Comment Le Télégramme déploie sa transition digitale

David Sallinen
6 min readJun 26, 2019

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Entretien avec Samuel Petit, rédacteur en chef, Le Télégramme.

Samuel Petit, rédacteur en chef Le Télégramme — Photographe : Claude Prigent

Le Télégramme occupe une place particulière dans le paysage de la presse française. Évoluant dans un environnement médiatique hyper concurrentiel, l’innovation a toujours été au cœur de son ADN pour s’affirmer, que ce soit pour le journal, le site web et désormais en matière de mobile-first. En période de grand vent pour la presse traditionnelle, sa réinvention continue lui permet de progresser fortement en terme d’audience numérique, tout comme d’être profitable.
Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme, répond à mes questions pour comprendre la stratégie de transition numérique.

DS : Ces deux dernières années, vous avez entamé une nouvelle phase de votre déploiement numérique. Pouvez-vous résumer les points saillants et quels sont les premiers résultats ?

SP : Nous avons accéléré notre transition digitale par des chantiers majeurs comme le changement de nos outils de production, de publication et l’évolution de nos organisations. Le principe que nous avons réussi à poser, c’est le digital first : toute information produite par l’un des 220 journalistes du Télégramme et de ses 600 correspondants peut être publiée sur web ou mobile dès sa validation. C’était un enjeu majeur car il s’agissait de sortir définitivement de la priorité print. Non pas que le print soit secondaire mais le digital doit donner le rythme dès l’émergence de l’info.
Nous avons organisé le pilotage de notre production autour de l’info chaude, puis tiède — l’enrichissement de l’info — puis froide. Les premiers résultats, c’est une réactivité encore plus forte sur le digital, une progression plus forte de nos audiences et une amélioration de la qualité et des angles de notre journal papier. Être bon sur le digital, c’est être bon sur le papier car le bon séquençage de l’information permet de faire émerger les bons angles et la bonne temporalité. Nous devons maintenant progresser encore sur cette bonne distribution des contenus, selon leur nature et leurs formats, sur nos différents supports.

“Être bon sur le digital, c’est être bon sur le papier car le bon séquençage de l’information permet de faire émerger les bons angles et la bonne temporalité”

DS : Vous décrivez des changements profonds dans votre salle de rédaction et dans vos locales. Comment l’audience a-t-elle réagi ?

SP : Grâce à nos efforts de référencement et l’arrivée d’un responsable du SEO, nos audiences sont reparties fortement à la hausse, sans pour autant changer notre ligne éditoriale digitale et sans faire la course aux clics. La publication du bon sujet au bon moment, la mobilisation du pôle chaud, en lien permanent avec les locales, nous a permis d’avoir un rythme de publication plus soutenu et plus pertinent, aussi bien sur de l’information de forte proximité que sur l’actualité régionale, nationale et internationale.

Évolution des visites sur un an +45,6 % (Mai 2019)

Évolution des pages vues sur un an +37,6 % (Mai 2019)

DS : A l’ère du mobile-first, quelles sont les forces de l’offre print et bien évidemment, quelles sont les forces de votre offre mobile ? Comment entendez-vous accroître davantage la satisfaction de votre audience sur mobile ?

SP : La force de notre offre print, c’est une vision de l’actualité du global à l’hyperlocale, avec une hiérarchie forte de l’information et des choix toujours plus radicaux dans les sujets traités. Nous essayons de multiplier les sujets sur une page entière, voire deux, pour donner plus de profondeur de lecture.
La force du mobile, c’est d’être à la fois le média du live de la Bretagne mais aussi le média de la profondeur. Notre ambition est de développer les bons formats de décryptage, décodage, pédagogie ou reportages adaptés à la lecture de nos mobinautes. Quels que soient le support et le média, nous souhaitons cultiver une identité forte : celle de notre titre et celle de la région dont nous couvrons l’actualité.

“Le journalisme local doit s’interroger sur ce qui préoccupe réellement les lecteurs au quotidien dans leur environnement le plus proche”

DS : En définitive, en quoi le journalisme local doit-il évoluer pour toujours faire partie de la vie des gens ?

SP : Un quotidien régional, c’est un réseau social. C’est un média qui crée du lien entre les citoyens d’un territoire, en se faisant l’écho de ce qu’ils vivent et des liens qu’ils créent entre eux. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est de comprendre ce qui relie les gens entre eux à l’heure où beaucoup se détournent des lieux de socialisation telles que les associations, les clubs sportifs, etc. Le journalisme local d’aujourd’hui doit s’interroger sur ce qui préoccupe réellement les lecteurs au quotidien dans leur environnement le plus proche : leur logement, l’éducation de leurs enfants, leur sécurité physique, sanitaire, alimentaire, leur emploi… Il doit expertiser l’action de ceux qui se sont vus confier la responsabilité de l’action locale par les citoyens. Enfin, le journaliste local doit conforter sa place de médiateur entre institutions locales et citoyens. Interpeller, expertiser, expliquer, développer l’investigation : dans un environnement toujours plus complexe, la valeur d’usage d’un média local, c’est de permettre à ses lecteurs d’évoluer au mieux dans leur environnement. Cela comprend une information service fiable et correspondant à leurs vrais besoins.

DS : Quelles sont les dernières initiatives dont vous êtes le plus fier et pour quels résultats ?
Et inversement, quels sont vos regrets ?

SP : L’une des plus belles initiatives est celle qui est née au sein de l’un de nos territoires, celui de Vannes, associant nos journalistes locaux, ceux de notre télévision morbihannaise Tébésud et de notre Mensuel du Morbihan. Sans pilotage directif de la rédaction en chef, un ambitieux travail commun d’enquête autour du trafic de la drogue de cette ville moyenne bretonne a été mené. Des angles, des médias complémentaires, de l’exclusivité, une temporalité de publication étendue sur une semaine entière… et un vrai succès d’audience et de diffusion.
Deuxième initiative : notre premier direct sur un conseil municipal, celui de Brest. Un véritable exercice de démocratie de proximité et un succès d’audience là aussi.

Notre premier regret est de ne pas encore avoir réussi à installer dans nos locales le réflexe du datajournalisme. La data locale est un minerai incroyable pour entamer des enquêtes locales. Grâce au recrutement d’une jeune datajournaliste, nous allons relancer ce chantier.

DS : Le Télégramme a été un pionnier sur le numérique. Concrètement, qu’est-ce qui a bien fonctionné et qu’est-ce qui a moins bien fonctionné, ces 10 dernières années jusqu’à nos jours ?

SP : Ce qui a très bien fonctionné, c’est la réactivité sur l’actualité chaude. Parce que nos équipes sont très mobilisées et parce que la Bretagne a un environnement médiatique hyper concurrentiel. Ce qui a moins bien fonctionné, c’est la bonne compréhension par la rédaction de l’appropriation des contenus digitaux par nos lecteurs (l’importance du référencement, de la titraille, de l’angle…), le niveau d’engagement de nos lecteurs autour de nos contenus.

DS : Comment la presse régionale doit-elle évoluer, en d’autres termes : où serez-vous dans 5 ans ?

SP : Dans cinq ans, je pense que nous nous adresserons à un public encore plus large qui, plus encore qu’aujourd’hui, choisira de se tourner vers notre marque pour comprendre l’actualité régionale et locale. Nous aurons d’ici là bien réinstallé tous les fondamentaux du journalisme local : la proximité, l’équilibre, le respect du contradictoire, l’entrée dans chaque sujet par le lecteur, l’usager, l’électeur… Nous aurons encore amélioré et affiné notre connaissance lecteur, pour nous adresser toujours mieux à chacun d’entre eux.

Propos recueillis par David Sallinen, consultant en stratégies numériques
auprès du Télégramme, Euronews, Tamedia (Suisse) et L’Avenir (Belgique).

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David Sallinen

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