Une bataille au début du XVe siècle (1): Retour aux origines de la bataille d’Othée (1408)

HistOuRien
19 min readJun 3, 2017

--

Afin de bien aborder l’art de la guerre au Moyen Âge il est primordial, à mes yeux, de s’intéresser à l’organisation et au déroulement de batailles particulières de cette époque. J’ai pris la décision de me concentrer dans les prochaines lignes sur un affrontement du début du XVe siècle, moins connu mais pas très éloigné temporellement de la fameuse bataille d’Azincourt. Cette bataille vit s’opposer les troupes menées par le duc de Bourgogne à des dissidents de la principauté de Liège. Dans ce premier article, je me suis borné à en définir le contexte historique et le détail du nombre et du type de combattants engagés dans la bataille (principalement du côté du comté de Hainaut).

1. Contexte historique et prémices du conflit

Le conflit que nous allons aborder ici trouve son origine dans des racines profondes. En effet, dès la fin du XIVe siècle, le monde occidental était tiraillé de toutes parts par des dissensions internes. Les géants politiques chancelèrent sous le poids des oppositions qui grevaient leur puissance. Dans le royaume de France, la mort de Charles V jeta le trouble dans le pouvoir royal. Son successeur Charles VI, dit « le roi fou », laissa un trône vacant. Son frère, Louis d’Orléans, et son oncle Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, réclamèrent tous deux le pouvoir afin d’assouvir leur besoin d’augmenter leurs possessions territoriales. Ceux‑ci entrèrent en conflit sans toutefois suivre une logique de violence. Quand Jean sans Peur succéda à son père, le ton se durcit et les événements menèrent à l’assassinat commandité du duc d’Orléans, le 23 novembre 1407. Cet acte, ordonné par la maison de Bourgogne, déclencha la guerre civile.

Dans le Saint Empire, l’idéal de gouvernance universelle fut confronté aux divisions intestines. Wenceslas devint empereur en 1376 mais son caractère et son alcoolisme le rendaient incapable de gouverner. Au point tel qu’en 1400, il fut déposé et remplacé par Robert de Bavière. Toutefois, celui-ci comme son successeur, Sigismond, ne put redonner le lustre d’antan à l’Empire et le pouvoir impérial continua à décliner.

Depuis 1378, l’Eglise occidentale a sombré dans une crise qui mit en péril les fondements de l’unité catholique. La contestation de l’élection d’Urbain VI[10] au trône pontifical marqua l’élection d’un second pape et l’émergence d’un autre siège en Avignon. Il fallut attendre le Concile de Constance en 1415 pour que la réunification mette un terme au schisme d’Occident. Ces troubles qui agitèrent le monde européen furent d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le phénomène des croisades en Prusse s’essouffla.

Le trône de la principauté de Liège fut confié à Jean de Bavière en 1390, par le pape romain Boniface IX, probablement à l’initiative de ce dernier et non du chapitre cathédral, comme certains auteurs l’écrivent. Toutefois, le prince qui n’était que sous-diacre, à cette époque, refusa d’être ordonné évêque. Celui-ci employa ses prérogatives afin de réduire les libertés acquises par le peuple et de restaurer la puissance ancienne de sa fonction. Ces manœuvres à l’encontre de l’autonomie des villes conduisirent la population à se révolter contre l’élu. En l’an 1394, un premier affrontement se conclut par un compromis, la paix de Caster. Cependant, la situation resta tendue et la violence augmenta graduellement d’intensité. En 1400, les villes, et principalement celle de Huy, craignant de plus en plus la montée en puissance de l’« impérialisme » de l’élu, tentèrent de créer une alliance défensive à l’encontre du tribunal de l’Anneau du Palais, organe de pression de Jean de Bavière, et contre Liège elle‑même. Cette tentative ne trouva pas l’écho escompté mais fut renouvelée en 1402 et la confédération força le prince-évêque à quitter la ville. Durant son absence, Thierry de Hornes, fils du sire de Perwez, Henri de Hornes, fut nommé mambour. Pourtant, par l’action d’un parti de modérés et du chapitre cathédral, le coup de force échoua à nouveau. Un nouvel accord, la paix des XVI, fut passé en 1403. La répression qui suivit cet accord et les nouveaux abus du prince conduisirent les villes au mécontentement, ce qui se matérialisa finalement par un véritable soulèvement à la fin de l’année 1404.

Les révoltés, qui portèrent le nom encore obscur de Haidroits, déclarèrent l’élu de Liège déchu et, après le refus de Jean IV de Rochefort-Agimont d’occuper cette position, placèrent à la tête du pays celui qu’ils avaient choisi comme mambour deux années auparavant. Le 26 septembre 1406, son fils Thierry de Hornes reçut les ordres sacrés de la main de Benoît XIII, pape en Avignon et fut confirmé en tant qu’évêque de la principauté. Le conflit, qui était basé à l’origine sur des revendications de droits et prérogatives, se mua alors en un affrontement politique et d’obédiences religieuses.

La guerre s’était déclenchée au sein de la principauté de Liège. Elle opposait Jean de Bavière, obligé de se réfugier à Maastricht, à son peuple révolté, conduit par Thierry de Hornes. L’élu de Liège comptait essentiellement sur l’aide familiale pour se sortir de ce mauvais pas. Il fit appel aux gens les plus puissants de sa mesnie, son beau-frère, Jean sans Peur, duc de Bourgogne et son frère Guillaume IV, comte de Hainaut, de Hollande, de Zélande et de Frise. Les Haidroits ont quant à eux passé alliance avec Renaud, le duc de Juliers-Gueldre, pour s’assurer sa neutralité dans le conflit, et avec Antoine de Bourgogne, duc de Brabant. Cependant, étant le frère de Jean sans Peur, l’attitude de ce dernier resta ambiguë. Il ne participa d’ailleurs pas à la bataille décisive à Othée.

En 1407, le mambour à la tête des Haidroits vint mettre le siège aux portes de Maastricht, dernière place forte aux mains de Jean de Bavière. Ce dernier y avait trouvé refuge avec la troupe de mercenaires qu’il avait recrutée. Toutefois, le siège fut écourté par les rigueurs de l’hiver. Les insurgés durent rebrousser chemin. L’élu profita de ce relâchement pour effectuer des raids sur les terres ennemies. Ce harcèlement motiva Thierry de Hornes, le 31 mai 1408, à réitérer la manœuvre à l’encontre de la ville. Il rassembla la presque totalité du potentiel militaire du pays, risquant par cela de dégarnir les frontières, et se porta au devant de la forteresse. Les troupes avaient pris place autour des murailles, mais la rumeur selon laquelle le comte de Hainaut et le duc de Bourgogne avaient lancé une campagne à leur encontre atteint les oreilles des hommes du mambour.

2. Comptabilité et préparatifs avant la bataille

Dans le comté de Hainaut, Guillaume IV mit sa principauté sur le pied de guerre dès le moment où il apprit la dévastation des environs de la ville de Thuin par Jean de Bavière à la tête d’un parti de chevaliers hainuyers. Sachant que l’intervention dans cette action d’hommes d’armes issus du Hainaut lui attirerait les foudres des Liégeois, il veilla au renforcement des défenses de sa terre par un document adressé au châtelain de Braine-le-Comte et daté du 17 décembre 1406. Les incursions de représailles menées par les Liégeois du côté des régions de Barbençon et Labuissière confirmèrent les craintes du comte et le firent revenir de force de sa campagne en Hollande. Le 4 août 1407, ce dernier lança un « mandement » ordonnant à tout Hainuyer de ne pas entrer en pays de Liège ni de porter atteinte aux personnes ou à leurs biens en ce territoire. En outre, ce même document réclamait l’arrêt des personnes tenant « du parti des Liégeois » ayant pénétré dans sa principauté et dédouanait les poursuivants en cas de blessures ou de mort occasionnées lors de l’arrestation de ces ennemis. Ceci fut probablement établi pour empêcher toute nouvelle offense infligée aux Haidroits et pour renforcer la maîtrise du territoire.

Progressivement, le comté de Hainaut s’apprêta à mener une guerre défensive. Le 25 août 1407, il fut fait demande que chaque personne capable de défendre le pays se tienne prête en armes pour assurer sa garde et qu’aucune ne quitte le territoire sous peine d’amende. Le 18 septembre 1407, le bailli de Hainaut réclama que les guetteurs chargés de la garde des villes et forteresses soient attentifs et que, dans la mesure du possible, des provisions soient faites pour pouvoir subir un siège. De plus, dans le mandement, le bailli veilla aussi à ce que chaque homme en ayant la possibilité possède une monture et soit armé pour la circonstance. Cet appel à la vigilance fut renouvelé deux jours plus tard. Toutefois, ces mesures de défense se muèrent en organisation de l’offensive. Le 17 janvier 1408, le bailli réclama un relevé des hommes capables de prester le service armé. Ensuite, le comte de Hainaut se fit accorder une aide s’élevant à 20.000 florins par les « Etats de Hainaut » afin de « secourir son frère Jean de Bavière, élu de Liège ». La ville de Mons participa à cette aide à hauteur de 2.600 florins et celle de Valenciennes se chargea de la plus grosse part en octroyant 9.000 florins au comte, laissant à charge des autres villes et ordres la somme de 8.400 florins restante. Nous en gardons une trace dans la comptabilité. Guillaume de Hainaut prit d’ailleurs de multiples dispositions pour rembourser cette dette à travers des documents adressés aux villes. Nous lisons dans le compte du receveur de Hainaut que, pour compléter cette somme, le comte effectua aussi des emprunts auprès de bourgeois de Mons. Finalement, le total des recettes ne s’éleva qu’à environ 17.500 couronnes, précisément 26.969 livres, 13 sous et 10 deniers car il semble que les autres bonnes villes ne purent débourser qu’approximativement 3435 couronnes, c’est-à-dire exactement 5.238 livres, 7 sous et 10 deniers, ce qui était bien en dessous de la somme attendue.

Il est intéressant de souligner ici que Valenciennes déboursa une somme beaucoup plus importante que les autres participants à l’aide. Cette ville s’acquitta de plus du tiers de la somme totale, ce qui ne respecte pas ce que voudrait une répartition équitable des frais entre les trois ordres. Cela doit être lié à l’habitude qui définissait la somme prise en charge par chacune des villes. Valenciennes aurait été alors tenue de concéder une part de 45% sur la somme totale.

Dans le même ordre d’idée, il semble que la part de la ville de Mons devait s’élever au dixième de la somme totale de l’aide votée par les Etats de Hainaut. D’ailleurs, Guillaume de Hainaut envoya une lettre à la ville, datée du 15 août 1408, pour confirmer que la somme de 2.600 florins ne serait pas, à l’avenir, considérée comme de coutume et qu’elle ne serait pas systématiquement réclamée. En effet, un surplus de 600 florins avait été versé par la ville pour alléger la participation des autres bonnes villes qui avaient dû débourser plus, pour mettre le comté en défense. Guillaume confirme ici que cette participation plus importante n’était qu’exceptionnelle.

Le changement d’attitude du comte de Hainaut s’explique par la situation nouvelle de Jean sans Peur. Ce dernier a mis en échec le pouvoir Armagnac à Paris en ayant commandité l’assassinat du duc d’Orléans. Toutefois, à son départ de la ville, les Orléanais reprirent de l’influence. Le duc de Bourgogne se devait alors d’accomplir un coup de force pour démontrer sa puissance militaire. Il décida donc de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour écraser la rébellion des Haidroits. À la fin décembre 1407, il convoqua ses alliés dont Guillaume de Hainaut, à Gand pour y tenir discussion. Il y fut probablement décidé de mener la campagne en pays de Liège. Outre cela, le comte de Hainaut était vassal de la principauté de Liège et avait donc l’obligation d’intervenir. Cette motivation était associée à l’espoir de pouvoir mettre un terme à cette suzeraineté pesante pour la famille de Guillaume.

Le 11 juillet, Guillaume de Hainaut s’entretint avec le comte de Namur pour s’en faire un allié, mais aussi afin d’obtenir, pour ses troupes, un passage par son comté. Une nouvelle rencontre entre les deux comtes survint le 7 août à Morlanwelz. Guillaume retrouva une nouvelle fois le duc de Bourgogne à Tournai le 14 août. Les princes y décidèrent probablement du déroulement des opérations. Au retour du comte, à Mons, le même jour, l’armée de Hainaut était prête au combat et se lança à l’assaut du pays de Liège. Avant son entrée en territoire ennemi, elle cantonna à Bray et à Péronne tandis que le comte de Hainaut et ses proches ne quittèrent Mons que le 14 septembre.

Un compte de la massarderie de Mons nous révèle que 20 arbalétriers issus de deux compagnies participèrent à l’expédition, 12 du Grand Serment de Mons et 8 de Saint-Antoine. Les premiers furent accompagnés par 2 valets pour les servir et 2 charretiers pour transporter le matériel. En outre, 10 archers prirent aussi part au voyage. Par contre, seuls les frais que les hommes de traits ont effectués y sont mentionnés et les gages n’y figurent pas. Qui plus est, nous possédons aussi un document comptable du receveur des mortesmains de Hainaut qui nous apporte de nouvelles informations sur cette expédition et sur les effectifs qui y participèrent. Nous lisons que, le 12e jour du mois d’août, 70 hommes d’armes et 630 piétons, « archiers et piquenaires » de la châtellenie d’Ath logèrent à Nimy, et ce durant deux jours avant de prendre la route pour le pays de Liège. En ce même lieu, demeurèrent aussi 250 compagnons, à pied et à cheval, de Lessines et de Flobecq et 230 combattants de la châtellenie de Leuze. En outre, pendant la même période, 140 gens de la châtellenie de Bouchain et leur seigneur restèrent à Hornu et 390 compagnons à pied et à cheval originaires de la prévôté du Quesnoy logèrent à Hanneton.

Cela nous donne déjà un effectif total, en comprenant les arbalétriers de Mons, de 1.741 combattants de tous types confondus. A cela il faut ajouter les compagnons du seigneur de Monceau, prévôt de Valenciennes « qui tous estoient a cheval » et dont le nombre n’est pas précisé. Nous avons aussi la mention du contingent emmené par le sénéchal de Hainaut, le seigneur de Jeumont et celui de La Hamaide. Ils conduisirent neuf chevaliers, 49 hommes d’armes à trois chevaux, 11 hommes d’armes à 2 chevaux et 78 archers, au service du comte de Hainaut. En outre, le seigneur de Lalaing vint avec 15 cavaliers et le bailli de Saint-Ghislain en amena sept. Quant au prévôt de Mons, il conduisit 700 compagnons auprès du comte. Cela fait monter l’effectif à 2.616 combattants, dont, de manière certaine, au moins 738 hommes de pied, gens de traits et fantassins, puisque nous ne possédons pas le détail de leur nombre exact, pour certaines de ces troupes.

Nous rencontrons, de nouveau ici, le problème posé par l’indication du nombre de chevaux. Cela nous apporte des réponses quant à une situation rencontrée précédemment. Il apparaît, effectivement, que les hommes mentionnés comme « à deux » ou « trois chevaux » sont des combattants et même des hommes d’armes. A posteriori, cela signifie que nous ne possédons probablement pas la liste de l’entièreté des effectifs qui prirent part à la campagne de 1336, en Prusse. Effectivement, rappelons-le, l’en-tête du compte analysé pour cette expédition mentionnait « hors mis chiaus d’offisse à III chevau et à II chevau qui commenchièrent le samedy devant le sainte katherine. ». Il est donc probable qu’une part du contingent ne se trouvait pas inscrite dans ce document.

Par contre, il faut se poser la question si nous devons compter le nombre de chevaux comme des combattants supplémentaires ou si cela ne fait qu’indiquer l’importance et le statut de l’homme d’armes. Le document comptable sur les dépenses du châtelain d’Ath semble indiquer que le nombre de chevaux est directement lié au nombre de combattants emmenés, ce qui ferait monter le total des soldats ayant participé à l’expédition en pays de Liège à 2.722. Toutefois, cela reste sujet à caution.

A cela, nous pouvons ajouter les effectifs du châtelain de Braine-le-Comte, qui nous sont donnés par l’étude particulière menée sur le rôle de cette châtellenie dans le conflit. Le seigneur conduisit dans cette expédition 25 cavaliers, six lanciers, 10 arbalétriers, 31 archers et 60 « piquenaires ». Il y avait donc une troupe de 133 combattants, en comptant celui-ci. Voilà qui fait monter le total de soldats qui accompagnèrent le comte dans cette entreprise à 2.855 dont 952 gens de pied.

Nous pouvons aussi souligner que des gens du duc de Bourgogne prirent part à cette première « reze », durant les deux premières semaines d’août. En effet, le compte mentionne que les compagnons du sénéchal de Hainaut suivirent le comte « avoec autres signeurs et gens d’armes de par monsigneur de Bourgogne ». Guillaume de Hainaut n’était donc pas totalement seul pour mener cette manœuvre.

Il faut préciser que ni les gages, ni certains détails comme le nombre exact d’archers ou de fantassins ne sont présents dans ce document car celui-ci renvoie, pour ce genre d’informations, à un autre document comptable qui, semble-t-il, serait plus détaillé, mais que nous ne possédons pas. Seules y figurent les mentions des dépenses qui furent effectuées lors du cantonnement des troupes dans les villes précédemment citées, avant et après la campagne et pour l’approvisionnement en nourriture et en poudre. En tout, ces dépenses s’élevèrent à 1412 livres, 14 sous et 6 deniers.

En terre liégeoise, la troupe se mit à ravager villes et campagnes. Les villes de Fontaine-l’Evêque, Marchienne-au-Pont, Châtelet et Fosses furent vouées aux flammes. La manœuvre visait certainement à obliger les Haidroits à quitter le siège de Maastricht pour venir défendre leur terre, mais les choses ne se déroulèrent pas comme le comte l’avait prévu. Son ost n’était pas assez étoffé pour faire face seul aux places fortes liégeoises. Le siège fut mis devant Thuin mais s’éternisa et, désormais, Guillaume de Hainaut jugea la situation trop risquée pour poursuivre les opérations. Le document comptable nous informe que, le 22e jour d’août, les troupes hainuyères étaient de retour à Mons et à Nimy.

La diversion n’eut pas les effets escomptés. Seules les milices urbaines des cités assaillies quittèrent l’armée des Haidroits pour venir secourir leurs villes. Le siège de Maastricht ne fut donc pas levé. Quant aux Bourguignons, leurs préparatifs pour la guerre étaient en cours. Toutefois, Jean sans Peur eut quelques problèmes avec les bonnes villes de Flandre qui ne voulaient pas participer au conflit contre leurs alliés d’hier. En effet, les Liégeois leur étaient venus en aide quand elles s’étaient soulevées contre le comte de Flandre, dans la deuxième moitié du XIVe siècle. Le duc de Bourgogne dut donc les contraindre à obtempérer mais il semble que celui-ci conserva une appréhension vis-à-vis de ces troupes de mauvaise foi. Il fit recruter des mercenaires écossais menés par Alexandre Stuart, comte de Mar et fils du roi d’Ecosse, pour, le cas échéant, suppléer à la défection des milices flamandes. Le duc rallia ses troupes à Nivelles le 15 septembre et fit passer les soldats en revue par le maréchal de Bourgogne et son chambellan. L’ost se mit en marche le 16 septembre.

D’après le compte de la massarderie de Mons, le comte Guillaume avait fait voter une nouvelle aide par les Etats de Hainaut, dans le courant du mois d’août. Celle-ci s’élevait à 30.000 livres, dont 3.900 furent prises en charge par la ville de Mons. Ce document nous apprend que la somme de 3.000 livres était celle qui aurait été « anchiennement acoustumée en tel cas » pour Mons. Mais, encore une fois, la ville décida de payer davantage pour alléger la part des autres villes, « estans sour les frontières dou pays de Liège», qui avaient déjà dépensé beaucoup d’argent pour mettre le comté en défense. Cela confirme donc que les montants des sommes d’argent qui devaient être versés par les différents partis, pour subsidier une campagne militaire, étaient pré-établis par la coutume, proportionnellement à la somme totale accordée par les Etats de Hainaut. Il s’agit ici, pour Mons, d’une participation habituelle de 10% de la contribution globale sans compter le supplément de 900 livres, concédé pour alléger la part des villes frontalières. Ceci explique probablement que Valenciennes ait participé de manière si importante à l’aide précédente. La somme importante que la ville a déboursée devait effectivement avoir été définie par la coutume.

Le comte rejoignit son armée à Piéton aux environs du 13 septembre. Un document comptable nous révèle que, à cette même date, les troupes brabançonnes, constituées d’un total de 137 cavaliers, logeaient à Hal, en attente de l’ordre de départ. Le sénéchal de Hainaut et deux seigneurs emmenèrent, dans cette expédition, 14 chevaliers, 66 écuyers à trois chevaux, 18 écuyers à deux chevaux et 96 archers et arbalétriers. Monseigneur de Jeumont conduisit une troupe de trois chevaliers, 27 hommes d’armes à trois chevaux, 22 à deux chevaux et 22 archers. En outre, nous trouvons aussi, dans ce compte, la mention d’un « cappitaine des bretons » qui fut accompagné par 10 hommes d’armes à trois chevaux, 31 à deux, et 32 archers et arbalétriers. Ces combattants étrangers étaient aussi au « sierviche » du comte de Hainaut. Le sire de La Hamaide emmena deux hommes d’armes à trois chevaux et 16 hommes d’armes à deux chevaux. Le seigneur du Quesnoy conduisit une troupe de 14 « lanches » en plus, ou comprise dans un contingent de 45 chevaux et environ 300 hommes de pied. De plus, 33 nobles cavaliers accompagnés de 320 hommes de pied, archers et piquiers issus de la prévôté de Mons, de la châtellenie d’Enghien et d’autres régions de Hainaut vinrent renforcer les effectifs et cantonnèrent à Binche avant de prendre la route. Quant au contingent hollandais, il s’élevait à 275 chevaliers qui résidèrent aussi à Binche. En outre, une troupe de 250 cavaliers demeura jusqu’au 12 septembre, à Beaumont. Voilà qui nous donne un total de 1.753 combattants de tous types dont plus ou moins 770 gens de pied, y compris, assurément 150 hommes de traits.

Une fois de plus, si nous considérons le nombre de chevaux accompagnant les hommes d’armes comme des combattants à cheval supplémentaires, nous arrivons à un total supérieur de 2.037 combattants à pied et à cheval. A cela nous pouvons encore ajouter les 32 hommes qui furent envoyés par la châtellenie de Braine-le-Comte, ce qui monte l’effectif à 2.069 hommes. En outre, nous lisons aussi qu’un contingent de seigneurs et « pluiseurs autres sierviteurs » du comte de Hainaut résida à Hal. Toutefois, contrairement aux autres troupes, leur nombre exact n’apparaît pas dans le document ce qui m’empêche de les comptabiliser de manière précise. La comptabilité nous indique que tous les hommes servirent le comte pendant une durée de 15 jours pour lesquels ils furent rémunérés. Cependant, le tarif des gages n’apparaît pas ici et, étant donné la variété du type d’unité et la présence de frais divers dans les sommes énoncées, il est impossible de le calculer. Cela est principalement dû au fait que ce compte se base essentiellement sur un autre document qui en donne les détails et notamment les noms et probablement aussi les salaires par personne, mais que nous ne possédons pas. En effet, le comptable y renvoie en écrivant : « siquil appert par les parties contenues oudit quayet ou li non diceux sont plainement escrips. ».

Par contre, comme nous l’avons déjà mentionné, une des notices de ce même document présente la somme des gages pour les « 14 lanches » qui accompagnèrent le seigneur du Quesnoy, durant ces 15 jours. Aucun autre type d’unité n’y est mentionné, ce qui pourrait nous permettre d’en calculer le salaire par homme d’armes. Ces derniers furent payés 91 livres et 10 sous, ce qui nous donne moins d’1/2 livre par lance et par journée. Nous pouvons suivre le même raisonnement concernant le contingent emmené par le seigneur de La Hamaide. Toutefois, pour arriver à un résultat cohérent, il est nécessaire d’y compter effectivement le nombre de « chevaux » comme des cavaliers. Cela dit, le seigneur conduisit une troupe de 38 hommes d’armes qui furent payés 388 livres et 5 sous, pour les 15 jours. Cela constitue une somme de légèrement plus d’1/2 livre par homme et par jour. D’une part, cela conforte l’hypothèse que le nombre de chevaux, mentionné dans le compte comme emmené par les hommes d’armes, doit être interprété comme un nombre de combattants. D’autre part, cela tend à fixer les gages des cavaliers à ½ livre environ.

En outre, à côté de cela, nous trouvons surtout dans ce compte la mention des frais de logement et de bouche occasionnés par le cantonnement des troupes dans les diverses villes déjà évoquées. Mais, ce qui nous intéresse davantage dans le cadre de cette étude, c’est que nous constatons l’évocation des dépenses effectuées pour l’achat de salpêtre et de souffre et concernant le salaire « pour pluiseurs journees, de machons, carpentiers, fosseurs, bombarders, comme autres qui envoyet furent en l’ost ». Ces spécialistes furent payés 254 livres et 6 deniers. Cependant, une fois de plus, le détail de ces gages n’est pas présent dans ce document ce qui ne permet pas d’en calculer la répartition par personne. Par contre, nous savons qu’au final, cette deuxième expédition coûta, à elle seule, près de 46.824 livres et pour toute l’entreprise, le comte dépensa 48.236 livres, 15 sous et 9 deniers.

Les deux princes convergèrent vers Fleurus pour s’y retrouver le 17 septembre et établir le déroulement de la campagne. Les troupes de Jean sans Peur passèrent par le Nord de la Meuse, empruntant la chaussée Brunehaut les menant directement à Tongres et Maastricht, et traversant la Hesbaye tandis que le comte Guillaume de Hainaut et son armée cheminèrent par le Sud du fleuve, passant par l’Entre-Sambre-et-Meuse et à travers le Condroz. Il est possible, étant donné leur destination placée directement sur le fleuve, que les armées aient fait convoyer une partie de leur matériel et vivres par la voie fluviale, profitant en cela de la Meuse pour transporter les éléments les plus lourds. En effet, Claude Gaier atteste de l’emploi de la Meuse comme voie de transport capable de supporter les embarcations et de favoriser le ravitaillement des armées. Toutefois, il leur aurait fallu pour cela remonter le courant en employant le halage et que les conditions aient été favorables à la navigabilité du fleuve. Quoi qu’il en soit, les deux armées firent leur rassemblement, le 22 septembre 1408, à Montenaken situé à une cinquantaine de kilomètres au Sud-Ouest de Maastricht.

Dès le 4 août de la même année, l’élu de Liège avait eu vent du rassemblement d’une armée de libération menée par ses deux parents. A la même époque, le mambour, Henri de Hornes prit connaissance du péril qui guettait l’entreprise des Haidroits. Celui-ci fit tout pour empêcher cette expédition burgondo-hainuyère en territoire liégeois. Il fit parvenir aux princes coalisés des lettres faussement attribuées à Jean de Bavière prévenant de la reddition de Maastricht. En parallèle, les assiégeants firent courir la rumeur dans la ville selon laquelle les princes n’étaient pas en train de mobiliser leurs hommes, jetant le trouble dans la tête des assiégés. Toutefois, aucun de ces artifices ne réussit à stopper la levée des armées en comté de Hainaut et duché de Bourgogne. Dans une dernière tentative désespérée, les chefs des Haidroits envoyèrent des messagers au roi de France afin que celui-ci intervienne dans le conflit en empêchant l’expédition bourguignonne. Le roi répondit favorablement à la demande mais le duc ne tint pas compte de l’action royale. En effet, le 20 septembre, le mambour fut informé de l’entrée de l’ost en pays de Liège et, le lendemain, les Haidroits décidèrent de lever le siège et les milices urbaines durent regagner leurs villes. Seuls les Hutois demeurèrent quelque temps à Liège avant de rentrer chez eux.

(Suite au prochain article)

________________________________________________________________

Vous pouvez maintenant me faire part de vos commentaires sur les différents éléments que je vous ai présentés ici. Vous pouvez aussi me confier vos propres observations sur le sujet et, si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager, à le liker et à me suivre sur “Medium”. Vous pouvez aussi aller faire un tour sur ma page facebook.

En ce qui concerne les sources et les travaux employés pour cet article, je vous invite à aller jeter un œil aux articles “Comment se renseigner sur l’Histoire militaire médiévale ? : ébauche d’une bibliographie”, “[…] les sources éditées sur le comté de Hainaut” et “Approche critique des sources : comment aborder les chroniques médiévales […]

Illustration : enluminure tirée des Grandes chroniques de France, 1390–1405, Bibliothèque nationale de France, Paris, Ms. Français 2608, f°86v.

--

--