L’évolution de l’équipement de l’homme d’armes (“chevalier”) du XIIIe au début du XVe siècle

HistOuRien
9 min readApr 26, 2017

--

La vision du chevalier en armure est l’une des images principales qui nous viennent lorsque l’on évoque le Moyen Âge. Toutefois, cette image est souvent stéréotypée, abstraite et intemporelle. Paradoxalement, l’idée la plus répandue est celle d’un homme d’armes en harnois blanc c’est-à-dire la protection de corps de la toute fin de l’époque médiévale/début des Temps Modernes. Qu’en est-il alors, avant cela, de la réelle évolution de l’armement à partir du XIIIe jusqu’au début du XVe siècle?

Nous remarquons sur les illustrations de récits historiques ou imaginaires du XIVe siècle que l’armement défensif de l’homme d’armes de cette époque était encore fortement dominé par le vêtement de mailles. Le haubert (ou broigne) et les chausses en anneaux de fils métalliques entrelacés demeurent le quotidien du combattant à cheval. Cette protection était enfilée au-dessus d’un vêtement rembourré, le hoqueton ou gambison. Elle restait souple et laissait une certaine amplitude de mouvement au cavalier. Lors des combats, elle était surtout efficace contre les frappes de tranche mais laissait le corps vulnérable face aux coups d’estoc ou à l’écrasement de la masse. En effet, la maille évitait le danger du tranchant de la lame mais aucunement la commotion que pouvait occasionner le choc. C’est pourquoi cet adoubement de base couvrant l’entièreté du corps, ou presque, fut renforcé à certains endroits par des éléments de cuir bouilli ou de plates, pièces d’armures rigides. Celles-ci sont venues conforter les zones les plus exposées lors du combat.

Evidemment, la tête fut de très haute antiquité la première à entrer dans les préoccupations des soldats. Un coup au crâne sans protection signifiait la mort assurée et se devait d’être évité au plus vite. Progressivement, les casques ont évolué pour défendre cet endroit sensible de la manière la plus efficace possible. Au milieu du XIVe siècle, la protection de tête la plus répandue était le bacinet (ou bassinet) métallique, terme désignant d’ailleurs parfois l’homme d’armes lui-même. Dérivant de la cervelière qui auparavant était portée sous le heaume, ce nouveau type de cervelière est conique et descend sur les oreilles. Elle revêtait cette forme pour présenter le moins de surface plane possible aux frappes de tranche sur le haut du crâne et était parfois complétée par une visière amovible, nommée ventail ou mézail. Cette dernière pouvait présenter des aspects différents selon les préférences du porteur telles les formes dites aujourd’hui en “museau de chien”, en “bec de passereau”, en “bulbe”. Il existait aussi des formes plus simples qui comportaient uniquement un élément métallique plus ou moins plat au niveau du visage.

La visière évolua elle aussi afin de ne laisser apparaître que le minimum de surfaces vulnérables aux coups de lance frontaux. La gorge est alors préservée par le bas du camail, sorte de cagoule de mailles couvrant le sommet du crâne et tombant sur les épaules, ou par un « gorgerin » de mailles ou de cuir, élément attaché directement au bas du bacinet par une tresse (ou clavel). Une illustration issue d’un manuscrit de la fin du XIVe siècle et figurant Lancelot du Lac (GOUSSET M.-Th., Enluminures médiévales,[…], p. 14) nous prête à voir aussi, une alternative comme protection de tête, ce que nous appellerions aujourd’hui un “grand heaume” à timbre conique. Celui-ci résulte d’une amélioration du heaume du siècle précédent qui s’était déjà allongé pour venir protéger le cou du combattant (d’où l’appellation “grand heaume”) mais qui possédait un sommet plat, moins résistant aux frappes directes sur cette partie. Désormais, il a adopté une forme plus élancée afin de laisser glisser les coups adverses. Cette évolution rend toutefois les épaules et notamment les clavicules plus à même de recevoir une frappe qui aurait été déviée par le timbre du heaume, ce qui pourrait expliquer l’amélioration des spallières en éléments plus couvrants et arrondis.

A la fin du XIIIe siècle, la cotte de plates, une pièce de tissu ou de cuir couverte à l’intérieur par de petites plaques de métal, vint protéger le tronc du combattant. En outre, avant-bras et jambes, parties du corps particulièrement vulnérables lors de l’affrontement, ont rapidement reçu une protection supplémentaire en pièces de plates. Ils sont couverts de cylindres forgés pour épouser la forme des membres. Le haut du bras reste souvent couvert de mailles sans autre protection. Mais cela a rapidement évolué vers une défense plus rigide qui laissait toutefois une « faiblesse » vers l’intérieur du bras, et au niveau de l’aisselle, permettant une plus grande aisance dans les mouvements. Le coude reçut une cubitière conique et la main et l’avant-bras furent préservés par des gantelets aux doigts séparés, constitués par des écailles de métal rivetées. Les « canons », parties arrières des gantelets, couvrirent les poignets. Tout ce dispositif de défense était porté au-dessus du haubergeon de mailles et complété par un écu, sorte de bouclier triangulaire d’environ 60 sur 70 centimètres. Pour ce qui concerne l’équipement offensif, la lance et l’épée pouvaient être complétées par une dague et par des armes de plus basse extraction comme la hache ou la masse d’armes, que nous évoquerons par la suite.

L’homme d’armes du début du XVe siècle connut une évolution rapide de son équipement et en particulier des pièces défensives le composant. Les représentations de cette époque nous apprennent que son armement défensif avait fortement évolué depuis ce que nous avons pu décrire dans les paragraphes précédents. En effet, la maille avait progressivement perdu de son importance dans l’adoubement du combattant à cheval. Celle-ci resta présente à certains endroits stratégiques de l’armure, là où un élément rigide de plates n’aurait pu être placé car il aurait empêché toute mobilité. Cette protection souple occupait certainement les défauts de l’armure aux articulations, à la pliure du coude, du genou et à l’aisselle. Ces petites parties de mailles étaient probablement cousues sur le gambison, veste en cuir ou en tissu matelassée servant à éviter que le poids des plaques d’armures ne soit en contact direct avec le corps et à amortir les coups lors du combat. L’intégration de la maille, cousue directement sur la protection de corps, permit d’éviter le port d’un haubert sous les éléments de plates et donc d’alléger notablement la défense. En outre, un carré de maille enserrait la taille, descendant à mi-cuisse afin de préserver l’entrejambe des coups de tranche indirects et de garder une souplesse à cet endroit pour pouvoir monter à cheval. Toutefois, il se peut que certains hommes d’armes, aient, tout de même, continué à porter un haubergeon sous leur armure de plate.

Le reste du corps fut progressivement recouvert d’éléments de plates qui vinrent compléter ce que nous connaissions auparavant. Cette évolution conduisit à ce que nous appelons le « harnois blanc », une armure couvrant toutes les parties du corps. Ce type d’équipement défensif ne diffère pas grandement de celui que l’on retrouve porté par les chevaliers à Azincourt. La tête resta protégée par le bacinet. Le tronc fut enserré entre deux pièces d’armure protégeant la naissance du torse et du dos. Des spallières arrondies ornèrent désormais les épaules, préservant davantage que les anciennes défenses de formes plates. Comme nous l’avons précédemment précisé, assez rapidement, le biceps reçut lui aussi une protection rigide. Tous ces éléments constitutifs de l’armure du début du XVe siècle, qui ne feront qu’évoluer jusqu’à la fin du Moyen Âge, firent de l’homme d’armes sur son cheval une véritable forteresse mobile au potentiel offensif surprenant. Toutefois, il faut garder en mémoire que cet équipement pouvait varier en qualité ou en forme selon le niveau de fortune des individus. Le cavalier lourd était une unité de frappe décisive capable de charger l’ennemi et de se mouvoir avec rapidité tout en conservant une défense raisonnable. A pied, il était bien protégé par son armure face aux assauts ennemis. Ceci étant établi, voyons maintenant quelles furent les armes employées par ces gens de guerre qui leur conférèrent cet avantage sur le champ de bataille.

Pour ce qui est du potentiel offensif, la lance et l’épée demeurèrent la base de l’arsenal de l’homme d’armes (voir article : “10 raisons de préférer une épée bâtarde […]”). Celles-ci furent de plus en plus performantes dans les coups d’estocs, ce qui était évidemment induit par le développement des armures de plates, couvrant progressivement l’entièreté du corps et ne laissant que certains points vulnérables principalement à ces coups de pointe. Elles furent parfois complétées par les haches et marteaux d’armes destinés davantage à fausser les pièces d’armure et à briser les membres en dessous, mettant l’adversaire dans l’impossibilité de se défendre. En outre, le cavalier était aussi équipé d’une dague qui pouvait revêtir différentes formes et qui pouvait servir comme arme d’appoint.

Le Moyen Âge dura près de mille ans et, durant toute cette période, les technologies ne sont, bien évidemment, pas restées les mêmes du début à la fin. Durant cette époque, ont été développées toute une série de formes de protections de corps et d’armes qui ont marqué leur temps et ont modifié les manières de faire la guerre. Le développement des armures et des armes s’est effectué en parallèle, les unes déjouant les autres. Il en est allé de même dans d’autres domaines de la société médiévale. L’étude de l’évolution de l’équipement permet de prendre conscience du dynamisme et de l’inventivité des hommes de cette période et, de ce fait, de rompre avec la représentation que nous nous en faisons.

Vous pouvez maintenant me faire part de vos commentaires sur les différentes idées que j’ai émises ici. Vous pouvez aussi me confier vos propres observations sur le sujet et, si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager, à le liker et à me suivre sur “Medium”. Vous pouvez aussi faire un tour sur ma page facebook.

Si, comme moi, vous êtes passionnés d’Histoire militaire médiévale, vous pouvez aussi aller voir cette bibliographie non-exhaustive d’Histoire militaire médiévale.

Vous pouvez aussi acquérir ces ouvrages de référence dans le domaine :

Bibliographie :

CONTAMINE Ph., La guerre au Moyen Âge, Paris, 1980, 1992, réédité en 2003, p. 242.

CONTAMINE Ph., Azincourt, Paris, 1964, p. 87, 88 ;

GAIER Cl., Art et organisation militaire dans la principauté de Liège et dans le comté de Looz au Moyen Âge, Bruxelles, 1968, p. 179, 180.

GOUSSET M.-Th., Enluminures médiévales, mémoires et merveilles de la bibliothèque nationale de France, Paris, 2005, p. 14–16, 48, 168.

OAKESHOTT E., The archaeology of weapons: arms and armour from Prehistory to the Age of Chivalry, Woodbridge, 1994, p. 283–288.

ROGERS C.J., Agincourt, battle of, ds « The Oxford encyclopedia of medieval warfare and military technology », v.1, New York, 2010, p. 7–10.

SMITH R.D., Armor, body, ds « The Oxford encyclopedia of medieval warfare and military technology », v.1, New York, 2010, p. 67–70.

SMITH R.D., Helmets, ds « The Oxford encyclopedia of medieval warfare and military technology », v.2, New York, 2010, p. 252.

SMITH R.D., Weapons, hand-to-hand, ds « The Oxford encyclopedia of medieval warfare and military technology », v.3, New York, 2010 p. 432–438.

VAN DUYSE H., Catalogue des armes et armures du musée de la Porte de Hal, Bruxelles, 1897, p. 29–31, 34–37, 44–46.

Illustration issue du manuscrit des Traités philosophiques et moraux, MS 434, Bibliothèque municipale de Besançon, f°232, daté de 1372.

--

--