Des souris et que des hommes

Pourquoi les codeuses sont-elles si rares en Belgique ?

Guillaume Hachez
27 min readOct 18, 2018
© Colin Anderson​​ — Getty Images

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Beaucoup de choses ont changé pour moi ces cinq dernières années. Je suis, tour à tour, passé du statut de chômeur à celui d’étudiant, puis d’étudiant à étudiant-entrepreneur, pour enfin oser devenir Startupeur à plein temps. Depuis, ma startup a dépassé le million de téléchargements en 1 an, une première levée de fonds s’approche à grands pas et l’avenir semble plutôt prometteur. Un aspect, cependant, n’a jamais vraiment changé. Que ce soit dans un auditoire de sciences informatiques, dans un incubateur de startups ou en pleine nuit blanche sur GitHub, une constante aura toujours demeuré : un environnement quasi-exclusivement masculin.

Si le problème du manque de diversité au sein de notre industrie ne date pas d’hier et a déjà fait couler beaucoup d’encre à travers le monde, il en surprendra plus d’un d’apprendre que la Belgique est de loin le pays le plus concerné de tous par cette problématique. De fait, selon l’OCDE, 92.2% de nos nouveaux diplômés en ICT (les études d’informatique au sens large) seraient des hommes.

Comment expliquer que la Belgique soit dernière de la classe, qu’est-ce que cela dit sur les belges et en quoi est-ce problématique ?
Ce sont les questions sur lesquelles nous allons nous pencher aujourd’hui.

© Khoa Vu — Getty Images

I — La science au masculin

Le cas de la Belgique et celui des études en informatique sont tous les deux particuliers. Avant de nous pencher sur ce qui fait leurs spécificités, prenons d’abord un instant pour remettre les choses en contexte.

Les trois piliers

À l’échelle mondiale, les femmes ne représentent que 35% des étudiants dans les filières STEM (Sciences, Technologies, Engineering et Mathématiques) et seulement 28% des chercheurs. Une troublante étude commandée par Microsoft dévoile que si les jeunes européennes commencent à s’intéresser aux sciences à partir de 11 ans, la plupart s’en détournent dès leurs 15 ans (entre 12 et 14 ans chez les Belges). Cette période, également marquée par la puberté, semble être au cœur du problème. Ainsi, alors que la notion du genre s’ancre en elles et que les distinctions entre garçons et filles s’accentuent, l’effet des stéréotypes se fait lui aussi ressentir.

Bien que les nombreuses études menées à ce sujet rejettent toutes l’idée que les femmes soient biologiquement moins douées en sciences, force est de constater que ce cliché a la peau dure. Au contraire, il a été maintes fois démontré que l’environnement d’un enfant jouait un rôle clé au sein du processus d’apprentissage et vis-à-vis de la perception qu’il a de ses capacités. La persistance de ces stéréotypes pose donc un vrai problème en cela qu’ils nuisent à l’assurance des jeunes filles, à l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et à l’intérêt qu’elles portent pour les sciences.

D’un sérieux travail de recherche mené sur 475 000 élèves à travers 67 pays, il ressort que la matière dans laquelle les garçons excellent le mieux est très largement celle des sciences. À l’inverse, les filles sont systématiquement meilleures en compréhension à la lecture qu’elles ne le sont en maths ou en sciences. En d’autres termes : quand une fille a le même niveau qu’un garçon en sciences, elle sera, en moyenne, bien plus douée en lecture que lui. Nous avons ici affaire à un cercle vicieux dans le sens où ce qui est erronément perçu comme un “point faible” des filles contribue à façonner certains stéréotypes qui, à leur tour, amènent les jeunes filles à penser que les sciences ne sont pas pour elles.

Ainsi, dès l’école primaire, les enfants qui associent les mathématiques au genre masculin ont de meilleures notes s’ils sont garçons et de moins bonnes notes si ce sont des filles. De même, il ressort de plusieurs études que les enseignants évaluent systématiquement les filles plus durement en sciences et en mathématiques que leurs camarades garçons. Ces mêmes études soulignent également la tendance des jeunes filles à s’évaluer presque exclusivement sur base de la perception de leur professeur, ce qui n’est pas le cas des garçons. On le sait, placer des attentes moins élevées sur un élève entraînera généralement de moins bonnes performances.

Cette différence de traitement par le corps enseignant n’est en rien exceptionnelle et reflète en réalité une tendance sociétale. Il est, de fait, fermement ancré dans nos mœurs que les sciences, le sens pratique et la force physique appartiennent aux hommes, là où le souci de l’autre, la douceur et la finesse littéraire sont plutôt perçus comme étant des traits féminins.

Un autre exemple, plus courant, est celui des jouets. Là où les garçons auront droit aux LEGO qui servent à construire, à s’épanouir, à développer l’esprit, … les filles, elles, recevront une poupée qui ne sert qu’à jouer à la poupée.

Enfin, le cercle familial joue lui aussi un rôle important pour ce qui est de façonner l’attitude des enfants vis-à-vis des sciences. Les parents plutôt traditionalistes et traitant garçons et filles de façon inégale transmettront généralement des stéréotypes négatifs. J’ai, dans le cadre de cet article, rencontré plusieurs femmes qui étudient ou travaillent dans le secteur informatique. Toutes m’ont fait part d’un soutien inconditionnel de la part de leurs parents. À l’inverse, Nathalie, la jeune geek avec qui j’ai parlé de jeux vidéo pendant deux heures, a renoncé à faire Polytech suite aux pressions exercées par ses parents qui estimaient que “ce n’était pas pour les filles”

La famille, l’école et la société sont donc les trois grands piliers identifiés par l’UNESCO comme façonnant la perception des études STEM chez les jeunes. Si certains exemples évoqués ici sont moins graves que d’autres et que tous ne se valent pas, il faut avant tout comprendre que tous ces éléments forment ensemble un système au sein duquel les hommes sont invariablement avantagés. Si hommes et femmes naissent égaux en droits, on est aujourd’hui amené à se demander combien de jeunes femmes avec des capacités pour les sciences ont été perdues à cause de ces préjugés. Inverser la tendance ne sera pas simple et prendra du temps. Beaucoup de temps.

Les fruits du déterminisme

Lorsque vient l’heure pour les jeunes femmes de choisir la direction qu’elles souhaitent prendre dans la vie, c’est sans surprise que l’impact de ces clichés se fait encore ressentir. De fait, il est généralement recommandé de faire son choix sur base des matières dans lesquelles on excelle. On observe alors chez elles un biais d’autosélection, qui serait d’après le même rapport de l’UNESCO la principale raison derrière l’abandon des études STEM par les femmes.

Ces pourcentages varient fortement selon la filière et le territoire dont il est question, ce qui est symptomatique du caractère culturel du phénomène.

Un fascinant travail de recherche publié cette année par l’APS nous apprend que si les élèves se basaient uniquement sur leurs capacités en sciences pour choisir, à 15 ans, leur filière d’études supérieures, il y aurait parité (entre 40 et 55% de femmes, selon le pays). Si l’on prenait en compte l’intérêt qu’ils et elles éprouvent pour les sciences ainsi que le plaisir que cela leur procure, la balance pencherait alors un peu vers les hommes (35–45%). Enfin, si la décision était également prise sur base de la matière dans laquelle l’élève se débrouille le mieux, on approcherait alors de la réalité (25–35%) (illustration)​ ​ — ​ or, comme expliqué précédemment, les filles sont conditionnées par leur environnement à mieux se débrouiller en langues qu’en sciences.

Le privilège du choix

Les plus attentifs d’entre vous auront remarqué qu’un des pays où les femmes sont les plus présentes dans les études d’informatique n’est autre que l’Arabie Saoudite. L’étude des docteurs David C. Geary & Gijsbert Stoet que j’évoquais plus tôt nous décrit ce qu’ils appellent le “paradoxe de l’égalité des sexes dans le milieu de l’éducation”. Il apparaît en effet que les pays les plus respectueux de l’égalité des sexes, tels que l’Islande ou la Norvège, ont une proportion relativement faible de femmes dans les études STEM. Inversement, les pays où les femmes sont généralement défavorisées, comme l’Algérie ou l’Arabie Saoudite, voient semble-t-il une participation remarquablement haute des femmes au sein des filières STEM à l’université.

Avec leur excellent niveau d’éducation et une égalité des sexes notoire, on aurait par exemple eu tendance à penser de la participation des finlandaises dans les filières STEM qu’elle doit être relativement élevée. Ce n’est pas du tout le cas. Si corrélation il y a entre égalité des sexes et présence de femmes parmi les diplômés STEM, ce serait même plutôt l’inverse. Cette corrélation, plutôt inquiétante de prime abord, n’est bien sûr pas preuve de causalité et il faut avant tout se rappeler que les pays les plus égalitaires sont aussi ceux qui offrent les meilleures conditions de vie et dont les économies sont les plus productives. Le vrai paradoxe est donc celui qui lie la prospérité économique à l’absence des femmes dans les filières STEM.

Figure 3 | Sources : UNESCO Institute for Statistics (2015), World Bank (2015 GDP per capita with constant 2010 US$)

Pour expliquer ce paradoxe, une possibilité avancée par les chercheurs est que les femmes vivant dans un contexte économique défavorable sont, en raison du salaire plus élevé, davantage attirées par les métiers STEM. Les jeunes finlandaises ont ainsi la chance de pouvoir moins se préoccuper des questions d’argent que les marocaines, ce qui leur permet de choisir leurs études principalement sur base d’intérêts personnels et de leurs affinités. Le problème est que, comme nous l’avons vu, les femmes évoluent dans un environnement qui les conditionne à associer les sciences aux hommes.

Pour ces raisons, les pays riches ont tendance à produire moins de diplômées en filières STEM que les pays moins favorisés, où les études supérieures apparaissent encore souvent aux jeunes femmes comme étant l’unique chemin vers l’ascension sociale. Autrement dit, un contexte économique prospère contribue généralement à élargir le champ des possibles, y compris celui des femmes. Il ne faut pas conclure qu’une égalité des sexes accrue décourage les filles d’étudier les sciences, mais au contraire que cela leur permet de choisir les études avec lesquelles elles s’identifient.

Faire l’autruche

Face à ces constats, il est intéressant d’observer chez certains un refus inébranlable de reconnaître que nous sommes ici en présence d’une forme de discrimination systémique. En préparant cet article, j’ai par exemple pu croiser plusieurs personnes qui m’assuraient qu’il ne fallait surtout pas trop aborder ces sujets, au risque d’empirer le problème.

La raison derrière ce déni est simple : admettre que ces pratiques discriminatoires sont chez nous banales revient en fait à révéler les inconsistances entre, d’un côté, l’idéologie universaliste au fondement de notre société et, de l’autre, le poids du patriarcat sur l’éducation des jeunes filles. En pointant cela du doigt, on révèle non seulement un certain déterminisme mais aussi le privilège de certains. Ces personnes se sentent attaquées jusque dans leur libre arbitre et cela fait mal. Ainsi, pour éviter de remettre en question les fondements de notre société, pour parvenir à faire cohabiter l’égalité des chances et le patriarcat, leur solution est soit de tout nier, soit de prétendre que le déterminisme dont sont sujets les femmes est une réalité biologique et non un construit.

Cette croyance, omniprésente et institutionnalisée, qu’hommes et femmes sont en essence amenés à suivre des chemins différents dans leurs vies, est particulièrement vénéneuse dans les sociétés post-matérialistes qui, comme la nôtre, célèbrent individualité et expression de soi. Le déterminisme est alors grandement amplifié, encourageant hommes et femmes à concrétiser les stéréotypes genrés (source).

Tout cela contribue à maintenir une situation où les métiers STEM, qui comptent parmi les mieux payés et les plus respectés, sont de fait réservés aux hommes et où, à l’heure où l’on manque de personnel STEM partout dans le monde, employer cette réserve inexploitée de scientifiques potentielles serait plus qu’apprécié…

© École Polytechnique CC BY-SA 2.0

II — Women In Tech

Arrivons-en au sujet qui nous intéresse. Depuis ses débuts, l’informatique est porteuse de fantasmes. Après avoir révolutionné nombre d’industries, on nous promet à présent qu’elle permettra aux voitures de se conduire elles-mêmes, à la médecine de produire des tissus humains ou encore aux physiciens de simuler le comportement de la matière jusqu’au niveau atomique. Dans l’ensemble, les nouvelles technologies sont censées nous faire entrer dans un monde plus sûr, plus connecté, plus rapide…

À ce stade, il va sans dire que ce secteur joue un rôle important dans notre économie. En 2015, il représentait 3,84% du PIB belge et 4,4% du marché de l’emploi (contre 3,7% à l’échelle européenne). La demande est d’ailleurs bien plus élevée que l’offre sur le marché du travail ICT, à tel point qu’on prédit une pénurie de 500 000 travailleurs à l’échelle de l’Union en 2020. En plus de croître, le secteur demeure très accessible étant donné qu’une part importante des employeurs ne demandent pas de diplômes. Tout cela participe à faire de l’ICT un formidable vecteur d’ascension sociale.

Ainsi, alors que l’informatique est plus que jamais au cœur de notre société et de notre économie, alors que la part de femmes dans les métiers scientifiques a petit à petit augmenté ces quarante dernières années, comment se fait-il que la part de femmes dans le secteur ICT soit en aussi forte régression ?

Figure 4 | Source: National Science Foundation, American Association of Medical Colleges, National Center for Education Statistics

Afin de répondre à cette question, j’ai pu m’aider de l’œuvre d’Isabelle Collet, informaticienne de formation et maîtresse de recherche sur les questions de genre et éducation à l’Université de Genève. Son interview est à retrouver en intégralité dans l’épisode 2 de mon podcast :

IBM Type 704 Electronic Data Processing Machine, Mars 1957

Pionnières sans gloire

Pour expliquer ce phénomène de masculinisation, il nous faut remonter jusqu’aux années 60, époque où l’informatique demeure encore très mystérieuse et hors de portée du grand public. En ces temps, manipuler un ordinateur rappelait principalement la machine à écrire, elle-même féminisée car assimilée avec la machine à coudre. Cela demandait minutie, patience et précision​ ​ — ​ des qualités que l’on associait aux femmes. En outre, les premiers lieux à être équipés furent alors les banques et les grosses administrations, parfaitement compatibles avec l’image qu’on avait alors de la femme. Dernier point, mais non des moindres : aucun prestige n’était alors associé à ces professions. Pour toutes ces raisons, il était naturel que les métiers de l’informatique soient perçus comme féminins.

Femme à la cuisine, homme aux affaires. (Publicité pour l’Apple II, 1977)

Ce n’est que deux décennie plus tard qu’on vit arriver le micro-ordinateur. Des monstres de 8 tonnes, on passa alors aux ordinateurs utilisables à la maison. L’image que le grand public se fait de l’informatique s’en retrouve bouleversée.

Il permet de gérer le budget familial, d’utiliser le traitement de texte, de jouer au casse-briques, … À présent c’est sûr : l’informatique, c’est l’avenir. Le PC est alors perçu comme un outil de pouvoir. Le pouvoir étant le propre des hommes, il était normal que les constructeurs les ciblent explicitement dans leurs campagnes publicitaires.

Alpha release

À l’origine du micro-ordinateur et d’Internet se trouve la figure du Hacker. Avec la démocratisation de l’ordinateur personnel, les hackers se retrouvent propulsés au devant de la scène et deviennent eux-mêmes sujets de toute une série de fantasmes et de légendes urbaines. On les décrit comme des génies capables de briser la sécurité de n’importe quel système ; on les imagine maîtres de ce nouveau monde où l’ordinateur est roi. Hollywood s’est immédiatement saisi de cette image pour en faire le résultat qu’on connaît : des films comme Tron (1982), War Games (1983) ou encore Hackers (1995) et The Matrix (1999), qui racontent tous l’histoire d’un jeune homme un peu trop doué avec son PC et devant affronter les conséquences de ses actes.

Hackers pionniers​​ — ​ Richard Stallman, Linus Torvalds et Steve Wozniak sont encore vénérés de nos jours.

Il est important de voir que cette soif de pouvoir, cette maîtrise de la technique et cette attitude rebelle sont des traits que notre société définit comme fondamentalement masculins. De même, élever ces hackers barbus au rang d’icônes de l’informatique revenait en fait à inscrire dans l’inconscient collectif l’idée que les informaticiens sont tous des hommes inaptes socialement.

Soyons clairs : si la petite communauté des hackers était relativement représentative dans les années 80, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les métiers de l’informatique se sont fortement diversifiés depuis et, contrairement à ce que beaucoup pensent, l’informaticien moyen ne passe absolument pas ses journées à coder tout seul dans l’ombre en mangeant des chips. Au contraire, il ou elle doit régulièrement rencontrer ses clients pour prendre note de leurs demandes, peut passer des heures en réunion et doit sans cesse se former. En cela, le métier de développeur est bien plus social que celui de secrétaire.

Les préjugés de ce type ont pourtant la vie dure. Plusieurs études ont en effet montré que les femmes, interrogées sur leur perception des informaticiens, mentionnaient généralement des stéréotypes comme le fait de porter des lunettes, d’être négligé, peu émotif ou maladroit. Globalement, l’image qui ressort de ces enquêtes est celle d’un homme asocial privilégiant la technique aux contacts humains. Ces traits étant fondamentalement incompatibles avec les rôles assignés aux femmes dans nos sociétés, il n’est en rien étonnant que les femmes soient aussi minoritaires dans le secteur. On se réjouira par contre d’apprendre que les femmes sondées se montraient plus intéressées une fois exposées à des représentations authentiques de ces métiers.

Press START to continue

Les études en informatique diffèrent des autres études STEM en cela que la chimie, la biologie, la physique et les maths sont enseignées dès l’école secondaire. Les jeunes qui choisissent cette filière le font donc généralement en raison d’une affinité qu’ils ou elles se sont découverte en dehors de l’école. C’est ainsi que le jeu vidéo sert souvent de porte d’entrée indirecte au monde de l’informatique.

Problème : ceux qu’on appelle les core gamers (les personnes qui font en sorte de libérer du temps pour jouer, à l’inverse de celles qui jouent seulement quand elles le peuvent) sont très majoritairement des hommes. En effet, suite au krach qu’a connu l’industrie vidéoludique au début des années 80, les éditeurs de jeux vidéo ont dû repenser leur stratégie marketing pour encore davantage cibler un public mâle (les principaux consommateurs du marché PC)​ ​ — ​ souvent au moyen de clichés bien sexistes. Cette porte d’entrée à la programmation s’en est ainsi retrouvée barrée aux femmes.

C’est à ce stade que la part de femmes parmi les étudiants en sciences informatiques a commencé à s’affaisser (cf. figure 4), d’une part en raison des stéréotypes qu’on associait à ces métiers, mais aussi parce que l’informatique, devenu secteur d’avenir, attirait soudainement des masses d’étudiants garçons ayant souvent grandi en jouant sur l’ordinateur.

Silicon Valley, une série HBO mettant en scène des geeks (2014)

Les “fake geek girls”

Si les préconceptions erronées du grand public vis-à-vis des métiers de l’informatique n’ont pas véritablement évolué en l’espace de trente ans, il est également intéressant de voir à quel point les communautés geeks ont intégré ces stéréotypes et se sont souvent repliées sur elles-mêmes. Pour mieux comprendre le phénomène qu’on appelle gatekeeping, revenons d’abord sur les geeks et sur qui ils sont.

Gatekeeping: Action de dicter arbitrairement, sans aucune légitimité, qui a (ou n’a pas) accès à une communauté ou une identité afin de préserver une certaine homogénéité.

Si le terme “geek” réunit des profils assez variés, on notera cependant plusieurs caractéristiques récurrentes. Introverti, rêveur et passionné, le geek trouvera généralement refuge dans les cultures de l’imaginaire (la science-fiction, les jeux vidéo, les comics, les jeux de rôle, …), dans les sciences dures ou encore dans l’informatique​ ​ — ​ des centres d’intérêt appartenant donc plutôt au monde abstrait, et ayant tous en commun la capacité de fasciner une minorité tout en laissant le reste du monde complètement de marbre.

L’identité geek apparaît également par certains aspects comme une identité « en creux ». Le geek est l’antithèse du cool, il ne correspond pas aux canons de la virilité traditionnelle et n’est certainement pas populaire à l’école. En réponse à cette souffrance sociale, il préférera s’évader dans les univers qui lui appartiennent, où il est maître absolu. Ceux-ci lui permettront de lever le voile sur une autre échelle de masculinité mettant davantage en valeur sa maîtrise de la technologie ou ses connaissances approfondies en science-fiction.

Le portrait que je dresse ici pose plusieurs problèmes, à commencer par le fait que se définir (et définir sa masculinité) avant tout sur base de sa consommation culturelle implique forcément une perte de contrôle importante sur son identité. Qu’est-t-il donc arrivé à ces fans de Star Wars quand est sortie une nouvelle trilogie mettant en scène des protagonistes femmes ou de couleur ? Comment évoquer les campagnes de harcèlement qu’ont subies les acteurs sans y voir une crise d’identité à grande échelle ?

Enfin et surtout, le lien étroit entre culture geek et masculinité entraîne inévitablement le rejet des femmes. D’une part car leur présence briserait l’entre-soi, et d’autre part car cela remettrait en question leur virilité à eux. De fait, plus l’écart séparant une fille geek de la norme masculine est important, plus elle risque d’être jugée comme un imposteur. Autrement dit : comment le geek pourrait-il se sentir viril, comment pourrait-il rester homme si sa communauté et son support identitaire sont “infiltrés” par des filles ?

Un mème idiot illustrant l’idée qu’effacer sa féminité est un prérequis pour être “une vraie geek”

Si je force un peu le trait ici (tous les geeks ne sont pas machistes), c’est seulement pour mieux souligner à quel point le concept de “geek” est foncièrement marqué par les questions de genre. Il n’est par exemple en rien étonnant que les mouvements populistes qui gangrènent les communautés geeks (Gamergate, Comicsgate, …) s’articulent systématiquement autour de craintes de perte d’identité et de thématiques identitaires, misogynes.

“Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa ​virilité.”​ — ​ Simone de Beauvoir

Haïr par plaisir

Le manque de femmes dans le secteur informatique se présente donc comme une problématique à plusieurs niveaux car, en plus des stéréotypes erronés barrant l’entrée aux femmes, nombreux sont les exemples de sexisme explicite au sein de l’industrie de la tech.

Dans le but de recueillir des témoignages, j’avais interrogé il y a un an Abby Russell, productrice pour le site de presse vidéoludique GiantBomb. Dans sa réponse, elle expliquait que les femmes sont en permanence remises en question dans son industrie et doivent en faire deux fois plus qu’un homme pour être prises au sérieux. Comble de l’ironie : quelqu’un a isolé l’extrait pour pouvoir la dénigrer publiquement sur YouTube.

De même, Laure Lemaire (directrice du centre de formations Interface3) me confiait qu’il était préférable pour une informaticienne d’être embauchée dans un petit département IT plutôt que dans une grande boîte d’informatique, précisément en raison de ces comportements sexistes.

“The Tech Industry’s Sexism Problem” — Wall Street Journal

Intéresser, recruter, socialiser

Si la misogynie dont il est question ici contribue à maintenir le status quo, il est important de noter que celle-ci est elle-même le fruit du manque de diversité du secteur. Corriger cela prendra du temps et exigera d’importants changements, notamment au niveau de l’enseignement. L’université norvégienne NTNU a retenu trois méthodes :

  1. Éveiller l’intérêt des jeunes filles
    Comme évoqué plus haut, la majorité des élèves du secondaire (en particulier les filles) ont des préconceptions erronées vis-à-vis du codage et présument que ce n’est pas pour eux. La première étape, pour briser ces préjugés, est de leur faire découvrir la programmation dans de bonnes conditions. Cela peut par exemple se faire sous forme d’un atelier avec des étudiants ou en ajoutant l’informatique directement au cursus.
  2. Recruter les femmes directement
    Même quand elles sont intéressées, les jeunes femmes peuvent encore être découragées à l’idée de s’inscrire dans une filière dominée par les hommes. Bien que la méthode soit controversée, la mise en place de quotas s’est par exemple avérée très efficace pour signaler aux femmes qu’elles sont les bienvenues. On notera également d’autres stratégies comme l’emploi de modèles féminins, le déploiement de campagnes publicitaires ciblant les femmes ainsi que l’organisation de visites non-mixtes du campus.
  3. La socialisation faire un pas vers elles
    Une fois qu’elles sont inscrites, il est évidemment capital de s’assurer qu’elles ne s’en aillent pas. Parmi les actions ayant fonctionné pour NTNU, on citera l’emploi d’assistantes femmes, l’emphase sur les utilités du cursus dans la vie active ou encore le fait de s’assurer que les étudiantes ne soient pas marginalisées lors des travaux en groupes.

Bien que ces procédés puissent sembler anodins au premier abord, leurs résultats sont phénoménaux. De fait, la part de femmes parmi les étudiants en sciences informatiques à NTNU est passée en un an de 6% à 38%. De même, l’université de Carnegie Mellon en Pennsylvanie a atteint en 2016 48.5% de femmes, suite à ce qu’ils décrivent comme vingt ans d’efforts allant dans ce sens. Leur succès est la preuve que les obstacles sont avant tout culturels et qu’il est possible de les contourner.

Brussels Floral Carpet in 2008 © Wouter Hagens CC BY-SA 3.0

III — L’inertie du plat pays

S’il ne fait aucun doute que la faible représentation des femmes parmi les étudiants en informatique peut se vérifier à peu près partout dans le monde, force est de constater que notre plat pays se place dernier parmi les derniers. Pourquoi donc sommes-nous autant touchés par ce phénomène ?

Il est d’abord important de noter que l’informatique n’est pas la seule filière académique concernée. De fait, pour toutes les filières dites “masculines” (>65% d’étudiants hommes), le pourcentage d’étudiantes en Belgique est systématiquement plus bas que la moyenne européenne, et quand nous ne sommes pas en dernière position (Chimie, Biologie, Informatique), cela se joue à pas grand chose (Physique, Ingénieur Civil). Notons par ailleurs qu’on ne peut pas en dire autant pour les filières dominées par les femmes.

Il est donc approprié de conclure que, quelle que soit la cause du problème, elle n’est pas spécifique à l’informatique mais aux filières STEM de manière générale. De fait, à l’adolescence, les jeunes filles belges semblent encore plus promptes qu’ailleurs à se désintéresser des sciences. Se combinent ainsi deux phénomènes : d’une part, la masculinisation du secteur informatique, et d’autre part, ce qui apparaît comme une répulsion des adolescentes belges pour les sciences. Comment expliquer celle-ci ?

L’étude se base sur la Belgique, la Tchéquie, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Russie, la Slovaquie, le Royaume-Uni. Figure 5 | Source : Microsoft & London School of Economics.

Un problème de riches…

Une première explication serait notre niveau de vie. Comme exposé plus haut, un contexte économique défavorable s’avère être un puissant moteur pour inciter les jeunes filles à surmonter leurs appréhensions vis-à-vis des études STEM. Ce n’est en rien un hasard si MolenGeek, situé à Molenbeek, accueille 40% de femmes dans sa coding school. Ce n’est en rien un hasard si Interface3 (école d’informatique bruxelloise réservée aux femmes) accueille en majorité des élèves qui sont issues de l’immigration et de milieux sociaux modestes. Dans les deux cas, la principale motivation des élèves est tout simplement l’emploi. Faire un “métier d’homme” est le cadet de vos soucis quand vous êtes au chômage.

Figure 6 | Ces statistiques m’ont été fournies par Bruxelles Formations (source, 2017). Je publie également les chiffres du FOREM ici. Chiffres ULB: CREF (2014). Par “stagiaire”, on entend ici une personne suivant une formation professionnelle.

Au sein de la capitale, la corrélation se vérifie encore : la part de femmes suivant une formation en informatique appliquée (administratrice réseau, développeuse web, Android, …) est largement plus importante que celle des étudiantes en informatique à l’université. À Bruxelles comme ailleurs, les populations défavorisées sont celles qui produisent le plus d’informaticiennes.

Cette force motrice demeure néanmoins plus rare chez nous. Le Benelux, la Suisse et l’Autriche ont en commun, en plus d’une quantité très réduite d’étudiantes en informatique, le fait d’avoir un taux de chômage en dessous de la moyenne européenne ainsi qu’un PIB-PPA relativement élevé. Les Belges et les Suisses sont aussi les plus riches d’Europe et, en cela, notre problème se présente au moins en partie comme un problème de riches.

… et un problème de cathos

Notre situation économique n’est évidemment pas le seul facteur en jeu, et il serait absurde de ne pas également souligner le caractère culturel du problème. Si la barrière est certes moins facile à surmonter en Belgique, il faut d’abord que barrière il y ait. Des trois piliers que j’évoquais plus tôt, mon attention s’est portée en particulier sur celui de l’école, principalement catholique chez nous. Pour mesurer toute l’importance de l’enseignement catholique dans notre culture, il nous faut remonter jusqu’au 19ème siècle, quand une Belgique catholique déclare son indépendance de l’occupant néerlandais, majoritairement protestant.

Episode des journées de Septembre 1830, Gustave Wappers

C’est dans cette jeune Belgique que, face au besoin d’un enseignement de qualité, une série d’initiatives vont être prises (le plus souvent par le clergé) dans le but de fonder des écoles. Chaque projet éducatif se construit alors de manière indépendante, et le dessein d’une congrégation ne sera pas celui d’une autre. Cette genèse explique d’une part la nature décentralisée de notre système scolaire, mais aussi le fait qu’encore aujourd’hui, la majorité des belges (>60%) sont issus d’un enseignement catholique.

À partir de 1860, catholiques et libéraux s’affrontent pour concrétiser leurs visions de ce que doit être l’éducation des jeunes filles. Le but étant, in fine, de pouvoir exercer une influence idéologique sur celles-ci. Là où les catholiques ont pour objectif de préserver une société d’ordre basée sur l’idée de la famille traditionnelle, les libéraux souhaitent quant à eux promouvoir l’éducation des jeunes filles afin de les délivrer de l’endoctrinement de l’Église et d’éviter qu’elles n’influencent leur mari le jour des élections. L’émancipation de la femme belge, y compris le droit de vote et l’accès à l’université, est donc largement un effet collatéral, “accidentel” de ces affrontements politiques.

Dès son origine, l’enseignement catholique est fondamentalement défini par son approche des questions d’identités ou de préférences sexuelles. Il se positionne contre la modernité, contre la science et bien entendu contre l’émancipation de la femme. L’éducation sexuelle est qualifiée de préjudiciable pour l’éducation chrétienne et les filles la reçoivent soit de la part de religieuses, soit pas du tout. Garçons et filles sont pensés de façon fondamentalement différentes et il est explicitement interdit par le Vatican d’accueillir les deux sexes dans un même établissement. Alors que les garçons sont destinés à faire carrière, les filles ne sont formées qu’au rôle de mère et d’épouse soumise. En 1929, le pape Pie XI avait d’ailleurs tenu à le rappeler :

“Il n’y a d’ailleurs dans la nature elle-même, qui a fait les sexes différents par leur organisme, aucune raison qui montre que la promiscuité, et encore moins une égalité de formation, puissent ou doivent exister. Cette diversité est à maintenir et à favoriser dans la formation et dans l’éducation.”

“Cœur Sacré de Jésus, bénissez la Belgique et son Roi” — Ecole Sainte Marie, visite du Roi Albert Ier en 1919

L’héritage du dogme

Certes, on n’en est plus là aujourd’hui ; les choses ont depuis changé et c’est tant mieux. Avec le concile Vatican II, le Saint-Siège annonce en 1965 l’entrée de l’Église dans la modernité. Au cours des décennies suivantes, l’école catholique belge va évoluer d’une institution cléricale vers un enseignement d’inspiration chrétienne ; le personnel sera laïcisé et la coéducation des filles et des garçons va peu à peu devenir la norme.

La transition fut particulièrement tardive en Belgique, et elle se fit plus par nécessité budgétaire que par conviction. En 1994, on comptait encore 20% d’écoles catholiques non-mixtes et même de nos jours il arrive encore que le cours de religion soit donné par un(e) ecclésiastique. On est ainsi amené à se demander si un héritage culturel aussi pesant, un dogme religieux aussi tenace peut réellement s’effacer de nos écoles sans laisser trace. La réponse est évidemment non. De fait, le personnel ayant remplacé les religieux dans les écoles a généralement maintenu une certaine continuité en terme de valeurs, d’héritage et de tradition catholique.

La science de l’éducation nous apprend qu’il existe chez les enseignants une certaine culture de l’émulation conditionnant instituteurs et institutrices à reproduire en classe les méthodologies qu’eux-mêmes avaient connues quand ils étaient sur les bancs de l’école. Dans une Belgique profondément marquée par un enseignement catholique qui, au vingtième siècle, luttait ouvertement contre l’émancipation de la femme, on est en droit de s’interroger quant à la place qu’occupent aujourd’hui les questions d’égalité de genre dans nos écoles.

2017 — Source: Cathobel.be

Ces accusations ne sont pas sans base. À titre d’exemple, plusieurs enquêtes ont montré que nos manuels scolaires, dont les maisons d’éditions sont pour la plupart issues du monde catholique, débordent encore et toujours de clichés sexistes, comme c’était déjà le cas au début du XXe siècle (papa part travailler, maman fait les courses et s’occupe des enfants). À la demande de nos parlementaires, ces livres devront en être expurgés. En outre, l’Université catholique de Louvain est la seule à traîner les pieds chaque année pour publier son rapport sur l’état de l’égalité de genre (source retirée sur demande), preuve s’il en est que ces questions dérangent un certain ordre établi.

L’enseignement, dont une des missions est de permettre l’émancipation (la prise de liberté par rapport à nos racines), ne peut y parvenir qu’en se libérant du dogme religieux afin de pouvoir, entre autres, traiter les problématiques liées aux préférences et à l’identité sexuelle de manière rationnelle plutôt qu’en s’appuyant sur des croyances ancestrales. En dépit du bon sens, le dogme reste malheureusement au fondement de l’école catholique et donc de l’enseignement en Belgique.

Si nous manquons encore cruellement de littérature et de travaux de recherches approfondies à ce sujet, vous aurez en tout cas compris quelle est ma position. Celle-ci est, en outre, partagée par tous les professeurs que j’ai pu rencontrer à l’Université Libre de Bruxelles en préparant cet article.

Mon interview avec Alexander De Croo est disponible en podcast audio ou en texte. Photo : Nadia Aimé

A vision of division

Maintenant que nous avons une vue sur les causes et sur la gravité du problème, penchons-nous un instant sur les solutions envisageables.

Tous les experts avec lesquels je me suis entretenu partagent la conviction que j’exprimais dans mon article précédent : il est plus que nécessaire d’introduire des cours de programmation au sein de l’enseignement obligatoire. Un tel cours ne servirait bien évidemment pas à faire de tous les élèves de futurs ingénieurs informaticiens, mais bien à développer chez eux des capacités de pensée computationnelle. Durant notre entretien, le ministre de l’Agenda numérique Alexander De Croo soutenait d’ailleurs l’idée qu’un cours d’algorithmique présenterait au moins les mêmes bénéfices qu’un cours de latin en ce qui concerne les capacités d’abstraction.

En plus de ses vertus en ce qui concerne la logique et la pensée algorithmique, enseigner la programmation à l’école permettrait, disait-il, d’ouvrir une nouvelle porte d’entrée vers le secteur informatique (tant pour les garçons que pour les filles), ainsi que de briser les préjugés que beaucoup d’élèves peuvent avoir au sujet du coding.

La ministre de l’éducation Marie-Martine Schyns l’affirmait encore cet été, la littératie numérique jouera un rôle important au sein de son “Pacte pour un Enseignement d’excellence”. Bien que tout indique aujourd’hui que le coding soit au programme, il nous faudra attendre la publication des fameux référentiels pour en avoir le cœur net. Si la ministre les promet pour le mois de décembre, mes sources me rapportent qu’un retard sera annoncé.

Quoi qu’il en soit, ces réformes n’impacteront l’enseignement secondaire qu’à partir de 2027. Si le conservatisme et l’inertie inhérents aux acteurs de l’enseignement n’aident certainement pas, force est de constater que notre système scolaire, très décentralisé (quatre réseaux d’enseignement) et très modulaire (trois communautés, trois ministères compétents) ne saurait être plus belge en cela qu’il ralentit toute évolution. De plus, la dynamique de quasi-marché qui découle de ce système de réseaux contribue elle aussi à renforcer ce conservatisme scolaire. À titre de comparaison, des cours de programmation ont récemment fait leur entrée en France et en Irlande.

En plus de l’initiation à la programmation, des efforts additionnels doivent être faits pour intégrer les questions d’égalité filles-garçons dans la formation des instituteurs (en particulier compte tenu de notre héritage culturel), ainsi que pour signaler aux jeunes femmes que leur présence est fortement désirée dans les filières scientifiques. Malheureusement, notre système scolaire est encore une fois bien trop décentralisé pour pouvoir s’attaquer rapidement à ces problèmes. De fait, si les programmes scolaires francophones sont la responsabilité de la ministre de l’éducation (humaniste), c’est le ministre de l’enseignement supérieur (socialiste) qui est en charge de la formation des enseignants… et c’est sans parler des deux autres communautés.

On se contentera donc, pour l’heure, d’espérer que le pacte d’excellence soit à la hauteur de ses ambitions… dans dix ans.

Simone Giertz — “The Breakfast Machine

Conclusion — La diversité, pour quoi faire ?

Plusieurs études l’ont montré : les entreprises employant plus de personnes issues de la diversité que la moyenne et dont les dirigeants attachent de la valeur à la diversité obtiennent généralement de meilleurs résultats que les autres. En effet, une équipe composée de profils diversifiés sera capable de discerner une variété de solutions pour un même problème, là où une équipe plus homogène aura davantage tendance à aborder la question à partir d’un même angle d’attaque.

Au-delà des besoins de la Belgique en terme de main-d’œuvre pour ce qui est de la digitalisation de son économie, c’est bien d’égalité des chances dont il est question ici. Alors que tout indique que le numérique et l’intelligence artificielle occuperont une place centrale dans le monde de demain, il n’est pas acceptable que cette révolution ne soit qu’aux mains des hommes.

Si le sexisme explicite n’est plus aussi toléré de nos jours qu’il l’était il y a 30 ans, le sexisme implicite est quant à lui toujours d’actualité, y compris dans le secteur ICT. On le sait, il n’est par exemple pas rare pour nos enseignants de présumer que les compétences techniques sont le propre des garçons et de surprotéger les élèves filles en conséquence. La barrière culturelle qui sépare les femmes des filières scientifiques étant particulièrement tangible en Belgique, il nous faudra redoubler d’effort pour y mettre un terme. Il sera entre autres essentiel d’intégrer les questions de genre à la formation des enseignants afin qu’ils puissent mieux déconstruire les stéréotypes.

De même, des changements structurels seront nécessaires. Le tronc commun proposé par la ministre de l’éducation Marie-Martine Schyns pourrait notamment aller dans le bon sens, étant donné qu’il empêchera les élèves de se détourner du cours de science avant leurs 15 ans. Cela devrait avoir des répercussions sur la ségrégation des sexes en fin de secondaire et dans le supérieur. Enfin, on pourrait également s’interroger sur la place de l’enseignement confessionnel en Belgique.

C’est donc sur un constat mitigé que s’achève cet article. Les réformes que connaîtra bientôt le secteur de l’enseignement, tant au nord du pays qu’en Belgique francophone, seront inévitablement controversées et feront quoi qu’il en soit face à un conservatisme impitoyable. En conséquence, celles-ci seront lentes et tardives. Ne baissons en tout cas pas les bras, car si nous partons de loin, une lumière semble enfin apparaître au bout du tunnel.

Guillaume Hachez

Remerciements :

Constant Thiollier, Julie Foulon, Nadia Aimé, Nicolas Roland, Jean-Christophe Leloup, Nathalie, Lucie, Cheryl Miller, Marie-Claire Elhedery, Manon Brulard, Valérie Piette, Catherine Jacques, Nadine Plateau, Bruxelles Formation, le Forem, Thomas Barse, Yohann Thirapathi, Fanny Ruwet, Sébastien Brugmann

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Guillaume Hachez

@GuiHachez on Twitter — Podcaster @SeptanteMinutes . Passionate about tech, entrepreneurship & gaming. Autistic and you know it.