Entre Parménide et Héraclite, l’aporie fondamentale de la pensée occidentale et les solutions qui émergèrent pour la résoudre.

Marie la rêveuse éveillée
6 min readApr 23, 2023

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Et si nous faisions un petit retour aux sources, aux origines de la pensée occidentale?

Commençons par le commencement, et à défaut d’Anaximandre, attardons-nous sur Parménide, dont le système peut se résumer assez facilement. L’être est, le non-être n’est pas.

Merci Sherlock, me direz-vous, mais attardons-nous sur les conséquences de cette observation astucieuse, puisque le philosophe va en tirer ou plutôt en étirer le fil jusqu’à la dernière extrémité possible.

Cela va sans doute éveiller un écho chez ceux qui ont parcouru mon article sur Spinoza, mais si nous prenons au sérieux l’alternative entre être et non-être, l’être a nécessairement existé depuis toujours.

Puisque s’il avait été engendré par une cause extérieure à lui même, de deux choses l’une, cette cause étant extérieure à l’être, elle serait du domaine du non-être, et n’étant pas existante, ne pourrait pas engendrer quoi que ce soit et si cette cause est du domaine de l’être, alors l’être était par définition déjà présent. CQFD. Rien ne peut précéder l’être du côté du passé, et du côté de l’avenir, c’est la même chose…

En effet, en vertu du principe de non-contradiction, l’être ne peut pas contenir son contraire, le non-être, rien au sein de l’être ne peut donc le détruire… et si la cause de la destruction de l’être est extérieure à l’être alors la même alternative que précédemment s’opèrera

Par le même raisonnement, on peut établir l’infinité de l’être. Jusque là, rien de bien déroutant au final. Mais voilà le drame, qu’est ce que le changement? Le passage d’une chose du non-être à l’être et inversement.

Ce qui en vertu des raisonnements énoncés précédemment est une impossibilité. Et pourtant le monde change…

Proche de Parménide, et résidant de la même région, on trouve Zénon d’Elée, qui nous offrira une variation du genre avec ses fameux paradoxes autour du mouvement, penchons-nous sur le plus célèbre, celui de la flèche.

Décochons une flèche en direction de sa cible, avant de l’attendre, elle devra logiquement parcourir la moitié de la distance la séparant de son objectif…puis un quart de cette même distance…puis une huitième…et ensuite un seizième…

Parcours qui s’étirera indéfiniment puisque l’espace comme le nombre sont divisibles à l’infini, et puisqu’il faudra un certain laps de temps à notre projectile en mouvement pour parcourir chaque fraction du parcours, la durée qu’il lui faudra pour atteindre la cible sera infinie

Une durée infinie étant, par définition, dépourvue de fin, il est impossible à la flèche d’atteindre sa cible, un jour…

A l’autre extrême, nous trouvons le brave Héraclite qui se fera au contraire l’apôtre du changement au point de nier l’existence de la permanence. “Tout s’écoule, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.”

Bien évidemment, les choses ne vont pas rester en l’état, et il y aura des tentatives pour résoudre ces apories et bâtir des ponts entre le monde concrets des phénomènes sensibles et le monde rationnel de notre pensée.

En premier lieu, les atomistes antiques, Démocrite le fondateur, Epicure son héritier, et Lucrèce, leur disciple romain.

Leurs synthèse entre Parménide et Héraclite s’opèrera de la manière suivante. L’être de Parménide sera conceptualisé sous la forme des composants ultimes de l’univers, les indivisibles, les fameux atomes

L’ensemble des phénomènes sensibles, quant à lui, sera conçu comme des assemblages composites de ces mêmes atomes. Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. Les atomes sont éternels et incréés, leur combinaisons fluctuent en permanence.

Néanmoins, nos atomistes vont s’écarter de Parménide sur un point significatif, ils admettront l’existence du vide…que le brave éléate refusait, le vide étant une forme de non-être.

Pour cela, ils procéderont à une démonstration par l’absurde. Le mouvement présuppose le vide, sans quoi toutes choses seraient comprimées en un bloc rigide, or le mouvement existe comme nous en faisons l’expérience donc…

Nous avons donc une infinité d’atomes flottant dans un vide infini, tel les grains de poussières que nous pouvons voir tourbillonner au sein d’un rayon de soleil nous dit Lucrèce…

Un problème se pose, comment ces atomes pourront-ils se rencontrer un jour pour former des assemblages au lieu de demeurer éloigné les uns des autres en chute libre, c’est là qu’intervient le clinamen d’Epicure.

A savoir la déclinaison des atomes. Spontanément les atomes vont dévier de leur trajectoires initiale, pour peu qu’un laps de temps suffisamment long s’écoule, la répétition de ce phénomène aboutira à leur carambolage et donc la formation de corps composites…

Les atomes en question étant pourvus de minuscules crochets, ils s’agripperont les uns aux autres par un mélange de hasard et de nécessité. (et oui, c’est de là que vient l’expression “avoir des atomes crochus”)

Néanmoins, les atomistes ne sont pas les seuls penseurs à avoir proposé une synthèse apte à sauver la pensée comme les phénomènes. Ils disposaient d’un concurrent de taille, à savoir Aristote.

Quelle sera la forme de la solution proposé par le précepteur d’Alexandre le Grand? Elle consistera à introduire une distinction entre Potentialité et Actualité.

Pour prendre un exemple simple, dans le cas de l’eau se métamorphosant en vapeur ou en glace, les différents état du corps aqueux n’ont pas jailli ex nihilo, ils étaient déjà présents au sein de ce même corps, sous forme de potentialités attendant d’être actualisées.

Par cette zone intermédiaire entre être et non-être, Aristote pourra ainsi sauvegarder les conquêtes conceptuelles de Parménide sans avoir à sacrifier le flux des phénomènes sensibles pour autant.

Néanmoins, un potentiel ne peut pas s’actualiser tout seul, n’étant pas encore présent à proprement parler, il ne pourra être actualisé que par une cause déjà actualisée elle-même.

Cependant ne buttons-nous pas sur un problème de régression à l’infini? La situation serait similaire à celle d’un assemblage de Wagon… Le premier est tiré par le second, qui est tiré par le troisième, lui même tracté par le quatrième, et ainsi de suite…

Si aucun de ces wagons n’a la capacité de se mouvoir par lui même, comment la chaine aurait-elle pu être mise en branle? C’est là qu’intervient le premier moteur immobile, acte pur, aka Dieu.

Une entité qui, étant pure actualité, n’a pas besoin d’être actualisé elle-même, et qui mettra ainsi en branle le monde de la matière. Car en effet, la matière pour Aristote est le domaine du potentiel pur, le premier moteur devra donc être de nature immatérielle.

On s’en doute, les théologiens du moyen-âge, qu’ils soient juifs (Maimonide), musulmans (Ibn Khaldoun) ou chrétiens (Thomas d’Aquin) s’en donneront à cœur joie avec le système de leur illustre prédécesseur, “le philosophe”. Mais c’est une autre histoire…

Concernant la résolution du paradoxe de Zénon par Aristote à savoir le distinguo entre Infini en puissance et Infini en acte, je renvoie à cet autre article

Un certains nombre de siècles plus tard, Bergson utilisera le paradoxe de Zénon comme illustration des apories auquel aboutit une conception abstraite et spatialisé du temps qu’il opposera à la durée…mais là encore, une autre histoire.

Ah, et bien sûr, à l’époque déjà, la jeunesse partait en vrille…

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Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

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