Approche critique des sources : peut-on employer les traités médiévaux d’escrime pour étudier le combat militaire?

HistOuRien
4 min readMar 11, 2017

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La plupart des reconstituteurs qui pratiquent l’escrime médiévale se basent sur des manuscrits anciens écrits au Moyen Âge par des maîtres d’armes soucieux de transmettre leurs connaissances en combat. Je vous en avais déjà parlé dans mon article “” qui porte sur leur représentativité pour ce qui est des duels. Toutefois, nous n’y avions pas évoqué la possibilité de les employer dans le cadre d’une étude s’intéressant aux combats militaires de masse. Voilà pourquoi je vous propose ci-après de nous pencher sur cette question.

Comme nous l’avons déjà évoqué, au Moyen Âge, un phénomène particulier fit son apparition. Des maîtres versés dans l’art du combat produisirent des traités afin de transmettre leurs techniques à leurs disciples. Ces documents inestimables forment une mine d’informations pour toute personne intéressée par le monde de l’escrime à cette époque. L’un des premiers de ces traités, le liber de arte dimicatoria remonte au tournant des XIIIe et XIVe siècles. Il y a quelque temps, celui-ci a fait l’objet d’une étude de Franck Cinato et André Surprenant. Toutefois, il semble que cette dernière soit davantage analytique qu’explicative. Elle tiendrait plutôt de l’analyse codicologique que d’un travail d’étude de la pratique des armes. A coté de cela, nous trouvons d’autres manuscrits plus tardifs de maîtres d’arme. Nous faisons, d’une part, référence aux deux escrimeurs germains, Johannes Liechtenauer, maître incontesté de l’école allemande au XIVe siècle et Hans Talhoffer, l’un de ses disciples. Ceux-ci ont tous deux produit des « Fechtbücher », c’est-à-dire des livres d’escrime. D’autre part, nous possédons toujours le document de Fiore dei Liberi, maître d’arme italien de la seconde moitié du XIVe siècle. Celui-ci écrivit le Flos duellatorum, un autre traité sur la pratique du combat.

Nous y découvrons de multiples techniques et feintes à main nue comme à l’aide d’armes. Celles-ci sont illustrées afin de permettre une meilleure compréhension des mouvements. Cependant, tous ces manuscrits sur l’art de l’escrime médiévale ne traitent que de l’aspect du combat en duel, ce qui ne nous renseigne que peu de choses sur les pratiques collectives en mêlée. En effet, l’art du combat de masse, se faisant en rangs serrés, comme j’avais pu le mentionner dans mon article “5 théories sur le combat militaire dans la seconde moitié du Moyen Âge”, devait permettre beaucoup moins d’ampleur dans les mouvements du combattant à pied pour ne pas blesser ses alliés. De ce fait, l’affrontement était probablement plus rudimentaire. Ne permettant pas d’armer derrière la tête ou de placer des coups de taille, il devait se limiter à des frappes verticales et à des estoques. En outre, le soldat n’avait certainement pas toute liberté de déplacement et devait évoluer au sein d’une formation plus ou moins serrée. Cela lui conférait une place bien déterminée dans le groupe et il ne pouvait s’en distancier sans courir le risque de laisser sans protection les flancs des hommes qui se battaient à ses côtés et donc d’affaiblir la formation. Les déplacements des hommes de pied devaient être bien coordonnés et ne permettaient donc pas non plus une grande liberté d’action.

Pourtant, les traités de combat peuvent être utiles car ils nous donnent des exemples d’armes différentes et de la manière dont elles étaient maniées par les combattants. Qui plus est, nous y trouvons des reproductions de combats en armures, à pied et à cheval, qui peuvent nous donner un meilleur portrait des techniques mises en pratique et des coups qui pouvaient être placés dans ce genre de situations. Cela nous donne une vision moins stéréotypée des affrontements qui pouvaient survenir lors d’une bataille. Notamment, le Flos duellatorum de Fiore Dei Liberi donne à voir une véritable « escrime » de la lance passant par des postures ou gardes diverses, autres que la “classique” lance calée sous le bras, pour contrecarrer les assauts adverses. Nous ne savons toutefois pas si ces enchaînements pouvaient être employés efficacement lors des véritables combats sur champ de bataille.

Vous pouvez maintenant me faire part de vos commentaires sur les différentes idées que j’ai émises ici. Vous pouvez aussi me confier vos propres observations sur le sujet et, si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager, à le liker et faites un tour sur ma page facebook.

CINATO Fr., SURPRENANT A., Le livre de l’art du combat, Paris, 2009.

JOHANNES LIECHTENAUER, MS. 3227a, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg, daté de 1389.

HANS TALHOFFER, Code de Gotha, MS XIX. 17–3, Gräfliches Schlob, Königseggwald.

FIORE DEI LIBERI, Flos duellatorum, MS Ludwig XV 13, J. Paul Getti Museum, Los Angeles, daté de 1410.

Illustrations tirées du Flos duellatorum de Fiore Dei Liberi, Voir supra, f°26v, f°30v et f°29v.

Voir aussi la bibliographie non-exhaustive d’Histoire militaire médiévale.

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