Astuces d’intervision : poser des questions puissantes

Chloé Grandin
6 min readDec 9, 2021

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Vous avez commencé à pratiquer assidûment l’intervision mais vous en êtes sortis parfois frustré.e en vous disant que le problème n’était finalement pas si clair ? Que décidément le porteur du sujet n’a pas compris son véritable problème ? Que vos solutions pourtant évidentes n’ont pas été entendues ? Je vous propose mes quelques astuces pour perfectionner vos interventions en apprenant d’abord à poser de meilleures questions.

Reprenons le fil conducteur de notre session d’intervision en nous focalisant sur les trois premières étapes :

1° — Le porteur du sujet détaille sa problématique au groupe qui reste pour l’instant silencieux

Prenons l’exemple d’Anna qui décrit la problématique suivante : “Comment faire avec mon collègue qui ne sait pas travailler en équipe ?”. Elle explique : “Alors voilà, je suis designer. Je travaille avec Marc depuis 2 ans et à chaque fois qu’un nouveau projet se présente […]”.

A ce moment là, Anna détaille sa situation et son problème. Et s’il est intéressant en tant que pair de comprendre sa problématique, je pense qu’il est encore plus utile d’écouter sa manière de décrire sa problématique.

Dans cet article j’ai lu récemment :

Tel qu’il le pose, le problème du client est insoluble, tel qu’il l’envisage, son objectif est non atteignable, tel qu’il l’aborde, sa situation est sans issue. Il faut savoir en effet que si une personne a clairement posé un problème, et si elle est considérée comme intelligente et experte dans son domaine, alors elle devrait pouvoir le résoudre toute seule. Par conséquent, si cette personne ne trouve pas de solution à son problème ou ne trouve pas les moyens d’atteindre son objectif, il est nécessaire d’envisager qu’elle devrait reconsidérer la façon dont elle pose son problème ou envisage d’accomplir sa performance.

Je précise que l’on parle ici de situations complexes, pour lesquelles quand on demande “penses-tu pouvoir résoudre ce problème” la personne ne peut pas répondre un“oui” certain. Si la problématique est de l’ordre du compliqué les pairs devraient pouvoir proposer leurs bonnes pratiques et trouver une solution en décortiquant le pourquoi du problème.

Dans le cas d’un problème complexe donc, un problème que notre porteur n’arrive pas à résoudre malgré ses tentatives, il est probable qu’il faille l’aider à reformuler sa problématique pour lui permettre de porter un regard neuf sur sa situation. Et pour ça, le questionnement est notre meilleur outil. C’est le moment de passer à l’étape suivante de l’intervision.

Chacun leur tour, les membres du groupe posent des questions au porteur du sujet

L’objectif de cette étape est donc de tendre au porteur une multitude de miroirs pour qu’il puisse regarder sa problématique sous d’autres angles. Ces miroirs se matérialisent sous la forme de questions puissantes.

Si je parle de questions puissantes, c’est parce qu’il est possible en tant qu’expert de poser simplement des questions de clarification pour soi-même afin de mieux comprendre le contexte. Ce sont probablement de bonnes questions pour la suite de l’intervision pour proposer des solutions pertinentes mais pas les plus intéressantes si notre objectif est d’aider le porteur à changer de perspective. Attention également avec ce type de questions à ne pas tomber dans le piège de l’empathie car plus le porteur vous expose à son cadre de référence plus vous risquez d’adopter le même point de vue et moins vous serez en capacité de l’aider à en sortir.

Dans tous les cas si vous avez besoin de poser ce genre de question, faites attention à ce qu’elles soient toujours les plus ouvertes possibles et à ce qu’elles ne contiennent pas de solution toute faite. Par exemple au lieu de demander “Est-ce que vous êtes en Scrum ?” vous pouvez demander “Comment êtes-vous organisé.e.s ?”.

Mais revenons aux questions que j’appelles puissantes. A force de pratiquer l’intervision, je vois certaines questions revenir. Des questions que l’on peut poser quasiment à chaque fois et qui font mouche. Des questions qui font dire à notre porteur “d’accord, ma problématique n’est peut-être pas celle que j’imaginais”. Et des questions que j’ai été étonnée (pas vraiment en fait) de retrouver pour la plupart dans l’ouvrage Comment réussir à travailler avec presque tout le monde de Lucy Gill que je vous recommande chaudement et qui parle justement de résoudre des problèmes qui semblent insolubles en changeant sa perception du système.

En voilà tout de suite quelques exemples :

  • Quel est ton problème ? — La question de base à poser si le porteur a réussi à décrire son contexte mais pas encore à mettre des mots sur ce qui coince précisément.
  • Quel est ton problème le plus important ? — A poser dans le cas où le porteur exprime plusieurs difficultés pour l’aider à les canaliser.
  • Pour qui est-ce un problème ? — Une très bonne manière de se rendre compte parfois que le problème n‘en est pas un … ou que le véritable problème pour nous n’est pas celui auquel on pensait
  • En quoi c’est un problème ? — Ma question préférée pour éviter les raccourcis et se questionner sur ses vrais besoins et intentions. C’est d’ailleurs une question qui mérite d’être posée plusieurs fois d’affilé. Dans un système complexe c’est beaucoup plus efficace que les “5 pourquoi” je vous l’assure !
  • Quels bénéfices tires-tu de ton problème actuellement ? — Parce que parfois le porteur n’a pas osé regarder les bons côtés de la situation qui tendent à lui donner envie d’y rester
  • Quand tu dis [insérer ici une étiquette entendue dans la description du porteur comme par exemple “travailler en équipe”], ça veut dire quoi pour toi ? — Poser cette question permet au porteur de s’extraire des croyances, des jugements, des descriptions floues et de mettre d’autres mots sur la situation ou le comportement dérangeant
  • Si comme dans le cas d’Anna, le problème concerne le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes on peut demander : A ton avis, qu’est-ce qui dans ton comportement déclenche cette réaction de cette ou ces personne.s ? — Une question qui permet au porteur de réaliser que c’est potentiellement son comportement qui en entraine un autre malgré toute sa bonne volonté. Et que l’amélioration peut donc venir d’une modification de sa propre manière d’agir
  • Qu’est-ce que tu as déjà essayé ? — Cette question permet d’identifier les comportements réflexes du porteur ou au contraire ce qu’il n’a pas encore tenté. Elle nous servira par la suite dans l’étape des solutions
  • Quel serait le premier indice (observable) que ça va dans le bon sens ? — On attend souvent un changement si radical que les prémices de réussite ne sautent pas forcément aux yeux. Les nommer peut permettre de les reconnaitre le moment venu tout en simplifiant la problématique
  • On est dans 3 mois et tu as le sourire, pourquoi ? Tu observes quoi ? — On pense souvent à ce qui ne va pas, moins souvent à ce qu’on voudrait à la place. Ce genre de question permet au porteur de se questionner sur la situation idéale

Voilà donc quelques exemples de questions qui me semblent puissantes, justement parce que la réponse a souvent plus d’intérêt pour la personne qui y répond que pour la personne qui la pose.

3° — On demande au porteur de reformuler sa problématique sous la forme d’une unique question

Rappelez-vous d’Anna qui demandait en début d’intervision “Comment faire avec mon collègue qui ne sait pas travailler en équipe ?”. Et bien en tant que facilitatrice, j’estimerai avoir réussi l’étape des questions si au moment de la troisième étape, en reformulant sa problématique, celle-ci a évolué. Par exemple :

  • En un questionnement plus personnel : l’intervision aura alors servi à se rendre compte qu’elle fait partie intégrante de son propre problème (on ne change pas les autres, on peut simplement modifier son comportement) et que c’est à elle de modifier quelque chose
  • En un questionnement plus concret basé sur des faits observables et permettant de juger le résultat

Pour Anna, parmi de nombreuses possibilités sa problématique aurait par exemple pu se muer en : “Quoi changer dans ma manière d’agir pour que mon collègue vienne me demander conseil lorsqu’il a besoin d’aide”.

Et après ?

Bravo, la problématique du porteur est maintenant posée. Vous avez fait une énorme partie du travail. Vous pouvez vous réjouir ! :)

L’intervision pourrait presque s’arrêter là en demandant au porteur quelles sont ses prochaines actions pour arriver au résultat espéré. Mais le format nous laisse encore un peu de temps et un regroupement de participants aux multiples expertises, expériences et imaginaires débridés que nous pouvons mettre à contribution pour trouver des solutions créatives auxquelles notre porteur n’a pas encore pensé (logique, il vient on l’espère de découvrir son véritable problème).

Rendez-vous donc dans un prochain article pour parler de solutions puissantes.

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