Qui se souvient de ce film ? (Le Film perdu #1)

Où je vous présente la plus grande énigme de ma vie

François Descraques
12 min readApr 5, 2023

Il y a certains films qu’on a vus si jeune qu’on a l’impression de les avoir toujours connus. Ces oeuvres sont un bagage culturel inné, propre à chaque génération. Pour moi, et pour beaucoup d’autres personnes nées entre 1981 et 1996 (la génération dite des « millenials »), ces films sont souvent les mêmes. On y compte évidemment la trilogie (originelle) de la Guerre des Étoiles de Georges Lucas, la saga des Indiana Jones de Steven Spielberg et la trilogie des Retours vers le Futur de Robert Zemeckis. Je peux aussi ajouter des pépites des années 80 comme les SOS Fantômes de Ivan Reitman, les Goonies de Richard Donner et bien sûr, beaucoup de films d’animation de Walt Disney.

Les VHS de mon enfance

Comme j’étais trop petit pour aller au cinéma, mes parents ont dû me montrer ces films sur cassette VHS à un très jeune âge. Puis j’imagine que j’ai dû exiger de les revoir encore et encore pour m’en imprégner totalement. Ainsi, il m’est impossible de me rappeler de la véritable première fois où j’ai vu ces films comme il m’est impossible de me rappeler comment j’ai appris à marcher ou à parler. Ils font partie de moi, comme s’ils étaient gravés dans mon ADN.

Moi, à 9 ans.

Mais le film qui a eu peut-être le plus d’impact sur moi pendant mon enfance est La Révolte des Planètes. Vous vous en rappelez ? Non ? Pas de soucis, je vais essayer de le résumer comme je peux.

Dans ce film de science-fiction, les héros vivent dans un monde futuriste où l’humanité a colonisé tout le système solaire. Ce sont des étudiants qui rentrent dans une sorte d’université, mais avec des cours beaucoup plus cool. Le matin, ils s’entraînent à l’escrime avec des épées qui lancent une forte décharge d’étincelles à chaque coup. L’après-midi, ils regardent des vidéos projetées sur un écran géant dans un amphithéâtre. On y voit des spots promotionnels dans lesquels chaque planète a été rendue habitable pour les humains.

Et donc, maintenant, ça vous dit quelque chose ? Toujours pas ? Je continue.

Un jour, le jeune héros est contacté par un groupe de révolutionnaires qui lui fait découvrir la Substance, une étrange fumée violette qu’il aspire pour acquérir des pouvoirs secrets. L’un de ces pouvoirs est la capacité d’être transporté hors de son corps pour voir ce qu’il se passe réellement sur les planètes colonisées, loin de la Terre.

Et là, il découvre l’horrible vérité.

Les vidéos qu’on leur montre à l’Académie sont truquées. Les colonies sont en fait des camps de travail où les citoyens se tuent à la tâche à fournir des matières premières pour les habitants insouciants de la Terre.

Pourchassé par les forces de l’ordre, le héros fuit sur une moto volante pour atteindre le seul endroit où il pourra diffuser le message de révolte : la tour Eiffel.

Parce que oui, ce film incroyable est français !

Je me rappelle de scènes complètement psychédéliques où la fumée violette donne au héros de nouveaux pouvoirs comme sauter très haut et même de ralentir le temps quelques instants.

Il y avait aussi le personnage du vieux Roi. C’était une figure terrifiante, littéralement vissée sur un trône et reliée par plein de tuyaux. Il y avait aussi un personnage de jeune femme dont je me rappelle plus le nom. Elle était belle, mystérieuse et elle avait des tatouages qui brillaient dans un halo violet.

Vous ne voyez toujours pas de quoi je parle ? Bon, laissez-moi terminer. Ça va peut-être vous revenir.

Il y avait aussi un personnage de motard. Il semblait être un voyou mais à la fin, il aidait les héros lors de la bataille finale. Il y avait même un singe qui portait un blouson en cuir et qui fumait des cigarettes ! Et à la fin du film, le héros est obligé de se battre contre son propre père, un général du Gouvernement, sur les rebords vertigineux de la tour Eiffel.

Même si j’ai dû mal à me rappeler de tous les détails, certaines images de ce film sont à jamais gravées dans ma tête comme le plan de Eliot en vélo devant la lune dans E.T ou l’apparition du T-Rex dans Jurrasic Park.

Et donc, La Révolte des Planètes est mon film culte de mon enfance. Et comme vous avez compris, personne ne semble s’en souvenir à part moi.

Pourtant, quand j’avais environ 10 ans, je ne pensais qu’à ça. Je dessinais des scènes entières du film sur mes cahiers pendant les cours. Puis dans la cour de récré, j’essayais de convaincre mes camarades de jouer à La Révolte des Planètes. Je leur mimais les courses de moto-volantes, les batailles avec les épées à énergie mais tous mes copains me regardaient avec de grands yeux et ne comprenaient même pas ce que je leur décrivais. Pire, ils me traitaient de menteur car ils ne pensaient pas qu’un tel film puisse exister. Ils l’auraient tous vu sinon !

Quelques dessins que j’ai faits sur La Révolte des Planètes à l’âge de 10 ans

Même mes parents étaient dubitatifs. Ils ne voyaient pas de quoi je parlais. C’était embarrassant et très étonnant. Mon père connaissait TOUS les films de science-fiction du monde. C’est lui qui m’a donné à lire des romans de Philip K. Dick à l’âge de 11 ans. Si ni lui, ni ma mère ne m’avait pas montré ce film, qui l’avait fait ?

Quand j’ai eu 13 ans, une amie de ma mère a voulu se débarrasser de tous ses magazines Premiere. Une énorme pile d’environ 60 revues datant du début des années 90. Un trésor inestimable pour un jeune comme moi passionné de cinéma juste avant l’arrivée d’internet. Évidemment, j’ai demandé à les récupérer et j’ai appris par coeur chaque note attribuée par les journalistes pour chaque film entre 1992 et 1998. Et puis, j’ai feuilleté chaque numéro, lu chaque article dans l’espoir d’y trouver une référence à La Révolte des Planètes. Mais rien. Aucun journaliste n’en parlait. Jamais.

Les couvertures de Première de mon adolescence

Puis internet est arrivé. Quand mon père a ramené le premier modem 56k dans notre appartement à Dijon, son bruit interminable de connexion ressemblait à un dialecte de droïdes tout droit sorti d’un film de SF. J’ai très vite commencé à traîner sur des sites de news de cinéma pour être au courant de tous les tournages en cours. Évidemment, j’ai cherché sur les moteurs de recherche de l’époque (AltaVista, Yahoo…) la moindre trace de La Révolte des Planètes. J’ai tapé le titre dans la barre de recherche pour commencer. Rien. Puis, j’ai entré des mots clés décrivant certaines scènes du film. Mais toujours rien. Je recommençais régulièrement dans l’espoir que l’internet se mette à jour ! Je suis même allé sur les premiers forums francophones de cinéma pour demander s’il y avait un expert en film de science-fiction qui pourrait connaître ce film. Mais sur la toile, personne au monde ne semblait avoir entendu parler de mon film préféré.

En 2003, après mon BAC scientifique option cinéma, je suis rentré au BTS Audiovisuel de Boulogne-Billancourt en option image. J’espérais secrètement que pendant un cours, un professeur allait nous montrer un extrait de La Révolte des Planètes à étudier. Après tout, on analysait bien d’obscurs courts-métrages des années 80. Mais non. Et cela devenait gênant de devoir décrire un film complètement improbable. J’avais compris qu’il valait mieux que je ne demande plus si quelqu’un autour de moi connaissait ce film maudit. Il fallait que je lâche l’affaire.

Puis j’ai commencé à travailler dans le milieu de la télévision. D’abord en tant que technicien. Puis en tant que scénariste et enfin en tant que réalisateur. J’ai réalisé des courts-métrages et j’ai créé plusieurs séries souvent dans des univers fantastiques ou de science-fiction. Et j’ai enfin pu passer le pas et réaliser mon premier long-métrage de cinéma. Un film de science-fiction évidemment. Même si je ne voulais pas l’admettre, les images de La Révolte des Planètes n’étaient jamais très loin dans mon inconscient.

J’ai aussi fait la connaissance de Patrick Baud, le créateur de la chaîne Youtube Axolotl et un grand spécialiste des faits étonnants et autres curiosités du monde de la science. À force de nous échanger mutuellement la moindre trouvaille extraordinaire sur internet, nous sommes devenus amis. Parler avec lui est un délice et donc un jour, je lui ai confié mon curieux cas. Je lui ai décrit la Révolte des Planètes, ce film incroyable que personne d’autre ne semble avoir vu. Sa réponse ne m’a pas déçu.

Patrick Baud

« Mon bon François, connais-tu l’effet Mandela ? » m’a-t-il demandé.

Je connaissais vaguement ce phénomène, mais j’aimais entendre Patrick m’expliquer des choses de la vie alors j’ai répondu que non. Il m’a alors raconté que l’effet Mandela est une sorte d’hallucination collective qui crée des faux souvenirs dans l’esprit des gens. Son nom vient du fait que dans les années 80, beaucoup de personnes étaient persuadées d’avoir vu aux infos que Nelson Mandella, l’homme d’État d’Afrique du Sud, était mort en prison alors qu’en réalité, il est décédé bien plus tard en 2013.

Mais pour la Révolte des Planètes, c’était un cas différent, car il semblait que j’étais le seul à me rappeler du film. Du coup, je n’étais pas sûr que l’effet Mandela s’applique à mon cas. Pour Patrick, c’était peut-être une excellente chose et encore une fois, il ne voyait que deux explications possibles. Soit mon jeune esprit avait communiqué avec un monde parallèle dans lequel la Révolte des Planètes était un classique de la science-fiction au même titre que 2001 l’Odyssée de l’Espace et Blade Runner. Soit je l’avais inventé à un très jeune âge sans m’en rendre compte. Je pouvais donc à ma guise m’approprier ce scénario et en faire le film du siècle un de ces jours !

La pire chose qui pouvait m’arriver c’est que son auteur original traverse les dimensions pour me faire un procès d’atteinte à ses droits d’auteurs. Mais dans cas, l’arrivée d’un être extradimensionnel dans notre réalité deviendrait une affaire beaucoup plus importante que mon film aux idées volées. J’étais charmé par la solution de Patrick. Cela me permettait enfin de me sentir moins bizarre. Mieux, je me sentais enfin talentueux ! J’avais créé La Révolte des Planètes !

J’ai donc décidé de m’autoriser à penser que la Révolte des Planètes était mon histoire et qu’un jour, peut-être, cela ferait un film de science-fiction populaire d’origine française. Évidemment, ce pari me paraissait tout bonnement impossible. Rares sont les films de science-fiction en France qui ont été de grands succès comme Le Cinquième Element de Luc Besson ou Les Visiteurs de Jean-Marie Poiret. Certains sont devenus cultes auprès des passionnés de cinéma comme La Jetée de Chris Marker ou Le Prix du Danger de Yves Boisset (qui a fortement inspiré le film Running Man avec Arnold Schwarzenneger). Malgré tout, il est indéniable que la France possède un véritable vivier de talentueux auteurs de science-fiction qu’on retrouve souvent dans des Arts moins onéreux que le Cinéma (comme la bande dessinée ou même dans la littérature).

Et c’est justement chez l’un de ces auteurs que mon histoire a pris une nouvelle tournure.

Bernard Werber

Il y a quelque temps, je me suis retrouvé à l’anniversaire de Bernard Werber, le célèbre auteur de la saga des Fourmis, des Thanatonautes et de l’Empire des Chats (entre autres…). La soirée se passait dans sa « fourmilière », une superbe maison en plein Montmartre dont la décoration ferait rêver n’importe quel fan d’univers fantastiques. Constellations peintes au plafond, une fourmi géante dans le salon, le cadre est à la fois charmant et ludique. Cette soirée regroupait pratiquement toutes les professions du spectacle. On pouvait voir Jan Kounen , le réalisateur de Doberman et 99 francs débarquer en skateboard et le magicien Eric Antoine faire des tours de passe-passe dans le salon. C’était clairement la soirée du « name-dropping » et je me demandais comment j’avais eu la chance d’atterrir là. Évidemment, c’était grâce à mon ami Patrick Baud qui avait collaboré avec Bernard Werber sur plusieurs projets.

Malgré ma timidité, je me suis retrouvé à discuter avec d’autres auteurs et scénaristes comme moi (mais au CV beaucoup plus impressionnant). Et comme souvent, la principale activité des auteurs quand ils sont en groupe est de se plaindre du manque d’opportunité qu’on leur donne dans leur milieu. Nous possédons tous un projet impossible à faire produire et qui nous suit pendant des années. Et la seule façon de pouvoir parler ouvertement de ces projets frustrants, c’est en les racontant à un groupe de collègues bienveillants (dans l’espoir qu’aucun ne piquera l’idée).

Et donc voilà comment je me suis retrouvé à raconter La Révolte des Planètes à une assemblée de professionnels influents. Chaque plan apparaissait clairement dans ma tête et mon auditoire était captivé par la précision de mon récit. J’étais en confiance. Peut-être que j’allais réussir à vendre ce projet ce soir ?

Bernard Werber, que j’avais peu croisé depuis le début de la soirée, est arrivé dans le cercle d’invités et s’est mis à m’écouter. Mais son air n’était pas seulement captivé, il était en pleine réflexion. J’ai vu du coin de l’oeil que quelque chose le dérangeait. Peut-être que je racontais mal ? Je suis devenu très nerveux.

Puis, alors que j’arrive à la moitié de l’histoire, au moment où les héros sont obligés d’utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour fuir leur Académie et devenir des fugitifs, Bernard m’a posé une question des plus troublantes.

« Excuse-moi François. Mais ton histoire, c’est la Révolte des Planètes, non ? »

Je suis resté bouche bée sans cligner des yeux pendant ce qui me semblait une éternité. Je n’avais pas encore dévoilé le titre. À l’intérieur de ma tête, tout était en train d’exploser en mille étincelles comme les coups d’épée du film. Je ne sais pas si j’étais devenu rouge ou pâle, mais ce qui est sûr, c’est que je n’étais pas bien. Après avoir bafouillé trop longtemps, je suis enfin arrivé à sortir avec un air faussement anodin : « Ah…tu…tu connais ? »

- Oui, je connais, Bernard me répondit du tac au tac avec un petit sourire avant de rajouter, et voler les idées des autres, c’est mal !

Il est difficile de résumer tout ce que j’ai ressenti à ce moment. Déjà de la honte. J’essayais de trouver Patrick du regard, celui qui m’a convaincu de m’approprier cette histoire. Le salaud était plus loin en train de discuter avec une actrice du Bureau des Légendes. Mais heureusement, la honte n’était rien comparé à cet autre sentiment qui me brûlait de l’intérieur : cette excitation naissante d’avoir trouvé un début de réponse à l’une des plus grandes énigmes de ma vie.

« Mais heu …d’où tu connais ça ? » ai-je demandé à Bernard tout en cachant que je tremblais.

- Je connais son auteur. » Une pause. Puis il se reprend. « Enfin je le connaissais, c’était il y a un bail. »

- Qui c’est ? L’auteur de la Révolte des Planètes, c’est qui ? » ai-je interrogé d’un ton crispé en essayant de rester cool.

Bernard a réfléchi quelques instants. Quelques longs instants. Autour de moi, tout le monde le regardait tandis qu’il semblait chercher dans les archives lointaines de sa mémoire. Puis cela lui est revenu d’un coup.

- Ricardon, il a lâché avec un certain soulagement, oui c’était ça son nom !

Puis il ajouta : « Roland ! Roland Ricardon. »

J’étais troublé. La question qui me brûlait les lèvres était évidemment : Mais qui est Roland Ricardon ? Il fallait que je le découvre.

La suite : https://medium.com/@f_descraques/le-film-perdu-chasse-a-lhomme-6dd36f8f1723

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