#MAVOIX porte en elle l’avenir de la démocratie

Valentin Chaput
7 min readJun 3, 2017

D’où vient l’intérêt que nous portons (ou non) pour la politique ? Qu’est-ce qui explique que certain-e-s y soient plus sensibles que d’autres, y compris au sein du même milieu social ou de la même famille ? Comment « activer » la part de citoyenneté qui réside en chacun de nous ?

Je me pose ces questions depuis des années. Des mouvements pro-européens aux campagnes locales à Aubervilliers, mes observations empiriques m’ont conduit à la conclusion qu’il n’y a pas de recette ou de déterminant unique. Que tout est affaire de rencontres, de déclics et d’opportunités. A tout âge. J’ai pu observer que l’aventure #MAVOIX a opéré cette alchimie politique chez de nombreux citoyens en proposant de changer les règles du jeu et sans dévier un seul instant de son objectif de hacking radical. De quoi parle-t-on ?

#MAVOIX, c’est le projet de faire élire à l’Assemblée nationale des citoyens volontaires, formés en ligne et tirés au sort qui, une fois élus, suivront nos décisions collectives exprimées grâce à un outil numérique. Il ne reste que quelques jours avant le rendez-vous des 11 et 18 juin 2017.

Lorsque j’ai parlé pour la première fois de #MAVOIX à de nombreux amis impliqués en politique, ils m’ont regardé avec de gros yeux. Peut-être avez-vous les mêmes réactions ? Démarche irréaliste, lubie populiste, porte ouverte à l’incompétence, boulevard pour la haute administration et les lobbyistes, projet tout simplement inconstitutionnel…

Il est normal de douter de la faisabilité de ce qui n’a jamais été fait. C’est probablement le signe que ce maximalisme démocratique a un temps d’avance. Et si nous étions celles et ceux que nous attendions ?

La “vidéo des bouches”, lancement public de l’initiative le 29 septembre 2015 (plus de 700 000 vues).

J’ai abordé le concept de #MAVOIX dans la posture d’un « professionnel de la politique » qui a fait l’expérience des dysfonctionnements internes de notre système. En 2013, alors que je commençais à préparer la campagne électorale de l’ancien maire PS d’Aubervilliers, une citation de Jacques Rancière dans cette brillante interview croisée avec Pierre Rosanvallon m’a percuté : « Les partis qui, en principe, regroupent des militants également dévoués à l’idée du commun qu’ils incarnent pourraient parfaitement tirer au sort leurs candidats. Sinon, c’est qu’ils pensent qu’ils n’ont qu’un petit noyau d’hommes compétents et que les autres sont des crétins, mais dans ce cas, il faut le dire clairement ! » Cette phrase fut à la fois un électrochoc et le germe d’une évolution de mon engagement qui a mis plusieurs mois à éclore.

Le tirage au sort de la tête de liste aux municipales à Aubervilliers aurait été un exercice dangereux pour la ville, mais la sélection des colistiers que j’ai observée en qualité de directeur de campagne m’a convaincu que le poison du pouvoir — même à une échelle dérisoire — peut corrompre toute personne ou organisation et se solde généralement par le succès des plus médiocres. Prenant du recul avec les partis politiques, j’ai suivi la formation du Wagon et imaginé que la contribution à l’écriture de la loi pourrait reproduire la mécanique collaborative des développeurs de logiciels open source. Cela a abouti au prototype de Parol, que j’ai expliqué ici, et à la rencontre au printemps 2015 avec les pionniers de la civic-tech française comme Regards citoyens, Voxe, DemocracyOS, et le premier embryon de #MAVOIX.

Pour tout comprendre sur la démarche, c’est ici !

#MAVOIX est une aventure politique collective sans précédent et sans égal. En lisant les témoignages de quelques-uns des 500 candidat-e-s de l’expérimentation, j’observe que chacun-e s’y retrouve pour des raisons qui lui sont intimement propres. En ce qui me concerne, l’ADN de l’initiative est une tentative de répondre à des constats que je partage après dix ans de militantisme politique : #MAVOIX n’est pas un parti car chaque élection mérite son propre mouvement ; #MAVOIX fonctionne sans hiérarchie ni porte(s)-parole(s) ; #MAVOIX ne cherche pas de financement public ou de gros donateurs privés — et s’organise globalement avec le moins d’argent possible ; #MAVOIX ne collecte pas de fichiers de données personnelles ; #MAVOIX ne répond pas aux demandes d’interviews des médias. Ce corpus de règles musèle les guerres d’égos et libère la créativité de citoyen-ne-s qui contribuent depuis deux ans à une idée dépassant leurs intérêts individuels.

… Et cela marche !

Certes pas tout à fait comme pour les autres marcheurs. Le succès du mouvement En Marche ! a démontré de manière impressionnante ce que l’élection de Barack Obama en 2008 avait déjà prouvé : une campagne électorale est la plus trépidante des start-ups ! En partant d’une conviction profonde, il est possible de créer en quelques mois une démarche éphémère qui passe d’une poignée d’initiateurs à une force irrésistible qui fédère des milliers d’énergies. Toutefois, l’élection d’Emmanuel Macron reproduit les mêmes schémas : une campagne centrée sur un homme providentiel et jalonnée de discours ambigus. Or, si je ne devais retenir qu’une idée des deux années et demi écoulées dans l’expérimentation d’une démocratie plus ouverte et plus participative, ce serait les mots de Svavar Knutur, artiste islandais interrogé dans le documentaire Blueberry Soup :

Une démocratie n’a pas besoin de dirigeants forts, mais de citoyens forts.

#MAVOIX part de cet état d’esprit et a construit une démarche horizontale, sans chef(s) qui impose(nt) mais avec des gens qui font. Pas à pas, partout en France, en acceptant de se tromper et d’en parler, d’avoir des doutes et d’avancer. De ces dizaines de contributions volontaires sont nées des idées phénoménales de communication politique et poétique, comme la vidéo des bouches, l’affiche miroir ou les projections sur le Palais Bourbon. C’est ainsi qu’est née de manière bienveillante et transparente une première campagne historique, construite par une majorité de néophytes de la politique qui se sont en même temps formés aux méthodes de l’intelligence collective.

J’ai participé aux réunions de #MAVOIX pendant la première année, avant de me faire plus rare par manque de temps. Personne n’est indispensable ; d’autres ont pris le relais, notamment sur les projets numériques que les hackathons Open Democracy Now ont accompagné.

Le collectif a continué sa croissance exponentielle jusqu’à être forgé par plusieurs centaines de contributeurs actifs au quotidien dans une cinquantaine de circonscriptions de métropole et des Français de l’étranger.

#MAVOIX n’a pas réponse à tout, mais pose des questions nécessaires sur le fonctionnement de notre démocratie représentative élective.

La première critique émise par les spécialistes est le caractère inconstitutionnel du mandat impératif. Remarquons simplement que l’engagement de solidarité signé par les candidats “La République En Marche” est la plus flagrante violation de ce principe constitutionnel ancien.

En tirant au sort des citoyens volontaires issus de tout le territoire, #MAVOIX rompt avec une autre hypocrisie : les députés sont censés représenter la Nation toute entière et non être des représentants d’intérêts de leur terre d’élection.

Il est bien entendu illusoire d’espérer que tous les citoyens, du jour au lendemain, analyseront et voteront tous les textes de loi — les parlementaires ne le font d’ailleurs pas non plus — mais conquérir un pouvoir de décision sur les textes qui nous touchent, nous passionnent ou nous révoltent est une attente démocratique qui résonne sur toute la planète.

Il nous faut arrêter de réduire la démocratie aux rendez-vous électoraux, rappeler que l’élection est même la marque d’un système aristocratique, et construire une démocratie continue entre deux scrutins.

S’il ne devait y avoir ne serait-ce qu’un-e député-e #MAVOIX dans l’Hémicycle de la prochaine législature, nous pourrions mener collectivement une expérience politique réellement différente. Nous pourrions aller au bout du projet de plateforme permettant de suivre et de participer à l’écriture des lois en direct. Nous pourrions réfléchir aux dynamiques de démocratie liquide qui combinent démocraties directe et représentative grâce à la délégation de vote différenciée selon les enjeux. Nous pourrions prendre un peu d’avance sur le futur de la démocratie.

J’en suis convaincu : quand les citoyens n’ignoreront plus la loi, ils pourraient même commencer à s’y intéresser.

Qui fait de la politique aujourd’hui ? Je ne peux pas me résoudre à ce que la vie de la Cité soit réduite à une communauté de professionnels, de techniciens, d’experts — dont je suis à ma manière. Le renouvellement des profils qui nous est proposé ne permet pas de sortir de l’homogénéité.

Alors si vous êtes électeur ou électrice dans l’une des 43 circonscriptions où se présenteront des bulletins #MAVOIX le 11 et le 18 juin, pensez au déclic que vous pouvez enclencher en exprimant votre voix.

Pour continuer à explorer la connexion entre démocratie, technologie et citoyenneté, découvrez le rapport de point d’aencrage.

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