobilier, œuvres d’art etc.), ou à le dépenser pour des biens ou services de court terme, non-essentiels, et souvent alimenter la surconsommation.

Cette deuxième option est en général privilégiée car moins risquée, et nécessitant moins de temps et d’expertise. En effet, comment demander raisonnablement à une personne lambda de devenir investisseur aguerri et de battre l’inflation (tout en conservant son métier bien sûr !), quand même la quasi-totalité (80%) des professionnels de la gestion d’actifs peinent à battre les indices majeurs ? Investir est un métier à temps complet, et qui est loin d’être facile.

La monnaie est le sang de l’économie, et le système monétaire tel qu’il est construit actuellement influence tous nos comportements, toutes nos décisions d’achat, nous forçant à privilégier le court-terme et la dépense, plutôt que la sobriété et le long terme, sans même que ce soit conscientisé.

Autrement dit, nous n’aurons pas de sobriété dans le système monétaire actuel[6]. C’est impossible. Et ce alors que cette sobriété est nécessaire dans tous les scénarii envisagés par le GIEC pour que notre planète reste vivable.

Dans toute l’histoire de l’humanité, épargner était plutôt une décision sage, permettant de s’assurer contre les périls d’un futur incertain, ou garantir un avenir à ses enfants. On sacrifie son bien-être et son confort à court-terme pour améliorer ses perspectives de long terme. Bref on se comporte de manière prévoyante, et de la seule façon qui permette à l’humanité de progresser.

Aujourd’hui, de manière insidieuse, ce comportement sobre et prévoyant est puni, au profit du gaspillage, du confort, et du court-terme. Le paroxysme ayant été atteint au moment de l’arrivée de la pandémie de covid, lorsque les taux d’intérêts des banques centrales passèrent négatifs. En économie, le taux d’intérêt représentant le prix du risque futur, un taux négatif signifie pour tous les acteurs économiques (y compris les ménages, vous !) que le futur est plus certain que le présent, ce qui par définition est impossible. Pourquoi épargner si demain est hyper-certain ? Comment prendre la moindre décision à long terme quand les règles du jeu sont à ce point absurdes ?

La conséquence directe et terrible, c’est que toute tentative de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou de préservation de la biodiversité, par la voie de la sobriété est condamnée à échouer dans un système où chacun de vos faits et gestes est orienté malgré vous vers la consommation de ressources naturelles. Dans un système vicié, un comportement vicié est un comportement rationnel.

Pour expliciter cela de manière plus pratique, je vais reprendre pour mon compte l’explication imagée d’Endorsen/Baseload sur son medium, elle-même empruntée à l’économiste Saifedean Ammous dans son excellent et long entretien avec Lex Fridman, bien que je ne sois pas aligné avec l’ensemble de ses analyses.

Pour pouvoir échanger des biens et services, nous avons besoin d’un moyen d’échange. Si un fermier A produit des oranges et souhaite des pommes, et qu’un fermier B produit des pommes mais ne veut pas d’oranges, le fermier A va devoir trouver quelque chose que le fermier B souhaite pour pouvoir obtenir ses pommes, par exemple des bananes. La banane devient le moyen d’échange.

A supposer que les bananes soient utilisées par une société comme moyen d’échange, un problème apparaitrait rapidement : les bananes pourrissent en quelques jours. L’incitation ici est donc de se débarrasser de ses bananes le plus rapidement possible pour obtenir quelque chose de plus durable. Un comportement rationnel est donc soit de manger les bananes (consommation immédiate), ce qui n’est pas forcément le mieux quand on n’a pas faim, soit par exemple de payer quelqu’un qui a effectivement faim en lui donnant quelques bananes, et lui demander en échange de vous couper un arbre pour pouvoir stocker du bois, plus durable. Vous espérez que ce bois vous permettra d’acheter plus de bananes demain, quand vous aurez vraiment faim. Dans ce cas on espère bien entendu que vous avez fait votre analyse du marché du bois, de l’offre et de la demande, des dynamiques d’utilisation de cette ressource etc., au risque de devoir revendre votre bois contre moins de bananes dans quelques années. C’est l’alternative de l’investissement. Résultat des courses : un arbre qui n’avait rien demandé à personne a été abattu.

Cette métaphore nous permet d’illustrer assez simplement ce que nous avons vu précédemment, c’est-à-dire le drame que constitue un moyen d’échange qui ne peut pas préserver le pouvoir d’achat : il force à dépenser ou investir, c’est-à-dire à consommer des ressources naturelles.

L’inflation est le nom que l’on donne à la rapidité du pourrissement de la banane. En février 2023, l’inflation en zone euro était de 8,5%. Cela veut simplement dire que votre euro ne pourrit pas en quelques jours comme une banane, mais en quelques années. A ce rythme, dans environ 5–6 ans, tout euro conservé aura perdu la moitié de sa valeur. Oui, la moitié.

Quelle est l’incitation pour tous les participants d’un tel système ? « Spend your paycheck right away » comme diraient les argentins.

Vous êtes chassés de l’épargne, forcés de trouver des projets à financer pour battre l’inflation. Le résultat étant bien souvent le financement d’activités qui n’auraient pas été soutenables dans un contexte normal, alimentant à nouveau l’extraction inutile de ressources naturelles[7].

A ce système d’incitations bancal, il faut ajouter une construction douteuse qui amplifie l’absurdité écologique que constitue le système monétaire actuel.

Nous payons tous en pétrole.

A la fin de la seconde guerre mondiale, le système monétaire international, auparavant reposant sur l’or comme étalon, et la Livre britannique comme monnaie de référence et pivot principal vers l’or, changea drastiquement lors des accords de Bretton-Woods (1944). Selon ces accords, l’or conservait son rôle d’étalon mondial, mais le dollar américain devenait non pas le pivot principal, mais le pivot unique. Autrement dit, toutes les monnaies mondiales s’expriment et se convertissent en dollars américains, et seul ce dernier est convertible en or à prix fixe : 35 dollars l’once (aujourd’hui, près de 2000 dollars l’once. Vous avez dit inflation ?).

Pour les Etats-Unis, la tentation était forte de céder à la facilité, en créant des dollars ex-nihilo, sans les soutenir par de l’acquisition d’or. Ce fut chose faite dans les années 1960 en particulier pour financer la guerre du Vietnam et son intensification à partir de 1965, ainsi que les programmes sociaux de la « Great Society » du président Johnson. En 1965, c’est la France du général de Gaulle qui commença à souffler sur le château de cartes en appelant au retour de l’étalon-or, et surtout, en commençant à vendre de manière soutenue ses dollars pour récupérer de l’or.

Figure 3 : Réserve internationales de la France. A partir de la présidence de Gaulle, la France charge ses réserves en or. Source : FMI.

En 1970, il n’y avait plus que l’équivalent de 11 milliards de dollars d’or pour soutenir… 24 milliards de dollars de réserves détenue par des pays étrangers.

Figure 4 : stock d’or et de dollars : Etats-Unis et reste du monde. Source : FMI.

En 1971, les Etats-Unis font défaut. Ils ne rembourseront pas l’or qu’ils doivent. L’or n’est plus convertible au prix convenu. Il convient de noter que, comme souvent, cette décision politique majeure, unilatérale, injuste et spoliatrice, fut présentée comme « temporaire » afin de la faire digérer plus facilement. Rien n’est plus durable qu’une mesure temporaire disait Friedman…

La monnaie, pour la première fois dans l’Histoire, n’est donc soutenue par rien. Aucune marchandise. C’est la naissance des monnaies purement « fiat » (« Ainsi soit-il »). S’ensuit, comme chacun sait, une décennie compliquée : chocs pétroliers, inflation, croissance en berne…

L’or, qui avait été la définition même de la stabilité pendant des siècles, s’ajusta à la quantité de monnaie disponible, et son prix explosa.

Figure 5 : Prix de l’once d’or en USD depuis 1915. L’année 1971 se voit très bien sur le graphique : c’est le moment où la courbe explose à la hausse.

Rendez-vous compte : en 1792, le prix d’une once d’or est fixé à 19,75$ aux Etats-Unis, tout jeune pays sortant d’une guerre d’indépendance contre la première puissance mondiale, l’Empire Britannique. En 1932, ce prix est de 20,67$ ! En un siècle et demi, le prix n’a même pas fluctué de 5% ! A l’inverse, depuis 1971, c’est-à-dire en un demi-siècle, le prix est passé de 35$ à 2000$, soit une progression de 5600%[8].

Dans les premiers mois et années suivant ce cataclysme monétaire, l’influence des Etats-Unis fut clairement questionnée. L’émergence d’un monde multipolaire, dans un contexte de guerre froide qui n’arrangeait pas les choses, était une possibilité. Il fallait pour les Américains trouver un substitut à l’or qui leur permettrait de continuer de dominer la scène financière et monétaire internationale.

Ce substitut, ce fut le pétrole. Et en particulier le pétrole saoudien, dans le cadre d’un accord historique, signé en 1974 par Kissinger, secrétaire d’Etat américain, et le prince héritier saoudien Fahd, qui conduit l’Arabie Saoudite à vendre son pétrole exclusivement en dollars américain, et à recycler ces dollars dans la dette américaine. L’or noir remplace l’or.

Comme le rapporte Alex Gladstein, directeur de la stratégie de l’ONG Human Rights Watch, dans son article « The hidden cost of Petrodollar », citant un article de Bloomberg, l’accord est étonnamment simple : les américains « achètent du pétrole à l’Arabie Saoudite, et fournissent le royaume en assistance et équipement militaire. En retour, les Saoudiens sèment des milliards provenant de leurs revenus pétroliers dans les bons du Trésor américain, et financent le déficit du gouvernement des Etats-Unis ».

L’OPEP suivit dès 1975, et bientôt le monde entier libellait le prix de son pétrole… en dollars. Si vous voulez donner à manger à vos machines, pour parler en Jancovici dans le texte, il vous faut des dollars.

Depuis ce jour, nous payons donc tous en pétrole. Et en armes d’ailleurs, puisque c’est la contrepartie de l’accord. Les importations saoudiennes d’équipement militaire américain ont progressé de 300 millions de dollars à plus de 5 milliards entre 1972 et 1975.[9]

La machine monétaire mondiale actuelle, lancée en 1971, est une parenthèse incongrue dans l’Histoire de l’humanité, malheureusement encore ouverte, et qui, par habitude, est maintenant enseignée comme étant la normalité voire le progrès.

Un « progrès » dont le leg en l’espace d’à peine 50 ans est assez impressionnant : dévalorisation du travail au profit des actifs, nourrissant toujours plus les inégalités, désindustrialisation rampante, incitations au court terme et à la consommation etc. La « narrative » qui s’est imposée, pour éviter de parler de pétrole ou d’armement, est que les monnaies fiat tirent leur valeur de « la richesse produite par un pays ou une zone économique », ce qui est complètement faux. Comment expliquer si cela était vrai que l’on puisse doubler la base monétaire lors de la pandémie par exemple, alors que l’économie mondiale est à l’arrêt et en décroissance ?

L’illusion créée par une demande artificielle et un accord militaro-industriel avec une monarchie du golfe fut suffisante pour préserver le statut de référence de la monnaie américaine, et plus généralement sanctuariser le concept de monnaie fiat, qui avait pourtant toujours paru être une absurdité pour nos aïeux, et dont chaque expérience fut un désastre. Voltaire disait déjà au XVIIIe siècle qu’« une monnaie papier, basée sur la seule confiance dans le gouvernement qui l’imprime, finit toujours par retourner à sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire zéro. ». L’épisode du système de Law, puis celui des assignats durant la Révolution française, ont marqué son siècle par leur échec retentissant.

Energie passée ou future ? La monnaie, grand absent de la réflexion climatique et énergétique

La différence fondamentale qui existe entre une monnaie comme l’or, qui a été la référence de l’humanité pendant plusieurs millénaires[10], et la monnaie-papier, c’est le rapport au temps et à l’énergie dépensée pour créer de la valeur.

Dans un système où l’or est la monnaie, toute unité monétaire représente une énergie passée. Malgré les tentatives des alchimistes pour créer ex-nihilo ce métal précieux, on ne peut pas « inventer » l’or, il faut le trouver. C’est un système de monnaie-marchandise. En effet, la pépite d’or payée à un commerçant a d’abord dû être extraite, par quelqu’un ou quelque chose. Cela représente une dépense d’énergie déjà effectuée. Et quand vous payez avec, vous ne faites que transférer à une autre personne une représentation de cette énergie.

Dans un système comme celui-ci, l’économie est contrainte par le monde physique, et donc compatible avec un monde fini, puisque la monnaie (ici, l’or) est elle-même une ressource naturelle, disponible en quantité limitée. Il faut travailler pour extraire de l’or, puis, et seulement puis, cet or est disponible dans l’économie, portable dans le temps et l’espace, et sert pour consommer, pour investir ou pour épargner. L’épargne est une alternative parfaitement viable car dans un monde contraint par la physique, toute allocation de ressource est faite au détriment d’une autre allocation. Alors, si à un moment T, aucun investissement ne semble intéressant, il est parfaitement logique d’épargner, en attendant une meilleure opportunité.

Cela ne veut pas dire que le système ne peut pas croître ou prospérer bien sûr. La première comme la seconde révolution industrielle ont largement fait progresser la richesse mondiale, le tout sous un système d’étalon-or[11]. Cela grâce à la découverte de nouvelles sources d’énergie (respectivement le charbon puis le pétrole, pour simplifier), et surtout de nouveaux moyens de la libérer de manière productive dans l’économie (moteur à vapeur, moteur à explosion etc.). Cependant, la contrainte physique demeure.

A l’inverse, dans un système de monnaie purement fiat, comme actuellement, toute unité monétaire représente non pas une dépense d’énergie passée, mais une promesse d’énergie future. Car dans un système de monnaie fiat, la monnaie est créée par le crédit. Lorsque vous empruntez pour acheter une maison, vous allez voir votre banquier, et c’est ce dernier qui créera de l’argent ex-nihilo pour vous aider à acheter une maison alors que vous n’en avez pas les moyens.

Le « sous-jacent » de la monnaie qu’il vient de créer, c’est votre capacité future à rembourser l’emprunt. Aucune dépense d’énergie n’a été nécessaire, si ce n’est la tension musculaire nécessaire pour cliquer sur le bouton du logiciel bancaire, et créer des centaines de milliers d’euros. Ce n’est pas un système de monnaie-marchandise. C’est un système de monnaie-dette.

Dans un tel système, la monnaie n’est pas contrainte par le monde physique. Elle est contrainte par l’anticipation des acteurs économiques sur le futur. Une donnée parfaitement subjective, et surtout… manipulable, en particulier par le biais des taux d’intérêts des banques centrales. Plus ils baissent, plus les acteurs économiques sont incités à penser le futur comme étant peu risqué, et donc à créer de la monnaie par le crédit.

Certains économistes arguent qu’en limitant l’inflation, on tuerait l’économie en créant de la déflation, qui freine les incitations à la consommation. Mais premièrement, avec un prisme de sauvegarde de l’environnement, c’est bien ce que l’on souhaite (limiter la sur-consommation ou en tout cas le gaspillage) et deuxièmement, l’idée que la déflation serait nécessairement néfaste est un raccourci. Les prix de l’électronique et de l’informatique par exemple diminuent sans cesse depuis des dizaines d’années, cela n’a empêché ni les consommateurs d’acheter lorsqu’ils le pensaient nécessaire, ni le secteur de se développer et d’embaucher. L’effet de la déflation, par rapport à l’inflation, est effectivement de pousser à reporter les achats non-essentiels, car l’épargne est favorisée. Ou plutôt, l’épargne n’est pas pénalisée, elle est simplement possible comme alternative viable. Soit précisément ce qui devrait être le cas. C’est bien convenable d’avoir créé des besoins artificiels et de la surconsommation pendant des décennies de monnaies fiat, et de venir accuser la sobriété de détruire cette consommation superflue ! Sachez que tout économiste ou politique en faveur d’un système de monnaie fiat est de facto en faveur d’un système qui pousse à consommer. Et ce n’est pas quelque chose de « caché » d’ailleurs, puisque la « consommation » est une des variables du PIB, cette grandeur magique qu’il faut absolument faire croître…

La monnaie c’est donc de l’énergie qui traverse le temps et l’espace. Et, pour l’anecdote, c’est ce qui avait d’ailleurs poussé l’industriel Henry Ford, au début du siècle dernier, à proposer la création d’une unité monétaire internationale fondée sur l’énergie. Une sorte d’étalon-joule.

Le système monétaire actuel, favorisant l’inflation et donc la dévaluation perpétuelle de la monnaie, est un vol organisé de notre ressource la plus précieuse : le temps. Et ce n’est pas un bug, mais bien une fonctionnalité souhaitée. La mission statutaire des banques centrales est de viser 2% d’inflation. Au-delà d’être parfaitement arbitraire, c’est un niveau suffisamment insidieux pour qu’on ne le remarque pas au quotidien, et c’est le but. Car le remarquer ferait paniquer l’épargnant, et transformerait l’économie mondiale en Venezuela géant. Mais il suffit de prendre un peu de recul pour s’en rendre compte : le Dollar a perdu 97% de sa valeur en un siècle, depuis la création de la Federal Reserve en 1913, l’Euro a perdu un tiers de sa valeur en 20 ans. Laissons-lui plus de temps, et il rattrapera l’exploit du dollar sans aucun doute !

Il est absolument évident que le modèle de monnaie-marchandise, limitée en quantité, contrainte par la physique, nécessitant un travail réel avant de circuler dans l’économie, est bien plus compatible, voire nécessaire, à la poursuite des objectifs environnementaux et climatiques de notre époque. On pourrait également arguer qu’en limitant les effets de bulles financières sur les actifs, il favorise le travail sur le capital, chose qui devrait plaire à la fois à la gauche traditionnelle et aux libéraux dans leur lutte contre les rentes. Mais c’est un débat pour un autre article ![12]

Il est dommage que cet aspect soit si souvent négligé dans les analyses et recommandations climatiques et environnementales. C’est pourtant l’éléphant au milieu de la pièce, la donnée principale du système qui conditionne tout le reste. La monnaie fiat infinie est prise comme une donnée entrante invariable, une hypothèse non-questionnable, alors même que c’est une des machines les plus polluantes et destructrices que l’humanité ait inventée. Par sa construction historique, au croisement entre pétrole et armement, mais aussi et plus grave encore, par les incitations économiques viciées qu’elle véhicule à tous les acteurs économiques.

A ce stade, deux questions subsistent :

  • Quel système monétaire de substitution peut modifier les incitations de manière vertueuse pour l’environnement ?
  • Quel impact environnemental pour ce système alternatif ?

Quel système de substitution ?

L’hypothèse la plus immédiate semble être le retour à l’étalon-or. L’or est rare, difficile à extraire, divisible, transportable. C’est une bonne monnaie, en tout cas suffisamment pour disposer du consensus international et d’une histoire millénaire.

Si son échec au vingtième siècle peut nous rendre dubitatif, les tentatives existent cependant. Récemment, une proposition a même été faite au Congrès américain par trois représentants républicains, afin de permettre ce retour à l’étalon-or. Parmi les raisons avancées par ces représentants, on en retrouve certaines évoquées plus haut : « Le dollar a perdu plus de 40% de son pouvoir d’achat depuis 2000, et 97% depuis le passage du Federal Reserve Act en 1913 », ou encore « […] Les agissements de la Federal Reserve ont créé des taux d’inflation de 8% ou plus, augmentant le coût de la vie pour de nombreux américains à des niveaux intenables, enrichissant les détenteurs d’actifs financiers, tout en menaçant les emplois, les salaires, et l’épargne des col-bleus ».

Dans les années 1990, à la fin de la guerre froide, certains économistes appelaient déjà au retour de l’étalon-or, et nous prévenaient des dérives du système fiat dans une prose qui peut sembler prophétique a posteriori. C’est le cas de Bettina Bien Greaves, collaboratrice du Nobel Milton Friedman, dans un article de 1995, esquissant les modalités d’un retour au standard monétaire que fut l’or. Selon cette économiste, « encore et encore, au cours de l’Histoire, les monnaies papiers ont généré gâchis et coûts élevés ; Elles ont déformé les calculs économiques, détruit l’épargne des gens, et balayé leurs investissements. ». Elle cite également son lointain confrère, William Graham Sumner, économiste, du XIXe siècle : « nos tentatives de gain par la monnaie facile ont toutes échoué, et nous ont coûté, à chaque génération, bien plus qu’une monnaie-marchandise aurait coûté même si chaque génération avait dû l’acheter à nouveau ».

L’or a un premier problème cependant, c’est qu’il n’est pas du tout adapté à l’ère numérique. L’or n’existe pas sur Internet, et ne permet pas de réaliser des transactions internationales rapides et peu chères.

L’or a un second problème, de nature environnementale celui-ci, c’est qu’il est extrêmement sale à extraire : cyanure, mercure, arsenic… autant de substances peu recommandables à l’humain et à la vie en général qui sont nécessaires, et en grande quantité, à son extraction. La plus grande mine du monde, Grafsberg en Indonésie, est par exemple une véritable catastrophe environnementale au cœur de la troisième plus grande forêt tropicale de la planète après l’Amazonie et le bassin du Congo. Plus de 250km² sont contaminés : nappes phréatiques, fleuves et rivières, sols etc. Les déchets sont estimés à plus de 87 millions de tonnes par an.

En France, le sujet de l’or fait grincer des dents également. Le projet « Montagne d’Or », en Guyane, fut particulièrement médiatisé ces dernières années, avec toujours les mêmes problématiques que l’on pourrait résumer de manière un peu caricaturale ainsi : faut-il aller déverser des tonnes de cyanure dans la jungle vierge pour aller récolter des pépites dont le futur probable est de dormir dans un coffre ? En effet, les banques centrales sont parmi les premières détentrices d’or dans le monde[13], et ce malgré le fait que l’or n’est plus l’étalon du système monétaire ! Les habitudes ont la vie dure…

En métropole, le débat est tout aussi vif. C’est simple : le site le plus pollué de l’hexagone est… une ancienne mine d’or, la mine de Salsigne, dans un site tristement renommé « la vallée de l’arsenic ». En 2018, lors d’inondations qui vinrent charrier les déchets de l’ancienne mine, le problème s’est rappelé aux habitants de la région, et l’on trouve des taux d’arsenic extrêmement élevés chez les enfants scolarisés aux alentours. Un problème sur lequel l’Etat par ailleurs semble faire l’autruche.

Partie 2 : Bitcoin : un désastre écologique, vraiment ?

Bitcoin : l’or numérique

En 2008, un anonyme se faisant appeler Satoshi Nakamoto invente un OVNI, un « cash électronique pair-à-pair », qu’il nomme Bitcoin, « pièce numérique » en anglais.

Bitcoin mime les caractéristiques de l’or : rare, divisible, transférable, etc. Mais il le fait dans le monde numérique. Un bitcoin peut être détenu sur une application mobile et s’envoyer en quelques minutes partout sur la planète.

Afin de garantir la sécurité du système, Nakamoto propose le système de la « preuve de travail », Proof of Work en anglais. Le concept consiste à fournir une preuve de travail (dépense d’énergie) irréfutable afin de pouvoir garantir l’inaltérabilité du système. Inaltérabilité systémique (il faut que les règles du jeu ne changent pas : nombre d’unités en circulation, processus de transaction etc.), mais également pratique (il ne faut pas que l’on puisse s’approprier les bitcoins de quelqu’un d’autre !). Cette dépense d’énergie est fournie par des tiers volontaires, généralement des entreprises, qu’on appelle des « mineurs » en référence au minage d’or[14].

Bitcoin devient ainsi la première propriété privée numérique. Car à l’inverse de tout le reste dans le monde numérique, on peut le posséder soi-même. Bitcoin n’est pas la contrepartie de quelqu’un d’autre. C’est un actif, une marchandise numérique, et vous pouvez le posséder directement, par vous-même, sans banque ou autre tiers de confiance. Bitcoin permet donc pour la première fois de tenter de reconstruire un système monétaire de monnaie-marchandise numérique, et non de monnaie-dette.

Comme l’or, Bitcoin utilisé comme monnaie, c’est la représentation du transfert d’une dépense d’énergie passée, et non une promesse future. Cette preuve de travail, dépense d’énergie donc, est aussi une nécessité du système. Ce n’est pas un bug, c’est littéralement la solution à un problème informatique que personne n’avait jamais résolu auparavant.

Instinctivement ce qui se passe dans votre tête ressemble à ce fameux même inspiré du jeu vidéo GTA : « Ah shit… here we go again ». « Encore une dépense d’énergie supplémentaire, voire superflue. Ce n’est pas avec ça que l’on va régler nos problèmes… »

Figure 6 : le fameux meme “Ah shit here we go again”.

Ce raisonnement, je le comprends. L’effort que je demande, c’est d’essayer de ne pas s’y arrêter. Car en réalité, et même si cela paraît contre-intuitif, les externalités positives de ce système, au-delà des aspects généraux et économiques que nous avons étudiés plus haut, sont nombreuses. Y compris du point de vue opérationnel.

En effet, la grande machine qui s’est mise en marche en 2008 a créé, involontairement ou volontairement, le seul système d’incitation économique à la transition énergétique. Avec Bitcoin, la transition énergétique n’est plus un coût mais un revenu. La puissance de cette assertion est inimaginable, et un réel espoir pour le futur.

Tous les acteurs de l’énergie qui ont eu l’humilité de passer l’étape instinctive du rejet en bloc, et ont dédié du temps à l’étude de Bitcoin, ont eu ce moment « Eureka ». Ce moment où l’on comprend enfin quelque chose, et on se réprimande soi-même de ne pas l’avoir vu avant. C’est le cas du géant norvégien Aker, qui annonçait récemment ouvrir un nouveau business sur le minage, le qualifiant « batterie d’équilibrage du réseau » « essentielle à la transition énergétique requise pour atteindre nos objectifs de l’accord de Paris. ». C’est aussi le cas du leader japonais de l’énergie, Tepco, qui a lancé la même stratégie de valorisation de surplus électriques. On pourrait multiplier les exemples : l’opérateur de réseau Texan (ERCOT), les pétroliers ConocoPhillips ou Exxon, mais aussi des investisseurs ou acteurs indépendants parmi lesquels Daniel Batten[15], dont le témoignage, que je retranscris ici, pourra sonner familier à vos oreilles.

« En tant qu’activiste pour le climat depuis les années 1990, lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de l’utilisation d’énergie de Bitcoin, j’ai pensé « Ce doit être une mauvaise chose ». Lorsque j’ai entendu quelqu’un dire que c’était « net positif », j’ai pensé « cela sonne comme du greenwashing ».

[…]. Personne ne fut plus surpris que moi-même de découvrir que la meilleure façon de le faire (réduire nos émissions de GES) était de miner du Bitcoin. […] »

Vous êtes perdu ? C’est normal. Je vais essayer d’expliquer en quoi Bitcoin, au-delà des aspects économiques, est une opportunité exceptionnelle, un levier formidable, voire la brique manquante que l’on attendait pour la transition énergétique.

Il y a deux axes de réflexion principaux. D’abord, Bitcoin aide à la transition vers un mix électrique constitué d’une part plus importante d’ENR. Ensuite, Bitcoin agit comme un des plus importants vecteurs de réduction des émissions de méthane dans l’atmosphère, gaz dont l’impact environnemental est sensiblement plus élevé que le CO2 plus connu (80x plus fort sur une période de 20 ans), et un de nos principaux leviers d’action contre le changement climatique à court terme selon le GIEC.

Bitcoin & réseaux électriques : un mariage intelligent pour accélérer l’électrification et le développement des ENR

Ce n’est pas moi qui le dis, mais le président par intérim du gestionnaire de réseau Texan (l’équivalent de RTE au Texas), Brad Jones : « Le minage de Bitcoin aide les nouvelles ENR à trouver une maison sur le réseau, puis équilibre leur intermittence ». Brad Jones, ce n’est pas un troll d’internet qui cherche à spéculer sur les cryptomonnaies. C’est 20 ans d’expérience dans l’énergie, dont 3 en tant que président du gestionnaire de réseau de New York, et 4 comme vice-président puis président de l’équivalent Texan. Comment peut-il donc en arriver à dire une chose pareille, contre-intuitive ?

Pour comprendre cette assertion il faut prendre un pas de recul et comprendre les problématiques majeures qu’induisent la nécessaire transition vers les énergies renouvelables. Ces problématiques peuvent être synthétisées autour de l’intermittence. Les ENR, et en particulier le solaire et l’éolien dont nous parlerons ici, ne sont pas pilotables, et leur capacité à générer de l’électricité ne correspond donc pas nécessairement au lieu ou au moment où la plupart des consommateurs en ont besoin.

Cela conduit à une foultitude de problèmes liés : effacement, équilibrage de charge et de la tension électrique du réseau, énergie « échouée » ou perdue dans le transport, ou encore capacité à monter en charge. Autant de problèmes qui ne permettent pas de construire un réseau électrique fonctionnant uniquement grâce au solaire ou à l’éolien, même avec l’aide de batteries.

Parlons d’abord de la problématique spatiale, géographique. Contrairement aux centrales thermiques, le solaire et l’éolien ont besoin d’énormément de place pour être construits, ce qui les amène souvent à être développés dans des endroits éloignés et isolés des bassins de consommation. Par conséquent, deux problèmes habituels dans les réseaux électriques se trouvent exacerbés : les pertes durant le transport de l’électricité par effet Joule, mais aussi la congestion, c’est-à-dire l’incapacité du réseau à transmettre cette électricité vers les lieux de consommation.

On peut citer deux exemples pour illustrer ce dernier problème. Le premier est américain, le second néo-zélandais.

Aux Etats-Unis, le réseau électrique n’est pas unifié au niveau national, et plusieurs réseaux cohabitent : le réseau Texan, le réseau Californien, le réseau New-Yorkais etc.

Sur la période 15 Mars 2023–15 Avril 2023, le prix moyen de l’électricité en Californie était de 60 USD/MWh. Au Texas, il était de 22 USD/MWh. Comment expliquer cette différence du simple au triple, au sein du même pays ?

Le réseau Texan est bien mieux fourni en génération d’électricité que le réseau californien, au regard de sa consommation. Sur les seules ENR, le réseau Texan a une puissance moyenne active presque 2 fois supérieure au réseau californien (18 vs 10 GW), et ce alors que le Texas est sensiblement moins peuplé (30 M d’habitants vs 40 M) et que la Californie a un PIB presque 50% supérieur ($3598 milliards vs $2355 milliards). Mais malheureusement, la congestion du réseau fait le reste : l’électricité ne peut pas physiquement circuler à grande échelle du Texas vers la Californie. Autrement dit, en usant d’une métaphore automobile, c’est comme si l’on manquait de voitures en Californie, mais que l’autoroute venant du Texas n’était pas assez large, générant des embouteillages. Ce qui est parfaitement dommage, puisque le Texas est grand et plutôt plat, et permet d’installer une quantité d’ENR importante, ce que la Californie peut moins facilement faire, étant serrée entre les montagnes Rocheuses et l’océan.

En Nouvelle-Zélande, la localisation des ENR génère un autre problème qui nous est rapporté par Daniel Batten. La quasi-totalité de l’électricité produite au niveau national est déjà renouvelable (surtout hydro). Mais cette électricité est produite sur l’île du sud, car c’est là que se trouvent les montagnes et les rivières permettant à l’hydroélectricité de se déployer, tandis que les trois quarts de la population habitent l’île du Nord. Par conséquent, il devient difficile de réguler la tension électrique du réseau. La solution vers laquelle semble se diriger le pays est intrigante : une station de régulation, dont le coût est estimé à 100 millions de dollars, inutile 99% du temps, ne générant pas d’électricité, mais pouvant lorsque c’est nécessaire réguler la tension électrique du réseau.

Une solution qui ne semble pas très satisfaisante, si l’on pouvait générer plus d’électricité sur l’île du Nord et équilibrer les flux. Mais pour ce faire, il faudrait pouvoir amener au milieu de l’île, où il y a de la place mais peu d’habitants, un consommateur qui peut opérer depuis un endroit reculé et mal desservi. Cela nous laisse l’option du minage de Bitcoin et des batteries, dont l’installation et l’opération peuvent s’effectuer dans ce genre d’endroits.

Ce qui nous amène au deuxième problème des ENR, c’est-à-dire leur incapacité à produire l’électricité au moment où on le souhaite.

Le solaire produit en journée, pas la nuit. L’éolien peut produire tout le temps, mais il est hautement imprévisible. Empiriquement, la consommation d’électricité subit deux pics en matinée et en fin d’après-midi, et n’est absolument pas stable au cours de la journée, ni ne correspond aux moments de production de ces ENR.

Figure 7 : consommation quotidienne moyenne d’électricité en France selon l’heure, source Bilan électrique RTE 2020

La nature est si mal faite que le pic de production du solaire par exemple correspond presque au millimètre au trou de consommation… On produit le plus lorsque l’on consomme le moins.

Figure 8 : courbe de production de référence pour le solaire Français selon RTE. Le pic est atteint, comme on peut s’y attendre, globalement autour du Zénith solaire.

Les batteries ont longtemps été présentées comme la solution à ce problème, mais elles ne sauraient suffire. Bien que leur coût décroît rapidement depuis des années, elles génèrent leurs propres problèmes.

Premièrement, leur capacité est finie, ce qui signifie qu’elles ne peuvent absorber un surplus au-delà d’une certaine quantité. Au-delà de cette finitude « physique », cela génère aussi un problème de rentabilité, c’est-à-dire qu’elles doivent se décharger dès qu’elles en ont la possibilité afin de pouvoir rester « disponibles » à des futurs surplus. Cette injonction ne correspond pas nécessairement aux moments où les prix de marché sont intéressants. C’est un risque économique qui a un coût.

Deuxièmement, les batteries sont en compétition sur des ressources rares (lithium, cobalt, nickel), ce qui devrait orienter leur usage vers des secteurs où elles sont irremplaçables, typiquement les voitures électriques. L’usage de batteries pour l’équilibrage de réseaux, pour remplir des besoins absolument énormes, pourrait avoir à s’effacer si une solution alternative se présente pour ce cas d’usage, et qui ne soit pas déployable sur d’autres[16].

En revanche, le minage peut être complémentaire avec les batteries pour offrir une flexibilité à l’opérateur ainsi qu’au gestionnaire de réseau, en constituant un deuxième débouché à choisir quand les prix de gros sur le réseau principal ne sont pas suffisants, ou que les batteries sont pleines.

Cette flexibilité demeure l’avantage principal du minage : être en capacité de s’installer partout, de s’allumer et de s’éteindre instantanément, sur commande, et pour aussi longtemps qu’on le souhaite. C’est littéralement le cahier des charges parfait pour un programme d’effacement (« Demand-response » en anglais) dont les réseaux vont de plus en plus avoir besoin, au fur et à mesure du développement d’énergies intermittentes.

Selon une définition de l’Agence Internationale de l’Energie, un programme d’effacement implique de déplacer ou réduire (effacer) une demande d’électricité pour fournir de la flexibilité dans les marchés de l’énergie, aidant ainsi à équilibrer le réseau. Il existe deux mécanismes différents : d’abord les programmes basés sur les prix (« implicit demand-response »), c’est-à-dire l’utilisation de signaux-prix pour inciter les consommateurs à déplacer leur consommation[17]. Ensuite les programmes basés sur les incitations (« explicit demand-response ») qui monétisent directement la flexibilité à travers des paiements directs vers le consommateur qui s’efface volontairement quand on lui demande. Nous allons surtout nous intéresser aux programmes basés sur les incitations.

Ces programmes peuvent sembler contre-intuitifs car ils nécessitent l’installation de nouveaux consommateurs flexibles, donc d’augmenter la consommation d’électricité. Cependant, ils sont nécessaires à la transition électrique. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, dans son scénario « Net Zero », il est nécessaire d’ajouter 500 GW à ces programmes d’effacement d’ici 2030 (Environ 50 GW en 2020).

Je répète, car ce point-là est souvent contre-intuitif et bloquant mentalement lorsque l’on parle du caractère vertueux de l’ajout de consommation électrique à un réseau par le minage de Bitcoin : oui, il est non seulement accepté, mais surtout souhaité et recommandé par les organisations internationales d’AUGMENTER la consommation électrique sur ces programmes afin de favoriser la transition électrique. Car on ne changera pas le mix électrique vers du non-pilotable, et donc une offre imprévisible, sans changer la nature de la demande vers du flexible.

Les secteurs qui remplissent habituellement ces programmes ont cependant des contraintes nombreuses. D’ailleurs nous avons dû avoir ces débats en France l’hiver dernier. Vous souvenez-vous, alors que les centrales nucléaires étaient confrontées au problème de corrosion sous contrainte, et que les prix de l’électricité semblaient ne jamais vouloir s’arrêter de grimper, la question du rationnement et du délestage s’était posée ? Avec des questionnements comme : faut-il d’abord priver d’électricité les ménages ou les entreprises ? Quelles entreprises ? Peut-on couper certaines régions avant d’autres ? etc.

Dans ce contexte, et alors que la question de la souveraineté industrielle refaisait surface, le cas des usines d’aluminium fut assez représentatif, car très gros consommateurs d’électricité. En effet, Cyrille Mounier, DG d’Aluminium France, le 9 Septembre 2022, déclarait qu’une seule usine d’aluminium primaire consommait autant d’électricité que la ville de Marseille.

La question se pose alors : ne serait-ce pas un formidable candidat à un programme d’effacement ?

Oui… et non. Selon ce même Cyrille Mounier, la durée maximum d’arrêt d’une usine d’aluminium est de deux heures. Au-delà, l’aluminium fige, et il faut raser l’usine, pour un coût aux alentours de 2 milliards d’euros. Alors mieux vaut être vigilant à ne pas dépasser le seuil…

Ce cas est emblématique des problèmes rencontrés par ces nécessaires programmes d’effacement : trouver un client volontaire pour éteindre son appareil industriel (et en capacité de le faire !) pour une durée indéterminée, avec la menace de risques climatiques ou géopolitiques extrêmes qui peuvent conduire à devoir s’exécuter en quelques heures ou minutes, ça relève d’un nœud gordien.

Cela nous amène à plusieurs graphiques que l’entreprise Lancium (relayé ici par Shaun Connell) a pu réaliser sur le cas du Texas et de son réseau ERCOT (Electric Reliability Council of Texas, le gestionnaire de réseau), et qui nous permettent de mieux apprécier ces avantages lors d’un usage plus important du minage, sur un vrai réseau et en conditions réelles.

Le premier est une synthèse de ce que l’on vient de voir ci-dessus, c’est-à-dire une version visuelle des avantages du minage par rapport aux clients habituels des programmes d’effacement. Une usine d’acier peut réduire sa consommation d’électricité jusqu’à 96%, mais pas plus de deux heures. Une cimenterie peut atteindre 70%, mais pas plus de trois heures. Un mineur de bitcoin peut atteindre 97% d’effacement, instantanément, pour une durée illimitée. Pour une raison simple : il n’y a pas d’appareil industriel ou de chaîne logistique qui pourrait trinquer à la suite de l’arrêt du minage. C’est la beauté du réseau Bitcoin : il fonctionne de manière décentralisée grâce au minage dans le monde entier. Débranchez le Texas, Bitcoin continue de fonctionner normalement.

Ensuite, nous avons la courbe de prix historique du MWh au Texas.

On voit bien sur cette courbe que le prix oscille entre 0 et 130 $/MWh la quasi-totalité du temps, mais que, comme souvent, ce sont les extrémités qui posent problèmes : d’une part les périodes pendant lesquelles le prix est négatif[18] (début de la courbe) et l’on ne sait pas quoi faire de l’électricité générée, car la demande n’est pas assez forte, et d’autre part les périodes pendant lesquelles le prix grimpe soudainement de manière exponentielle, lors des pics de demande, heurtant sensiblement le portefeuille des consommateurs, ménages et entreprises.

Je m’attarde ici sur les prix négatifs et les surplus d’électricité car j’ai pu constater que c’est également un point mental bloquant, certains arrivant même à nier cette réalité, à savoir que oui, les surplus, ou les surcapacités, sont des réelles problématiques à gérer pour un réseau électrique[19]. Même en Europe, alors que le réseau est très bien maillé et interconnecté, ces problèmes existent : la semaine de Pâques par exemple, la République Tchèque a littéralement débranché des centaines de panneaux solaire car le réseau ne pouvait pas traiter cette électricité en trop, l’Espagne faisait la même chose, comme le montre la courbe ci-dessous dont vous connaissez maintenant l’allure en temps normale (voir plus haut courbe RTE solaire), et même les Pays-Bas, grand pays du soleil (non), commencent également à suer à grosses gouttes avec des prix « forward » atteignant jusqu’à -200€ MWh (!!).

Figure 9 : courbe de puissance photovoltaïque en Espagne. Dans l’après-midi du 17 Avril, environ 1 GW est débranché du réseau alors que les prix de gros étaient passés de 168€/MWh à 4€/MWh.
Figure 10 : courbe des prix “day ahead” du MWh, c’est-à-dire le prix pour réserver de l’électricité le lendemain, au 19 Avril 2023 aux Pays-Bas. Personne ne sait à ce moment-là comment sera utilisé le surplus d’énergie produit par le photovoltaïque lors des heures les plus ensoleillées, ce qui conduit le producteur à payer pour que quelqu’un utilise l’électricité.

Aux Etats-Unis, certains endroits ont des prix négatifs plus de 25% du temps, et la fréquence moyenne d’occurrence de ces prix négatifs augmente (oh surprise) avec le déploiement des ENR, quadruplant en à peine 15 ans.

Figure 11 : Fréquence d’occurrence des prix négatifs aux Etats-Unis en 2020
Figure 12 : Fréquence moyenne d’occurrence de prix négatifs aux Etats-Unis (vert) et prix moyen de gros (bleu) depuis 2006

Ces prix négatifs, qui heurtent largement la rentabilité des ENR, et donc leur déploiement, ne sont donc pas un problème marginal, mais assez central.

L’installation de minage de Bitcoin permet d’avoir un effet sur les prix que l’on pourrait schématiser sur le graphique suivant dans la catégorie « valley filling », remplissage de vallée. C’est-à-dire que le minage vient augmenter le prix de l’électricité dans les périodes où il est particulièrement bas, tout en contribuant à le baisser de manière durable lors des pics. Autrement dit, il supprime les risques sur la rentabilité des producteurs d’ENR, tout en réduisant durablement et en moyenne le coût pour les consommateurs.

Figure 13 : types de gestion de charge d’un réseau électrique côté demande

Comment cela se matérialise-t-il au Texas ?

Le graphique suivant nous montre l’exemple de l’été 2022, qui a vu des chaleurs extrêmes au Texas, avec des mineurs dont l’arrêt des machines est programmé pour se déclencher lorsque le prix de l’électricité dépasse leur seuil de rentabilité (c’est-à-dire lorsque les prix montent suffisamment. Ici, en l’occurrence, 125 $ / MWh. Le S19 étant un modèle de machine de minage).

Figure 14 : Courbe de charge du minage au Texas, prix du MWh, et seuil de rentabilité de ce minage, lors de l’été 2022 au Texas

On obtient une double courbe en miroir, la verte et la violette. La verte représente la puissance électrique sollicitée par les mineurs pour fonctionner, la violette le prix du MWh. Lorsque le prix (violet) dépasse le seuil de rentabilité des mineurs (orange), alors les machines s’arrêtent instantanément (vert) et « rendent » la capacité au réseau de produire pour d’autres clients. Ils ne le font pas par altruisme, ils le font parce qu’ils perdraient de l’argent s’ils ne le faisaient pas, ce qui est en règle générale une raison de la fiabilité de ce mécanisme : tout le monde a un intérêt à travailler dans le même sens.

Lorsqu’ils arrêtent leur machine, comme n’importe quel participant à un programme d’effacement basé sur les incitations (vu plus haut), les mineurs sont rémunérés par l’opérateur du réseau pour le service qu’ils rendent. Le mineur a un modèle d’affaires stable (soit il mine, il est rentable, soit il ne mine pas, il est compensé), l’opérateur a un consommateur flexible à disposition, les producteurs peuvent venir développer la capacité électrique du réseau, et le consommateur voit sa facture baisser à moyen terme. Tout le monde est gagnant.

A noter que le gestionnaire de réseau Texan, ERCOT, a lui-même dans un rapport récent, loué le minage de Bitcoin à la suite du blizzard historique que les Etats-Unis ont subi cet hiver. Une différence qui s’est matérialisée par le contraste flagrant de capacité d’adaptation entre le Texas et la Pennsylvanie. Là où le Texas a pu mobiliser près de 1,7 GW en urgence en s’appuyant sur l’arrêt du minage de Bitcoin, c’est-à-dire plus que la flexibilité offerte par le stockage par batterie (0,9 GW), l’éolien (1,5 GW) ou l’hydroélectricité (0,4 GW), l’opérateur pennsylvanien PJM Interconnection, lui, a dû demander par courrier aux 65 millions d’américains qu’il dessert de couper, entre autres, les lumières de Noël les 24 et 25 Décembre. Ce qui me permet de rappeler de manière sarcastique ici que les décorations de Noël aux seuls Etats-Unis ont une consommation mensuelle d’électricité supérieure à Bitcoin (au niveau mondial donc, et non uniquement USA) sur les périodes de fêtes, et que pour une raison qui m’échappe, il n’y a aucun article sur le cataclysme environnemental qu’elles représenteraient.

L’effet de long terme pour le réseau est d’envoyer un signal-prix favorable à l’installation d’une plus grande quantité d’ENR, car le risque de devoir assumer les pertes en ayant des prix négatifs devient quasi-nul. Et avec l’installation d’une plus grande capacité de production, les prix moyens diminuent à moyen-terme pour tous les consommateurs finaux.

On voit souvent à ce stade du raisonnement une réaction défensive des détracteurs de Bitcoin, qui préféreraient voir d’autres méthodes pour accélérer le déploiement des renouvelables, plutôt que d’avoir recours à ces programmes d’effacement. Faisons le raisonnement tranquillement : lorsque ces programmes d’effacement font défaut, il y a deux alternatives. Soit prendre le risque de « blackouts », tout simplement, soit les producteurs d’électricité doivent recourir à ce que l’on appelle des « peaker plants », c’est-à-dire des centrales thermiques pilotables dont le seul but est d’être mobilisable rapidement si la demande croît soudainement. Et pour être mobilisable rapidement il faut que les turbines restent chaudes, ce qui conduit à faire tourner ces centrales dans le vide 24/24, 7/7, gaspillant du combustible fossile et émettant du CO2. Aucune alternative n’est franchement exceptionnelle.

Si l’usage de batteries permet de réduire le recours à ces centrales, le minage permet d’amplifier l’intérêt en doublant l’effet « augmentation de l’offre » des batteries d’un effet « réduction de la demande » du minage bien plus réactif. En effet, une batterie ne peut rendre « instantanément » toute son énergie au réseau, alors qu’un mineur peut s’arrêter instantanément, offrant bien plus de flexibilité lors d’une gestion d’un pic de demande.

Pour conclure sur cet aspect je reprendrais mot pour mot la conclusion de l’article susmentionné de Daniel Batten, et dont je me suis largement inspiré :

  • Le solaire et l’éolien ne correspondent ni au « quand » ni au « où » des consommateurs.
  • Le minage de bitcoins se fiche du « quand » et du « où » l’énergie est produite.
  • Cela fait de Bitcoin le client catalytique que le solaire et l’éolien attendaient pour faire des réseaux électriques renouvelables une réalité.
  • Lorsque les batteries et le minage de bitcoins sont utilisés conjointement avec l’éolien et le solaire, ils peuvent résoudre presque tous les problèmes de « quand » et « où » qui menacent de limiter la quantité de renouvelable qu’un réseau électrique peut se permettre.

Aujourd’hui, le mix électrique de Bitcoin n’est évidemment pas parfait. L’étude utilisée comme référence dans la plupart des média est celle de Cambridge, qui estime à 37,5% la part de renouvelable dans le mix de Bitcoin. Sans surprise, en réalité, puisque lorsque l’on se connecte à un réseau d’électricité, on consomme le mix électrique de ce réseau, tout simplement. Il n’existe pas d’électrons verts et d’électrons gris, mais des électrons. Mais déjà, ce chiffre nous dit quelque chose : le minage a tendance à favoriser l’implantation sur des réseaux où le renouvelable est sur-représenté. En effet, au niveau mondial, la part d’ENR (dont hydro) dans le mix électrique est de 28% en 2020, c’est-à-dire 25% plus faible que le mix annoncé par Cambridge pour Bitcoin.

Mais surtout, cette étude a cependant une limite majeure (reconnue par les auteurs eux-mêmes), à savoir qu’elle ne prend en compte que le minage connecté aux différents réseaux nationaux. Or, comme on vient de le voir (et allons continuer de le voir dans la prochaine partie), les incitations à se placer hors des réseaux nationaux, dans des endroits mal desservis voire isolés, sont fortes pour les mineurs. Si fortes qu’en réalité, plus de la moitié du minage a lieu hors de ces réseaux ! L’étude de Cambridge est donc « relativement » fiable (au moins pour l’ordre de grandeur), mais pour moins de la moitié de l’électricité utilisée ! En incluant le minage « off-grid », « hors réseau », situé donc en général directement sur les sites de production isolés, on obtient une proportion d’ENR dans le mix de Bitcoin de plus de 50%. C’est plus que n’importe quel secteur industriel. Et surtout, la tendance au verdissement progresse chaque année. Dire qu’aujourd’hui Bitcoin est sale et que tout l’argumentaire que je viens de déployer plus haut est faux sous le prétexte qu’il reste du charbon dans le mix électrique utilisé par Bitcoin est donc fallacieux, et aussi idiot que de dire dans les années 1990 qu’il faut jeter le solaire ou l’éolien à la poubelle car il n’est pas rentable. Ce qui nous intéresse ce sont les ordres de grandeur, la comparaison avec les autres mix, et surtout la tendance en à peine dix ans.

Mais cela nous laisse quand même une petite moitié de non-renouvelable. Cependant, ce chiffre est en réalité aussi à relativiser, car une partie de l’usage de ce « non-renouvelable » est un jeu à somme positive pour le climat, et un de nos meilleurs leviers d’action, comme nous allons le voir.

Réduire les émissions de méthane : enfin une solution à un problème connu et majeur

Nous avons vu longuement en quoi le minage de bitcoins peut contribuer fortement à l’équilibrage des réseaux électriques, et favoriser le déploiement des ENR en améliorant leur rentabilité et réduisant leurs risques.

Il existe un autre vecteur d’utilisation du minage qui participe dès aujourd’hui à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) : la chasse au méthane.

Le méthane est en effet un GES bien plus dangereux que le CO2, 80 fois plus à court-terme (20 ans). Chaque molécule de méthane relâchée dans l’atmosphère est équivalente sur cette période à 80 molécules de CO2. Selon le Climate Policy Initiative, « alors que le méthane est responsable de près de la moitié du réchauffement global net à date, […] le financement des mesures de réductions d’émissions de méthane n’a représenté que moins de 2% des flux financiers liés aux efforts climatiques, un peu plus de 11 milliards de dollars, en 2019/2020. ».

Utiliser comme source d’énergie du méthane déjà produit et auparavant relâché est donc en réalité « négatif en carbone », contrairement aux ENR, dont le fonctionnement est « neutre en carbone » (je ne parle pas ici de la fabrication), car cela permet de réduire l’impact global sur le climat. Ici aussi, la conclusion est contre-intuitive, mais il existe donc des contextes dans lesquels paradoxalement on émet du CO2 pour atténuer le changement climatique.

Selon Inger Andersen, Directrice Exécutive du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP), « réduire le méthane est le levier le plus puissant que nous avons pour réduire le changement climatique sur les 25 prochaines années, en complément des efforts nécessaires pour réduire le dioxyde de carbone ».

Une fois que l’on a dit ça, il faut identifier d’où proviennent les émissions de méthane d’origine anthropique. Selon le rapport de l’UNEP susmentionné, « plus de la moitié des émissions mondiales proviennent des activités humaines dans trois secteurs : les combustibles fossiles (35% dont 23% pour le pétrole & gaz, et 12% pour le charbon), le traitement des déchets (décharges, eaux usées etc.) (20%) et l’agriculture (40%, dont 32% pour l’élevage au travers du fumier et de la fermentation entérique (les fameux « rots » des vaches), et 8% pour la culture du riz). C’est une des raisons pour lesquelles, à raison, la réduction de la consommation de viande et en particulier de bœuf peut permettre de réduire drastiquement nos émissions de GES.

Mais si cette dernière idée semble être globalement acceptée, peu de progrès sont faits depuis des années sur les deux premiers leviers, les combustibles fossiles et les déchets.

Le cas du torchage de gaz est emblématique. Le « torchage » est une pratique qui consiste très simplement à brûler du méthane pour éviter qu’il ne soit relâché dans l’atmosphère. Cette combustion transforme le méthane en CO2, ce qui est un gain net pour l’atmosphère, puisque comme nous l’avons vu, le méthane est largement pire que le CO2. Cependant, ce torchage n’est pas efficace à 100% (92% en moyenne selon l’Agence Internationale de l’Energie), et il représente un coût pour les entreprises qui doivent s’y livrer, ce qui ne les incite pas vraiment…

Dans la plupart des cas cela concerne les décharges (les déchets émettent du méthane) et les compagnies pétrolières, qui sont confrontées à ce problème lors de l’exploitation de gisement de pétrole, qui contiennent du gaz en trop faible quantité pour être exploitée de manière économiquement productive, et qui doit donc être torché faute de débouché.

Dans le cas des décharges par exemple, aux Etats-Unis, seul 30% du méthane émis par ce biais est torché, le reste est… tout simplement non traité, éventé tel quel dans l’atmosphère[20].

Dans le cas des exploitations d’hydrocarbures, l’Agence Internationale de l’Energie nous indique que « le torchage de gaz naturel est un problème de longue date pour l’industrie pétrolière. Les données les plus récentes indiquent qu’environ 150 milliards de mètres cubes (bcm en anglais pour « billion cubic metres ») de gaz naturel ont été torchés en 2019 au niveau mondial, soit autant que ce que le Japon et la Corée ont importé cette même année. Malgré une conscience du problème qui se développe, et un certain nombre d’initiatives destinées à réduire le torchage, la quantité de gaz torché chaque année a légèrement augmenté ces dernières années, et le monde torche autant aujourd’hui qu’il y a dix ans ». L’occasion d’apprécier (sic…) cette carte satellitaire des endroits s’adonnant à ce genre de pratiques.

Figure 15 : carte satellitaire du torchage de gaz. Données provenant du Earth Observation Group, Payne Institute for Public Policy, Colorado School of Mines.

Et ceci n’est que la face « la moins pire » du problème. Car comme pour les décharges, étant donné que le torchage représente un coût net pour les opérateurs, toujours selon l’AIE, environ un quart (!!) du gaz qui n’est pas utilisé utilement (c’est-à-dire utilisé sur site, réinjecté dans le puits, ou transmis aux zones de consommation) est relâché dans l’atmosphère sans combustion. Cela représente 55 bcm par an, dont 19 bcm provenant du Moyen-Orient et 13 bcm d’Afrique.

Puisque les détracteurs de Bitcoin aiment bien les comparaisons, en voilà une : si l’on avait transformé tout ce gaz perdu en électricité, on aurait pu obtenir l’équivalent des trois quarts de la production annuelle d’électricité de toute l’Union Européenne[21]. Voilà qui remet en tête quelques ordres de grandeur.

Grâce aux mêmes caractéristiques qui font de Bitcoin une aubaine pour le développement des ENR et l’équilibrage des réseaux, c’est-à-dire une très forte flexibilité et une capacité à s’installer n’importe où, sans impact sur d’autres chaînes logistiques, Bitcoin a le potentiel de tout simplement contribuer à la moitié (!!) des objectifs de réduction d’émissions de méthane d’ici 2045[22] (!!) de l’UNEP[23].

D’autres technologies permettent le stockage ou la capture du méthane. Dans une discussion que j’ai eue avec un opérateur pétrolier récemment, on m’a notamment parlé des efforts pour réinjecter le méthane dans les puits par exemple, afin de ne pas le torcher ni le relâcher dans l’atmosphère.

Mais là où le Bitcoin change la donne, c’est que chasser le méthane devient un revenu et non un coût ! Un véritable « game changer » pour parler français.

L’absence d’intérêt économique à traiter ce méthane est l’explication principale qui amène aux constats dramatiques de l’AIE évoqués plus haut, c’est-à-dire l’immense quantité de méthane non traitée, et la stagnation des efforts et des résultats depuis une dizaine d’années minimum.

Bitcoin offre une alternative déployable rapidement, à l’efficacité prouvée (voir Crusoe Energy)[24], qui permet d’atteindre à elle seule la moitié de l’objectif des Nations Unies. Et ce sans intervention politique, souvent source de frottements, d’inertie ou d’inefficacité, en utilisant une carotte plutôt qu’un bâton, c’est-à-dire en rémunérant directement chaque tonne de méthane évitée. Fini le jeu du chat et de la souris, entre des régulateurs lents et ne disposant pas des moyens de mettre en place suffisamment de contrôles, et un secteur industriel faisant le strict minimum, quand il n’essaie pas simplement de masquer ou de contourner les réglementations. Les réfractaires seront tout simplement moins rentables que leurs concurrents.

Bitcoin met en place un véritable programme d’incitation mondiale à œuvrer en faveur du climat, une chasse au méthane globale financée par le privé, volontairement, et non par vos deniers. Le rêve.

L’angle mort du GIEC : nous ne sommes pas dans un monde collaboratif

Ce dernier point est particulièrement important car, à mon sens, fait partie des angles morts des recommandations du GIEC. C’est une partie peut-être un peu plus personnelle de l’analyse, je ne prétends pas avoir la vérité révélée.

Dans son dernier rapport, le sixième, le GIEC établit ce qu’il appelle des SSP, Shared Socio-economic Pathways, ou Trajectoires Socio-économiques Partagées en français, qui sont des scénarii d’évolutions socio-économiques mondiales projetées jusqu’en 2100. Ces scénarii permettent de modéliser et d’anticiper diverses conséquences sur le climat et sur l’adaptation des sociétés humaines à travers la planète en fonction de nos comportements actuels.

Ces SSP sont numérotés de 1 à 5, et sont définis par un paragraphe de texte que vous pouvez retrouver assez facilement, sur Wikipedia par exemple.

En synthèse, les SSP peuvent être représentés sur une matrice en fonction des défis qu’ils représentent sur deux variables : l’adaptation au changement climatique d’une part, et la réduction de ce changement climatique d’autre part.

Figure 16 : positionnement des SSP sur une matrice représentant les défis à l’adaptation au changement climatique (abscisses) et ceux à l’atténuation du changement climatique (ordonnées). Chaque SSP a un titre résumant le scénario sous-jacent. Dans l’ordre (1 à 5) : « Durabilité », « Milieu de la route », « Rivalité régionale », « inégalité », « développement alimenté par les énergies fossiles ».

Le SSP1 par exemple est le « meilleur » scénario. Tout le monde coopère efficacement, nous arrivons à réduire le changement climatique, et à nous y adapter. On y décrit un « développement plus inclusif », le « respect des limites environnementales perçues ». « La gestion des biens communs s’améliore lentement, les investissements dans l’éducation et la santé accélèrent la transition démographique », « les inégalités se réduisent tant entre les pays qu’à l’intérieur de ceux-ci ».

A l’inverse, le SSP3 est le plus pessimiste. Intitulé « Rivalités régionales », ce scénario se place dans un contexte de « résurgence du nationalisme », évoque le retour des « préoccupations de compétitivité et de sécurité », les « conflits régionaux qui poussent les pays à se concentrer sur les questions nationales ou tout au plus régionales », les politiques s’orientent vers la sécurité, militaire, énergétique, alimentaire, et la « faible priorité accordée par la communauté internationale aux problèmes environnementaux entraîne une forte dégradation de l’environnement dans certaines régions ».

Bref, des perspectives assez peu enthousiasmantes.

Le problème, c’est que la description du SSP3 ressemble comme deux gouttes d’eau au monde actuel et probable dans le futur. Guerre en Ukraine, tensions à Taïwan, souveraineté industrielle, sécurité énergétique, « résurgence du nationalisme » sont des sujets qui sont bien plus à l’agenda politique aujourd’hui et dans les prochaines années que le développement inclusif et la gestion des biens communs mondiaux. La probabilité de passer soudainement à un monde collaboratif est extrêmement faible, ce qui est embêtant compte tenu du délai dont nous disposons…

Cependant, le GIEC n’identifie pas de possibilité en SSP3 d’atteindre l’objectif de limitation de la hausse globale de la température à +1,5°C ou à défaut 2°C par rapport à la période préindustrielle. La conclusion de référence dans le SSP3 (le SSP3–7.0 pour les puristes), c’est tout simplement un réchauffement cataclysmique de 4°C.

Conclusion implicite de la lecture du rapport du GIEC : il faut collaborer plus pour éviter le SSP3.

Mais malheureusement, le SSP3 semble plutôt être l’hypothèse de base et le monde vers lequel nous nous dirigeons.

L’intérêt de Bitcoin, c’est qu’il s’agit d’une des rares solutions qui fonctionne sans coordination politique, c’est-à-dire qui est compatible avec le probable SSP3. Cela ne veut absolument pas dire qu’il faut arrêter les efforts, qu’il faut arrêter de lutter pour plus de coordination internationale, mais il est crucial de disposer d’un levier activable y compris dans les pires circonstances de compétition féroce et de refus de coopération globale.

Synthèse

En synthèse, pour digérer, ou aller à l’essentiel pour celles et ceux d’entre vous qui auraient eu la faiblesse parfaitement compréhensible de sauter quelques lignes ou de lire en diagonale :

  • Le système monétaire actuel est construit pour favoriser la croissance, la consommation, et punir l’épargne, c’est-à-dire la sobriété et le temps long, principaux vecteurs de préservation des ressources et de leur meilleure allocation marginale.
  • Ce système repose sur une alliance opportuniste entre la première armée du monde et une monarchie pétrolière du Golfe. Cette alliance permet à la première partie d’asseoir une domination géopolitique, financière, monétaire et juridique, ainsi qu’un déficit illimité et une perpétuelle fuite en avant, et assure à la seconde partie une protection militaire. Tout paiement en monnaie fiduciaire traditionnelle est basé sur cet accord. Nous payons tous en armes et en pétrole.
  • Ce système, malgré le discours ambiant, n’est pas la « normalité » ou « ce qui a toujours été ». Il s’agit de l’exact opposé : une parenthèse ouverte il y a à peine un demi-siècle, présentée au départ comme temporaire, et qui s’est imposée par l’habitude comme la nouvelle normalité pratiquement non-questionnable. L’Humanité a fonctionné différemment pendant 99% de son histoire, il ne s’agit pas d’une réalité indépassable qui s’imposerait naturellement, mais d’une illusion collective générant son lot de gagnants (les gens proches du robinet monétaire) et surtout de perdants (tous les autres + la planète par la prédation sur les ressources).
  • Cette illusion peut tout à fait prendre fin. Mais comme pour un drogué, le sevrage sera difficile. Nous avons tellement habitué nos sociétés à l’argent infini et à l’illusion de la dette que le retour à la réalité ne pourra pas être facile ou sans heurts.
  • La transition énergétique nécessite une électrification des besoins autant que faire se peut, et la montée en puissance des ENR dans le mix énergétique mondial. Cela conduit à augmenter drastiquement les capacités de production, et surtout, la nécessité de flexibilité des réseaux. Cette dernière est aujourd’hui un des principaux points de faiblesse ralentissant la transition, conduisant à des problèmes physiques (tension électrique, transmission etc.) et économiques (prix négatifs).
  • Il n’est pas possible de construire un réseau « renouvelable » sans flexibilité dans la demande, c’est-à-dire sans programme d’effacement fonctionnel et fiable. Les mineurs de Bitcoin sont, de loin, les meilleurs candidats à ces programmes.
  • Un des points les moins discutés du changement climatique, et pourtant parmi les plus importants, est celui des émissions de méthane. La lutte contre ces émissions, bien qu’étant désignée comme priorité selon les diverses agences et organisations internationales, stagne depuis des années. Bitcoin offre une possibilité de lutter contre le gaz à effet de serre le plus nocif à court terme, et ce dès maintenant, sans nécessiter de coordination politique, car il transforme la chasse au méthane en chasse au trésor rentable pour ceux qui s’y livrent.
  • Tout ce raisonnement est indépendant de votre jugement moral, philosophique, sur « l’utilité sociale » de Bitcoin. A ce stade, même si vous considérez que Bitcoin a une utilité économique et sociale nulle, ou qu’il n’est qu’un ponzi à gogos, cela n’en reste pas moins un de nos leviers principaux d’action sur le climat. Et qui plus est, dans cette hypothèse, un levier financé directement par des gogos, donc qui préserve votre pouvoir d’achat ![25]

Le dernier rempart au développement du minage Bitcoin pour nous aider à atteindre nos objectifs environnementaux est son image.

Ce qui conduit d’ailleurs à des situations ubuesques. En 2017, le World Economic Forum titrait « En 2020, Bitcoin consommera plus d’énergie que le monde entier aujourd’hui ». Assertion évidemment ridicule, dont la base de travail étaient les calculs d’un employé d’une banque centrale (vous avez dit conflit d’intérêts ?), qui n’a servi qu’à alimenter la critique contre Bitcoin. En 2023, la consommation d’énergie de Bitcoin se situe dans un ordre de grandeur aux alentours de 0,01% à 0,1% de la consommation mondiale. Une erreur d’au minimum un facteur 1000 donc, suivie d’aucun mea culpa. Et évidemment, le mythe continue, entretenu par des média qui ne vérifient jamais la source originale de l’assertion (je précise que ce même employé de banque centrale continue d’être cité aujourd’hui comme source de référence principale).

Le même World Economic Forum pourtant, publie une vidéo en Avril 2023 mettant en avant le succès « d’une start-up qui attrape le méthane gâché pour alimenter des centres de données ». Cette start-up, c’est Crusoe Energy, mentionnée plus tôt. Et les « centres de données » en question, ce sont des mineurs de Bitcoin.

Comment passer de la dénonciation d’un cataclysme environnemental à la mise en avant d’une start-up Bitcoin en 5 ans ? Grâce au génie de Crusoe et au cynisme du WEF. C’est simple, Crusoe ne parle pas de Bitcoin, mais de « centre de données mobiles et modulaires » « capables de s’installer sur site, proche des sources d’énergie gaspillées ». Bref, des mineurs de Bitcoin, mais sans dire « le mot interdit ». Cachez ce Bitcoin que je ne saurais voir. Quelle tristesse de devoir en arriver à trouver des circonvolutions politiquement correctes pour ne pas se voir accuser de détruire la planète alors qu’on essaie précisément de l’aider ?[26]

Bitcoin est une solution contre-intuitive au changement climatique, demandant un certain effort et honnêteté intellectuels. Bitcoin est le meilleur crédit carbone qui existe, accessible à tous, sans conditions, et avec des résultats concrets et immédiats. Les alternatives pour votre épargne punie par le système monétaire actuel ne sont pas satisfaisantes : les labels ESG et autres financements « verts », au-delà d’une certaine opacité, se révèlent souvent déceptifs en termes d’orientation des financements.

Acheter du Bitcoin aujourd’hui, c’est inciter quelqu’un, quelque part, à équilibrer un réseau électrique, à développer des ENR, ou à sortir du méthane de l’atmosphère. Tout en militant pacifiquement pour la fin du système petrodollar qui incite chaque personne sur terre à détruire des ressources naturelles.

Avertissement : je ne suis ni énergéticien ni ingénieur électrique. Je suis quelqu’un qui essaie d’être curieux et honnête intellectuellement, et qui pense que l’énergie et Bitcoin ont au moins en commun d’être des sujets éminemment complexes et passionnants, aujourd’hui trop silotés. J’ai évidemment sourcé les assertions et hypothèses que j’ai utilisées dans ce texte, et essayé d’être aussi rigoureux que possible. Je suis bien entendu ouvert au débat, aux corrections, aux remarques et aux commentaires. Je peux avoir oublié des éléments dans la réflexion, et j’apprends toujours avec beaucoup de plaisir. Cependant, les commentaires du type « gneugneugneu Bitcoin ça pollue », « c’est du whataboutisme !!! », « méchant lobby du bitcoin qui spécule sur le dos des pauvres ! » ou autres invectives non argumentées seront supprimés.

Notes de bas de page

[1] Et Madame Lagarde d’ajouter « L’inflation va décliner au cours de l’année 2022 ». On sait maintenant qu’elle a environ doublé en zone euro sur la période, passant de 5% à plus de 9%.

[2] Le Dollar américain étant lui-même soumis à l’inflation (entre 1,2% et 4,7% entre 2018 et 2021)

[3] Le but n’est pas de lancer le débat économique sur les causes de l’augmentation des prix. Cette dernière ne trouve pas nécessairement et uniquement son origine dans l’augmentation de la masse monétaire. D’autres facteurs peuvent jouer et/ou reporter l’apparition de l’augmentation des prix dans le temps. Par exemple, la hausse de la quantité de monnaie à la suite de la crise de 2008 n’a pas généré une hausse massive des prix au sens où elle est calculée habituellement (Indice des Prix à la Consommation). Mais pour certains, si la hausse moyenne n’a pas été constatée, c’est parce qu’elle a été compensée par les gains de productivité qui ont tiré les prix à la baisse, pour d’autres elle s’est simplement transféré vers les actifs financiers, l’immobilier et les actions technologiques en particulier, etc. Il existe en tout cas un consensus très large pour arguer que, notamment lorsqu’elle est plus rapide que les gains de productivité, la hausse de la quantité de monnaie est un facteur principal de l’augmentation des prix durable et généralisée, et pour certains, comme les économistes de l’école Autrichienne, effectivement, le seul. Le Nobel 1976 Milton Friedman à cet égard disait la célèbre formule « l’inflation est partout et toujours d’origine monétaire ? ».

[4] Entre 1921 et 1924, l’Allemagne connaît une hyperinflation extraordinaire, la valeur du Mark-papier étant divisée par (tenez-vous bien) 100 000 000 000 par rapport au Mark-Or. C’est une des périodes d’hyperinflation les plus connues et étudiées.

[5] J’écris « officiel », car souvent ces chiffres sont contestés dans leur méthode de calcul, et sont accusés d’édulcorer la réalité. Par exemple, le site truflation.com propose une autre méthodologie que l’officielle, et si le calcul aboutit sensiblement au même résultat pour les Etats-Unis sur les dernières années, il donne un chiffre oscillant entre 15 et 20% pour le Royaume-Uni depuis presqu’un an, alors que le chiffre officiel est à peine de 10%. Je ne souhaite pas ici débattre de quel chiffre est le « bon », mais attirer l’attention sur le fait que ces chiffres sont régulièrement contestés, et qu’il est probable qu’en réalité plus de la moitié de l’humanité soit concernée.

[6] Je parle ici de sobriété systémique. Bien sûr, individuellement, on peut être très fort et résister aux incitations et injonctions. Mais cela est condamné à rester au stade de contributions marginales et individuelles qui exigent des sacrifices personnels forts, de personnes qui sont capables de consentir ces sacrifices (psychologiquement, mais aussi matériellement car leurs besoins sont déjà assurés en général).

[7] On pourrait arguer par ailleurs que ce sont souvent ces mêmes activités qui créent des « bullshit jobs », des emplois vides de sens, dans des « entreprises zombies », qui ne sont pas profitables et survivent en faisant rouler leur dette pour rembourser les intérêts de celle-ci, et qui par la suite prennent en otage les gouvernements en faisant un chantage à la préservation de l’emploi contre des subventions.

[8] Cette courbe de l’or peut vous sembler familière. Elle ressemble en effet à celle… du bitcoin ! De quoi nous interroger : serait-ce le numérateur (l’or ou le bitcoin) qui serait une bulle spéculative qui s’apprécie de manière déraisonnée ? Ou bien plutôt le dénominateur (le dollar) qui perd sa valeur ?

[9] Petit détour par l’actualité : c’est la raison pour laquelle les récentes réductions de production de pétrole, y compris par les Saoudiens, ainsi que leurs velléités à vendre leur pétrole contre d’autres monnaies, en particulier yuan et rouble, pourraient constituer des prémices d’un renversement géopolitique majeur en cours.

[10] Pour celles et ceux que cela intéresse, nous expliquons dans notre livre avec Claire Balva les débuts de l’utilisation de l’or comme monnaie standardisée au Ve siècle avant notre ère, et du leg des marchandises utilisées comme monnaies dans notre vocabulaire : les mots « salaire » et « solde » viennent du sel, « espèces » vient des épices, « argent » évidemment vient de l’argent, etc.

[11] Le système d’étalon-or n’empêche pas non plus le développement du crédit ou des banques.

[12] J’invite à écouter sur ce sujet Jacques de Larosière, dont le CV est loin de le ranger dans la case des complotistes anti-système (Ancien DG du FMI (1978–1987) et gouverneur de la Banque de France (1987–1993)), et qui tient un discours extrêmement critique envers l’action des banques centrales et de l’expansionnisme monétaire récent.

[13] Sur un total de 171 300 tonnes d’or détenu dans le monde, 84 000 sont sous forme de joaillerie, mais dont les détenteurs sont dispersés sur un nombre de détenteurs difficile à connaître. A l’inverse, 6 pays (USA, Allemagne, Italie, France, Chine, Russie) détiennent à eux seuls plus de 20 000 tonnes d’or. Si l’on ajoute l’investissement privé, c’est plus de 60 000 tonnes d’or qui dorment dans des coffres.

[14] Cette dépense d’énergie est consentie car rémunérée en bitcoins via le mécanisme transparent et prédictible de création monétaire de Bitcoin, à savoir : 50 bitcoins émis toutes les dix minutes (en 2009), somme divisée par deux tous les 4 ans environs, aboutissant à une masse monétaire maximum de 21 millions d’unités atteint vers l’année 2140. Comme l’or, Bitcoin est rare et fini, et les bitcoins sont de plus en plus difficiles à « trouver ».

[15] Daniel Batten est un investisseur, auteur, analyste et activiste environnemental depuis plusieurs dizaines d’années, aujourd’hui fondateur de CH4 Capital, fonds d’investissement dédié aux projets permettant de réduire les émissions de méthane. Il est l’auteur du site batcoinz.com qui propose de nombreuses réflexions, calculs et estimations concernant l’impact environnemental de Bitcoin.

[16] Et pour l’instant, le minage de bitcoins ne semble pas permettre à des véhicules de se déplacer par exemple !

[17] Pensez au tarif « heures creuses » d’EDF par exemple. A Paris, par exemple, les prix de l’électricité sont drastiquement réduits entre 13 et 15h, ainsi qu’entre 1h et 7h du matin afin d’inciter à l’utilisation d’appareils électro-intensifs comme les machines à laver lors de ces plages horaires où la consommation sur le réseau est faible. Cela peut aussi conduire à des disputes dans les ménages, lorsqu’on a raté ces créneaux et que l’on cherche un responsable. Et non ce n’est absolument pas une expérience personnelle !

[18] Quand un prix est négatif, cela veut dire concrètement que le vendeur est prêt à payer pour trouver un acheteur, souvent à cause de l’incapacité à gérer des externalités comme le stockage. Evidemment, un prix négatif heurte énormément la rentabilité du vendeur, c’est-à-dire bien souvent, dans le cas de l’électricité, le producteur.

[19] L’électricité ne se stocke pas, ou très mal. A l’inverse d’autres secteurs industriels, il faut donc que l’offre et la demande soient constamment équilibrées, car on ne peut pas déplacer un surplus dans le temps. Les réseaux établissent donc des cibles de fréquence électrique, qui sont pilotées afin de vérifier que l’offre et la demande sont toujours équivalentes. En Europe, l’objectif cible est de 50 Hertz, avec une tolérance à plus ou moins 0,05. A défaut, cela conduit à des problèmes majeurs pour le réseau : délestage, surchauffe, dégradation des infrastructures ou de l’appareil productif… Un surplus d’électricité n’est donc pas du tout une bénédiction.

[20] D. Batten mentionne ce chiffre et l’Environmental Protection Agency américaine comme référence, mais je n’ai pas le lien vers la source primaire

[21] Au ratio de 10 TWh par bcm de gaz, on obtient 2050 TWh pour les 150 + 55 bcm de torchage + éventage, comparé à une production annuelle de l’UE de 2664 TWh en 2020.

[22] La source de cette assertion est également Daniel Batten, dans une analyse « peer-reviewed » par Ruben Mendoza, consultant, Margot Paez et Sergio Sejas, climate scientists : « Utiliser le minage de Bitcoin pour brûler le méthane auparavant relâché peut éliminer 5,32% de toutes les émissions mondiales de GES d’ici 2045. Cela représente 23% des émissions mondiales de méthane : plus de la moitié de la cible de réduction de 45% d’ici 2045 de l’UNEP »

[23] United Nations Environment Program, dont l’objectif est de réduire les émissions de méthane de 40 à 45% d’ici 2030.

[24] Les pilotes existants ont été des succès. Voir par exemple le cas d’Exxon, ou de Crusoe aux Etats-Unis dont l’efficacité de combustion est de 99,9%

[25] Si vous vous interrogez sur cette partie utilité sociale, je vous redirige vers mon précédent article, le manuel de survie dans la jungle des poncifs anti-Bitcoin (disponible en format vidéo/podcast, merci à Grand Angle Crypto !), ou ma chronique sur BFM Business de Décembre 2022.

[26] Le même cynisme malheureux existe en France, où certaines entreprises évitent d’utiliser le mot « Bitcoin » (ou « crypto ») dans leurs statuts afin de ne pas déclencher de vendetta de la part de l’industrie bancaire, qui ferme les comptes des entreprises unilatéralement.

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