Johnny, le Mad Max français (Le Film perdu #9)

Dans les coulisses du spectacle le plus fou

François Descraques
17 min readMay 30, 2023

Ceci est la partie 9 de “Le Film Perdu” ( Voir la liste de toutes les parties)

Extrait de la retranscription de la septième entrevue.

ROLAND RICARDON : Ça fait longtemps, je m’excuse. J’ai eu quelques soucis de santé. Toi, ça va depuis le temps ?

FRANÇOIS DESCRAQUES : J’ai tourné mon premier film dis donc !

R.R : Félicitations ! Bon, assez de parler toi ! Parlons de moi ! Finalement, ça me fait plus de bien que je pensais.

F.D. : On en était dans les années 80.

R.R. : Tout à fait. Je m’étais motivé à remonter le projet de la Révolte des Planètes mais je ne savais pas par quel bout recommencer. En parallèle, je m’étais réconcilié avec mon ami Benoît. Il avait monté sa boîte de prestation audiovisuelle et il s’occupait de la captation de certains concerts. Il a été sympa et il m’a pris comme cadreur sur quelques prestations. J’avais pas la formation pour ça mais j’ai appris sur le tas. Comme beaucoup de techniciens à cette époque. J’ai aussi pu me former au montage vidéo. À l’époque c’était tout un bordel pour faire la moindre transition en étoile. Bien sûr, c’était pas du tout « noble » de travailler à la télévision pour quelqu’un qui voulait faire du cinéma. Mais je m’en fichais. J’avais besoin de bosser et surtout, j’avais besoin de gagner de l’expérience.

F.D. : C’est sûr qu’on apprend plus sur un tournage TV que pendant un repas où on discute d’un film qui ne se fera pas.

R.R. : Exactement. Et puis, à force de faire des petites captations de chanteurs nulles, Benoît a réussi à choper le contrat en or. Un concert au Palais des Sports. Mais par n’importe lequel …

Fantasmhallyday est un spectacle-concert de Johnny Hallyday en 1982 au Palais des Sports. C’est un hommage à la série de films post-apocalyptique Mad Max de l’australien George Miller et l’un des plus grands shows jamais réalisés en Europe à cette époque. Il met en scène des décors futuristes, des cascadeurs et des chiens-loups.

Dans la scène d’ouverture, Johnny se fait attaquer par des brigands et leur allume littéralement le feu grâce à ses pouvoirs magiques qui les transforment en torche humaine sur scène.

Puis il combat avec un hache des hordes de sauvages, des zombies tout en reprenant ses plus grands classiques comme le Survivant, Cartes Postales d’Alabama accompagné au piano par Gilbert Montagné et Carlos.

F.D. : Ça devait être fou.

R.R.: C’était incroyable. J’étais pas vraiment fan de Johnny. Je veux dire, le gars reprenait en français des vrais classiques américains pour un public d’incultes qui ne comprenait pas l’anglais. Sans vouloir offenser la plupart des français hein. Mais c’était un type bien et honnête. Il avait une énergie monstre sur scène. Même quand il s’est blessé à cause d’un coup de hache mal placé, il a continué le spectacle en boitant. Donc même si j’étais pas fan, je n’avais que du respect pour lui. Et puis c’était un vrai fan de films. C’était clairement ça son rêve. Faire du cinéma !

F.D. : Tu as essayé de l’approcher, j’imagine.

R.R. : Et comment ! Mais c’était pas si facile. Benoît ne voulait pas que j’embarrasse Johnny avec mes histoires de films. Il avait peur que ça lui retombe dessus. Je ne lui en voulais pas. C’était son business après tout et j’étais son employé. Mais je l’ai quand même fait. Je pouvais pas passer à côté de cette occasion ! Le soir, après chaque concert, je passais ma tête en coulisse et je lui serrais la main. Je lui disais juste « Super Johnny, à demain ! » Au début, Johnny ne me captait pas. Puis à force de voir ma tête et à force que je lui serre la main, il devenait de plus en plus sympa. Bien sûr, j’essayais aussi de me renseigner sur ses habitudes en terme de « divertissements » si tu vois ce que je veux dire…

F.D. : Ah oui. C’était quoi son …petit pêché à lui donc ?

R.R. : La Kronembourg.

F.D. : Ah. Décevant. Enfin, tant mieux.

R.R. : Et donc, comme « par hasard », je me baladais toujours avec un pack de Kro sur moi en coulisse. Et fatalement, au bout des trois semaines de spectacles, je lui en propose une et hop, on commence à discuter autour d’une binouze. On parle d’Elvis mais aussi de Mad Max évidemment. Moi j’avais vu l’original au Cinéma le Méliès et j’étais complètement fou de la suite : The Road Warrior ! Et je voyais bien que dans l’entourage de Johnny, il n’y avait pas beaucoup de fan de science-fiction. À part Philippe Manoeuvre qui avait travaillé sur l’adaptation en roman de Mad Max 2. Du coup, on a bien accroché lui et moi.

F.D. : Tu lui as parlé de ton projet de film ?

R.R. : Alors j’ai établi une technique de pitch détourné. Je savais que si je lui parlais directement de La Révolte des Planètes, je prenais le risque de le perdre en cour de route. C’était pas comme la dernière fois où j’avais un producteur à mes côtés qui mentait sur le fait d’avoir Gabin dans le film. Là, j’étais à poil.

Donc j’ai pris mon temps. Je partageais une bière rapide avec Johnny après chaque concert, c’est devenu une habitude. Presque un réflexe pour lui. Il sortait en sueur de la scène. Il me croisait dans le couloir et il me sortait « Et ma Kro ? ». Je l’avais conditionné ! Et puis, un soir, je lui sors « Tu sais dans quel film je te verrai ? Une adaptation de Rahan ! »

F.D. : Rahan…la bande dessinée ?

Rahan — bande dessinée créée par Roger Lécureux et illustrée par André Chéret

R.R. : Ouais !

F.D. : Mais pourquoi ?

R.R. : En gros je lui disais qu’il ferait un super Rahan et il était d’accord. Ça serait un film du tonnerre ! Et puis je lui dis « Le seul truc que tu as à faire, c’est arrêter la boisson et te mettre à la muscu parce que c’est un rôle entièrement torse-nu ! Et puis il faudra que tu fasses tes propres cascades aussi. ». Je voyais dans ses yeux que ça l’excitait moins.

En effet, après chaque représentation, Johnny était très fatigué par son show. Il en avait marre de se battre avec des haches. Il voulait faire du cinéma d’action…mais sans trop se fatiguer. Alors je lui sors « Sinon, y’a aussi un rôle qui pourrait t’aller mais bon, faut aimer la moto » Et là, je vois qu’il me regarde avec un drôle d’air. Et je lui dis «C’est une sorte de Yann Solo. Sauf qu’il a pas un vaisseau. Mais une moto qui vole» Et là, il me dit « Une moto qui vole ? C’est quoi ce film ? » Et hop, je l’avais accroché !

F.D. : Bien joué.

R.R. : Je lui ai donc raconté mon film en insistant bien sur le fait que le personnage de Ben-Joe était principalement en moto. Il m’a dit qu’il n’était pas sûr de savoir conduire une moto qui vole mais je lui ai dit que ça allait être un effet spécial. Et il fallait pas qu’il se fasse de bile, au final on aurait vraiment l’impression que c’est lui qui la conduisait bien sûr.

Mais il y avait encore un souci. Johnny n’avait pas encore de crédibilité en tant qu’acteur de cinéma. Il avait été traumatisé par un western italien qu’il avait tourné dans sa jeunesse et qui s’était planté. Il m’a dit « Trouve-moi des bons comédiens avec qui tourner et ça pourra aider à faire ton film. »

F.D. : Facile ahah !

R.R. : J’étais motivé comme jamais. Et je savais qu’avec le nom de Johnny, ça pouvait faire bouger les choses. J’ai demandé l’aide de Gérard Lebovicci, il était encore vivant en 82. Il m’a parlé d’un jeune comédien qui commençait à se faire un nom. Il m’a dit « Ce gars, c’est un jeune premier, c’est le prochain Depardieu ! ». J’étais content. Du moment que je ne doive pas boire quatre bouteilles à moi tout seul pour le convaincre. Je l’ai rencontré et je l’ai trouvé fort sympathique. Tu sentais qu’il voulait devenir un héros de film d’action déjà à cette époque. Et il avait pas peur de faire de la science-fiction. C’était Christophe Lambert. Parfait pour le rôle d’Aniel à l’époque.

F.D. : J’avoue !

R.R. : Mais il était pas encore un vrai nom qui allait convaincre Johnny de s’engager à 100%. Christophe avait un ami et il voulait le pistonner pour le film. Un gars marrant avec qui il avait le Conservatoire. Je lui ai dit « Vas-y ! Je veux bien le rencontrer ». Et c’est vrai qu’il était marrant ce Didier Bourdon.

F.D. : Trop bien ! Tu lui as donné quel rôle ?

R.R. : Tolbiac évidemment. Mais bon, c’était pas non plus un nom qui allait faire briller des étoiles dans les yeux de Johnny. Il avait pas encore créé son groupe de comiques. Les Inconnus.

Alors j’ai demandé à Christophe Lambert s’il connaissait une jeune actrice pour le rôle de Lucia. Pour lui, il n’y avait qu’une qui avait le talent et aussi l’expérience cinématographique. Sophie Marceau. Elle venait d’avoir un César en plus. Mais ça allait être coton de la convaincre. Je me suis concentré sur d’autres rôles. J’ai commencé à rêver. Qui serait le parfait Général ? J’ai pensé à ma mère et aux films qu’on allait voir quand j’étais petit. J’ai pensé : si elle était là, qu’est-ce qui lui aurait rendu fier ? Que je fasse un film de science-fiction avec un chanteur de rock ? Non. Par contre, si j’arrivais à avoir Lino Ventura…

F.D. : Mais oui ! Pour le Général, le père d’Aniel, tellement parfait !

R.R. : Oui. J’ai d’abord réécrit le personnage pour lui donner plus d’humanité. Quand j’avais écrit la première mouture, j’étais pas encore « père » moi-même. Maintenant, tout était différent. Je sentais que le Général était une figure tragique. Comme mon propre père…Et puis comme moi au final.

Roland semble encore partir loin. Une violente toux le fait sortir de sa torpeur.

F.D. : Ça va ? On peut faire une pause si tu veux ?

R.R. : Non ça va aller. Bref, Lino Ventura c’était un vrai symbole pour moi. Une façon de faire revivre mes parents. Je rêvais bien sûr. Mais j’ai tenté quand même ma chance. Après pas mal de négociations avec son agent, j’ai réussi à lui parler enfin.

Je l’ai vu dans son manoir. à Saint-Cloud Il était beaucoup plus fragile qu’à l’époque de Les Tontons Flingueurs bien sûr, mais il gardait une présence incomparable. Et même si le sujet du film ne l’intéressait pas, je sentais qu’il voulait tourner dans un film que ses petits-enfants pourraient enfin voir. Il était très sensible au monde de l’enfance. Il avait même pleuré devant E.T, l’extraterrestre ! Mais il ne voulait pas être le seul acteur confirmé du film. Alors pour conclure l’affaire, j’ai utilisé la méthode « Jean Gabin ».

F.D. : Je croyais qu’il était mort…

R.R. : Je sais bien ! J’ai pas dit que j’avais Jean Gabin ! Je suis pas idiot !

F.D. : Oui pardon. Tu as dit que tu avais qui ?

R.R. : Christopher Lee.

F.D. : Saroumane ?

R.R. : Oui. Et Dracula aussi à cette époque. Il était à la fois très respecté, très connu et en galère totale.

F.D. : En galère à quel point ?

R.R. : Il venait de tourner un film avec Bernard Menez. Dracula Père et Fils. Une comédie très mauvaise. Mais il savait parler français ! Avec lui dans le rôle du Roi, Lino n’a pas dit oui, mais il n’a pas dit non. Ce qui était déjà pas mal.

Dracula, père et fils — réalisateur Édouard Molinaro

F.D. : Tu avais presque ton casting. C’est allé vite !

R.R. : Ah mais là, je te résume rapidement. Ça m’a pris 3 ans pour rencontrer tous ces gens !

F.D. : Mince.

R.R. : Et pendant ce temps, ma fille a commencé à grandir. C’était à la fois effrayant et excitant. Parce que je pouvais enfin voir des films avec elle et partager ma passion. Bon, seul problème, elle était très fan de La Guerre des Étoiles.

F.D. : Ah ah comme tous les jeunes à l’époque.

R.R. : Et des Ewoks.

F.D. : Ah oui forcément.

R.R. : Et en 1985, ils ont même fait deux téléfilms sur eux ! La Caravane du Courage et la bataille d’Endor. J’ai dû les regarder des dizaines de fois à cause de Nathalie. L’animatrice Dorothée en avait fait même une chanson que j’ai aussi écoutée trop de fois. Pour impressionner Nathalie, j’essayais de lui raconter que j’avais connu son créateur, Georges Lucas. Elle m’a demandé si j’avais rencontré Wicket, l’Ewok qui était copain avec la Princesse Leïa. Parce que pour elle, les Ewoks c’était des vraies créatures ! Elle s’en fichait de savoir qui avait écrit quoi. C’était beau à voir cette innocence. C’était même inspirant. J’ ai parlé de cette anecdote à Johnny. Et il m’a dit « Il nous faut un Ewok dans le film ! »

La Chanson des Ewoks par Dorothée ( issue du générique du dessin animé Les Ewoks)

F.D. : Un Ewok ?

R.R. : Oui. Enfin pas un vrai Ewok. Un truc inspiré. Et j’allais pas me priver vu que George s’inspirait de tout le monde. Du coup, j’ai créé ma propre créature poilue.

F.D. : Le Singe qui fume !!

R.R. : Voilà ! Tu te rappelles ! Jabo le Nola. Le singe mutant. Le compagnon de Ben-Joe.

F.D. : Je me demandais si je l’avais imaginé celui-là. Mais il était vraiment dans le film !

Roland semble rire et se mordre les lèvres en même temps. Un autre souvenir douloureux ? Il reprend juste après.

R.R. : C’était une idée de Johnny. Alors la bonne nouvelle, c’était qu’à ce moment-là, vers 1986, la carrière d’acteur de Johnny commençait à décoller. Il allait tourner avec Godard. Les gens allaient enfin le prendre au sérieux. Le problème c’est que tout allait être plus cher du coup. Son cachet déjà.

Et puis Jabo le Nola. Comment le faire ? J’ai d’abord fait un essai avec un vrai singe. J’avais un ami qui travaillait au zoo de Vincennes et il m’a laissé un accès au fameux Grand Rocher aux singes pendant une heure de fermeture. Alors pas de soucis pour les faire fumer. Ça, ils le font. Par contre, tout le reste, c’est mort. Ils ne suivent pas les ordres. Et puis, ils peuvent être très violents. J’avais pas envie qu’un singe défigure Johnny Halliday sur le plateau. Il fallait trouver une autre solution.

F.D. : T’as pensé à demander tout simplement à George Lucas ?

R.R. : Non. Je voulais pas qu’il m’aide. Je voulais qu’il voie le film un jour dans une vraie salle de cinéma et qu’il me dise « Bravo Roland. » Même si l’univers de La Révolte des Planètes n’était pas sa came, peut-être qu’en le voyant, il verrait ce que moi je voyais depuis des années dans ma tête. Mais pour ça, il fallait que je trouve des talents pour m’aider. Des talents jeunes. Jeunes et pas chers. Heureusement, il y a eu le Festival de Cannes de 1987.

F.D. : Qui a gagné cette année ?

R.R. : Je sais plus et sérieusement je m’en fous. Parce que y’a deux Cannes. Le festival des pompeux qui s’habillent en pingouins pour apercevoir de loin des starlettes. Et puis y’a le VRAI festival. Celui des séances du soir et des films underground. Et là bas, j’ai vu le film le plus barré que j’ai jamais vu de ma vie.

F.D. : Comment il s’appelait ?

R.R. : Dans l’cul

F.D. : Radical en effet. Qui l’a réalisé ?

R.R. : Un jeune néo-zélandais.

Peter Jackson est un réalisateur néo-zélandais connu pour avoir réalisé la trilogie du Seigneur des Anneaux et du Hobbit. Mais avant de faire des blockbusters, il a réalisé une trilogie de comédie d’horreur trash avec Bad Taste ( alias Dans l’cul en France), Les Feebles et BrainDead. Il a aussi co-réalisé le faux documentaire Forgotten Silver sur un cinéaste qui n’a jamais existé et il a reçu des menaces de mort suite à sa diffusion sur la télévision néo-zélandaise.

F.D. : Bad Taste ! Ah oui je l’ai vu ! Je savais pas qu’il avait un titre français aussi charmant. C’est dans ce film où Peter Jackson se bat contre lui-même au bord d’une falaise ?

R.R. : Et où des aliens boivent son vomi. Oui. Peter a fait pratiquement tous les effets spéciaux tout seul. Et le film se termine avec une maison qui décolle dans l’espace ! À la base, c’était un court-métrage qu’il tournait le week-end avec ses potes. Mais plus il tournait, plus le film prenait de l’ampleur et ses potes commençaient à le lâcher. C’est pour ça qu’il a fini par se donner deux rôles. Un avec barbe et l’autre sans barbe. Et donc les deux personnages se battent sur une falaise en effet. Mais c’était par manque de moyen et d’amis. Heureusement, il a même réussi à convaincre l’équivalent du CNC néo-zélandais à lui donner des sous pour terminer le film.

F.D. : Oui il raconte ça dans les bonus DVD du film.

R.R. : Et moi, il me l’a raconté autour d’une bière dans les rues de Cannes.

F.D. : Je m’incline.

R.R. : Et donc je lui ai parlé de mon projet et il l’a trouvé très excitant. Je lui ai aussi dit que j’avais un souci avec le singe qui parle. Et là, j’ai vu son regard s’allumer. Son film préféré, c’était King Kong ! Et son idole, c’était Rick Baker, le maître des maquillages FX. Et il avait commencé sa carrière dans le remake de King Kong de 1976. Il faisait lui-même le gorille géant dans un costume poilu. Peter m’a dit qu’il allait réfléchir à une solution. Je lui ai donné mon adresse au cas où. Je ne pensais pas que ça allait aboutir. Il était déjà en train de réfléchir à son nouveau film. Une parodie des Muppets mais où Kermit prend de la drogue et où un renard chante une chanson sur la sodomie. Je lui ai dit « Bon courage avec ça ! ». Dans ma tête, je me disais que finalement mes idées n’étaient pas si folles.

F.D. : Je l’ai vu aussi The Feebles. Tellement fou ce film.

R.R. : Donc il est rentré chez lui et moi chez moi à Montreuil. Et là, j’ai reçu des nouvelles de Johnny. Une bonne nouvelle. Il allait jouer dans son premier film d’action et de science-fiction. Il était tout excité. Un vrai Mad Max à la française ! Enfin, franco-allemand. Ça s’appelait Terminus. Il y avait même Karen Allen dans le film ! Et un camion qui parle.

F.D. : Ça semble prometteur. Pourquoi j’ai jamais entendu parlé de ce film ?

R.R. : À ton avis.

F.D. : Il ne s’est pas fait ?

R.R. : Pire. Il s’est fait et il était horrible. Juste avant qu’il accepte, j’ai demandé à Johnny si c’était pas risqué de faire ce projet avant le mien. Mais pour lui, c’était pas incompatible. Ce film, Terminus, allait être un succès et tout le monde allait vouloir voir Johnny dans un autre film de science-fiction. Il m’a même dit qu’on pourrait augmenter le budget et avoir une VRAIE moto volante. Je lui ai fait confiance. C’était sa carrière après tout. Et donc, ce film est vraiment sorti. Et ça a été un fiasco. Un vrai « Terminus » pour la science-fiction et Johnny. Et après ça, il n’a plus voulu entendre parler de La Révolte des Planètes. Et comme un signe du destin, Lino Ventura est mort la même année.

Silence. Il respire lentement. Comme pour reprendre son souffle.

F.D. : Tout va bien ?

R.R. : Tu dois en avoir marre hein ?

F.D. : De quoi ?

R.R. : De tous ces faux départs.

F.D. : Oui enfin non. Ça devait être bien pire pour toi.

R.R. : Ça l’était. À chaque fois, on se dit « À quoi bon ? ». Y’a des rêves tellement plus simples. Comme avoir une famille…

F.D. : Tu en avais une…

R.R. : Oui. Mais j’avais l’impression de la sacrifier. J’étais comme coupé en deux. Impossible d’être vraiment présent. Toujours en train de penser à ce que je n’avais pas.

Et puis, un matin, j’étais en train de garder Nathalie à la maison. Et je reçois un paquet. Ça venait de Nouvelle-Zélande. Y’avait un petit mot gentil de Peter. Il me disait qu’il ne pourrait pas participer à mon projet mais qu’il avait fait un essai d’effet spécial. Peut-être que ça pouvait m’aider à vendre mon projet ? Alors j’ai mis la cassette VHS dans mon magnétoscope et j’ai vu une courte vidéo de Peter dans un costume de singe. C’était surréaliste. Et plutôt bien fait. Il faisait des cabrioles et il fumait une cigarette. Enfin il faisait semblant parce qu’il ne fumait pas. Il avait même mis un blouson en cuir sur son costume de singe pour me faire plaisir. Ça m’a fait sourire même si je ne savais pas quoi faire de ça. Mais celle qui était le plus fascinée, c’était Nathalie. Elle m’a demandé si je connaissais le singe sur la télévision. Il semblait si vrai et intelligent pour elle ! Alors je lui ai dit « C’est pas un singe. C’est un Nola. » Elle m’a demandait ce qu’était un Nola. Je lui ai répondu que c’était un singe mutant qui vit dans les bas-fonds de Pigalle. Ils sont très intelligents et ils parlent la langue des signes. Et plus elle posait des questions, plus je lui racontais toute l’histoire de La Révolte des Planètes. Je lui racontais chaque fois qu’on se voyait. Je jouais tous les personnages. Et je voyais dans son esprit que mon histoire devenait réelle pour la première fois. Et elle me demandait toujours « Quand est-ce que je pourrais voir ce film ? ». Je lui répondais à chaque fois « Bientôt ma puce ». Et à partir de ce là, ce film, ce n’était plus un projet, ni même un rêve que je me faisais dans ma tête…c’était une promesse. Et je comptais bien la tenir.

Je reste un moment sans rien dire. J’intègre toutes les informations. Mais je n’arrive pas à garder ce que je pense pour moi. Pas après tout ce temps…

F.D : Mais…désolé d’être aussi franc. Tu l’as fait au final ou pas ?

R.R. : Bien sûr que je l’ai fait. Mais pas de façon traditionnelle, on va dire.

Suite et fin : https://medium.com/@f_descraques/dernier-baiser-le-film-perdu-10-d1862611dfbd

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