Pourquoi nos institutions favorisent-elles les fanatiques?
Comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, les institutions doivent se comprendre, entre autre chose, comme des mécanisme de sélection, tranchant entre différentes idées et surtout différentes personnes dans le cadre de la gestion des affaires courantes, que ce soit sur le plan économique ou le plan politique.
En d’autres termes, des institutions démocratiques fonctionnelle devraient filtrer les mauvaises idées et les personnes déplaisantes.
Malheureusement, on peut être sceptiques quant à leur efficacité sur ce point, pire, on peut même se demander si nos institutions ne vont pas précisément sélectionner les pires personnes possibles pour les postes à responsabilité.
Nous avons déjà étudié la manière dont les structures économiques et politiques favorisaient les comportements toxiques, et de façon plus large, la manière dont le système favorisait et cultivait des traits de caractères problématiques chez les dirigeants, qu’il s’agisse de l’excès de confiance en soi, de la surestimation des capacités de l’Etat en manière de planification, de l’hostilité vis à vis de la liberté individuelle ou de la capacité de la société à s’auto-organiser…
Il y a cependant un trait nuisible bien spécifique dont la prévalence mérite d’être analysé, le fanatisme, le verrouillage de la croyance en la validité de sa cause à l’encontre de tout élément pouvant susciter la moindre remise en question, combiné à une hostilité à l’encontre de toutes personnes s’écartant de votre vision du monde.
Un comportement que l’on peut trouver sur l’ensemble du spectre politique, y compris au centre, et qui peut même être l’apanage de personne tout à fait rationnelle et lucide par rapport à d’autre sujets.
La problématique est donc la suivante, les institutions politiques (ce qui ne cantonne pas aux élections ou aux partis politiques proprement dit mais inclut également le monde des médias) opèrent une sélection en faveur des fanatiques au lieu de les filtrer.
Quatre mécanismes sont en œuvre ici :
Les fanatiques seront plus inclinés à s’investir dans les partis, les associations, groupe de pressions et lobby favorisant leurs causes, que ce soit en terme d’argent, de ressource, de temps ou d’énergie. Ceux qui s’opposent à l’immigration déploieront de grands moyens pour répertorier, accentuer et surtout diffuser tout les effets négatifs possibles du phénomène qu’ils souhaitent endiguer, voir éradiquer. Par contraste, les personnes relativement sympathiques envers l’ouverture des frontières et au multiculturalisme ne s’investiront pas autant pour défendre leur vision des choses, en partie parce qu’elles succomberont moins facilement à la monomanie, ce qui réduira d’autant plus inclinations à investir argent et ressources pour la défense d’une société ouverte.
Les médias de masses préféreront inviter et interviewer des partisans plutôt que des personnes nuancées, pesant soigneusement le pour et le contre, sans nous vendre de solutions simples à des problématiques complexes. Ce n’est pas limité à l’immigration, les associations de défense des contribuables ayant une conception quasi religieuse de la dépense publique sous l’angle du péché par essence seront favorisées à des économistes ayant une position un tant soit peu subtile en la matière. La controverse, l’agressivité et le populisme seront toujours plus vendeur en terme d’audimat que des analyses équilibrées.
Les fanatiques auront moins d’hésitations à mentir ouvertement pour défendre leur cause, ce qui leur donne un avantage non négligeable dans un monde médiatique pour qui l’impartialité consiste surtout à maintenir soigneusement l’impartialité entre la vérité et le mensonge. (voir ici, ici, ici et ici)
Les fanatiques auront plus d’aisance à argumenter en faveur de leurs causes, en partie parce qu’ils passent leur temps à travailler des lignes de défense pour la vendre, en partie en termes d’entrainement à force de jouer les témoins de Jéhovah de leur marotte, et enfin en partie parce qu‘on s’ouvre beaucoup de facilité et de fluidité pour défendre un positionnement quand on ne ressent pas le besoin de s’embarrasser avec des “mais d’un autre côté…” ou de la moindre nuance. D’autant plus qu’un autre facteur va jouer en leur faveur, les êtres humains tendent à assimiler l’excès de confiance comme un signe de compétence et de solidité de ses opinions.
Si nous disposions d’institutions politique fonctionnelle, le fanatisme serait un handicap enclenchant le filtrage plutôt qu’un atout vous ouvrant les portes du succès.
Des médias prenant au sérieux la déontologie et le devoir d’information banniraient les fanatiques et les charlatans de leurs antennes, et une démocratie délibérative fonctionnelle écrémerait les arguments irrationnels ou mensongers…
Mais il existe un mécanisme démocratique particulièrement intéressant pour faire barrage aux fanatiques : les référendums structurés sur la révélation des préférences réelles.
Pour comprendre le mécanisme, supposons qu’une réforme X couterait 450£ à chaque contribuable britannique pour un total de 20 milliards de £.
Nous poserions la question suivante à chaque votant : Quel est le montant que vous attribueriez au bénéfice de X pour vous?
Pour une image concrète de la chose, imaginons qu’il n’y ait que 3 votants, Alice, Simon et Julian. Leurs réponses sont reparties dans le tableau ci-dessous :
Pour deux de nos votants, les coûts estimés de la mesure X surpassent ses bénéfices anticipés, si nous appliquions une simple règle de majorité, la mesure serait refusé… Cependant, l’agrégat des gains nets générés par la mesure X est toujours positif puisque les gains de Julian surpassent les coûts nets pour les deux autres votants, si on appliquait ce critère, la mesure passerait.
Mais supposons maintenant que nous appliquions une taxe à Julian, correspondant aux pertes nettes des deux autres votants pour les indemniser, dans ce cas de figure, l’optimum de Pareto est rétabli puisqu’il n’y a plus de perdants et que nous conservons un gagnant net (les gains de la mesure X pour Julian continuent de surpasser ses coûts, même en ajoutant la taxe de compensation pour les autres votants).
Un exemple magistral du principe de compensation de Hicks-Kaldor. Mais la subtilité est là, cela ne s’applique que si les gains de Julian sont réellement au niveau qu’il a admis publiquement par son vote. Nous avons donc un système qui incite les citoyens à débattre honnêtement et rationnellement.
En effet, supposons qu’Alice exagère délibérément les coûts de la mesure X pour elle, en affirmant que les bénéfice générés pour elle seraient de zéro, aboutissant à un coût net de 450£. Dans ce cas de figure, la mesure X ne passerait pas puisque le coût agrégé de 1350£ excéderait les bénéfices agrégé de 1100£.
Alice serait certes parvenu à ses fin, mais elle devrait payer une taxe de 200£ en compensation, correspondant au bénéfice net des autre votant si elle n’avait pas fait barrage à la mesure X.
En d’autres termes, Alice a une incitation forte à reveler le niveau réél de son opposition. Si elle le surestime, elle risque de payer une taxe pouvant surpasser le niveau de satisfaction à l’idée d’avoir fait barrage à X, mais si d’aventure elle sous-estime son opposition, elle ne parviendra pas à ses fins puisque la mesure passera. Bien évidemment, les autres votants sont dans la même situation.
On peut débattre du mécanisme en question, mais il a l’avantage indéniable d’être démocratique (chaque citoyen a voix au chapitre) tout en réconciliant efficience et démocratie puisqu’il incite les citoyens à évaluer sérieusement les coûts et les bénéfices des décisions collective au lieu de générer du vent…
Pour en revenir aux fanatiques, ce process les forcerait à faire face aux coûts réels de leur préférence, le débat sur le Brexit aurait pris une autre tournure si on avait demandé à Farage et ses disciples d’évaluer concrètement le prix qu’ils étaient prêts à payer pour que l’Angleterre quitte l’union européenne.
Malheureusement, nous sommes à des années lumière d’institutions de ce type, raison pour laquelle le paysage politique continuera d’être défiguré par le fanatisme, la post vérité et l’agressivité…