Rendez-vous avec le Diable

Pourquoi je retournerai voir Eagles of Death Metal à l’Olympia.

Ecce Homo
5 min readFeb 16, 2016

J’aime la vie comme ils aiment la mort. Je leur ai donné 3 mois de peur. Aujourd’hui, il est temps d’affronter cette peur. Ce 16 février, j’irai à l’Olympia pour embrasser le Diable à nouveau. J’irai parce que j’ai le choix. Un choix que des centaines de personnes n’ont pas. Le 13 novembre 2015, je suis né une deuxième fois. C’est une chance comme on n’en a qu’une dans son existence. Ce concert sera le premier de ma nouvelle vie. Une vie où j’essaierai d’être un peu moins con que dans la précédente, car je ne ressens aucune haine depuis les attentats, je suis même plutôt devenu un Bisounours.

3 jours après les attentats, je racontais mon vécu de cette soirée d’horreur absolue. 1 mois après, je parlais des symptômes du syndrome du survivant. 3 mois plus tard, j’ai décidé de reprendre rendez-vous avec le Diable, avec Jesse “The Devil” Hughes et son groupe de mécréants. Parce que j’ai déjà raté trop de concerts, trop de films, trop de soirées rue de Charonne et trop d’occasions de vivre à cause de ce qu’ils ont fait. Ce soir, ce concert sera comme un test, voire un rite de passage. Suis-je capable de retrouver, au moins en partie, ma vie d’avant le 13 novembre ? Réponse à 20h30.

Depuis le 13 novembre, j’ai réappris à vivre. J’ai appris à accepter ce statut de miraculé, avec ce qu’il implique comme chances et comme devoirs. Certes, j’ai traversé les fêtes de fin d’année comme un fantôme. Mais depuis, j’ai pris un certain nombre de décisions importantes. J’ai porté plainte, réalisant enfin que ces attentats avaient bien eu lieu, et j’ai fini par voir une (excellente) psy régulièrement.

J’ai lentement redonné sa chance à la musique, en commençant par découvrir que le classique et l’ambient, c’est bien aussi parfois. J’ai pris des places pour un festival de mécréants. Et finalement, la décision la plus difficile a été celle de ne pas renoncer à ce fameux concert. Il y a deux mois, je disais que je n’irais pas revoir ce groupe même s’ils jouaient dans le bunker présidentiel. Alors, pourquoi retourner finalement voir ce groupe en concert à Paris, 3 mois après ? Je me suis longtemps posé la question. Est-ce que cela a le moindre sens quand tout ce qui est associé à cette soirée est source d’angoisse et que je n’ai pas été capable de réécouter le groupe depuis le 13 novembre ?

Ce sera peut-être le deuxième pire concert de ma vie, mais j’espère au moins que cette fois, tout le monde en sortira. Je ne serai sûrement pas au troisième rang de la fosse comme au Bataclan, mais plutôt au balcon avec les politiques, peur oblige. Et je porterai les mêmes vêtements immaculés que le 13 novembre, parce que j’aime ces fringues et que ce jour-là, elles constituaient ma seule carapace, quand je tentais de me fondre dans le parquet du Bataclan pour disparaître vainement.

J’ai aussi décidé de ne pas renoncer à un projet de mariage qui me tenait à cœur, et de me rendre dans un pays de mécréants. Là encore, j’ai repensé à tous ces couples brisés. J’ai lu les histoires absolument déchirantes des familles des victimes, de quoi relativiser mes tous petits problèmes.

Le 10 janvier, je suis allé à un hommage informel aux victimes à République. Là où les noms des 149 victimes des attentats de 2015 ont été lus. C’est l’enterrement le plus triste auquel j’ai jamais été, alors que je ne connaissais aucune des victimes. Il n’y avait pas grand-monde, il faisait froid et il pleuvait des cordes. Et j’ai enfin morflé comme il fallait en chialant un bon coup, ce qui était paradoxalement nécessaire. Commencer le processus de deuil passait par là.

Le 11 janvier, j’ai appris que l’une de mes idoles était morte. Je n’ai pas pleuré la mort de David Bowie. J’ai pleuré pour toutes celles et ceux qui ne pourront plus jamais écouter David Bowie. J’ai écouté en boucle “Teenage Wildlife” et mon couplet préféré qui a résonné comme jamais en moi :

You fall to the ground like a leaf from the tree
And look up one time at that vast blue sky
Scream out aloud as they shoot you down

Il y a peu, j’ai retrouvé le couple et la fille dont je parlais dans mon premier témoignage. Celui de cette dernière est l’un des plus durs des attentats, et je me suis rendu compte que je l’avais lu sans être conscient de ce lien. Je leur ai dit que j’étais désolé d’avoir été un gros con ce soir-là. Je crois qu’ils ne m’en veulent pas trop. Apprendre que ces gamin(e)s qui ont plus ou moins 10 ans de moins que moi s’en sont sortis physiquement indemnes m’a bouleversé positivement.

J’ai aussi pu regarder un film plein de violence et de sang, je l’ai vécu comme une étape libératrice, merci American Psycho ! Depuis le 13 novembre, je me sens un peu comme un des “Coupables Survivants” dans la série The Leftovers, que j’ai découvert après les attentats. Après une disparition soudaine et inexpliquée, ces personnes se comportent comme des “rappels vivants” de ce qui s’est passé. C’est ce que font les rescapé(e)s des attentats, ceux qui restent : se battre contre l’oubli.

J’ai enfin et surtout intégré une association de victimes qui m’a fait un bien fou. J’ai même fini par m’y impliquer, parce que pour la première fois de ma vie, j’ai compris qu’aider les autres, même modestement, c’est s’aider un peu soi-même. Je ne remercierai jamais assez Life for Paris pour le boulot qu’elle fait.

Bien sûr, je ne suis pas guéri et je ne le serai sûrement jamais complètement. Mais j’ai décidé de vivre. Non par nécessité ou par procuration pour les victimes, car personne ne peut prétendre vivre avec ce fardeau. Mais parce que j’aime la vie comme ils aiment la mort.

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