source image : Assemblée nationale

La civic-tech nous permet de mieux comprendre les enjeux politiques

civic-tech #2

Valentin Chaput

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La civic-tech veut inventer la démocratie de l’ère internet. « La démocratie commence quand vous prenez une position » dit le slogan de l’application Brigade. Or, pour qu’un maximum de citoyens réalise ce premier pas, nous avons collectivement besoin d’une meilleure information sur les lois en discussion et les programmes en compétition.

Décrypter la fabrique de la loi

« Nul n’est censé ignorer la loi » dit le célèbre adage. La loi demeure pourtant le plus souvent inaccessible et incompréhensible pour le citoyen. Un consensus a même émergé pour dire qu’elle est globalement mal écrite. Décrypter la loi pour permettre à chaque citoyen de s’en saisir constitue donc la première mission fondamentale de la civic-tech.

Rappel utile : les articles qui composent une loi puis les amendements déposés par les parlementaires sont autant d’instructions d’écriture qui modifient les codes de loi en vigueur en complétant, remplaçant ou supprimant les dispositions héritées des lois précédentes. Leur formulation contient toutes les références nécessaires pour insérer la modification au bon endroit, mais devient très hermétique pour le néophyte. A titre d’exemple, voici comment se présente un article de la « loi Macron » votée en 2015 :

capture d’écran du site de l’Assemblée nationale

Les lois mises en ligne sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat se présentent sous cette forme. Elles renvoient aux alinéas d’articles de codes qui ne sont pas consultables sur les mêmes sites, mais sur la plateforme juridique de référence Legifrance. Malheureusement, en sens inverse, les propositions de modification publiées sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat ne sont pas non plus intégrées sur Legifrance tant que la loi n’a pas été intégralement votée et promulguée. Durant la procédure d’élaboration de la loi — qui prend plusieurs mois — les parlementaires et leurs collaborateurs se réfèrent donc à des tableaux consolidés présentant sur plusieurs colonnes le texte en vigueur et les réécritures proposées par les articles de loi et amendements. Pour chaque texte, cela représente des centaines de pages imprimées en centaines d’exemplaires et le grand public n’y a pas vraiment accès. Inspirée du site Genius.com et de l’écriture collaborative d’un fichier partagé Google, une visualisation intégrant directement la modification en cours dans le texte de code existant serait nettement plus compréhensible :

prototype de Parol

Parol est un projet de plateforme permettant de suivre en temps réel l’écriture des lois en débat. Le prototype a été développé en mars 2015 durant ma formation à l’école de code Le Wagon. Reflet de la célèbre formule de Lawrence Lessig « Code is Law », notre projet est parti du constat que la procédure législative ressemble à l’écriture collaborative d’un programme informatique sur un git. Si l’on considère le code en vigueur comme la version de référence (master), chaque nouvelle loi est une branche dérivée. Ce n’est qu’au moment du vote final (pull request) que la branche sera refermée et intégrée au code source (merge). Chaque article de loi est lui-même une branche de la loi. Comme dans le développement d’un site ou d’un logiciel, certaines branches sont abandonnées ; cela correspond au rejet d’un article de loi par les parlementaires (ex : article 2 ci-dessous). Le schéma se reproduit par imbrication : chaque amendement est à son tour une branche de l’article sur lequel il porte.

schéma réalisé par Sophia Kc. @ Le Wagon

La difficulté principale reste d’automatiser l’intégration des modifications. En effet, le volume de données produites par le travail législatif rend impossible la saisie manuelle : plus de 200 textes sont étudiés chaque année, avec plusieurs dizaines d’articles et des milliers d’amendements pour les lois les plus importantes. Cependant, parvenir à automatiser le processus nécessite que la machine comprenne et exécute sans aucune faille les instructions légistiques. Ce langage si particulier est certes très codifié, mais il repose beaucoup sur l’interprétation humaine. Par exemple, si trois articles de loi successifs se réfèrent à un même article de code, la référence de ce dernier ne sera pas nécessairement rappelée dans chaque article de loi : à la place, il sera indiqué « dans le même article (de code), remplacer “abc” par “cba” ». Logique pour un humain, mais insaisissable pour un robot qui va analyser chaque article indépendamment. A ce jour, aucune solution n’offre un suivi complet du travail parlementaire en temps réel.

La plateforme qui s’en approche le plus est lafabriquedelaloi.fr. Lancé en 2014 après trois ans de développement, le site a été créé par l’association Regards citoyens en partenariat avec le Medialab de Sciences Po grâce à un financement de la Région Ile-de-France. Il permet de retracer a posteriori l’évolution progressive des lois récentes à chaque étape de la procédure parlementaire, depuis le dépôt du projet initial par le Gouvernement jusqu’à la promulgation en passant par le travail des commissions et les votes dans chaque chambre. Elle aussi bloquée sur le plan technique par le défi d’une automatisation 100 % fiable en parallèle de l’élaboration des textes, l’équipe de Regards citoyens attend la publication du nouveau code sur Legifrance pour comparer et afficher ses différences avec l’ancienne version du code et les versions intermédiaires du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat. Un progrès notable a toutefois été réalisé ces derniers mois. On en voit l’utilisation pour la première fois à l’occasion de l’examen du projet de loi pour une République numérique : le site est désormais capable d’afficher tous les amendements en cours de discussion, avec des renseignements sur le groupe politique qui les porte et les élus signataires.

capture d’écran de lafabriquedelaloi.fr

L’intérêt croissant du monde numérique pour le monde politique — et réciproquement — nous rapproche doucement mais sûrement de la vision d’une « Gitlaw » énoncée par Clay Shirky en juin 2012, c’est-à-dire une écriture collaborative de la loi comparable à la conception d’un programme informatique open source. Utiliser la plateforme Github — qui permet aux développeurs de comparer les différentes versions des fichiers de code informatique — pour rendre visible l’historique des modifications successives des textes de loi est une première étape décisive. Le développeur allemand Stefan Wehrmeyer l’a fait dès 2012 en publiant les lois fédérales allemandes sur Github. En 2015, le projet Archéo-Lex de Sébastien Beyou et surtout l’initiative médiatisée de Steeve Morin ont permis aux codes de loi français de bénéficier du même traitement.

Rendre lisible la loi ne suffit cependant pas à la rendre directement accessible au citoyen qui ne maîtrise pas les rouages techniques et juridiques de la fabrique de la loi. D’autres initiatives innovantes cherchent par conséquent à l’expliquer plus simplement, soit par l’image comme le projet ImagiDroit porté par Olivia Zarcate, soit par la vidéo comme la récente initiative de Jean Massiet, qui commente en direct les séances de Questions au Gouvernement sur la plateforme de streaming Twitch et sur son site laviepublique.com.

Il est important de saluer le rôle positif de l’Etat dans le développement de ces initiatives. Il passe notamment par le volontarisme de la mission Etalab au sein du Secrétariat Général à la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP) et de la Direction de l’information légale et administrative (DILA), qui agissent pour que le Gouvernement et le Parlement poursuivent une démarche ambitieuse d’ouverture des données publiques. Citons notamment l’ouverture de la base LEGI qui contient toutes les normes juridiques françaises et la plateforme open data de l’Assemblée nationale mise en ligne en 2015. Les réutilisations de ces jeux de données sont ensuite valorisées chaque année lors des concours dataconnexion portés par l’Etat ou dans les hackathons sur les données juridiques françaises et européennes organisés depuis 2014 par le collectif Open Law.

Comparer les programmes politiques

En amont du vote des lois, une autre demande forte des citoyens concerne l’accès aux programmes politiques et leur explication en période électorale. Dans ce domaine, le Politest fait figure d’ancêtre : créé par Laurent Cald dès 2005, il permet de se positionner sur le spectre politique en répondant à des questions inspirées des différents programmes politiques. Les Etats-Unis disposent de leur équivalent avec le site ISideWith.com qui a déjà été utilisé 25 millions de fois. L’application mobile Voter a été conçue à partir de la même idée, mais dans l’objectif de toucher directement les millenials. Depuis l’élection présidentielle française de 2012, la start-up civique Voxe.org référence les propositions de tous les candidats dans un comparateur de programmes open source. En trois ans, la plateforme a enregistré plus de 3 millions de comparaisons et couvert des élections dans 15 pays grâce aux citoyens qui renseignent les propositions des différents candidats selon un modèle contributif proche de Wikipédia.

comparaison des engagements institutionnels de François Hollande et Nicolas Sarkozy en 2012 sur Voxe.org

Le concept fonctionne : en décembre 2015, les sites des principaux médias français ont intégré le comparateur de Voxe dédié aux élections régionales. Il a été consulté 700 000 fois en deux semaines ! L’équipe de Voxe.org planche désormais sur une refonte de son design dans la perspective d’être le site de référence en 2017. L’équipe américaine de Pollenize a démontré avec sa plateforme dédiée aux élections générales canadiennes d’octobre 2015 qu’internet avait encore des ressources pour rendre les programmes politiques plus attrayants.

Mais après tout, pourquoi limiter la comparaison des propositions politiques aux périodes d’élections ? Ce modèle peut s’appliquer utilement à chaque débat en cours, en faisant ressortir les controverses comme le propose le « journal des débats » Le Drenche. A la tête de Voxe.org, Léonore de Roquefeuil voit plus loin dans l’activation de citoyens engagés grâce à la civic-tech : avec le développement de la future application « NewsWatch », qui a conduit Voxe.org en finale du Google Impact Challenge fin 2015, l’objectif sera de fournir un condensé d’actualité et de prises de positions contradictoires sur chaque loi pour aider les citoyens à se positionner… avant de passer à l’action concrète !

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