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Le logement, ce n’est pas seulement l’affaire des Régions. Des moyens d’action, il y en a aussi à l’échelon local, mais encore faut-il les activer. A la veille des élections communales, nous avons choisi de parler et de faire connaitre des initiatives locales, portées par les élus, qui même très modestement ou avec leurs limites, contribuent à faire progresser le droit au logement. Pour qu’elles donnent à réfléchir et alimentent ceux et celles qui, demain, exerceront un mandat dans une assemblée locale, car si ces initiatives ont le mérite d’exister, elles restent cependant encore trop isolées. Tour d’horizon en 7 épisodes de ce que font les communes bruxelloises pour le logement.

Les communes, et dans une moindre mesure les CPAS, sont aussi des propriétaires de logements. Sur l’ensemble de la Région, ce sont près de 9000 logements publics que ces opérateurs mettent en location ; et pas à n’importe quelles conditions ! Depuis 2008, la Région impose des règles, minimales, qui encadrent les attributions de ces logements : les communes et CPAS doivent préciser les conditions et modalités d’attribution dans un règlement et tenir un registre chronologique des candidatures. Malgré ces avancées vers plus de transparence, les attributions restaient formellement politisées : c’était le Collège des Bourgmestre et Echevins (ou le Conseil de l’action sociale pour les logements des CPAS) qui attribuait les logements disponibles. Mais les choses vont évoluer en 2013, la Région décide de renforcer les obligations des communes et CPAS, en imposant le recours à des commissions indépendantes pour l’attribution de leurs logements.

La pratique molenbeekoise, que l’on peut qualifier de pionnière, se démarque. Ici, l’attribution des logements communaux est soumise à l’avis conforme de la CALC (la bien nommée commission d’attribution des logements communaux), et ce depuis 2009. La CALC, se sont 4 représentants de l’administration communale (les propriétés communales — en tant que gestionnaire des logements — , le développement urbain — en tant que producteur des logements- et le service d’aide aux victimes), du CPAS et de la société de logement social « le Logement Molenbeekois » mais aussi d’associations actives sur la commune (la maison de quartier Bonnevie et, plus récemment, l’Association des Locataires de Molenbeek et Koekelberg : l’ALMK).

Le secteur associatif molenbeekois a toujours plaidé pour sa participation à la concertation locale en matière de logement. Son implication dans la CALC fait suite à une expérience fructueuse similaire, une autre commission « mixte », instaurée dans la commune un an plus tôt : le comité de coordination des logements de transit. Les associations y ont été invitées aussi pour le rôle actif qu’elles jouent dans le procédé, notamment pour ce qui est de l’accompagnement social des locataires en transit. La tâche du comité dépasse la question de l’attribution à proprement parler des logements de transit pour s’intéresser à l’ensemble du dispositif, alors tout neuf, et à son évolution.

L’attribution des logements communaux ne laisse, quant à elle, que peu de place à la discussion car ses règles se veulent non équivoques et sont coulées dans le règlement d’attribution. C’est l’ordre chronologique qui prime, pas de priorités, ni de dérogations[1] à Molenbeek. La CALC contrôle donc la bonne application du règlement pour les nouvelles attributions, dans un souci de transparence et d’indépendance par rapport au monde politique. Ainsi, le Collège des Bourgmestre et Echevin ne fait plus qu’entériner l’avis conforme de la CALC désignant le candidat locataire qui intégrera un logement devenu vacant.

Et ses missions s’étendent au-delà de l’attribution des logements : la commission remet également un avis sur les mouvements de locataires (les mutations et les reconductions de baux). Elle approuve également les radiations des candidats (qui peuvent intervenir par exemple lorsqu’un candidat refuse le logement qui lui est proposé). L’enjeu pour la CALC, c’est de déterminer si le refus est justifié, ou non. Le regard des travailleurs sociaux est alors le bienvenu pour trancher des situations complexes difficiles à dénouer. C’est l’un des domaines ou le pouvoir d’appréciation de la CALC est le plus tangible. Il s’agit bien d’un organe de contrôle, plutôt que de réflexion autour de la gestion du parc communal. Selon les associations, cette fonction pourrait utilement se renforcer. Des moments réflexifs sur certaines difficultés rencontrées lors des attributions ou mutations pourraient nourrir des recommandations pour ajuster la gestion locative.

Pour autant, la commune ne se prive pas de consulter les associations (et pas uniquement celles qui sont représentées au sein de la CALC) lorsqu’elle souhaite revoir les règles de mise en location de ses logements, comme ce fut le cas en 2014 lorsque les règles sur la reconduction du bail et les mutations ont été modifiées.

La CALC en pratique :

Elle est composée de représentants de l’administration communale, du CPAS, de la SISP et des associations locales. C’est le service des propriétés communales qui préside la commission et se charge des rapports.

La CALC rend un avis conforme sur les attributions, mutations, renouvellements de baux et radiations.

En un an (du 1er aout 2016 au 31 juillet 2017), la commission a attribué 23 logements à de nouveaux locataires et autorisé 21 mutations.

La commission se réunit environ toutes les 6 semaines et décide de l’attribution d’environ 4 logements par réunion. Des CALC électroniques sont convoquées pour des attributions sporadiques.

La CALC adopte un avis, sur base du rapport du service des propriétés communales, à la majorité simple des voix. Les absents peuvent voter par mail, avant chaque réunion de la commission.

Le Collège des Bourgmestre et Echevins conserve ses prérogatives et reste en charge de l’attribution des logements. Mais, en 2013, les règles vont changer. A l’occasion de la refonte du Code du logement, la Région va imposer de nouvelles obligations aux pouvoirs locaux. Parmi elles, le devoir de créer une commission indépendante pour l’attribution des logements des communes et des CPAS, en référence au modèle molenbeekois. L’arrêté d’application, qui exécute le chapitre du Code du logement consacré aux logements des opérateurs immobiliers publics, va encore un pas plus loin en apportant des précisions sur la composition des commissions : aucun de leur membre ne peut être titulaire d’un mandat politique. Ce sont donc bien des attributions apolitiques qui s’imposeront désormais partout, une option défendue de longue date par le RBDH.

Sauf que… ces obligations ne sont pas du gout de tous, certaines communes y sont particulièrement réticentes ! Aussi, à peine sont-elles d’application qu’elles sont attaquées par des recours en annulation multiples[2].

Le principal argument mobilisé par les détracteurs de la commission apolitique pour soutenir son annulation renvoie à une atteinte au droit de propriété et de gestion des communes sur leurs propres logements. La Cour constitutionnelle ne retiendra pas cet argument. En revanche, elle va en retenir un autre : celui d’une discrimination des CPAS, par rapport aux communes dans la composition des commissions. En effet, le Code prévoit que les logements appartenant aux communes et aux CPAS doivent être attribués sur avis d’une commission indépendante et c’est le conseil communal qui est compétent pour déterminer la composition et le fonctionnement de cette commission. Ce droit de composer la commission n’est pas reconnu aux CPAS et leur représentation n’est donc pas garantie au sein de la commission communale.

Résultat : Les commissions d’attribution sont tout bonnement annulées ! Sans pour autant qu’aucune objection de la cours sur le bienfondé d’imposer de telles commissions, dans un souci d’objectivité et de transparence, n’ai été relevée.[3]

Depuis lors, il était relativement aisé de réintroduire dans le Code du logement le recours aux commissions d’attribution en prévoyant la représentation des CPAS dans la composition des commissions ou en imposant une commission d’attribution spécifique pour les logements des CPAS. Il aura fallu 3 ans ( !), mais c’est aujourd’hui chose (presque) faite. En février dernier, la Commission logement du Parlement bruxellois a adopté un texte « visant à renforcer la bonne gouvernance dans le secteur du logement public » . Celui-ci (ré)impose la création d’une commission par commune et une par CPAS, sans empêcher toutefois qu’une commune et un CPAS organisent une commission commune.

Malgré ces aller-retours, 12 des 19 communes bruxelloises n’ont pas attendu l’aboutissement des recours pour se doter d’une commission d’attribution (en révisant le règlement d’attribution, généralement sur base du modèle type annexé à l’arrêté d’application). Deux d’entre-elles ont prévu la présence de politiques au sein de cette commission ; elles devront revoir leur copie[4].

La commune de Forest a emboité le pas à Molenbeek et a composé, en 2014, un règlement d’attribution pour les logements du parc communal et, par la même, instauré une commission d’attribution au sein de laquelle l’associatif siège. Ce sont les deux seules communes qui ont opté pour cette composition mixte. Mais la petitesse du parc forestois (35 logements) limite la charge de travail de cet organe qui se réunit dès qu’un logement vacant doit être attribué. La dernière attribution date de 2015, et depuis aucune attribution, et de facto, aucune réunion de la commission.

Les 7 autres communes devront s’adapter aux nouvelles obligations. Ce n’est pas anodin, parmi les 7, on retrouve les 3 communes qui disposent du plus de logements (dans l’ordre : Bruxelles et ses 3509 logements, Saint-Gilles pour 875 logements et Ixelles avec 435 logements). Au total, plus de la moitié des logements communaux sont toujours attribués par les Bourgmestres et Echevins[5]. A Bruxelles, les associations Convivence et le Buurtwinkel militent depuis plusieurs années pour la dépolitisation complète des attributions et la création d’une commission ouverte à l’associatif pour l’attribution des 3500 logements de la Régie de la Ville de Bruxelles[6]. Les nouvelles dispositions renforcent cette demande !

Cette publication est éditée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1] A l’exception des mutations : 5% (calculé sur le nombre de mutations effectuées l’année précédente) des mutations peuvent être dérogatoires par rapport au Registre des mutations, lui aussi chronologique. Cf. Règlement locatif communal.

[2] La commune de Woluwé-Saint-Lambert et le CPAS de la Ville de Bruxelles ont introduit un recours en annulation devant la cours constitutionnelle visant le chapitre du Code du Logement relatif aux règles d’attribution et les communes d’Uccle et de Woluwé-Saint-Lambert, le CPAS de la Ville de Bruxelles et la fédération des AIS ont introduit un recours en annulation de l’arrêté d’application auprès du Conseil d’Etat.

[3] L’arrêté d’application sera, lui aussi, annulé par le Conseil d’Etat. Toujours pas sur le fonds, mais bien sur la procédure : le texte a été adopté le 27 juin 2014 par un Gouvernement en “affaires courantes” or l’arrêté attaqué ne relève pas de la notion d’ “affaires courantes”, selon le jugement du Conseil d’Etat. Depuis, en décembre dernier, le Conseil des Ministres a approuvé un « nouvel » arrêté d’application qui réaffirme le caractère apolitique des commissions d’attributions

[4] A Koekelberg, la Commission est composée de 4 membres : 3 membres sont issus du Conseil communal, suivant l’application de la règle proportionnelle et non-membres du Collège des Bourgmestre et Echevins et un membre est désigné en sa qualité de conseillèr(e) et gestionnaire des logements, avec voix consultative. Cf. Commune de Koekelberg, Règlement d’attribution des logements communaux

A Saint Josse, les choses sont un peu différentes. L’Echevin du logement n’est pas à proprement parler membre de la commission mais il assiste à ses réunions. Cf. Règlement d’attribution des logements communaux de la commune de Saint-Josse-ten-Noode

[5] Ou par le conseil de l’action sociale pour ce qui concerne les logements des CPAS. Ici aussi, Bruxelles se détache nettement : sur les 2372 logements des CPAS de la Région bruxelloise, 2100 appartiennent au CPAS de Bruxelles (chiffres 2014). Source : O. EVRARD, « Les communes et la production de logements à caractère social », dans : Trait d’union, 2016/04, p.7

[6] Pour plus d’informations, voyez l’article de l’Avenir, du 13 janvier 2016 : Le logement public: une loterie? Le quartier Anneessens le croit

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