Huit (8) livres à lire pour s’initier à l’économie du développement

Abbas Abouchene
18 min readJul 6, 2021

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Image d’illustration / Auteur

Pour répondre aux enjeux de sociétés, l’économiste doit se doter d’une culture générale importante. L’économiste du développement, quant à lui, doit faire beaucoup plus. Il doit s’imprégner de connaissances à profusion afin d’espérer pouvoir discerner les rouages complexes et multidimensionnels du développement. Les origines du sous-développement étant variées — historique, culturelle, géographique, démographique, institutionnelles, politique, etc., l’économiste du développement doit s’intéresser aux différents déterminants et aux cultures, à la fois similaires et variées, de ses zones d’intervention pour mettre en place des programmes de développement propres et adéquats à celles-ci.

Cette culture, cet investissement sur soi-même, a sans nul doute pour socle la lecture, l’écoute des émissions radio et TV, des podcasts, le suivi des actualités ou encore des voyages. Je propose ici de découvrir huit livres — et une petite surprise à la fin :) — liés à l’économie du développement qui ont marqué ma curiosité et certainement gravé des sources de connaissances sans égales à ma quête du savoir.

Repenser la pauvreté, Abhijit Banerjee et Esther Duflo (Points, 2014)

En préambule, repensons la pauvreté avec Esther Duflo et Abhijit Banerjee, tous les deux Prix Nobel d’Économie 2019 et marié.e.s — un couple de rêve, n’est-ce pas !

Alors qu’à mes premiers rudiments sur les problématiques de développement, je me demandais toujours pourquoi ne pas étudier cas par cas celles-ci. J’ai trouvé, avec beaucoup plus de détails, mes petites idées dans ce livre, devenu une référence pour les acteurs du développement.

Pour comprendre l’importance de la résolution de la pauvreté sur le plan microéconomique, c’est-à-dire au niveau des individus, le couple cite une expérience réalisée à l’Université de Pennsylvanie. Il s’agit d’un groupe d’étudiant.e.s faisant face à deux problèmes. Une première étude présente une description d’extrêmes pauvretés en Zambie, en Angola, au Malawi ou encore en Éthiopie. La deuxième, quant à elle, décrit la situation de Rokia, une jeune fille Malienne âgée de sept ans faisant face à une grave menace de famine. Les étudiants ont reçu une certaine somme et devaient aider l’un des cas de figures. In fine, le camp de la jeune fille Malienne, Rokia, a reçu beaucoup plus d’argent. Les étudiant.e.s étaient plus touchés par la situation que traverserait la jeune fille et se sentait « perdu.e.s » face aux problèmes des pays précités.

Si nous devons tirer une leçon de cette histoire, c’est que face à un problème global, on peut se décourager et se sentir incapable de le résoudre. Pour résoudre les problèmes de sous-développement, il faudrait traiter les maux des sociétés du plus bas niveau, au niveau microéconomique, au niveau des ménages. C’est tout le défi que semble s’est lancé ce livre.

Duflo et Banerjee citent plusieurs études d’évaluation d’impact, notamment par la méthode essai aléatoire randomisé, RCT, une méthode motivant, selon le jury, l’obtention du prix Nobel d’économie 2019 par les auteurs du livre. La méthode RCT consiste à comparer deux groupes d’individus : un groupe de traitement et un groupe de contrôle. Les exemples et études réalisées sont multiples. Il peut s’agir de l’évaluation de l’éducation, de la santé des enfants ou encore d’un programme de micro-crédit. Dans le cas du micro-crédit, à titre d’exemple, la méthode se déroule comme suit : le groupe de traitement reçoit un financement pour la mise en place d’un projet, et le groupe de contrôle n’en reçoit pas mais voudrait aussi mettre en place un projet. Le but consiste à comparer les effets du financement sur la mise en place du projet, c’est-à-dire de savoir si les individus n’arrivent pas à réaliser leurs projets à cause d’un manque d’argent ou à cause d’autres facteurs (contraintes sociales, conjonctures économiques, etc.) ; et permettre ainsi aux décideurs de mieux orienter leurs politiques de développement. En revanche, l’efficacité de la méthode n’est pas unanimement partagée par les professionnels du domaine. Elle fait débat au sein de la communauté des économistes. Un nombre important de travaux est publié pour décrire les limites des RCT, notamment le livre Randomized Control Trials in the Field of Development, de Bédécarrats et al.

Afrotopia, Felwine Sarr (Philipe Rey, 2016)

Dans une ère où les discours de plusieurs Hommes politiques reviennent régulièrement sur le mot « développement », Felwine Sarr interroge tout d’abord cette notion et opte pour des solutions adaptées au continent africain, tout en s’appuyant sur ses propres réalités, sa culture et son histoire. Critique, il s’attaque à « l’occidentalisation de l’Afrique » et rappelle qu’il s’agit d’un processus en cours depuis la colonisation : « langues officielles, système d’éducation, administration, organisation économique, institutions ont pris sur le continent africain des formes occidentales ». Alors, l’Afrique n’a pas à « vivre les affres de la comparaison » et à perpétuellement se penser sous le mode du traînard « qui doit rattraper son retard et gagner des places dans les divers classements qui le lui rappellent ».

Combinant sociologie, histoire, anthropologie et économie, Afrotopia dénonce la mesure objective du développement et ses limites, c’est-à-dire le fait de s’appuyer sur des indicateurs tels que le PIB — dont j’apporte une analyse critique ici, le revenu par habitant ou encore le niveau d’industrialisation. Le développement économique est lui-même une notion issue de l’Occident et était désigné pour répondre à ses maux, et, pour Sarr, « la folie de l’Occident moderne consiste à poser sa raison comme souveraine ».

« Le continent africain est divers. D’Alger au cap de Bonne-Espérance, il est le lieu d’un foisonnement de cultures, de peuples, d’historicité, de géographies, de modes d’organisations sociales et politiques, de temporalités différentes. », rappelle Felwine Sarr la diversité de ce continent tout en faisant le parallèle sur les défis des pays africains dont ils doivent bien faire face, ensemble.

S’agissant de la modernité, notion très présente au sein des études sociologiques, Afrotopia appelle l’africain à une « réinvention de soi ». L’Africain contemporain, pour Sarr, est aujourd’hui déchiré entre une tradition qu’il ne connaît plus vraiment et une modernité qui lui est tombée dessus comme une « force de destruction et de déshumanisation ».

Afrotopia doigte aussi le rôle des élites au pouvoir. Ceux-ci, à cause de la mal gestion ou en opérant des mauvais choix économiques, seraient l’une des raisons des faibles performances économiques du continent. Ils ont laissé ainsi l’Afrique dans des rapports de domination qui lui sont défavorables dans la compétition économique internationale, en l’occurrence les règles du commerce international et les décisions géopolitiques. Une responsabilité importante revient également aux gouvernants post-indépendances, qui « ont mal géré les ressources et les institutions qu’ils ont trouvées ». Au lieu de faire des bons choix économiques, certain.e.s ont pillé les richesses de leurs pays au profil de leur clan.

Les quelques lignes que je me limite ne me permettent pas de mieux discuter de ce livre plein de riches idées et d’espoir. Sans transition, abordons les solutions que propose le socio-économiste. Mettant en avant l’individu, Sarr prône de mettre en place de projets sociaux répondant aux besoins matériels, culturels et spirituels des individus.

L’utopie africaine doit se frayer d’autres chemins de vivre-ensemble, à réarticuler les relations entre les différents ordres : le culturel, le social, l’économique et le politique. Elle doit aussi dans ce sens créer un nouvel espace de significations et ordonner une nouvelle échelle de valeurs, construire des sociétés faisant sens pour celles et ceux qui les habitent. Les acteurs du « développement » ne doivent pas penser l’histoire du continent africain qu’à partir des années 1960 ou à la colonisation. Appréhender l’histoire (économique) de l’Afrique sur une longue durée pourrait être une trajectoire complexe mais « permet de replacer des faits dits stylisés dans une perspective plus longue ». Cette projection de l’histoire permet « d’évaluer les canaux de transmission des chocs historiques », et tenir d’un déterminant des performances économiques particulièrement importants, l’histoire — en plus des dotations factorielles, de la géographie, du capital humain ou encore de la technologie.

La résilience économique nécessite des ruptures avec des modèles de production et d’accumulation hérités de la période coloniale. Elle n’est pas impossible. Il faudrait en finir avec les économies d’enclaves et d’extractions (pétrole, produits miniers), car elles n’entraînent pas de développement intégré, créent des problèmes environnementaux et entretiennent la corruption. Il faudrait aussi consolider les embellis et conserver les acquis.

Development economics, Debraj Ray (Princeton University Press, 1998)

De l’Université d’Harvard à la London School of Economics, en passant par la Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Development economics est recommandé dans le programme de plusieurs grandes universités mondiales. Avec plus de 800 pages, Debraj Ray analyse les théories et modèles économiques de développement sans égales.

Le livre étant très académique, les explications qui vont suivre vont peut-être sembler un peu techniques. Au préambule de l’ouvrage, l’auteur fait une introduction sur les différents modèles de croissance — de Harrod-Domar au modèle de Solow — et les nouvelles théories de la croissance endogène. Ainsi, bien que les modèles de croissance divergent sur plusieurs points, notamment sur le niveau d’épargne, ils s’accordent tous sur l’importance du progrès technique pour la croissance économique. Plus un pays est mieux doté en technologie, plus sa croissance, sur le long terme, est importante.

Dans un chapitre consacré aux effets des inégalités sur le développement, l’auteur relève les conséquences d’une « trappe à pauvreté » liée à l’accès au crédit. Le fait de priver les pauvres du crédit d’investissement alimenterait une nouvelle pauvreté qui se traduirait par une autre pauvreté. Un cercle vicieux de pauvreté. La pauvreté engendre la pauvreté, de sorte que la pauvreté́ actuelle est elle-même une cause directe de la pauvreté future (Azariadis et Stachurski, 2005) et laisserait le pays entier dans un… « piège à pauvreté ». La « trappe à pauvreté », si elle existe, pourrait aussi être liée à la malnutrition, les institutions ou encore la position géographique d’un pays. En revanche, la question de l’existence d’une trappe à pauvreté est au cœur des débats entre les économistes et plusieurs travaux sont publiés dans ce sens. Pour aller plus loin, s’agissant de ce sujet, vous pouvez lire l’article de Kraay et McKenzie, Do poverty trap exist ? Accessing the evidence, qui interroge l’existence d’une « trappe à pauvreté », et The End of Poverty de Jeffrey Sachs qui soutient l’existence d’une « trappe à pauvreté », ou encore l’article de William Easterly, The Big Push déjà vu : A review of Jeffrey Sachs’s “The end of poverty : Economic possibilities of our time, répondant (s’opposant) ouvertement à Jeffrey Sachs sur l’existence d’une trappe à pauvreté.

Enfin, Debraj Ray détaille aussi d’autres enjeux de développement, tels que la démographie, les politiques commerciales, le travail et le crédit, la théorie des jeux et l’équilibre de Nash, etc. Un extrait du livre est disponible ici.

L’aide Fatale, Dambiso Moyo (JC Lattès, 2009)

Diplômée de l’Université d’Harvard et ayant travaillé à la Banque Mondiale, Dambiso Moyo livre un ouvrage provocateur. Elle s’attaque à l’aide publique au développement.

Alimentés de réflexions critiques, comme l’évoque le titre de son livre, les textes de l’ancienne économiste de Golman Sachs s’attaque sans détour à « l’inefficacité » de l’aide publique au développement. En prenant clairement position dans ce débat au sein de la communauté des économistes, elle répond ouvertement à Jeffrey Sachs, fervent défenseur de l’aide publique au développement.

Les premières parties étant une explication des états de lieu du développement et de la dépendance des pays dits en développement vis-à-vis de l’aide, ainsi qu’un retour sur le débat des économistes sur l’efficacité de l’aide, je résumerai les solutions de Moyo pour « ne plus dépendre de l’aide » par ce qui suit :

« Les Chinois sont nos amis », intitule-t-elle dans un chapitre. Entre une Europe qui exige un certain degré de démocratie pour accorder de l’aide ainsi qu’une philanthropie qui lui serait devenue culturelle et une Chine dont le critère de démocratie n’est pas pris particulièrement en compte et son aide se traduisant par un investissement direct, Dembisa Moyo privilégie la commercialisation avec la Chine pour les PED (Pays en développement). Pour elle, coopérer avec la Chine se traduit par moins de paperasses, un « impact direct » sur le citoyen du pays bénéficiaire ou encore l’argument que les Africains seraient favorables pour la coopération chinoise (méfiance vis-à-vis de l’Occident à cause de la colonisation ?).

En effet, Moyo propose d’autres solutions, entre autres : Le capital et les obligations. Les PED doivent constituer un fond indépendant au lieu de s’endetter, un capital. Ou encore, les gouvernements de ces pays émettent des titres, et doivent promettre de rembourser le prêt (mécanisme des obligations). Pour rendre efficace le fonctionnement des obligations, le pays ayant émis des titres devra être évalué par des agences autonomes, il doit plaire aux investisseurs, c’est-à-dire, orienter le prêt dans des projets concrets.

Enfin, elle propose aussi une diversification plus large des économies : encourager le secteur du commerce, des banques ou encore du tourisme.

La grande évasion : santé, richesse et origine des inégalités, Angus Deaton (PUF, 2019)

Prix Nobel d’économie 2015, Angus Deaton démonte incontestablement les rouages de l’économie du bien-être dans ce livre. « Il fait meilleur vivre dans le monde de nos jours que par le passé. », peut-on lire sur l’une des premières pages du livre et c’est l’une des principales idées qu’on peut retenir de celui-ci.

Pour appuyer cet argument, l’auteur « laisse parler » des données de plusieurs indicateurs économiques sur une longue période, de 1950 à 2010. Dans plusieurs pays, même les PED, l’espérance de vie a augmenté, le taux de mortalité et le nombre de pauvres ont chuté — malgré une hausse importante de la population à partir de 1950. Sur la question de la démographie, Deaton n’est pas de ceux qui voient en la croissance démographique une menace. Plutôt une opportunité.

Appuyé par des exemples empiriques, le livre cite certains pays qui se sont « évadés de la pauvreté » et d’autres qui sont dans une « spirale » de pauvreté. Pour les premiers, il prend l’exemple de la Chine, de Hong Kong, de la Malaisie, du Corée du Sud, de Taïwan, etc. qui étaient autrefois classés dans la catégorie des « pays pauvres » et sont aujourd’hui des économies prospères. Les économistes désignent le succès de ces pays par l’expression suivante : « le miracle asiatique ». La deuxième catégorie de pays comprend entre autres la Centrafrique, la République Démocratique du Congo, la Guinée, le Madagascar, le Nicaragua ou encore le Niger. Ces derniers n’auraient pas profité de la grande évasion et se sauver. La première catégorie de pays serait en train de courir et la seconde marcherait à reculons.

L’économiste du bonheur revient également sur les origines et les conséquences des inégalités sur l’activité économique. Enfin, sur l’aide internationale, sa vision se résume à cette phrase : « L’aide pourrait être efficace, mais ne l’est pas parce qu’elle est mal orientée ».

Good Economics for Hard Times, Abhijit Banerjee et Esther Duflo (Penguin Books Ltd, 2020)

Nous nous sommes rendu compte que les problèmes des pays riches étaient en réalité très proches de ceux que nous avions l’habitude d’étudier dans les pays en développement : des gens laissés sur le côté, des inégalités galopantes, une absence totale de confiance dans le gouvernement, des sociétés et des États divisés, etc.”, peut-on lire aux premiers abords du livre.

Bien que Good Economics for Hard Times n’analyse pas spécifiquement le développement, il soulève les enjeux de l’économie mondiale dans son ensemble, particulièrement les défis dans les pays dits riches. Avec des textes faciles à lire et accessibles à tou.te.s, je recommande chaleureusement ce livre.

Le livre se plonge d’abord sur la façon dont les économistes appréhendent les problèmes, leurs erreurs et les défis qui les attendent. Une anecdote particulièrement intéressante, sur la manière dont les économistes ont du mal à rendre accessibles leurs recherches au grand public, est cité par les auteurs : « Une femme apprend de son médecin qu’il ne lui reste plus que six mois à vivre. Le médecin lui conseille d’épouser un économiste dans la Beauce [En France]. Celle-ci s’interroge s’il va la guérir. Le médecin [répond] ‘’Non, mais ces six mois vont vous paraître très long’’ ».

Parmi les approches les plus importantes que j’ai appris des écrits d’Esther Duflo et Abhijit Banerjee, c’est le fait que les pauvres sont à même de pouvoir se saisir eux-mêmes de leurs problèmes. Nous devons apprendre de leurs décisions. Les choix faits par ceux-ci ont souvent plus de sens que nous ne leur prêtons. Le couple rappelle dans ce sens une histoire racontée dans leur livre Repenser la pauvreté — cité ci-haut. Il s’agit d’un « pauvre » Marocain vivant dans un village reculé et qui, bien que lui et sa famille n’avait pas à manger, avait acheté un téléviseur équipé d’une liaison satellite. Cette idée qui semble contre-intuitive, le Marocain l’explique par cette phrase : « Avoir la télé est plus important que manger ». Cette préférence était tout à fait raisonnable pour celui-ci. Étant déjà suffisamment fort physiquement pour accomplir le peu de travail disponible, la télévision offrait à ce « pauvre » un remède au problème endémique de l’ennui pesant sur ces villages éloignés.

Ainsi, « les choix des personnes ont une cohérence, au sens où ce sont des choix réfléchis, et non faits au hasard ». Dans le cas de cet homme Marocain, l’hypothèse standard de la science économique impliquerait que tout argent entrant en la possession de celui-ci serait jeté par les fenêtres. Il serait « irrationnel » et, de facto, ceci justifierait de ne pas donner l’argent aux pauvres. Alors que plusieurs études récentes réalisées dans plusieurs pays suggéraient que ce Marocain savait parfaitement ce qu’il faisait.

Le livre aborde en effet plusieurs enjeux contemporains : le protectionnisme, le libre-échange et ses conséquences sur les « pauvres », les perdants du commerce international, le débat autour de la fin de la croissance, le rôle de l’État dans les décisions de société ou encore les défis environnementaux de notre ère.

Pour conclure sur ce magnifique livre, dont ces quelques lignes ne suffissent pas pour parler des fruits qu’il regorge, méditons sur ces textes tirés de la première partie : « Tout le monde peut se tromper. En soi, ce n’est pas dangereux. Ce qui l’est, en revanche, c’est d’être si attaché à son point de vue que l’on interdit aux faits de le contredire. Pour progresser, nous devons sans cesse revenir aux faits, reconnaître nos erreurs et aller de l’avant ».

Peut-on faire confiance aux économistes ?, Dani Rodrik (De Boeck Sup, 2017)

Faites-vous confiance aux économistes ? Si la réponse qui vous passe à l’esprit est « non », rassurez-vous : vous n’êtes pas un cas isolé. Malheureusement, selon plusieurs études, la plupart des gens ne font pas assez confiance aux économistes pour écouter ce qu’ils ont à dire. Au Royaume-Uni, une étude a démontré que seulement 25% des sondés font confiance aux économistes contre 84% pour les infirmières, qui arrivaient en tête. Une autre étude menée aux États-Unis, sur 10 000 personnes sondées, seulement 25% faisaient confiance aux économistes. Encore. Dani Rodrik, dans Peut-on faire confiance aux économistes ? essaie d’expliquer ce trou de confiance.

Parmi les enseignements les plus importants de ce livre, je retiens particulièrement la mise en garde contre la généralisation des politiques économiques aux problèmes de société. « La véritable réponse aux problèmes économiques, c’est : ça dépend », souligne-t-il. Des politiques économiques menées dans un village peuvent avoir des retombées concrètes sur celui-ci alors qu’elles pourraient simplement être inefficaces dans un autre, pour des raisons variées. Bien que cette approche soit devenue aujourd’hui le leitmotiv des économistes aujourd’hui, elle a du mal à être mise en pratique.

Tout en montrant les grandes limites de la science économique, Dani Rodrik s’attaque particulièrement aux modèles de celle-ci, orchestrées par ses tenants, les économistes. « Lorsque les économistes considèrent un modèle pour le modèle, il peut s’ensuivre deux types d’erreurs », confie-t-il. La première, ce sont « les erreurs d’omission ». Il s’agit d’un piège qui se traduit par l’incapacité à prévoir des problèmes qui menacent en aval. La seconde erreur est liée aux « erreurs de commission ». Les économistes, en se limitant sur une certaine vision du monde, se rendraient complices des politiques dont l’échec aurait pu être prévu.

Enfin, la force d’un modèle repose sur sa capacité prédictive. Les modèles qui répondent le mieux aux problèmes de société, seraient ceux qui prédisent le mieux ceux-ci, tout en tenant compte de différentes caractéristiques sociales particulières. Mais « prédire, c’est la mission la plus difficile que la société demande aux économistes », ce qui explique en grande partie le trou de confiance vis-à-vis des économistes.

Le développement, Histoire d’une croyance occidentale, Gilbert Rist (Presses de Sciences Po, 2013)

Bien qu’il soit un livre qui analyse plus des idées sociologiques qu’économiques, tout économiste du développement se doit de lire Le développement, Histoire d’une croyance occidentale. Puisque, et j’y crois formellement, l’économiste se doit, au-delà de la science économique, d’avoir une base importante en sociologie, en histoire ou, tout du moins, en anthropologie.

Critique, Rist soulève d’abord la difficulté à définir le mot « développement ».
« Lorsque les psychologues parlent du « développement de l’intelligence », les mathématiciens du « développement d’une équation » et les photographes du « développement d’une pellicule », le sens qu’ils donnent au mot « développement » est clair, et tous ceux qui appartiennent au même champ professionnel partagent la même définition. Il en va tout autrement du mot « développement », tel qu’il s’est progressivement imposé dans le langage ordinaire, pour désigner tantôt un état, tantôt un processus, connotés l’un et l’autre par les notions de bien-être, de progrès, de justice sociale, de croissance économique, d’épanouissement personnel, voire d’équilibre écologique », martèle-t-il.

Le mot développement — à l’égard de certains pays désignés entre temps de « tiers monde » -, est devenu populaire (vu le jour ?) après le « Point IV du président Truman ». En 1949, le 33e président américain, Harry Truman, prononce son discours d’investiture. Quelques jours plus tôt, une première réunion soulèvera trois points fondamentaux à aborder : les USA continueront de soutenir l’ONU, poursuivront le plan Marshal pour la reconstruction de l’Europe et créer une organisation commune de défense, l’OTAN. A ces trois points, un fonctionnaire suggéra d’ajouter un autre afin d’étendre l’aide des Etats-Uniens — jusqu’ici réservée à l’Amérique latine — pour d’autres nations « moins avancées ». La proposition sera adaptée, après quelques hésitations. Au lendemain du discours du président, la presse américaine fit les gros titres sur le désormais « Point IV » de Truman, « même si personne — pas même le président ni le secrétaire d’État — ne pouvait en dire plus que ce que chacun avait lu ».

Pour Rist le « développement est une invention occidentale ». Pour l’auteur, les organisations internationales de l’éducation, de santé ou encore de développement sont comparables à la mission civilisatrice et la philanthropie prônée par les administrations coloniales à l’époque, tout comme l’existence des instituts d’études du développement qui serait en parallèle à celle des écoles coloniales.

Enfin, sur des textes de cinq cents pages, Rist aborde plusieurs notions critiques sur le développement : la métaphore de cette « croyance » occidentale, la modernité et la modernisation, la mondialisation, l’importance de l’histoire ou encore des visions au-delà du développement.

En bonus, L’Urgence africaine : Changeons le modèle de croissance, Kako Nubukpo (Odile Jacob, 2019)

En bonus de clôture, je ne peux pas résister à recommander ce livre de Nubukpo (je ne l’ai pas encore lu et il me tarde de le faire) qui semble particulièrement intéressant.

Le résumé sur la quatrième page de couverture : « Derrière le discours savamment rodé d’une émergence africaine, les faits restent têtus. L’Afrique subsaharienne est la seule région du monde où la population extrêmement pauvre (sous le seuil de 1,25 dollar par jour) a doublé en cinquante ans. Si croissance il y a en Afrique, elle est loin de profiter à l’ensemble des Africains. Ce livre défend la thèse de l’instrumentalisation de l’Afrique comme laboratoire du néolibéralisme avec la complicité de ses propres élites. Il tire la sonnette d’alarme sur la réalité d’un continent à la dérive, subissant des prédations minières et foncières, des sorties massives de capitaux, ou encore la concurrence des surplus agricoles européens. Or des solutions existent : elles reposent sur les ressources et les savoir-faire africains. Leur mise en oeuvre suppose le retour à la souveraineté, notamment monétaire, et la prise en compte de la société civile. Il y a urgence, car la croissance démographique fait du continent africain une terre de prospérité future ou… une véritable bombe à retardement. »

Si vous êtes intéressé.e.s par les livres liés au développement de façon générale, mon camarade Amaël Cognacq recommande cinq livres pour les jeunes citoyen.ne.s du monde.

Vous pouvez me contacter via LinkedIn pour discuter davantage de ces lectures et/ou m’en recommander d’autres.

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