Sommes-nous gouvernés par des psychopathes?
Suite à ce titre provocateur, une mise au point s’impose d’entrée de jeu.
Le but n’est pas de procéder à des diagnostics psychiatriques de comptoir, ou de faire l’éloge des diagnostic psychiatrique tout court, encore moins d’alourdir la stigmatisation qui pèse déjà sur les fol(e)s, ou de dédouaner les horreurs de notre système politique en blâmant “les fous qui nous gouvernent…”
Tout le contraire, de fait, puisque c’est bel et bien sur le système que va porter notre analyse, et sa tendance à favoriser et donc sélectionner des comportements, traits de personnalité et dispositions toxiques (on pourrait parler de vices si on voulait aborder la chose sous l’angle de l’Ethique de la vertu) chez ceux qui se retrouveront propulsés aux plus hauts échelons du pouvoir, que ce pouvoir soit de nature politique ou économique.
Quand nous parlerons de psychopathes, ici, ce sera comme idéal type des dispositions que cultive l’environnement au sein des individus qu’il conditionne, et surtout sélectionne. Au fond, ce n’est qu’une variation de la démarche de Platon dans La république, qui éclairait les vertus et les vices des systèmes politiques par l’intermédiaire des citoyens représentatifs qu’ils généraient, et inversement, éclairait les vertus et les vices des mêmes citoyens par le biais du miroir grossissant que constituait la société.
Comme nous l’avons abordé à de multiples reprises, les institutions, comme le monde de la politique en général, doivent se comprendre comme des mécanismes de sélection. Nous tendons bien souvent à adopter une vision naïve en la matière, nous imaginant régulièrement que les travers de nos politiciens et chefs d’entreprises doivent être blâmés sur les individus plutôt que le système dans son ensemble, mais il se pourrait bien que nous ayons confondu un bug avec une fonctionnalité.
Procédons par étape. En premier lieu, ce type d’analyse n’était pas initialement appliqué au monde de la politique mais à celui des entreprises, puisque l’idée que les “psychopathes” pourraient bien être surreprésentés parmi les élites économiques est quasiment devenu une trope…
De fait, une étude de Paul Babiak et ses collègues évalue que les traits qu’on associe à la psychopathie sont 5 fois plus répandu parmi les échelons supérieures des entreprises en comparaison du reste de la population. Constat corroboré par celui de Manfred Kets de Vries :
“Tout les psychopathes ne finissent pas derrière les barreaux, une bonne partie d’entre eux se retrouvent dans les comités de direction. Dans les milieux liés à l’argent, au statut social, et au pouvoir, les psychopathes ne seront jamais bien loin.”
A partir de là, n’est-on pas en droit de les croiser dans le monde de la politique qui combine allégrement les trois?
Une observation effectuée par De Vries est particulièrement éclairante à ce sujet, “au sein des luttes de pouvoir qui structurent la vie des organisations, les psychopathes auront une aisance naturelle à se couler dans le moule”.
Les traits qu’on attribue au psychopathe sont précisément ceux qu’on favorise pour les preneurs de décision :
“Bien des qualités qui seraient stigmatisées comme troubles mentaux dans certains contextes sont au contraire valorisées dans les échelons supérieurs des hiérarchies corporatives. En particulier au sein des organisations qui prisent le managérialisme, la prise de risque, la domination, la compétitivité et la mise en avant de soi-même. Même les traits qu’on associerait à l’inhumanité (tel que l’absence d’empathie, de honte, ou de culpabilité) pourront être perçus de manière positive comme les marques d’un leader “fort”, capable de prendre des décisions “difficiles” et impopulaires, si la nécessité l’exige. Qui plus est, la capacité à manipuler les émotions de ses semblables est également un atout dans les luttes de pouvoir.”
Babiak et ses collègues remarquaient également que “certains traits associés à la psychopathie (la rudesse, le sentiment exagéré de sa propre grandeur, et le recours à la manipulation) pouvaient être connectés à la capacité de produire des arguments persuasifs et de prendre des décisions cruelles mais froidement efficaces.”
De fait, il y a un élément mentionné par Babiak qui mérite une attention particulière, la disposition à avoir “un sentiment exagéré de sa propre valeur”. Loin d’être un handicap, cela peut devenir une clé du succès pour la simple et bonne raison que les employeurs (mais aussi les électeurs) confondent bien souvent l’excès de confiance en soi avec les compétences réelles, s’imaginant que le premier est nécessairement un symptôme des secondes. Et dans le monde de la politique, un facteur supplémentaire va jouer, les électeurs désirent des politiciens sûrs d’eux qui disposent de toutes les réponses à leurs problèmes, les privilégiant à des individus suffisamment lucides pour réaliser que le monde est une chose fort complexe, accordant fort peu de marges de contrôle, et toujours au prix d’arbitrages douloureux.
Nous avons donc d’excellentes raisons de penser que ce qui s’applique au monde des entreprises est tout aussi valide dans le domaine de la politique, les traits associés à la psychopathie (ou la “psychopathie light” pour reprendre l’expression utilisé par de Vries) sont un gage potentiel de succès.
De fait, c’est le constat que nous livre Brian Klaas :
“Il y a une combinaison particulièrement toxique de traits de personnalité que les psychologue qualifient de “sombre triade”. Et comme on peut s’y attendre de par l’expression, elle se constitue de trois composants : le machiavélisme, le narcissisme, et la tendance à la psychopathie. Quand on prend un peu de recul, on réalise assez vite que les personnes dotés de ces trois traits excelleraient en tant que politiciens. Vous avez bien plus de chance de croiser un psychopathe dans les parlements et les congrès qu’au sein des supermarchés.”
Nous pouvons donc envisager que nos institutions économiques et politiques favoriseront, et donc sélectionneront, les individus doté de traits toxiques.
Et beaucoup de travers de nos politiciens font parfaitement sens quand on les contemple à travers ce prisme.
En premier lieu, leur besoin persistant d’exercer un contrôle coercitif sur leurs semblables, d’où leur tendance à imposer des restrictions à la liberté de leurs concitoyens, qu’il s’agisse d’interdire aux mineurs d’accéder aux réseaux sociaux, de bannir la vente des cigarettes électroniques jetables, de limiter la capacité des citoyens à émigrer, ou à commercer avec le reste du monde, la liste pourrait s’allonger indéfiniment, tant notre politique est devenu puritaine…
Une autre tendance connectée à la première serait le désir de préserver les inégalités en termes de statut. On tend à percevoir l’opposition à la révolution, l’opposition à une organisation plus démocratique de l’économie, et l’opposition au libre marché fonctionnel comme trois phénomènes différents, mais les trois partagent bien une connexion, puisqu’elles préservent toutes les hiérarchies de pouvoirs existantes.
Parmi les traits associé à la psychopathie, on trouve également la malhonnêteté, la tendance à la manipulation, et la capacité à trahir sans la moindre hésitation en fonction de ses propres intérêts. Là encore, les illustrations ne sont que légions dans le monde de la politique…
Quant au manque flagrant d’empathie, là encore, les exemples ne manqueront pas… George Osborne aimait parler “de choix difficile à trancher”, (et les conséquences douloureuses des choix en question frappaient bien plus souvent les pauvres que les riches), sans faire preuve de la plus petite manifestation d’hésitation ou de remords vis à vis des innombrables morts générées par les politiques d’austérité et de restriction des aides sociales.
Cela éclaire d’un jour nouveau et particulièrement sombre l’obsession de nos politiciens à bombarder les autres pays : Yémen, Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Ukraine, Palestine, et là encore, la liste pourrait s’allonger… Au vu de l’efficacité plus que douteuse des atrocités en question pour atteindre les objectifs affichés, on pourrait se demander si “les dommages collatéraux” sont un bug plutôt qu’une fonctionnalité…
On pourrait objecter qu’un trait couramment associé à la psychopathie serait un obstacle majeur pour l’accession à des postes de responsabilité, un principe de réalité atrophié par rapport au principe de plaisir, un pauvre contrôle de ses pulsions, et l’incapacité de planifier à long terme…
…et on pourrait citer le contre-exemple flagrant du Brexit, consistant à quitter l’Union européenne sans avoir d’idées réellement précises sur les conséquences et la manière d’organiser comme de négocier cette rupture.
Un exemple tristement représentatif des défaillances du monde politique, comme le pointait Sam Freedman:
“Une approche incroyablement court-termiste des effets des dépenses publiques pollue les politiques appliquées. Qu’il s’agisse de la réticence à procéder à des investissements sur des programme de prévention en matière d’éducation, de santé publique, ou de criminalité, susceptibles de générer de bien meilleurs résultats et de futures économies pour le secteur public par rapport au statu quo actuel, ou de repousser aux calendes grecques les investissement en matière de défense.”
Et une réalisation inquiètante commence à se faire jour à la fin de cet article. Quand on contemple les réseaux sociaux, les commentaires des articles de journaux, le reflet du monde que nous adresse les médias, on pourrait en conclure que le système ne se contente pas de sélectionner des traits particulièrement toxiques chez les élites, il fait également un excellent travail pour les favoriser, les mettre en avant, et les cultiver dans le reste de la population…
Faut-il en conclure que les malades mentaux sont surreprésentés chez les politiciens? Non, il faut en conclure que les types d’individus qui seront favorisé et donc surreprésentés chez les politiciens auront un égo démesuré, un manque flagrant d’empathie et d’honnêteté, en plus d’avoir une obsession pour le contrôle de leurs semblables, des traits qu’on peut trouver aisément chez les individus “sain d’esprit”, sans qu’on puisse les dégager de toute responsabilité par l’invocation d’un quelconque “trouble” en dehors de leur contrôle…
C’est une tentation lancinante que de se plaindre de la malhonnêteté, de l’hypocrisie, du mépris et de l’inhumanité des politiciens… mais il serait peut être temps de réaliser que ces caractéristiques sont bel et bien celles d’un système plutôt que les traits de caractères d’individus isolés ne représentant qu’eux mêmes…