Le purgatoire de Kalanick — Partie 3/7 des débuts de Uber

Benjamin Chaminade
36 min readSep 26, 2018

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Le Podcast épisode 3/7

Je vous propose de reprendre le fil de l’histoire des débuts de Uber en revenant au début de l’automne 2000. A la fin de l’épisode 1, nous avions laissé Travis Kalanick sans un rond après le dépôt de bilan de SCOUR et sans perspective après avoir quitté ses études pour développer SCOUR. Justement.

Alors que le corps de Scour n’est pas encore totalement froid, faisons un rapide état des lieux de la situation des 6 co-fondateurs.

Une équipe de chercheurs d’emploi

Cette équipe qui se retrouvera séparée par un échec — ne créera pas de “mafia Scour” — comme il y aura par la suite une “mafia Paypal” dans laquelle vous trouvez les fondateurs de Linkedin, Tesla, Palantir, Youtube, Square et Yelp.

La mafia Paypal

Les membres fondateurs de Scour finiront tous salariés à l’exception de Kalanick.

Equipe de winners

Commençons avec Vince Busam, le créateur du crawler sur lequel est basé Scour. Il passera par Google avant de rejoindre Condé Nast, le géant de l’édition américaine (Wired, Fast company), en tant que développeur.

Dan Rodrigues, le CEO disparaitra 2 ans avant de cofonder Skematix une entreprise de développement web et lancer en 2004 Kareo une plateforme cloud pour professionnel de la santé dans laquelle Kalanick investira en série D en 2011.

Kevin Smilak, l’ainé de la bande, et le seul a avoir continué ses études (à Stanford ) pendant l’aventure de Scour, s’associera avec Rodrigues pour créer Skematix. Quand cette boite déposera le bilan, il rejoindra google comme directeur de l’ingénierie logicielle.

Jason Droege, créera une plateforme de vente de matériel de golf de seconde main pendant 2 ans. Il deviendra ensuite président d’une boite de développement télécom qui sera rachetée par Google. Il sera ensuite président d’une filiale de Teaser pour finalement rejoindre en 2014 rejoindre, devinez qui… Uber…où il sera “Head of uber everything ». Branche à laquelle appartient Uber eats.

Et finalement, Mike Todd et Travis Kalanick, qui en décembre 2000, un mois après la vente à l’encan de Scour, créèrent Red Swoosh. La légende dit que c’est en référence au logo de Scour. Pour info, le Swoosh est le surnom donné au logo de Nike représentant l’aile de Niké — la déesse grecque de la victoire.

Dans Red Swoosh, Kalanick, serait cette fois-ci co-fondateur et chargé du marketing et des relations investisseurs tandis que Mike Todd sera co-fondateur et CTO Chief Technology Officer. En résumé, on ne change rien à une équipe qui gagne, ou pas.

Travis Kalanick — avant ses cheveux Red Swoosh (gris sur les tempes)

Red Swoosh, c’est Scour avec un twist. La technologie est la même, mais elle sera proposée en BtoB et non plus en BtoC. Swoosh rejoignait ainsi un marché sur lequel il y avait déjà pas mal d’acteurs comme Akamai ou Digital island.

Bis repetita et copié-collé

Plutôt que de proposer à des particuliers de s’échanger leurs vidéos ou leurs musiques, ils allaient proposer aux entreprises créatrices de contenus — celles-là même qui avaient poursuivies Scour — d’utiliser leur techno pour partager leurs fichiers directement avec leurs clients. Oui, l’innovation et la réinvention peuvent consister à refaire la même chose.

Si vous achetiez un film à Universal, par exemple, le système vous mettait en relation avec l’ordinateur d’un autre client d’Universal proche de chez vous qui avait déjà le film sur son disque, plutôt que d’utiliser les serveurs d’Universal.

Je vous rappelle que iTunes ne sera officiellement présenté au public que dans plusieurs mois et que les distributeurs n’avaient pas attendus Jobs ou Netlix pour réfléchir à la distribution de leurs contenus sans passer par un support physique. Le seul hic, à l’époque de AOL, de Wanadoo et d’infonie était que le partage de fichiers pouvait être extrêmement cher ! La technologie du peer-to-peer promettait de sérieuses économies.

Cette stratégie s’appelle « Asset-light » car elle fait effet de levier sur des infrastructures qui existent déjà. Uber, Airbnb ou Deliveroo seront asset-light. Tesla vachement moins. En terme de business model on parle plutôt du “Piggybacking » qui en français signifie “porter quelqu’un sur ses épaules”, ce qui revient à utiliser l’écosystème d’un autre pour prospérer.

J’aurais cru que ça se traduirait en “Saprophyte” ou en “Parasite”

Il y a plusieurs types de Piggybackers :

> La symbiose : quand le piggybacker propose des services complémentaires aux service offerts par l’entreprise piggybackée. Paypal qui propose une solution de paiement sécurisé pour les clients de ebay ou Guestly qui propose des services de ménages et de gestion de clés aux propriétaires qui louent sur Airbnb.

> La protection : Chaque partie gagne la protection de l’autre en promettant de ne pas aller sur les plateformes de l’autre comme Facebook et Spotify ou Belkin et Apple.

> Les parasites: Qui ne demandent rien pour s’implanter, comme Airbnb qui a utilisé Craiglist pour annoncer leurs offres avant d’être bloqué, skype qui proposait des solutions d’appel gratuites sur le dos des fournisseurs d’accès ou bien sur Scour qui proposait de télécharger des musiques ne leur appartenant pas et disponibles sur des disques durs ne leur appartenant pas non-plus.

D’un point de vue commercial, Kalanick n’allait pas repartir de zéro pour trouver des clients. Il commença immédiatement à s’adresser aux anciens clients de Scour. Les mêmes clients dont les services juridiques avaient entrainés la chute de l’entreprise.

En résumé Red Swoosh, c’est comme si un dealer devenait pharmacien !

Dans un premier temps, avec le réseau, l’argumentaire et la force de conviction de Kalanick, la curiosité des clients l’emportait sur leur rancune. Ceux-ci leur disait « Mais ? On vous a pas poursuivi et fermé ? Et maintenant vous essayez de nous vendre autre chose ? Bon, d’accord, montrez nous ce que vous avez, juste pour voir. »

Et Kalanick qui expliquera plus tard avec son génie pour le storytelling que l’idée de ce business était de se venger des clients qui l’avaient poursuivi — tu parles, comme si c’était aussi simple — commença à présenter son service à ses anciens clients. C’est ainsi que, par exemple, 30 personnes participèrent au rendez-vous de présentation de RS à Disney. Ce fut d‘ailleurs l’une des première prise de parole en public dans le monde professionnel de Kalanick. Selon des personnes présentes, il ne tenait pas en place et bredouillait au point que l’un des ingénieurs qui l’accompagnait lui dit de respirer et de se calmer. La présentation fut une réussite et la réunion se termina par la demande d’une propale de la part de Disney.

Ben voyons. Et la marmotte…

Ses prestations orales s’amélioreront peu à peu par la suite mais ses présentations resteront malgré tout confuses. Et je ne vous parle pas de l’intervention de Failcon 2011 à laquelle j’ai assisté où après avoir bu trop de coca-light il commença son intervention en rotant à plusieurs reprises.

En écoutant ceux qui ont travaillé avec lui à cette époque, comme Francesco Fabbrocino, un ingénieur qui travaillera à RS de 2001 à 2002 avant de rejoindre Napster, Kalanick était un travailleur acharné. Toujours au téléphone et…oubliant fréquemment son portefeuille avant d’aller déjeuner.

Francesco dira aussi qu’il était difficile de lui faire confiance avec son coté grande gueule et qu’il n’était là que pour l’argent. Il raconte bien volontiers l’histoire qu’un lundi matin après une réunion, Travis écrivit le S barré — symbole de dollar — sur un tableau blanc au vu de tous avant de le souligner et de l’encercler — juste pour être sur. D’abord pour insister auprès de ses salariés, en majorité ingénieurs et donc déconnectés de la relation client que gagner de l’argent était une priorité et d’autre part pour rassurer les investisseurs qui pourraient éventuellement venir dans les bureaux que Red Swoosh qu’ils n’étaient pas un Lifestyle business.

S barré souligné encerclé (reconstitution)

C’est peut-être un résumé facile de son comportement, mais cela augure ce qu’il se passera dans l’avenir avec Uber, quand Kalanick installera une culture d’entreprise basée sur la croissance à tout prix.

Cependant, à cette époque, on ne peut pas en vouloir à Travis qui n’avait que deux choses pour permettre à RS de réussir :

1> Une techno déjà utilisée.

2> Un business model bancal.

Toute son offre reposait sur le fait que le transfert de fichier pouvait à l’époque couter jusqu’à jusqu’à 600$ le Gigaoctet. Mais voilà, ce coût ne cessait de baisser et rendait l’offre de RS de plus en plus difficile à vendre alors que pourtant, techniquement, elle avait 4 ans d’avance sur ce que proposait la concurrence. Et dans le monde de l’entreprise, comme à un premier rencard, il est aussi mauvais d’être en retard que d’être en avance. Est-ce que vous vous souvenez de l’Archos Jukebox 6000 le précurseur de l’ipod ou de Bedycasa le précurseur de Airbnb ?

Archos Jukebox 6000

Pour continuer dans les handicaps, n’oubliez pas que dans son CV d’entrepreneur, Kalanick ne disposait que d’une expérience et que celle-ci avait mal tournée avec poursuites et faillite.

Et quand vous cherchez des fonds auprès d’investisseurs vous n’êtes pas en train d’écrire un article sur Medium intitulé “Autopsie d’un échec qui sera peut être un succès” ou “Bâtir de la résilience pour rebondir dignement après l’échec”. Vous prenez votre téléphone, vous parlez à des gens et ces gens se renseignent sur vous !

En plus, pour arranger le tout, Kalanick partait à la chasse à l’investisseur alors que l’ambiance dans la Silicon Valley n’était plus à la fête chez les VC. Et l’explosion de la bulle internet avait laissé des traces. Terminé le temps ou l’on pouvait de trouver 4 millions en quelques mois pour un startup piratant le contenu des autres et — plus important — sans clients payants. Oui, parce que bon, pirater le travail des autres aurait été secondaire si il y avait de l’argent à clé…

Pour ceux qui l’ont manqué, la bulle internet fut la ruée vers l’or de la Silicon Valley. Pendant cette bulle, débutée en septembre 1998 et achevée en mars 2000, il y avait de l’argent disponible facilement de la part d’investisseurs devenus riches dans le monde physique et qui voyaient dans les “NTIC” et les “autoroutes de l’information” un moyen de faire fructifier facilement leurs avoirs. Oui, comme certains penseront le faire avec le Bitcoin.

Durant cette période, des légions de salariés démissionnèrent de leur emploi pour fonder ou rejoindre une startup qui leur avait fait miroiter des Stocks-options devant les rendre millionnaires dans l’année. Garanti. Signez là.

C’est à ce moment là que les investisseurs commencèrent à investir dans des business model / puits sans fonds qui n’avaient pas prévus de dégager du résultat mais d’avoir de la “traction” pour occuper le terrain. Une entreprise laçant son site en .com pouvait doubler sa valeur en quelques jours.

Sainte époque.

Prenez par exemple boo.com, un site de vente en ligne de mode qui sert souvent d’illustration de ce qu’il se passait pendant la bulle : De sa création en 1998 à sa faillite en 2000, Boo aura fait $200 000 de résultat avec 300 000 clients. Très peu pour une entreprise qui employait 400 personnes alors qu’il a été estimé par la suite que 30 auraient suffit. Mais c’est une point-com (Dot-com) alors allons y, investissons !

Je pourrais aussi vous parler de Webvan, une épicerie en ligne qui en 18 mois d’existence dépensa $1 milliard dans une série d’entrepôts futuristes coûtant 30 millions chacun, obtenu $500 millions en devenant une entreprise listée qui sera valorisée 1,2 milliard. Webvan fit faillite en licenciant 4500 salariés. Oui, tout ça en 18 mois.

Si nous le construisons. Ils viendront…Et bien non.

Dans ce contexte de post-Bubble, la fête était terminée et les valorisations des startups survivantes avaient été revues à la baisse. Sans parler que beaucoup de sources de financement s’étaient taries. Pourtant, vaille que vaille, Kalnick continua à rencontrer des VC qui bien sur passèrent le deal l’un après l’autre. L’un lui dira même qu’il n’y avait plus grand chose à inventer en logiciel et qu’il ferait mieux de se recentrer sur des business de la vraie vie comme l’épicerie. Après tout les gens auront toujours besoin de se nourrir n’est ce pas?

Premier client

Finalement, la première source récurrente de cash que recevra Swoosh ne parvint pas grâce aux efforts de Kalanick, ni par l’arrivée de la clientèle de Disney qui prenait son temps avec des allers et retours entre leurs équipes et Kalanick. Elle provint d’une source totalement inattendue : L’entreprise qui avait racheté latechnologie de Scour — Centerspan — avait besoin de comprendre et de développer ce qu’ils avaient acheté. Ce qui créa un flux d’honoraires de conseil pour Swoosh qui devint responsable de maintenir leur data center à jour et en état de fonctionner. C’est ce qui permis à Swoosh de survivre au début puisque les clients…et les investisseurs… ne se bousculant pas au portillon malgré les appels incessants de TK comme il était désormais surnommé par la petite équipe d’ingénieur qui s’était constituée autour de Lui et de Todd. Ce surnom le suivra à UBER.

Malheureusement, les véritables ennuis commencèrent rapidement. Les revenus du contrat avec Ceterspan commencèrent à baisser et arriva un jour où ce seul flux d’entrée ne suffisait plus aux besoins de l’entreprise. En plus, les compétences de Todd en matière de gestion montrèrent vite leurs limites. Symptôme le plus visible : La paie des 7 salariés était souvent en retard ou fausse. Et pour simplifier les choses, certains salariés étaient en régie chez Centerspan créant de la confusion dans leur statut. Il ne fallut pas longtemps avant que Red Swoosh cesse de payer les cotisations patronales et s’attire les foudres de l’IRS jusqu’au point de leur devoir 110 K$ début 20001.

Jongler avec la trésorerie ok, c’est le jeu, mais avoir une dette sociale est très très dangereux et ce au-delà des frontières de l’entreprise. Cela donne un signal très clair auprès des investisseurs qui auraient pu être éventuellement intéressés et qui s’apercevraient pendant la « Due diligence » que si la voile claquait, ben…la coque était pourrie. Autant dire qu’une dette sociale est plus efficace qu’un panneau : « Ne pas approcher, danger !». A noter que pendant ce temps là, Ni Todd, ni Kalanick ne se payaient. Situation qui pour Kalanick durera 4 ans.

Email, Trahison et Sony

Ce moment fut aussi le début de la fin de la relation avec Todd. Et là, la situation n’est pas claire. D’un coté nous avons Todd qui n’était pas d’accord sur la pratique de TK d’utiliser l’argent dû à l’IRS pour faire survivre la boite et s’inquiétait d’en être tenu responsable. Kalanick de son coté reprochait à Todd d’être coupable de cette situation puisque c’est lui qui gérait la compta. Niveau bac à sable.

Mike Todd, le type de droite.

Pour achever leur relation, Kalanick dira avoir découvert un mail destiné à Todd et provenant de Sony prouvant que celui-ci cherchait à faire recruter par Sony l’équipe d’ingénieur de Red Swoosh (et lui même) à Sony sans lui dire. L’entreprise existait depuis 8 mois, leur amitié depuis 4 ans et Travis demanda à Todd de quitter l’entreprise car c’était une évidence pour lui que Todd n’était pas fait pour la vie de startup ou en tout cas pas fait pour travailler avec lui. Sur Linkedin Todd fera continuer son expérience jusqu’en 2003.

Ce qui était une amitié aux compétences complémentaires se termina en doigts pointés. Selon Adam Lashinsky l’auteur de « Wild Ride » aux éditions Portfolio, le point de départ de leur déchirement semble avoir commencé le jour où Todd aurait vu que dans sa signature d’email Travis avait écrit “fondateur” et pas “co-fondateur”.

A son départ de RS Todd gardera ses 50% des parts. Plus tard, beaucoup plus tard, il se félicitera de l’avoir fait même s’il ne pouvait plus voir Kalanick en peinture. Son aventure ne s’arrêta pas là. Son parcours professionnel l’emmena après 1 an de «in between » à Google avant qu’il ne cofonde plusieurs entreprises avant de devenir le patron de l’ingénierie mobile d’Alexa chez Amazon.

Le destin s’acharne

Coté business, les choses commencèrent à s’arranger pour Kalanick devenu seul maître à bord. Les journées passées au téléphone, tantôt pour trouver des clients, tantôt pour relancer les prospects et notamment Disney qui n’avait toujours pas signé et tantôt pour trouver des investisseurs commençaient à payer et un rendez-vous qui promettait de changer radicalement l’avenir de Red Swoosh fut organisé avec un membre du board de Akamai, une entreprise de New-York qui cherchait à développer la même techno que Red Swoosh et dont Disney était client.

Mais un événement qui allait devenir un fait historique allait en décider autrement et reporter de 6 ans le dénouement que Kalanick attendait.

Le rendez-vous devait avoir lieu le 11 septembre et Kalanick devait rencontrer à Los Angeles « Danny Lewin » le co-fondateur et CTO de Akamai qui venait spécialement à LA pour le rencontrer et parler d’un partenariat qui aurait pu se conclure par un rachat.

Danny Lewin — Akamai

Malheureusement, Lewin était dans le vol American Airlines 11 qui percutera la tour nord du WTC.

Selon la page Wikipédia qui relate l’attentat, lorsque 2 pirates de l’air se sont levés (sur 5) pour menacer les passagers Lewin aurait tenté d’intervenir. Il était capitaine des forces spéciales de l’armée israélienne. Malheureusement il se serait fait surprendre et égorgépar le 3e terroriste qui était assis juste derrière lui. Ce qui faisait de lui la première victime du 11 septembre.

Si vous en avez l’occasion je vous conseille un ouvrage a étédédié à la vie de Lewin : “No Better Time: The Brief, Remarkable Life of Danny Lewin, the Genius Who Transformed the Internet” de Molly Knight Raskin.

Si la rencontre avait eu lieu, la conclusion de cet épisode serait surement arrivée plus vite. Fin 2001, Red Swoosh n’avait plus de trésorerie. La récession post 9/11 aggrava encore les effets de l’économie de la Californie qui se remettait lentement de la bulle internet. Le contrat avec Centerspan s’acheva et l’ardoise auprès des salariés et du gouvernement ne s’était pas aggravée mais stagnait à plus ou moins 100 K$. Aucun VC ne voulait à avoir à faire avec Red Swoosh et aucun concurrent — eux-mêmes en danger — n’avaitde cash pour faire la moindre offre de reprise. Les carottes semblaient sérieusement cuites pour Kalanick et Red Swoosh et pour sa deuxième aventure entrepreneuriale TK se dirigeait tranquillement vers une seconde faillite.

Chaos, de père en fils

Mais enfin, à la dernière minute, une obscure firme de VC dirigéepar les KAO, un père et son fils parut intéressé. Comme les investisseurs s’appelaient Kao et qu’ils étaient 2, ils avaient appelés leur firme “Chaos Venture Partners». Kalanick fut reçu par James Kao un entrepreneur qui avait fait fortune en vendant sa société de composants semi-conducteurs utiliséspar l’armée, qui pour le coup à cette époque était plutôt en plein boom et par son fils Jared qui avait le même âge que Travis.

Lors de sa présentation, Kalanick sorti le grand jeu et insista notamment sur Disney qui était très intéressé et dont il attendait le contrat signé d’un moment à l’autre. Intéressé mais pas stupide, les Kao père et fils proposèrent de prendre 10% du capital de Red Swoosh en échange de 300 000 dollars. Ils vérifièrent d’abord auprès de Disney qu’ils étaient vraiment intéressés par la techno de RS, ce que Disney confirma et se préparèrent à signer le deal.

C’est à ce moment que Kalanick dit aux investisseurs «One more thing» à la Steve Jobs. Sauf que là ce n’étaitpas un produit que le monde attendait, en fait il expliqua à ses investisseurs que l’entreprise avaitquelques problèmes ou “excepts” (qui signifie “exceptions” dans le vocabulaire de Kalanick). Le moment était aussi bien choisit que si un agent immobilier vous annonçait après la promesse de vente qu’en fait la maison est pleine d’amiante et de termites et qu’il y a un immeuble de trente étage qui sera construit l’année prochaine au bout du jardin.

Simplement à la place de termites, il s’agissait des 110 k$ qui étaient dus aux impôts et à peu près la même somme en retard de salaire due aux salariés

Imaginez la mauvaise surprise pour les investisseurs Père et fils. Mais qui est ce petit con qui attend la dernière minute pour nous dire que les deux tiers des 300 k$ qu’ils comptaient investir allaient régler des arriérés et non pas permettre le développement de l’entreprise.

Pourtant, contre toute attente, ils ne partirent pas en courant. Simplement, au lieu de 10% de l’entreprise, ils en demandèrent 30%. Business is business.

Kalanick n’avait pas le choix. Il accepta et fin novembre 2001, il reçut les 300 000 dollars dont la moitié disparue immédiatement, donnée à l’IRS. Cet épisode ne sera que le premier de toute une série d’événements avec lesquels Kalanick devra jongler.

En décembre 2001, une société anglaise de télécom « Cable et wireless » montra qu’elle était intéressée dans la techno de Bandwidth de Red Swoosh. Après un peu de forcing de Kalanickil, il reçu 150 000 dollars de leur part. Red Swoosh allait pouvoir survivre quelques mois de plus.

Sauvé pour un autre round

Sauvé ? Ou pas sauvé ?

Début 2002, Kalanick pu pitcher avec succès auprès de « August capital » l’un des VC les plus puissants de l’époque et connu pour avoir été l’un des premiers investisseurs dans Microsoft. Ils perdront leur aura quelques années plus tard quand ils refuseront d’investir dans Airbnb mais c’est le jeu. Petite anecdote, «David Hornik » l’organisateur de la conférence de « The lobby » à laquelle Kalanick rencontrera Camp en 2007 à Hawaii était Partner à August Capital.

The lobby conferrence — Hawaii — nous en reparlerons.

August Capital se montra intéressé et proposa un investissement potentiel de 10 millions de dollars dont 500 k$ libérable immédiatement.

Cependant, ils posèrent 2 conditions à cet investissement:
1 > Que TK trouve un second investisseur et
2 > qu’il cède son poste de CEO à une personne plus expérimentée. Ce que les américains appellent avoir une « Adult supervision »

Avec un VC de la taille et de la renommée de August capital, la recherche de partenaire aurait dû être plus simple. Mais bien que Kalanick passa ses journées à appeler, rencontrer et pitcher d’autres investisseurs, seul Steamboat Ventures, la branche investissement de Disney se montra intéressée. Sauf que August refusa cette association de peur que l’investissement de Disney n’effraie d’autres clients, concurrents de Disney. Choisir c’est exclure. Finalement, sans autres co-investisseurs, Kalanick pu simplement obtenir de la part d’August 100 000 dollars au lieu de 500 000.

August Capital

En parallèle, il reçu à ce moment là « Robert Bowman » pressentit pour devenir le CEO deRed Swoosh. Bowman passait alors d’entreprise en entreprise en faisant des ménages comme consultant. Finalement Kalanick gardera sa distinction de CEO et Boxman devint le chairman de l’entreprise. Bowman était la version de Kalanick en plus expérimenté mais était aussi acharné au travail. Acharné ou drogué, à voir. Tenant le coup avec ses 2 paquets de cigarettes et 2 litres de café par jour.

Mais Red Swoosh était loin d’être sorti du bois et 2002 verra le départ de ses salariés. On ne pouvait pas leur en vouloir mais ils devaient sans doute être restés pour obtenir leur dû. Ils quittèrent l’entreprise l’un derrière l’autre dont Bowman lui-même qui a partir d’Octobre 2002 parti en voyager à travers le monde. Comme il l’explique sur son compte Linkedin « J’ai pris un sac à dos, vendu tout ce que je possédais et j’ai voyagé à travers le monde pendant 3 ans. J’ai traversé l’Asie, conduit un 4X4 en Afrique, vécu en Allemagne, pris le transsibérien de Beijing à Moscou et plein d’autres aventures sordides.»

C’est en octobre 2002 que parti Francesco Fabbrocino dont je vous ai déjà parlé pour aller rejoindre Napster comme directeur senior du développement logiciel. Un départ qui n’a pas du faire très plaisir à Travis.

En résumé, début 2003 Travis était l’heureux manager d’une équipe de 2 personnes…incluant lui même. Le dernier ingénieur qui restera avec lui s’appellait Evan Tsang, un ancien de Scour. Evan était un fidèle parmi les fidèles... en tout cas jusqu’en 2005. Nous en reparlerons.

La période haricot et nouille japonaise

Durant cette période, RS avait 2 clients: ifilm.net un site de partage de films indépendants qui après la bulle se recentrait sur les vidéo virale et qui déboursait $5000 par mois et IGN un site de jeu vidéo en ligne pour la même somme. Pendant toute cette période, il y avait toujours un client ou deux qui semblait intéressé ?de travailler avec RS et maintenait Kalanick dans l’idée que son entreprise était viable. Malheureusement la majorité des propalesne se concluait pas part une signature. Oui, comme Disney. Kalanick surnommera cette période «Blood, sweat and Ramen» sang, sueur et Ramen. Les nouilles instantanées japonaises.

2002 ne fut pas une année complètement pourrie, Kalanick signa tout de même un contrat de 18 000 dollars par mois pour distribuer des films pornographiques.

Mais il ne fut jamais payé.

Finallement si, 2002 fut vraiment une année de m..

Ramen. Nourriture de base de Kalanick pendant 5 ans

C’est au printemps 2003 que les choses commencèrent à bouger significativement avec Microsoft qui approcha Kalanick pour un éventuel rachat. Ils souhaitaient intégrer la techno RS à leur OS. Après le rejet de Kalanick de l’offre initiale de 1 millions pour finalement se mettre d’accord sur 5 millions le deal capota à la dernière minute suite à un changement en interne.

A chaque fois qu’une entreprise était intéressée de racheter Red Swoosh un événement l’en empêchait à la dernière minute. C’est sans doute la pire situation dans laquelle peut-être une startup. Un purgatoire ou la réussite commerciale semble être à quelques semaines de là et où plus le temps passe plus on renonce à renoncer en pensant à toute l’énergie déjà dépensée — et la peur de se retrouver à la place de Chas Newby. Vous ne savez pas qui est Chas Newby ? Voilà. Justement !

Ce n’est qu’en Janvier 2005 que le vent tourna. Quand AOL — le Kodak du web — alors tout puissant — se montra prêt à signer un partenariat pour 1 million de dollars par an.

C’est ensuite en janvier que Kalanick pourtant patron d’une entreprise de 2 personnes — comprenant lui — fut invité au forum de Davos comme «Pionnier de la tech ». C’est à cet événement qu’il rencontra le CEO de Akamai Paul Sagan . Akamai dont il devait rencontrer Danny Lewin le co-fondateur le 11 septembre 2001.

C’est aussi pendant son séjour en Suisse que Michael Todd débaucha Evan Tsang le dernier salarié de Kalanick en lui proposant un job à Google. Ce qui n’était pas refusable. Pour prévenir Travis, Tsang lui écrivit un Tweet le remerciant pour les 4 ans passés à travailler avec lui et le prévenir qu’il partait à Google. Il ne fallut pas longtemps à Travis pour comprendre. Todd s’était vengé.

Evan Tsang — Bye Travis

Dans la foulée, AOL apprit que Travis se retrouvait patron de lui-même et annula aussi vite toute proposition de deal.

Cap à Cuban

Mais Kalanick tenu bon. Quitte à retourner vivre chez ses parents. Certains diront que c’est grâce à sa ténacité, d’autres se demanderont si ce n’est pas parce qu’il est tombé dans le biais cognitif des “coûts irrécupérables”.

Biais cognitif

Revenons en 2005, lorsque le deal avec AOL parti en sucette, Kalanick pu maintenir la communication avec eux. Le deal n’était pas mort, ils voulaient simplement que vuela sommedemandéeils avaient à faire à une vraieentreprise et pas à un développeur vivant chez ses parents et passant la journée en caleçon. Ça s’est déjà vu.

Il fallait rassurer AOL et de toute façon Kalanick n’allait pas pouvoir tenir encore très longtemps. Il ne se payait plus et les économies qu’il avait pu garder en retournant vivre chez ses parents touchaient à leur fin.

C’est dans ces moments que l’on voit à qui l’on affaire. Tentant le tout pour le tout, Travis envoya un mail à Mark Cuban lui proposant de lui parler de sa recherche de financement pour sa société de transfert de données. Il était en contact avec ce mark Cuban via une mailing list appelée la Pho listqui était la newsletter d’un événement organisé régulièrement le week-end dans une restaurant vietnamien à LA appelé « Pho 87» C’est comme le pho 14 à Paris mais avec 73 de plus — le restaurant tenait salon ? pour discuter des technologies de la musique. Vous voyez à quoi peut tenir une relation d’affaire.

Vous ne pouvez pas y échapper, je dois vous parler rapidement de Mark Cuban — il y a au moins 6 biographies de ce type sur Amazon. Cuban est une légende de la Silicon Valley — fils d’émigré russe, il est le créateur d’un des premiers intégrateurs de systèmes et revendeur de logicel — à l’époque de lotus note — avant de créer broadcast.com racheté par Yahoo! En 1999. Il fit ensuite parler de lui en achetant un jet Gulfstream sur ebay à 40 millions de dollars. En 2000 il devint majoritaire dans l’équipe de basket de Dallas les mavericks et en 2003 il était en passe de racheter une chaine de cinéma et de se mettre dans la production de films. Aujourd’hui il est l’un des investisseurs de l’émission Shark Tank que vous connaissez peut-être et investisseur dans Vaynermedia — l’agence de marketing digitale de Gary Vaynerchuck qui deviendra un ami proche de Kalanick.

Mais faisons court, après échange de mails et appels téléphoniques Cuban accepta d’intervenir auprès d’AOL après avoir fait un investissement — surement anecdotique pour lui — en « seed » dans Red Swoosh en aout 2005. Ce Seed sera complété en février 2006 avec une levée de 1,73 millions annoncé par crunchbase sous le lead de Cuban et avec August capital que nous connaissons déjà. La répartition des parts n’est pas connue.

Finalement le deal avec AOL se concrétisa et Kalanick pu 1) Racheter les parts à Chaos Capital 2) Recruter 4 ingénieurs et 2) Déménager ses bureaux de San Mateo à South Park dans San Francisco. C’est comme passer de Evry à Paris.

Il devait attendre un mois avant de pouvoir emménager dans les nouveaux locaux à SF donc plutôt que de passer un mois dans un Starbucks, il suivit une idée que lui avait donné l’un de ses ingénieurs lors d’un déjeuner. Profiter du temps disponible entre la fin du bail de San Mateo et le début de celui de South park pour aller travailler dans un endroit sur, connecté et au soleil pour y travailler pendant quelques temps. Ce que Travis appellera des Workations- pratique qu’il continuera à Uber et qui inspirèrent les frères Colinson à partir plusieurs mois à Buenos-Aires pour coder ce qui deviendra Stripe.

Travail + vacances = Workations

Travis proposa donc à ses 6 ingénieurs de mettre sur un bout de papier leurs destinations préférées. C’est lui qui tira au sort le papier. Pas de surprise, ni d’originalité, la destination vainqueur fut la Thaïlande. Et quelques jours plus tard, toute l’équipe quitta les US pour un séjour de 6 semaines à la plage de Railay dans la province de Krabi en face de Phu Ket.

Quelques jours avant le départ,dans un post du 25 avril 2006 sur le blog de Red Swoosh, Kalanick écrit qu’il justifie cette expérience en expliquant que RS a débuté 4 ans trop tôt et que pendant ces 4 ans de la rigidité s’était installée. Il devait parler de lui-même car il était le seul àavoir été dans l’équipe 4 ans auparavant.

Il donne 12 raisons pour lesquelles une entreprise souhaiterait faire la même chose :
> Re-launch your company.
>Rewrite your core client software;
>Rewrite your backend systems,
>Renew your thinking.
>Renew your inspiration.
>Renew your creativity.
>Breathe life into your company.
>Innovate your routine.
>Rebrand.
>Refocus.
>Regenerate.

Dans un article écrit en Thaïlande qui sera publié plus tard, il complète cette liste en donnant les 2 règles de bases à suivre pour que ce déplacement soit un succès et pas du temps perdu. J’imagine qu’il cherchait surtout à rassurer les investisseurs qu’il n’utilisait pas leur argent pour payer des vacances à lui et son équipe.

1 > Première règle : Etre plus productif. Pour cela, il propose d’avoir 4 actions

> Travailler plus et mieux : Réunion le matin à 10h pour faire le point sur la veille et planifier la journée

> Pas de perte de temps, pas de drague, pas de discutions au bar et pas de réunion de déjeuner : tout le temps passé l’est pour àtravailler

> Limiter les distractions : Règle qu’il se donne lui même avec 5 appels la nuit pour parler avec la cote Ouest et 5 appels le jour pour parler avec la cote Est.

> et enfin pour être plus productif il se donne une 4e mission : être Laser focus : Atteindre le but qui a été donné avant de venir en Thaïlande et vérifier que l’équipe ne déraille pas : Réécrire la nouvelle version de leur plateforme de livraison P2P et préparer RS pour son « Relaunch ».

Une anecdote en passant, en lisant d’autres articles du blog de Red Swoosh maintenant difficilement trouvable, je suis tombé sur un article intitulé«Work and play at Pattaya» écrit par l’un des ingénieurs qui fut présent lors de cette workation qui signe W. Pas difficile d’identifier Witold Stankiewicz derrière celui-ci. Dans son article, que TK n’a surement pas du lire, il fait référence à leur court passage à Pattaya : La ville n’a peut-être pas les travailleuses du sexeles plus tristes et désespérées mais elle semble en avoir le plus ? . Ceci dit, nous ne sommes pas amusésàPattaya sauf si vous prenez en compte les excursion de Travis le soir pour … ouvrez les guillemets … «donner des coups de fil». Comme s’il faisait autre chose que d’appeler de clients. Je me demande quoi.

Silicon Pattaya

2 — Pour revenir à l’article de Kalanick la Seconde règle qui s’impose est de “Dépenser moins».Dans cette partie il précise que

> Le départ en Thaïlande a été rendu possible parce qu’il n’y a plus de bureau à San Mateo à payer et qu’il n’y a pas encore ceux de SF

> Les ingénieurs accompagnant Travis ont tous payé leur billet de 740$ en sous-louant leur chambre ou leur studio.

> Et que l’hébergement est de 2 à 6$ la nuit

Cet article est à destination de Cuban et des autres investisseurs. Mais le résultat fut là, lors des premiers jours de juillet 2006, 3 ans avant Wetransfer, la nouvelle version de Red Swoosh était en ligne et permettait à de transférer des fichiers de grande taille gratuitement avec un simple popup de pub tous les 5 uploads.

Red Swoosh, l’histoire qui ne finit jamais

Nous arrivons enfin en 2007, avec son cortège de nouveaux challenges à relever pour Kalanick qui est à la faillite ce que Sarkozy est aux poursuites judiciaires. On pense qu’il va tomber et hop, au dernier moment…ben non, il court toujours.

Cette photo n’a rien à voir avec cet article mais elle fait peur

L’année commence avec Cuban qui souhaite sortir de Red Swoosh sans plus-value mais mettant en danger Travis qui était en train de négocier un deal avec Echostar, une télé d’un bouquet satellite qui souhaitait utiliser RS pour faire du streaming. Kalanick va trouver un VC de remplacement à la dernière minute « Crosslink capital » qui accepta de racheter les parts de Cuban. A priori Cuban avait un agenda car en novembre 2007, il écrivit une lettre ouverte sur son blog appelant aux réseaux télécom à bloquer les serveurs de bit torrent qui selon lui utilisait trop de la bande passante aux dépend des utilisateurs honnêtes. Cuban aurait tout de même du attendre un peu car les événements allaient s’enchainer et s’accélérer.

Quelques semaines après la sortie de Cuban, alors que Travis lui avait dit d’attendre un peu avant de sortir du capital, Akamai reprit contact avec avec Kalanick pour la 3e fois. Nous avons déjà parlé de Akamai, cette société de transfert de fichiers qui avait durement souffert de la bulle internet en 2000 et de la perte de leur co-fondateur lors des attentats du 11 septembre. Dès le départ les dirigeants affichèrent leur intérêt par une reprise de RS pour la technologie de Peer to Peer que les ingénieurs de Akamai n’avaient pas été capable de développer en interne. Plus tard, lorsque les négociations auront abouties Paul Sagan, le fondateur survivant de Akamai dira “J’ai utilisé la nature rebelle de travis et de swoosh pour faire une chose que je ne parvenais pas à faire et pour laquelle je me tapais la tête contre les murs depuis des années”.

La nature rebelle de Travis Kalanick

Pendant que les négociations débutaient et que Kalanick se rendait régulièrement à NYC, Red Swoosh fit parler d’elle dans la presse tech en Mars 2007. Les ingénieurs avaient développés un client torrent — un logiciel qui permet de télécharger des fichiers la plupart du temps illégaux via torrent — oui, Scour bis repetita appelé Foxtorrent développé spécialement pour Firefox qui était alors connu alors comme le navigateur web alternatif et indépendant.

L’un des salariés s’était confié imprudemment à un journaliste et dit : «Dans un an, notre client torrent sera la plus populaire. Il est le plus rapide et le plus facile à utiliser. Haut la main. Nous avons complètement réécrit le Protocol Bit-torrent et Bram Cohen (le créateur de bit torrent) va chier dans son froc quand il verra ça ! Sous l’article relatant ces propos, on peut lire les commentaires suivants « Plutôt que de vous vanter. Commencez par vous taire et par coder » ou « Vous êtes jaloux que Bittorrent soit devenu leader du téléchargement en 2 ans alors que vous existez depuis plus longtemps et que personne ne vous connait !». Dans les gencives.

Quelques jours plus tard Kalanick du faire ses premières excuses publiques et personnelles auprès de Bram Cohen en mettant l’histoire sur le dos d’un intervenant extérieur un peu zélé.

Finalement, le 12 avril 2007 Akamai annonça publiquement avoir acquis Red Swoosh pour 15 millions de dollars en stocks options + 3,7 millions répartis sur 3 ans si la société atteignaitcertains résultats. L’anecdote dit que pour célébrer la vente de RS Kalanick s’acheta une paire de chaussette à losange dont il était fan et sur lesquelles il fit broder «Sang, sueur et Ramen» pour marquer la fin de ses années de galère.

Tshirt niveau Youtuber

Tout aurait pu tourner court si Todd avait refusé de vendre mais il n’ira pas dire non au million de dollar qui lui revenait. Le deal fut donc signé et Akamai récupéra la petite équipe de RS, la technologie de PtoP, le client Bittorrent et Kalanick qui par contrat s’engageait à rester 3 ans. Il ne fera que 12 mois.

Malgré qu’il se soitbien gardé de déménager cote Est où était situé le siège de Akamai pour minimiser les intrusions des cadres de Akamai, il ne put rien empêcher. Swoosh était devenue LA startup de l’entreprise et Travis un salarié. Comme VSC à la SNCF ou Nespresso à Nestlé : Elle était la boite sexy et en vue ou des choses nouvelles se passaient. Et bien sur, beaucoup d’ingénieurs de Akamai voulaient s’en mêlerpour apporter leur contribution tandis que l’équipe RH cherchait à mélanger les cultures des deux entités en transférant des ingénieurs d’un coté ou de l’autre. Et je ne parle pas du caractère de Travis dont parlera Paul Sagan dans une interview à Recode «Travis avec son approche impétueuse habituelle était épidermique à certains» .

La situation gonflera rapidement Travis qui démissionnera en avril 2008 quelques jours après avoir touché la première partie de son bonus dont le versement était étalé sur 3 ans. Il y laissa donc des plumes mais il sentait qu’il devait mettre Red Swoosh derrière lui. Contrairement à Garrett Camp qui avait vécu la même chose avec le rachat de StumbleUpon par Ebay mais qui choisira de rester, de développer un projet sur le coté (Uber duh!) et de racheter son entreprise à Ebay dès que l’occasion se présentera.

Travis part à la retraite

En attendant, Kalanick avait 31 ans, quelques millions de dollars en banque et pouvait enfin se permettre de s’acheter ce qu’il n’avait pas pu jusqu’à présent. Pas une voiture neuve comme Garrett — la seule voiture que l’on connaisse à Travis est une BMW M3 décapotable de 1999 — mais un appartement. Il pouvait aussi enfin voyager, faire des rencontres et se rendre à toutes les conférences tech qui existent sur terre dont “the lobby” dont nous avons déjà parlé.

Travismobile

Pour le contexte, quand Travis quitte Akamai en avril 2008, le monde est en pleine crise des subprimes. Certains entrepreneurs de la silicon Valley venaient de perdre jusqu’à 50% de leur fortune. Cette période marqua aussi le renouveau du monde de la tech avec la période que nous connaissons sous le nom de Web 2.0 et l’explosion de 2 géants : Twitter et Facebook

Pour rester à la page dans cette nouvelle page du Web qui se tournait et qui correspondait pour lui à ce qu’il appellera sa dépression Post Red Swoosh, Kalanick s’inscrivit à tous les événements tech de la planète, de Hawaï à Dublin, en passant par Austin et Paris. Mais Kalanick voulait autre chose, il voulait du sens et de la reconnaissance. Il voulait partager les leçons qu’il avait apprises avec d’autres entrepreneurs avant d’éventuellement investir dans leur idée comme Business Angel. La différence que souhaitait apporter Kalanick — que le journal britannique The gardian avait décrit à l’époque comme un surfer qui pensait comme un commercial — était d’avoir la posture d’un grand frère qui aiderait de jeunes entrepreneurs à affiner leur projet pour leur éviter de faire les erreurs que lui avait fait, de leur ouvrir son carnet d’adresse et éventuellement de les aider financièrement.

Son modèle à ce moment là devait être Andy Warhol car il ne voulait pas faire les choses de façon classique en rejoignant un club d’investisseur ! Ce qu’il voulait, était de créer un lieu dans lequel des entrepreneurs du monde entier pouvaient venir présenter leur projet, échanger avec lui et voir profiter de sa chambre d’amis ou de son canapé lit du salon pour refaire le monde toute la nuit ou juste profiter de l’endroit pour avoir un endroit ou se poser lors des événements tech se tenant à SF. Il trouva une maison au 3806 16th street à San Francisco dans Eureka Valley à proximité du quartier the Castro — qui est le coeur de la communauté gay de San Francisco. Il l’appellera son appart le “Jam Pad »

3806 16th street, le Jam Pad

Le tampon à confiture

“JAM” est un terme que l’on pourrait traduire par “faire un boeuf » quand plusieurs musiciens improvisent sur scène et “PAD”, qui a de nombreuses signification en français comme bloc note, tapis de souris, tampon hygiénique, mais aussi et surtout dans l’usage de Travis : piaule ou comme dans “Bachelor Pad” : garçonnière. Il est évident dans l’esprit de TK que le Jam Pad allait être un repaire d’entrepreneurs mais d’entrepreneurs hommes. Et la démographie des entrepreneurs de l’époque lui donnait raison. Le Jam Pad serait surtout un repère de mecs, de “bros” et que TK n’allait pas participer à réduire l’écart de parité dans la tech. Bien sur, ce n’est pas Travis qui a créé le ratio homme / femme qui dans la tech est de 7 hommes pour 3 femmes, mais si vous prenez la liste des entreprises dans lesquelles il investira à cette période, vous trouverez à la ligne fondateur, que des hommes. Et ce sera le cas jusqu’à ce qu’il rencontre Melody McCloskey la petite amie de Garrett Camp.

Comment voulez-cous qu’il en soit autrement quand, je site Emily Chang, « La Silicon Valley a été construite par des personnalités qui ont eu une adolescence solitaire et dépourvue de contact avec le sexe opposé ».

Concernant Travis, j’y ajouterai un bémol, il avait quand même deux grandes demi-soeurs, mais il aura passé 9 ans depuis UCLA a travailler avec acharnement et avoir des relations épistolaires avec des femmes qui lui reprochaient la même chose : d’être marié à son travail. Et il le reconnaitra lui-même quand il dira à Todd au début de RS qu’il avait quitté sa petite amie de l’époque parque qu’il préférait son travail. Bon, certaines lui reprocheront aussi de trop insiter pour des plans à 3. Mais ça, c’est une autre histoire.

Pour reprendre textuellement la description que TK fait du Jam Pad dans son Blog “Smooshing” qui est étrangement toujours en ligne : C’est un endroit ou des entrepreneurs peuvent venir à toute heure du jour et de la nuit pour trainer, échanger des idées, avoir de “fantastiques repas, sains et gourmets” et jouer au Tennis sur la Wii. On sait grâce à Chris Sacca — son pote de bain bouillonnant — qu’il a été très longtemps le second meilleur joueur du monde et qu’il l’était toujours en devenant le CEO de Uber.

En une journée, Travis pouvait voir jusqu’à 15 entrepreneurs ou porteurs de projets. Le matin il pouvait s’agir de travailler sur une stratégie commerciale et à 1 heure du matin échanger des idées générales sur l’avenir de la technologie. C’est ainsi que Travis se verra comme un curateur pour entrepreneur. Il est le Gary Vaynerchuck de l’ombre et sans doute le mentor de celui-ci.

Blog et réseaux sociaux

Au delà du lieu physique, Travis commença aussi à s’investir sur Twitter avec le compte KonaTbone créé lors de sa rencontre avec Evan Williams dans un restaurant d’Hawaii appelée Kona dont la spécialité était le steak T-bone et un blog hébergé sur WordPress à l’adresse https://swooshing.wordpress.com qui est toujours en ligne au moment ou j ‘écris ceci. Ce blog ne comportera que 18 articles et sera alimenté du 17 septembre 2008 — Lancement du Jam Pad — au 1er Juillet 2010 qui est la date de la fin du premier tour de table de Ubercab.

Le blog de Travis

Dans ce blog, il livre ses réflexions sur la tech, publie un guide pour survivre au CES de Las Vegas, parle de sa participation à l’inauguration d’Obama, cite les entreprises de son portfolio dans lesquelles se trouvent Deviantart et Ubercab et avec lesquelles il fera 3 exit. Il écrit aussi sur les conférences tech américaines auxquelles il assiste comme participant pour développer son réseau et créer ce que l’on appelle maintenant un écosystème composé d’entrepreneurs et qui avaient fait leurs preuves pour nourrir son JamPad.

Vous trouverez aussi un article qui donne les témoignages d’entrepreneurs qui sont venus «Jamer” dans son Pad :

> Aaron Levie, fondateur de box.net. Aaron était un camarade de classe de Travis en 2005 et lui aussi n’a pas poursuivi ses études jusqu’à leur terme pour créer Box, un service de stockage comme dropbox. Pour lui; l’expérience JamPad n’était pas de prendre un projet élaboré et de réfléchir à comment l’implémenter mais plutôt de prendre des intuitions ou des idées naissantes pour sélectionner celles qui seraient les disruptives et identifier qui il faudrait combattre pour réaliser ces idées. Dans son commentaire en dessous cette liste Aaron met surtout en avant la bouffe et le curriculum de la petite amie du moment de Travis.

> Angelo Sotira, fondateur de Deviantart qui lui met en avant, le bar, le fromage et les discussions variées sur le sujet de la technologie.

> Chris Sacca, une des légende de la Sillicon Valley qui avait emprunté de l’argent pour investir dans Twitter alors qu’il était salarié et qui sera l’un des premiers investisseurs dans Uber. Il deviendra un membre du jury de Shark Tank aux coté de Mark Cuban.

> Shawn Fanning, qui si vous en souvenez a créé Napster.

> Gary Vaynerchuck qui à l’époque venait d’arrêter de travailler pour son père et était en réflexion avec son frère sur la suite à donner à leur carrière. Gary est devenu depuis une star de Youtube en même temps d’être le dirigeant de Vaynermedia. Il parlera à maintes reprises d’avoir passer 2 fois avant d’investir dans Uber. Il décrit le Jam pad comme un endroit qui a une « Bad Ass Vibe » et que ça n’a rien à voir avec Travis. Pour ceux qui suivent ses vidéos ou ses Podcast, il est évident que les mots qu’ils utilisent comme Hustle, self-awareness ou Pumped proviennent de cette expérience.

J‘me présente, je m’appelle Gary…🎤

Oui, vous avez bien entendu. L’ennemi public des taxis, celui qui sera traité par les média comme le patron d’une des boites les plus diaboliques du monde et qui traitera sa petite amie de salope en public en 2015. Le même qui souhaite être perçu comme un hôte idéal sur son blog.

Dans un autre article, Travis donne d’ailleurs son email travisk@gmail.com et donne les conditions pour participer au Jam Pad :

1) Avoir une idée géniale, GREAT en anglais
2) Etre optimiste et entrepreneur hardcore
3) Apporter beaucoup de passion et de créativité dans leur travail et dans leur vie
4) Etre agréable et drôle de partager une bière avec eux
5) Ne pas avoir de problème avec la loi. Il complète en parenthèse et un smiley qu’avoir une mauvaise cote de crédit ne compte pas.

Le jam pad à roulette

Mais le Jam Pad était plus une idée qu’un lieu physique et pouvait être aussi mobile avec des soirées organisées dans des appartements de 3 ou 4 chambres qu’il louait à l’occasion de grands événements de la tech comme SXSW à Austin, Le Web à Paris ou le CES à Las Vegas où d’ailleurs il partagera sur Twitter avoir trouvé le Pad ultime appelé The « Pimp House » Pimp signifiant souteneur et équipé dune barre de pole dancing et d’une scène. On comprend mieux quel est le rôle de la femme dans cette période de sa vie.

Il rejoindra aussi un club d’entrepreneur appelé le “Random Travelers Society”, la société des voyageurs du hasard. Leur occupation : faire tourner un globe terrestre pour choisir au hasard le pays qu’ils allaient ensuite visiter. Une fois le pays trouvé, les membres du groupes faisaient des recherches en ligne pour organiser des rencontres dans le pays sélectionné pour découvrir la culture, les communauté business et les modes d’éducation. Ils rencontrèrent ainsi un ambassadeur au cap vert et le directeur d’une banque sénégalaise.

Investissements à (la) roulette

Maintenant, concernant sa façon d’investir Travis n’était pas l’investisseur classique. Son engagement n’était pas que financier. Il ne comptait pas le temps passé avec les créateurs au point de devenir comme il se nommera lui même devenir pour ces boites un CXO — Chief Experience Officer ou comme il le dira à une conférence qu’il donnera en octobre 2010 quand il sera invité à parler de son parcours à TechCocktail.com, “Je suis Mister Wolf dans Pulp fiction” : Le rôle tenu par Harvey Keitel qui arrive pour résoudre les problèmes.

Mister Wolf ou Travis Kalanick. Perso, je me méfierais quand même.

Lors de cette conférence Travis donne plusieurs exemples du type de problèmes qu’il règle : vendre les parts d’un investisseur tout en lui rachetant au meilleur prix (Cuban ?), éviter qu’un CEO performant se fasse licencier par des VC (Lui ?) ou faciliter des levées de fonds (les siennes ?). Kalanick est l’homme à appeler quand il n’y a plus d’autres solutions et que le capitaine flam de répond pas.

En fait, avec le recul, le succès de Travis comme Business Angel est au mieux très modeste. Certaines des entreprises qu’il conseillait furent rachetées rapidement, sans son aide, comme Deviantart et Flowtown. D’autres comme Kareo ou Extensify vivotèrent dans l’obscurité, loin de l’intérêt du public.

De plus. ces entreprises n’ont aucun rapport entre-elles. Comme s’il investissait d’avantage par amitié ou en fonction de son appréciation objective et personnelle de l’idée que par réelle stratégie ou analyse du business plan.

Il ressemble au joueur compulsif qui dispose d’un peu d’argent et mise sur toutes les couleurs à la roulette en espérant qu’un truc sort. Il est aussi possible qu’il investissait dans les entreprises dont les dirigeants acceptaient son ton dictatorial…

En attendant, ces opportunités permettaient à Travis de rester dans le Game pendant qu’il léchait ses plaies physiques et émotionnelles des 8 ans de montagnes russes sans aucunes vacances qu’il venait de passer. Comme il le dira à ce moment “L’argent ne fait pas le bonheur mais il paie la thérapie”.

Lors du prochain épisode, nous nous rendrons à Paris pour le Web 2008 et ferons le tri entre le mythe et la réalité et répondre à la question “Est-ce que Uber a été créé par une nuit d’hiver enneigée à Paris”…

La suite : “One night in Paris” et autres bullshits

Benjamin Chaminade est un conférencier et entrepreneur franco-australien spécialiste en innovation, management et Ressources Humaines.

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