Smart city, une équation complexe

À quoi devrait ressembler la ville du futur ?

Arnaud Bartois
7 min readOct 17, 2016

Environnement, énergie, logement, mobilité, qualité de vie… Ces enjeux nous concernent tous, tous les jours. Ils mettent en lumière des écosystèmes complexes, faits d’infrastructures, de produits, de services, de réseaux et de données. Avec près de 50% de la population mondiale vivant en ville (avec une prévision de 80% en 2050), la façon de penser la ville et de la faire évoluer sont devenus des enjeux clés dans le développement économique, social et sociétal.

Cette question, aussi vague que stimulante, était au coeur de la réflexion portée lors du Maddytalk* consacré à la ville intelligente et auquel nous avons assisté. Cinq intervenants venant des mondes de la mobilité, de l’énergie ou de la construction se sont partagés la parole pour tenter d’y répondre : Virginie Alonzi, directrice de la prospective chez Bouygues Construction, Diego Isaac, directeur marketing chez Navya, Maureen Lebaud, directrice investissement chez Demeter Partners fondation, Philippe Baptiste, directeur de la recherche au sein du groupe Total et enfin Sandra Rey, Fondatrice de la startup Glowee.

Une ville plurielle

Pourquoi vague ? Parce que dans cette question, deux termes n’ont pas de définition figée et sont par nature en perpétuelle évolution : la ville et le futur. Et en connectant ces deux termes, nous nous retrouvons face à une des premières limites de la “smart city”: sa définition.

Ville intelligente, ville numérique, Smart city, ville durable… Beaucoup de définitions différentes se cachent derrière cette thématique. Autour de la table, tout le monde avait la sienne. Et dans l’assistance, la définition même de ce qu’est la ville s’est posée : doit-on s’arrêter aux frontières d’un centre ville ou parcourir tout le tissu urbain et aller jusqu’aux agglomérations, communautés de communes, etc.?

“Une ville humaine et vivante, sobre et vertueuse, ouverte et partenariale”.

Pour certains, comme Philippe Baptiste, la ville de demain sera technologique. Elle fonctionnera en autonomie par la combinaison d’une forte implantation de capteurs et d’intelligences logicielles à gérer le plus efficacement possible. Pour d’autres, cette intelligence sera collective et aura pour principal objectif d’intégrer le citoyen au coeur des décisions. Pour Virginie Alonzi, la gestion de la ville intelligente ne devra pas seulement se faire par des spécialistes mais devra faire interagir l’écosystème des startups, les ONG, les entreprises, les collectivités et les citoyens : la ville intelligente est une “ville humaine et vivante, sobre et vertueuse, ouverte et partenariale”.

Mais finalement, c’est deux visions ne sont aucunement hermétiques et tout le monde était d’accord pour dire que la ville intelligente en sera une combinaison.

“une équation à résoudre”

Pour Maurine Lebaud, cette ville intelligente est “une équation à résoudre” : avec 70% des émissions de CO2 venant des villes (le monde du bâtiment consomme 40% de l’énergie final), l’enjeu environnemental est de plus en plus pressant alors que les infrastructures et les ressources sont limitées et que les villes voient leur budget se réduire chaque année.

L’objectif est donc de la résoudre en appliquant les bonnes transformations, nécessaires pour accueillir les nouvelles infrastructures qui redessineront complètement nos villes. Pour Diego Isaac, la résolution de cette équation ne pourra se faire d’un seul coup. Notamment dans un contexte où l’intégration du citoyen dans le processus de décision et de reflexion entraîne des différences de point de vue et de contexte d’usage. Et selon Philippe Baptiste, ces transformations ne pourront se faire de façon radicales car le contexte législatif ne le permettra pas. Tous les participants se sont ainsi accordés à dire qu’une dynamique d’expérimentation est primordiale pour mettre en route ces transformations à des échelles réduites pour aider à convaincre les pouvoirs publics de l’intérêt et de la réussite de ces projets. Pour Sandra Rey, “la loi ne peut anticiper l’innovation”. Cette dynamique incrémentale sera également le meilleur moyen d’assurer l’adhésion des citoyens. Et au delà de l’aspect législatif, l’évolution sera progressive car les temps de renouvellement des outils en jeu, que ce soit la mobilité ou le logement, sont longs.

La place des collectivités dans cette équation est indéniable. Mais elle n’apparaît pas comme la composante la plus simple à intégrer. Pour Sandra Rey, celles-ci doivent faciliter la mise en place de ces expérimentations et être à l’écoute de ces propositions d’innovation. Malheureusement, “l’innovation n’est pas leur métier” et un conflit de temps surgit, entre ceux assez courts des collectivités (5–10 ans) et ceux plus lointains et nécessaires aux innovations de ruptures pour réduire leurs incertitudes intrinsèques. Pour Maureen Lebaud, l’enjeu supplémentaire pour ces collectivités sera de pouvoir garder assez de souplesse et de flexibilité pour ne pas trop encadrer ce secteur et ainsi accélérer l’expérimentation.

“fournir des alternatives”

Pour Diego Isaac, l’enjeu principal autour de la mobilité sera “d’accroître la capillarité des transports en commun” en proposant des solutions dans les premiers et derniers kilomètres qui sont les plus décisifs dans l’adhésion des citoyens aux systèmes de transports en communs. C’est ce que propose Navya avec sa navette autonome, déjà en fonctionnement dans le quartier de Confluence à Lyon.

Navette autonome Navya, déjà déployée dans le quartier Confluence à Lyon.

Selon Philippe Baptiste, le domaine de l’énergie n’est pas en reste avec le besoin d’offrir toutes les possibilités possible en matière d’énergies renouvelables ou d’énergies fossiles décarbonées. Quand à elle, Sandra Rey a insisté sur le devoir d’offrir des alternatives aux énergies « classiques » et de ne surtout pas imposer un modèle de distribution ou de production pour être au plus proche des besoins des citoyens, des collectivités et des entreprises. C’est l’ambition de Glowee qui travaille sur une lumière bioluminescente pour repenser l’éclairage urbain.

Sans oublier l’habitat, espace de la ville dans lequel nous passons la plupart de notre temps. Pour Virginie Alonzi, que celui-ci devienne une source de revenue ou un moyen de produire de l’énergie, son enjeu sera de fluidifier l’interaction des citoyens d’un quartier et de proposer une mutualisation des services.

Intégration de la technologie de Glowee sur la façade d’un bâtiment.

Tous ces enjeux mettent ainsi en lumière un changement de paradigme dans la gouvernance des villes : le passage d’un monde centralisé à un monde décentralisé, pour une gestion de l’énergie plus participative et flexible, une façon de penser la mobilité plus systémique et un habitat plus responsable.

Un sujet non dépourvu de débat

Au delà de l’habitat, de l’énergie et de la mobilité, un enjeu plus transversal s’est retrouvé sur le devant de la scène : le débat autour du big data. Amené par la déferlante du numérique, qui a « tout emporté sur son passage », selon Philippe Baptiste, et a remporté une adhésion assez forte des utilisateurs, il engage cependant énormément de questions sur l’utilisation des données relatives à la vie privé des citoyens. Toujours selon Philippe Baptiste, “il faudra rester vigilant” car il serait de très mauvaise augure de perdre la confiance des citoyens sur des problématiques aussi vitales et proches de leur quotidien. Un retour en arrière serait alors très compliqué.

Sur une thématique aussi complexe et engageant autant de parties prenantes que la smart city, des enjeux d’open innovation paraissent incontournables (voir un article précédent sur le pilotage de l’open innovation par wds). Pour Virginie Alonzi, avec l’arrivée d’une dimension académique, il est indispensable d’avoir une vision horizontale et systémique de la smart city. Pour Diego Isaac, nous ne devons pas avoir un point de vue uniquement franco-français, mais s’inspirer des expérimentations qui sont déjà en cours dans d’autres villes du monde et notamment de celles qui viennent de pays en développement dont le contexte peut permettre de fournir des innovations frugales.

Le mot de la fin a été donné à Virginie Alonzi, qui a mis en avant un dernier enjeu non discuté pendant la conférence : celui du vieillissement de la population. Avec une population française qui compte plus de personnes de plus de 65 ans que de moins de 18 ans, des problématiques d’accessibilité dans tous les secteurs de la smart city seront à prendre en compte. Vous pourrez d’ailleurs retrouver wds au silver economy salon qui se tiendra du 15 au 17 novembre, Porte de Versailles à Paris, pour une table ronde sur l’utilisation du design dans la silver economy.

Pour aller plus loin sur la thématique de la smart city, un petit aperçu de startups (dont Glowee) qui veulent révolutionner la ville ainsi que le retour vidéo de la conférence.

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*Les MADDYTALK sont des conférences organisées par Maddyness pour explorer les grandes tendances qui feront le monde de demain.

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Arnaud Bartois

Designer @WeDigital.Garden. Curious about behavioral sciences, user research, rapid prototyping and design processes and tools.