Chasse à l’homme (Le Film perdu #2)

Où je pars à la recherche d’un cinéaste oublié

François Descraques
13 min readApr 11, 2023

Ceci est la partie 2 de “Le Film Perdu” ( Voir la liste de toutes les parties)

Ma vie venait de prendre une nouvelle tournure. Je n’étais plus un fou ou une victime de conspiration. J’avais obtenu une réponse à mon mystère mais d’autres questions s’ouvraient à moi. Comment ce Roland Ricardon avait-il pu réaliser un film d’une telle ambition sans que personne ne le sache ? Est-ce qu’il avait fait d’autres films aussi fabuleux ? Qui le connaissait à part Bernard Werber ? Mais surtout, était-il encore vivant ? Je devais absolument en savoir plus sur cet homme.

Évidemment, mon premier réflexe a été de « googliser » le nom de Roland Ricardon tel un piètre Sherlock Holmes des temps modernes. Mais encore une fois, aucun résultat n’apparaissait. Cet homme n’avait aucune trace numérique ce qui est non seulement un véritable exploit à notre époque, mais aussi le rêve de beaucoup de personnes. C’était comme si cet homme n’avait jamais existé.

Tout ce que je savais sur Roland Ricardon, c’était que Bernard Werber l’avait eu comme professeur de scénario à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) autour de 1990. « C’était un personnage singulier, m’a expliqué l’auteur des Fourmis, Monsieur Ricardon avait la quarantaine à cette époque et il n’avait suivi aucune formation professionnelle. Mais il nous racontait des histoires complètement folles sur comment il avait appris son métier. Soit il mentait, soit sa vie était plus incroyable que La Révolte des Planètes. »

Siège de l’INA

- As-tu aimé son film ? je lui ai demandé avec curiosité.

- Je ne l’ai pas vu. Pas à proprement parler. Pendant les cours, Roland Ricardon passait son temps à nous raconter des scènes de son scénario. Cela lui arrivait des fois de changer quelques éléments de l’histoire en fonction de nos réactions. On avait vraiment l’impression d’être ses cobayes. Malheureusement, il ne nous a jamais montré le film. D’ailleurs, pendant des années, j’étais persuadé qu’il ne l’avait pas réellement tourné. Après tout, c’était un projet impossible ! »

Mais moi, je l’avais vu. Et je voulais savoir comment c’était possible.

Rapidement, j’ai contacté mes parents pour leur demander si le nom de Roland Ricardon leur disait quelque chose. Nous avons eu beaucoup de voisins pendant mon enfance parce que mon père était médecin militaire et donc nous avons souvent déménagé. J’ai donc eu la chance de vivre au Gabon (de 0 à 3 ans), à Paris porte de Champerret (de 3 à 5 ans), à Saint-Mandé en banlieue parisienne (de 5 à 10 ans), à Dijon (de 10 à 13 ans), en Mauritanie (de 13 à 15 ans) puis de retour à Saint-Mandé à partir de mes 15 ans. Mon premier visionnage du film de Roland Ricardon a dû se passer avant mes 10 ans donc soit au Gabon (ce qui m’étonnerait, j’étais trop jeune) soit à Paris ou à Saint-Mandé.

Immeuble où j’ai vécu entre 1990 et 1995 à Saint-Mandé (94)

Ma mère a une grande mémoire sur toutes les personnes qu’elle a croisées. (même si elle se trompe une fois sur deux en m’appelant par le prénom de mon frère.) J’étais donc confiant sur le fait que le nom de Roland Ricardon allait lui rappeler un camarade de leur jeunesse ou quelqu’un de notre voisinage. Elle est même allée chercher dans ses vieux agendas téléphoniques.

« Désolé, me répondit ma mère elle-même déçue, on ne connaît pas de Roland Ricardon. Le nom me paraît familier, mais non je ne vois pas qui c’est. En plus, ton père et moi n’avons jamais eu d’amis qui travaillaient dans le cinéma. Tu penses bien qu’on aurait essayé de le contacter pour qu’il t’aide dans ta carrière sinon ! »

C’était donc une impasse. Je devais passer par la piste de l’INA, l’école où Roland a enseigné dans les années 90. Après avoir trouvé une simple adresse mail sur le site officiel, j’ ai envoyé ce message :

Bonjour,

Je m’appelle François Descraques, je suis auteur et réalisateur et je vous contacte de la part de Bernard Werber. Je suis à la recherche d’un de vos professeurs de scénario ayant travaillé à la formation de l’INA en 1990. Son nom est Roland Ricardon. Pouvez-vous m’aider à le retrouver ?

Merci d’avance.

François Descraques

J’ai reçu une réponse quelques jours plus tard directement du Directeur des formations de l’INA. J’avais bien fait de mettre Bernard Werber en copie ! Malheureusement, ce directeur n’était pas encore à l’INA cette année-là. Il m’a donné le contact de son prédécesseur. J’ai renvoyé donc le même message et quelques jours plus tard, j’ai reçu la même réponse. Ce n’était pas lui à cette époque qui était Directeur blablabla et voici le mail de son prédécesseur. Après des semaines et encore un nouveau copié-collé du même message, j’ai enfin reçu une réponse de la bonne personne :

Bonjour,

J’étais bel et bien Directeur des formations de l’INA entre 1987 et 1994. Roland Ricardon n’était pas professeur mais intervenant régulier dans notre école. Je ne possède malheureusement pas d’adresse e-mail à vous communiquer (cela n’existait pas encore dans nos services à cette époque) mais je peux vous fournir un numéro de téléphone. Je doute cependant que vous tombiez sur lui. J’espère qu’il va bien et si vous le croisez, passez-lui mon amitié.

Cordialement

Le numéro de téléphone que j’ai reçu était tellement ancien qu’il datait d’avant les numéros à 10 chiffres. J’ai donc rajouté le préfixe 01 au début et sans espoir, j’ai tenté ma chance. Au bout du fil, quelqu’un a décroché. Mais ce n’était pas Roland Ricardon. Le nouveau propriétaire de la ligne téléphonique semblait jeune et il ne voyait pas de qui je parlais évidemment. Il ne savait même pas qui était le précédent locataire dans l’appartement où il vivait donc il était impossible de lui demander qui avait vécu là en 1990. Heureusement, il a accepté de me donner le contact de l’agence immobilière et j’ai même réussi à avoir son adresse.

C’était à Montreuil.

Donc juste à côté de Saint-Mandé, la ville où j’ai grandi vers 1990. Je me sentais étrangement me rapprocher de Roland même si je n’avais toujours aucune idée de comment nos chemins avaient pu se croiser.

J’ai appelé l’agence immobilière en leur expliquant mon cas. Je cherchais un ancien locataire vivant dans une de leurs propriétés à Montreuil en 1990. Mais l’agence m’a répondu qu’ils n’avaient pas acquis cet immeuble avant 1998. Et de toute façon, ils ne m’auraient jamais donné le contact d’un de leurs locataires à part si je faisais partie de la police. C’était assez rude mais logique. La seule solution qui me restait, c’était de me rendre sur place.

J’ai donc pris la ligne 9 du métro parisien et je suis descendu à la station Robespierre. Après quelques minutes, j’ai trouvé l’immeuble.

Station Robespierre à Montreuil

C’était là.

Roland Ricardon avait vécu ici. Je suis resté planté devant l’immeuble sans trop savoir quoi faire pendant quelque temps. Je n’avais pas le code d’entrée en plus.

C’est alors que j’ai vu une dame d’un certain âge sortir de l’immeuble en traînant avec difficulté des poubelles jaunes. Ça devait être la gardienne. J’ai décidé de l’aider à mettre les poubelles sur le trottoir. D’abord méfiante, elle m’a remercié d’un petit sourire et je me suis dit qu’il fallait que je tente ma chance absolument. Juste avant qu’elle ne rentre dans l’immeuble, je lui ai demandé : « Excusez-moi…par hasard, est-ce que vous connaîtriez un certain Roland Ricardon ? Il a habité ici. »

Elle s’est retournée vers moi, interloquée. « Oui. Pourquoi ? »

« Je suis un ami d’un de ces anciens élèves. Et j’aimerais beaucoup lui parler. »

- Il a déménagé il y a vingt ans, vous savez. En plus, il est parti sans prévenir l’administration. Il n’a jamais été très doué dans ses démarches. J’ai dû transférer tout son courrier pendant des années.

- D’accord ! Très bien ! Donc vous pensez que je peux avoir sa nouvelle adresse ?

La vieille gardienne réfléchit un instant. Puis elle me dit froidement : « Non. Je ne pense pas ».

- Ah. Et pourquoi ?

- Parce que je ne vous connais pas.

- Oui. C’est vrai. Je comprends.

- Et puis, peut-être qu’il est mort. C’était il y a longtemps.

- J’espère pas.

- Moi non plus. Je dis juste ça comme ça.

La gardienne a vu dans mes yeux ma déception. Et je pense qu’elle a apprécié que je n’insiste pas trop. Alors, juste avant de rentrer dans l’immeuble, elle m’ a lâché : « Il est parti vivre à San Francisco. C’est tout ce que je peux vous dire. » Puis elle a fermé la lourde porte derrière elle.

Cette information était capitale. Je suis rentré chez moi rapidement et je me suis connecté sur les pages blanches des États-Unis. Ce service n’est pas relié aux résultats de Google, j’avais donc encore une nouvelle chance de le trouver. En plus, ils ont un service appelé « Intelius » qui permet d’avoir des informations beaucoup plus poussées qu’en France. J’ai tapé son prénom, son nom et la ville : San Francisco, Californie. Une réponse s’est affichée.

Roland Ricardon

Age : 71

Location : San Francisco, CA

Relatives : -

Phone number : 278-XXXX

Worked at : Castro Theatre

Le Castro Theatre à San Francisco

Je l’avais presque ! Le numéro de téléphone était caché et il n’avait pas mis son adresse complète. Mais j’avais un endroit où il avait travaillé : le Castro Theatre. Sur internet, j’ai vu que c’était un cinéma de quartier historique situé sur Castro Street et qui proposait des rétrospectives, des soirées « Double-Features » où deux films étaient projetés à la suite et quelques nouveautés aussi. Un vrai cinéma de cinéphile au coeur de la ville la plus emblématique de la contre-culture des années 60. Qu’est-ce que Roland a bien pu fabriquer là-bas ?

J’ai décidé d’appeler le numéro indiqué sur le site à une heure d’ouverture du cinéma, donc tôt le matin pour la Californie mais en début de soirée pour moi à Paris. Une femme a décroché et j’ai pris mon meilleur accent franco-américain : «Excuse-me. I’m looking for Roland Ricardon. Does he work here ? »

J’ai dû recommencer trois fois ma simple phrase avant de me faire comprendre. Mais la femme au bout du fil était d’une incroyable politesse : « Roland ? Oh yes ! Sorry. He doesn’t work here anymore. He’s retired. »

Il ne travaillait plus au cinéma et il avait pris sa retraite. C’était à prévoir, mais il ne fallait pas que je lâche. J’ai rajouté avec beaucoup d’émotion « I really need to talk to him. Please. »

- You should talk to Jerry. He’s my boss and they are still friends. Here is his number.

L’employée du cinéma m’a donné le numéro d’un certain Jerry, son patron qui se trouvait être aussi l’ami de Roland. Avant de raccrocher, elle m’a conseillé de l’appeler plutôt le soir après 22h. Je l’ai remercié « from the bottom of my heart » sans trop savoir si cela se disait en anglais. Mais je le pensais réellement. Les Américains sont tellement plus aimables que les Français.

J’ai donc composé le numéro de ce fameux Jerry un vendredi matin très tôt afin d’être sûr de tomber sur lui en fin de soirée en Californie. Après quelques sonneries dans le vide, son répondeur s’est enclenché. C’était trop risqué de laisser un message. J’ai recomposé le numéro encore une fois. Toujours rien. J’ai essayé une dernière fois.

Et Jerry a décroché. Et il ne semblait pas très content. « Jerry speaking. What do you want ? »

J’entendais dans l’arrière-plan sonore que Jerry était dans une sorte de bar assez bruyant. J’ai repris mon accent franco-américain en espérant m’être amélioré depuis la dernière fois : « Hello. I’m from France. I’m looking for Roland Ricardon. Do you know how I can get in touch with him ? »

- Roland ? Roland Ricardon ?

- Yes. Please.

- What do you want from him ?

- It’s a long story. I need to talk to him.

J’ai entendu alors un petit boum sourd, puis seulement le son des clients bruyants et de la musique du bar, comme si Jerry avait voulu me raccrocher au nez, mais qu’il avait oublié d’appuyer sur le bon bouton. J’ai essayé de me faire remarquer : « Allô ? I am still here ! » Pas de réponse. Mais je pouvais entendre Jerry dans le lointain. Il semblait discuter avec quelqu’un. Quelques mots transparaissaient comme « …from France he said… » Puis au bout de quelques secondes, quelqu’un reprit le téléphone. Et ce n’était pas Jerry.

C’était un Français.

« Vous êtes qui ? » Sa voix était grave et irritée.

- Je m’appelle François Descraques.

- Dé — quoi ?

- Craques .

- C’est une blague ?

- Non non ! J’aimerais parler à Roland. Roland Ricardon, vous le connaissez ?

- C’est moi. Vous voulez quoi ?

Je ne m’attendais pas à ça. Il avait beau être 6 heures du matin, jamais je n’avais été aussi réveillé de ma vie. C’était lui. Il était vivant et il était en train de me parler. Il fallait que je sois éloquent mais direct.

- J’ai vu la Révolte des Planètes et j’aimerais en savoir plus sur vous.

- Vous avez vu quoi ?

- La Révolte des Planètes. C’est votre film, non ?

Il y a eu encore un silence. Puis Roland Ricardon a raccroché.

J’ai rappelé immédiatement, persuadé que c’était la communication intercontinentale qui avait été brisée. Mais je suis tombé directement sur la messagerie de Jerry. J’ai recommencé encore et encore. Toujours la messagerie. Déçu, j’ai décidé donc de laisser un ultime message suppliant Jerry de demander à Roland de me rappeler un jour. J’ai laissé mes coordonnées et j’ai raccroché. J’étais encore sous le choc. Roland Ricardon était vivant et j’avais réussi à lui parler ! Pas longtemps certes. Et c’est ça qui était encore plus frustrant.

Pendant une semaine, j’ai espéré que Jerry me rappelle, mais rien. J’ai commencé à regretter de ne pas avoir dit que je connaissais Bernard Werber, cela m’avait aidé avant. J’essayais d’imaginer ce que j’avais pu bien dire pour que Roland se froisse aussi vite. Ou alors il était tombé raide mort. J’avais tué Roland Ricardon. Oui, c’était ce qu’il s’était passé. Je l’avais tué et je ne saurais jamais la vérité.

Puis, un soir, j’étais en train de me préparer à sortir pour l’anniversaire d’un ami. Alors que j’étais dans la salle de bain, mon téléphone a vibré. Sur l’écran, j’ai vu un numéro inconnu, mais le seul indicatif était la provenance de l’appel : la Californie. J’ai décroché rapidement.

- Oui allô ?

- Allô. C’est Roland.

- Oui bonsoir. Enfin bonjour pour vous. Ça va ?

- Ça va. Je vous dérange ?

- Non non. Et moi, je vous dérange ?

- C’est moi qui appelle.

- Tout à fait, j’ai répondu en voulant me donner des claques.

Il y a eu encore un silence. Je me disais qu’il allait encore raccrocher à cause de ma bêtise. Mais il a continué : « Je suis désolé pour la dernière fois. J’ai cru que c’était un canular. Et j’ai regardé sur internet votre nom. C’est vraiment votre nom en fait. »

- Ah ah oui ! On me le dit souvent.

- Et vous travaillez dans le Cinéma ?

- Entre autres oui.

- Mais vous dîtes que vous avez vu La Révolte des Planètes ? »

- Oui !

- Quand ça ?

- Quand j’étais petit. Sûrement entre 1985 et 1995 je dirais.

- C’est à la fois précis et pas du tout précis.

- Oui, pardon. Je vous avoue que je ne sais pas dans quelle circonstance je l’ai vu. Et donc…j’aimerais en savoir plus.

- Sur quoi ?

- Sur le film. Sur vous.

- Vous êtes sûr de ne pas confondre avec un autre film ?

J’ai décidé donc de lui faire un résumé de tout ce que je pouvais me rappeler de La Révolte des Planètes. Je lui ai décrit chaque scène vue par mes yeux d’enfants émerveillés. La vision idéale des planètes colonisées et du Paris du futur. Le héros qui rentre dans l’Académie et qui rencontre la fille dont j’ai oublié le nom. La Substance qu’ils inspirent et les visions des colonies exploitées par le Gouvernement. La fuite de l’Académie. Les courses poursuites en moto volante dans les rues de Paris ! Le singe qui fume des cigarettes ! La bataille finale sur la Tour Eiffel ! J’avais la drôle d’impression de lui pitcher son propre film. Je ne pouvais pas le prouver mais je sentais une certaine émotion au bout du fil. Une émotion qu’il cherchait à ne pas faire entendre.

Au bout d’un moment, il a pris la parole : « Lucia. C’est comme ça que s’appelait la fille dans le film. »

- Oui voilà Lucia ! Ça me revient. Elle était brune et elle avait un tatouage qui brillait !

Il a semblé se détendre. « Écoutez François. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une réponse simple et immédiate. Ça risque de prendre du temps et vous êtes sûrement occupé.

- Ça ne me dérange pas.

- Vous êtes sûr ?

- J’ai attendu ce moment toute ma vie. Je peux trouver du temps oui.

Je ne suis pas allé à l’anniversaire de mon ami.

Et puis pendant plusieurs mois, j’ai passé des dizaines d’heures avec Roland Ricardon à travers des entretiens téléphoniques. Et c’est comme ça que j’ai découvert l’incroyable destin de cet homme avec qui j’étais lié depuis l’enfance. Il m’a autorisé à enregistrer ces conversations et à retranscrire tout ce qu’il m’a livré.

Voici ces entretiens. Voici sa vie.

La suite : https://medium.com/@f_descraques/la-guerre-des-canulars-le-film-perdu-3-20edfef07535

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