5 théories sur le combat militaire dans la seconde moitié du Moyen Âge

HistOuRien
10 min readOct 27, 2016

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Passionné depuis toujours par l’Histoire militaire médiévale, je me suis souvent demandé comment pouvait réellement se dérouler une bataille à l’époque. Rapidement, je me suis rendu compte que les représentations les plus courantes ne semblaient pas coller avec les connaissances sur le sujet et n’étaient donc pas réalistes. Il fallait donc entièrement repenser le combat militaire à l’époque. Grâce à mes multiples lectures et à mes recherches sur ces questions, j’en suis venu à la conclusion que de nouvelles théories pouvaient émerger. Ce sont ces différentes idées que je vais vous présenter dans les lignes qui suivent.

L’Histoire militaire a intéressé les historiens depuis les origines de la discipline. Cependant, cette thématique de l’Histoire va de paire avec celle des grands Hommes et, comme à l’époque d’ailleurs, celle-ci peut receler des intérêts qui dépassent la simple objectivité historique. Cette matière, au travers des travaux qui s’y portent et des sources qui nous renseignent à son sujet, est probablement celle qui a le plus été manipulée de par ses implications sur la réputation des partis en présence. De ce fait, le déroulement des faits, le rapport de force, le courage des adversaires varient selon les témoignages et les récits. Qui plus est, notre idéalisation romantique a aussi participé à déformer les faits et à broder des idées préconçues autour. Comme nous pouvons le constater, tous ces facteurs ont contribué à forger une représentation erronée du combat militaire au Moyen Âge et dans ce cadre, certaines images récurrentes sortent du lot.

1. Le fait de faire bloc et le mouvement de l’infanterie

Le stéréotype le plus courant de la guerre médiévale est la charge désorganisée des infanteries ennemies l’une contre l’autre. Découle de cela un chaos innommable sur le champ de bataille. Cette vision résulte de la représentation de peuples barbares que nous nous faisons des gens du Moyen Âge. Or, il apparaît que ce joyeux bordel n’aurait jamais pu aboutir à une bataille cohérente. En effet, sauf dans certains cas rares, une charge forte mais plus ou moins éclatée n’aurait engendré que le massacre de ses auteurs. Les armées médiévales, même celles qui n’en ont pas la réputation, avaient de la discipline et connaissaient la stratégie et la tactique (deux termes qui ne possèdent pas la même signification). Elles faisaient bloc, parfois en plusieurs groupes, mais jamais de manière anarchique. Une charge désorganisée qui se serait confrontée à une armée unie se serait brisée comme l’eau sur un rocher. A fortiori, un homme seul chargeant l’ennemi avait très peu de chance d’ouvrir une brèche dans un front commun ou de survivre. Dans ces conditions, il ressort que les batailles devaient être moins dynamiques et plus lentes que nous l’imaginons aujourd’hui, le but des archers étant alors de forcer l’ennemi à approcher pour engager le combat. Les différentes armées progressaient certainement assez lentement et, il est probable que les mouvements de troupes devaient être plutôt longs. Cette temporalité peut trouver sa parfaite représentation dans le jeu “Medieval Total War” que j’ai déjà mentionné dans mon article “5 jeux vidéos qui ont l’époque médiévale pour toile de fond”.

2. Le mode de combat de la cavalerie contre l’infanterie

Dans le même ordre d’idée et comme je l’avais déjà évoqué dans mon article “5 erreurs récurrentes dans la reproduction du combat médiéval au cinéma et dans la reconstitution historique”, la charge de cavalerie effectuant une percée dans une armée de fantassins entraînés et organisés n’est qu’un mythe. La cavalerie pouvait effectivement jouer un rôle décisif dans les affrontements mais, pour ce faire, elle devait bénéficier de l’effet de surprise. En effet, l’armement des troupes à pied était conçu pour faire face à la cavalerie et, si la peur ne forçait pas la formation à se débander et à tourner les talons, le front d’hommes de pied en position de combat ne craignait pas grand chose face aux seuls hommes d’armes montés. C’est ce qu’a appris à ses dépens la cavalerie française, en 1346, lors de la bataille de Crécy.

Le rôle de la cavalerie pouvait être double : d’une part, en tant qu’unité mobile, elle pouvait intervenir rapidement sur les flancs ou dans le dos des ennemis et, d’autre part, elle avait comme fonction de harceler l’adversaire pour l’épuiser. En outre, une charge une fois effectuée perdait de son inertie quand elle arrivait au contact de la masse de combattants ennemis, ce qui avait pour conséquence de rendre vulnérables les cavaliers. Effectivement, avancés et immobilisés dans les rangs adverses, les hommes d’armes pouvaient assez facilement être jetés à bas de leurs chevaux sans parler des risques que courraient les animaux en eux mêmes. C’est pourquoi, il me semble plus plausible la possibilité de multiplier les charges : au contact de l’ennemi, une fois que la charge commençait à ralentir, il est probable que les cavaliers faisaient faire volte face à leurs montures (mouvement qui se retrouve d’ailleurs, toujours aujourd’hui dans l’entraînement des chevaux de spectacles) et repartaient dans l’autre sens afin de réamorcer une nouvelle charge.

3. La charge de cavalerie contre la cavalerie ennemie

Par contre, dans un affrontement entre deux groupes d’hommes d’armes montés, les modalités du combat devaient changer. Nous avons tous en tête la représentation traditionnelle des joutes équestres dans laquelle des “chevaliers” se font face dans la lice et se courent dessus lance à l’horizontale et bouclier sur le flanc pour parer le coup de l’adversaire. Cela ne s’est pas toujours déroulé comme cela et j’ai de fortes présomptions sur le fait que la manière de jouter pouvait être plus complexe que ce que nous imaginons aujourd’hui. J’y consacrerai probablement un article à part entière. Toutefois, le premier temps des affrontements entre cavaliers sur le champ de bataille devait certainement se passer de cette manière mais en plus grande ampleur (si le rapport de force entre les deux troupes était équivalent).

En effet, il est probable que les deux groupes de cavaliers formaient une ligne plus ou moins longue selon le nombre de combattants présents, les hommes d’armes montés poussaient avec leurs jambes sur leurs étriers afin de caler leur hanches dans le dossier de la selle (plus haut que celui de nos selles actuelles) et , arrivés à proximité de l’ennemi, se lançant au galop, positionnaient leurs lances pour le premier contact. Le but de la manœuvre était de tuer ou de désarçonner le plus de combattants d’en face possible. Une fois les lances plantées ou brisées, les hommes d’armes sortaient les armes plus courtes pour affronter l’ennemi au corps à corps manœuvrant leurs chevaux dans la mêlée. Les animaux aidant, cette dernière pouvait être effectivement plus chaotique. Cependant, nous savons qu’il n’était pas d’usage de se tuer systématiquement entre hommes d’armes. Il devait donc exister un appui d’écuyers ou de valets (mentionnés dans la comptabilité de l’époque) qui prenait le contrôle des prisonniers à rançonner faits par leurs “chefs”. De plus, ces aides de camps devaient certainement intervenir aussi en cas de péril pour ces derniers.

4. Qui étaient les combattants à pied?

Nous imaginons toujours que, traditionnellement, les hommes d’armes, nobles restaient sur leurs montures et que seuls les gens du commun se battaient à pied. Effectivement, cette idée possède un fond de vérité puisque les seigneurs rechignaient volontiers à mettre pied à terre et à se mêler à la “piétaille”. Cependant, il apparaît que, à partir du milieu du XIVe siècle, les hommes d’armes aient tiré les leçons des erreurs de la cavalerie française lors de la bataille de Crécy. Ils se sont rendus compte du fait que la charge de cavalerie frontale ne pouvait atteindre une armée organisée et forte d’un contingent suffisant d’archers armés de longbows (parfois recrutés comme mercenaires dans des armées hors de l’Angleterre). La suprématie de la cavalerie sur le champ de bataille, même si cette dernière avait ses limites auparavant, avait été remise en cause. Les “chevaliers” ont donc du abdiquer de leur superbe pour fouler le sol et prendre place aux côtés des gens de pied. Nous supposons aujourd’hui que ces hommes d’armes, meilleurs combattants, mieux entraînés et mieux protégés, prenaient place en première ligne armés de lances raccourcies et appuyés par une deuxième ligne de lanciers ou piquiers qui pouvaient switcher avec eux en cas de charge de cavalerie et qui avaient la possibilité de porter des coups à l’ennemi de l’arrière de la première ligne. Dans cette configuration de combat, les archers prenaient place sur les flancs de l’infanterie pour harceler l’adversaire de leurs traits. De cette manière, l’armée était mobile et pouvait progresser vers une zone ou vers l’ennemi tout en se protégeant de pavois et de boucliers. Il pouvait aussi demeurer certains hommes d’armes à cheval qui avaient alors pour mission de prendre l’ennemi à revers en contournant ses positions.

5. Survie dans la mêlée : gestion de l’épuisement, de la soif et des prisonniers

Il est important de souligner qu’une bataille médiévale comprenant les mouvements de troupes et l’affrontement à proprement parler pouvait durer jusqu’à une journée entière. Un temps infini pour les combattants qui suent et saignent durant l’affrontement, portant leurs armes et armures. Il suffit d’assister à un béhourd moderne, qui ne dure pas plus de quelques minutes, pour se rendre compte de la difficulté de résister à l’épuisement d’une réelle bataille. Effectivement, les hommes d’armes médiévaux délaissaient leurs jambes d’armures pour avoir plus d’aisance durant le combat à pied et ceux-ci étaient mieux entraînés que nos combattants actuels puisque la pratique de la guerre était leur activité principale. Qui plus est, contrairement aux représentations actuelles de ces batailles, il est clair que les guerriers pratiquaient une méthode de combat rationnelle et allaient à l’essentiel pour en finir le plus vite possible avec leur adversaire direct. Cependant, même dans ces conditions et même pour eux, des heures entières à batailler devaient considérablement les fatiguer.

Il est difficile aujourd’hui d’imaginer comment se déroulait vraiment une bataille au cœur de la mêlée mais quelques théories peuvent apporter des réponses à cette question. Comme nous l’avons précisé, les armées combattaient en rang serrés et le plus fort de l’action devait donc se dérouler dans les premières lignes en contact avec l’ennemi. Toutefois, il est possible qu’il ait existé un système de rotation entre les combattants de premières lignes et ceux des suivantes afin de permettre aux premiers de se reposer un peu. Cette idée a d’ailleurs été mise en image, dans un tout autre contexte, dans le premier épisode de la série “Rome” (créée par John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller) pour les légions romaines. Dans ce cas, le centurion Lucius Vorenus emploie un sifflet pour transmettre l’ordre de changer de ligne. C’est une idée non attestée dans les sources mais qui est assez intéressante dans les faits. Qui plus est, cela pourrait expliquer comment les combattants ennemis capturés au cours de la bataille pour être mis à rançon pouvaient être transférés dans les lignes arrières et comment les soldats du front pouvaient étancher leur soif ou être soignés s’ils avaient été blessés. D’ailleurs, à l’arrière des troupes, il y avait souvent un camps dressé avec le charroi de ravitaillement dont les chariots attachés ensemble servaient parfois de barricade improvisée. C’est probablement dans ce campement qu’étaient détenus les prisonniers de haut rang. Je donne d’ailleurs une représentation de la manière dont, j’imagine, pouvait se dérouler une bataille dans mon récit “Le miroitement des armures”.

Au terme de l’évocation de ces quelques théories sur le sujet, nous pouvons constater que la thématique de la guerre au Moyen Âge recèle encore toute une série d’incertitudes et de questions qui restent en suspens. Quoi qu’il en soit, il s’avère que le combat militaire médiéval nous apparaît comme une pratique bien plus complexe que ce que nous aurions pu imaginer au premier abord.

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Voir aussi la bibliographie non-exhaustive d’Histoire militaire médiévale.

(Image d’entête : enluminure représentant la Bataille de Rosebecque tirée du manuscrit de Saint-Vincent de Besançon des Chroniques de Jean Froissart, premier quart du XVe siècle, Bibliothèque municipale, Besançon, Ms. 0865, f°133v.)

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