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Dernière analyse du genre, nous bouclons notre tour des communes en nous concentrant cette fois sur la question de la production de nouveaux logements à l’échelle locale. Les communes peuvent, avec une dose de bonne volonté, faire progresser l’offre de logements, publics et bon marché s’entend, sur leur territoire. Situations pour le moins contrastées.

Ouverture aux plans régionaux

On compte environ 9% de logements publics à Bruxelles, une proportion bien trop faible. Leur répartition est très inégale entre communes. Plusieurs d’entre elles sont à la traîne, comme le montre la carte suivante.

La Région tente des rééquilibrages, au travers de ces plans logement principalement, mais avec un succès très relatif. Ces grands programmes de construction visent plusieurs milliers de nouveaux logements. Sociaux mais pas que.

La Région est maître d’œuvre des projets et les subsidie, mais les communes sont encouragées à mettre des terrains à disposition pour permettre les constructions. Et si ce n’est pas le cas, parce que le foncier communal fait défaut, la Région mise toutefois sur la collaboration des communes pour faire aboutir les projets sur des terrains appartenant à d’autres opérateurs. Or, à plusieurs reprises, on a vu des communes se braquer contre l’arrivée de nouveaux logements, surtout lorsqu’ils étaient sociaux.

La localisation des logements qu’il reste encore à produire — et ils sont nombreux, les programmes ayant bien du mal à aboutir — mettent à l’avant-plan quatre communes qui, à elles seules, devraient accueillir près de 70% des nouvelles habitations dans les prochaines années.

Le fait de retrouver Anderlecht et Bruxelles-Ville en première et deuxième position n’a rien d’étonnant, puisqu’il y a là-bas du potentiel foncier que d’autres communes plus petites et bien plus denses n’ont pas. On notera tout de même que les 4 communes les plus sollicitées sont celles qui relèvent déjà de multiples défis sociaux, que nous savons injustement distribués entre entités bruxelloises.

La position de Schaerbeek est intéressante car la commune n’a pas beaucoup de logements publics. Le fait de participer à la dynamique régionale montre une volonté d’avancer. Molenbeek n’est pas en reste. La commune est la seule à avoir signé un contrat logement avec la Région en 2013, pour s’approcher localement des 15% de logements publics à finalité sociale, vers lesquels la Région voulait tendre à l’époque. Entre-temps, changement de majorité politique aidant, le pouvoir régional a renoncé aux quotas vis-à-vis des communes, mais Molenbeek a maintenu une politique d’ouverture et de progression pour le logement public.

Les contrats de quartier

Quand elles souhaitent produire elles-mêmes du logement, les communes peuvent se tourner vers les subsides régionaux, et notamment ceux des contrats de quartier (CDQ). Pas toutes cependant, puisque l’aide de la région est polarisée dans les quartiers centraux, où le bâti est souvent plus ancien et plus dégradé. Les communes de seconde couronne sont donc pour la plupart hors périmètre d’action.

Depuis la création des CDQ en 1993, 1722 logements ont été produits, principalement des logements assimilés à du logement social[1], donc abordables. Ce qui est marquant dans ces programmes, c’est le fait que des communes avec très peu d’opportunités de production, arrivent quand même à tirer leur épingle du jeu et à faire évoluer leur parc.

On pense à une commune comme Ixelles, où la densité résidentielle est forte et les valeurs immobilières parmi les plus élevées du pays. La rareté du foncier et son cout compliquent les projets communaux.

Avec 4 contrats de quartiers achevés, Ixelles a produit seule ou en collaboration avec le privé, 152 logements[2] dont 136 logements locatifs assimilés à du logement social. Les deux contrats de quartier en cours — Maelbeek et Athénée[3] — devraient permettre de rehausser ces chiffres : 26 unités de logement prévues dans chaque contrat de quartier, dont une partie de logements moyens. C’est bien loin derrière des communes comme Bruxelles ou Molenbeek - respectivement 600 et 300 logements jusqu’en 2014 -, mais pas si mal vu le contexte étriqué et la cherté de la commune.

Il existe d’autres subsides régionaux[4], ceux-là accessibles à toutes les communes bruxelloises et aux CPAS, destinés à l’acquisition et/ou à la rénovation de logements. Les opérations sont plutôt bien subsidiées par la Région. La part régionale a été relevée en 2016, couvrant désormais 85% des frais (éligibles) à charge des communes, voire plus dans certains cas. Les logements créés sont tous socialisés (logement social+20% et loyers AIS). Certaines communes bruxelloises n’ont pourtant jamais fait appel à ces aides, le logement à caractère social n’étant pas une priorité.

Les charges d’urbanisme

Autre manière de faire du logement public, mettre le secteur privé à contribution au travers des charges d’urbanisme. Depuis 2013, la production privée de logements (projets de + de 1000 m²) n’y échappe plus. Ces charges, qui conditionnent la délivrance du permis d’urbanisme, sont acquittées par le promoteur en espèces ou en nature. En nature, ce sont de nouveaux logements (privés ou publics)[5], proposés à des conditions inférieures au prix du marché. Les communes, comme autorité délivrante, peuvent encourager les charges en nature.

En 2012, Ixelles avait joué un rôle précurseur en la matière, en imposant, suite à une forte mobilisation citoyenne et associative, des charges en nature à la société TD Immo Invest (Prowinko) sur l’ilot Toison d’or, destiné à accueillir principalement du logement de standing et de nouvelles surfaces commerciales. Le promoteur s’était engagé à céder, à titre gratuit, trois immeubles rénovés, soit 12 logements. La commune a réceptionné le tout en 2015 : 8 logements sociaux et 4 moyens. C’est une opération tout à fait singulière à l’échelle locale, antérieure à l’arrêté de 2013 — donc antérieure à l’obligation de ‘‘charger’’ les logements -, elle a permis de produire de nouveaux logements sociaux, ce qui semble aujourd’hui complètement illusoire avec le dispositif en place.

Cela fait maintenant plusieurs années que les projets privés de logement génèrent des charges d’urbanisme, mais les pratiques des communes en la matière restent mal connues. La Région est censée tenir un registre des charges, incluant leur montant et leur nature, mais à ce jour celui-ci n’est ni complètement opérationnel, ni public, alors qu’il s’agit pourtant d’une obligation légale[6]. Résultat : pas de vue d’ensemble sur la question, ni de transparence sur la manière dont les charges sont négociées.

Les précisions manquent, mais une tendance se dessine néanmoins du côté communal, celle de privilégier les charges en numéraire plutôt qu’en nature, permettant ainsi une plus grande marge de manœuvre au niveau local. Si les charges payées par le promoteur doivent être affectées en priorité à des investissements en faveur du logement, dans les faits elles servent souvent à d’autres choses, notamment à des équipements collectifs ou à la mobilité par exemple.

Bizarrement aussi, le législateur régional, qui semblait pourtant vouloir pousser la production de logements via les charges d’urbanisme, a mis en place un dispositif qui, pour les promoteurs, rend moins couteux le fait de payer plutôt que de construire ou de rénover des logements. Il y a donc un équilibre à rétablir du côté de la Région, si elle veut faire des charges d’urbanisme un outil pour le logement, un outil dont les communes s’emparent aussi. Dans la foulée, la législation devrait prioriser la production de logements sociaux, car si des logements sortent de terre grâce aux charges d’urbanisme, ce sont surtout des logements moyens.

Les charges d’urbanisme restent malgré des obstacles à lever au niveau régional, une voie à emprunter pour faire du logement public. La promotion immobilière privée ayant le grand avantage d’aboutir plus vite dans ses réalisations. La commune d’Ixelles avait montré la voie avant l’heure. Une politique communale volontariste est plus que nécessaire pour progresser dans cette matière.

Cette publication est éditée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1]Il s’agit de logements réservés aux personnes dont les revenus ne dépassent pas le seuil d’accès du logement social+20%. Depuis 2010, les logements sont loués aux conditions de loyers AIS, garantissant ainsi leur accessibilité.

[2]Le Fonds du logement est partenaire des contrats de quartier à Ixelles. Il y a produit 31 logements, pour la plupart destinés à la vente. Les chiffres mentionnés dans le texte proviennent de calculs propres, effectués à partir de données transmises aimablement par le service ixellois de la rénovation urbaine.

[3]A Maelbeek, certains chantiers sont en cours. Le CDQ Athénée est évidemment moins avancé et des changements sont encore possibles (avant-projets).

[4]Il s’agit des dispositifs régionaux immeubles isolés et immeubles abandonnés qui ont été fusionnés en 2016 et intégrés aux instruments de revitalisation urbaine. Réf. : Ordonnance organique de la revitalisation urbaine du 6 octobre 2016, volet politique de la ville par l’aménagement du territoire. Voir aussi notre analyse précédente.

[5]Ce sont soit des logements conventionnés, soit des logements encadrés. Le logement encadré est donné en location, acheté ou construit par ou pour un opérateur immobilier public ou une A.I.S.; le logement conventionné, lui, est attribué à des ménages à revenus moyens.

[6]La création d’un registre des charges d’urbanisme est inscrite au COBAT depuis 2002. En janvier 2018, Le Ministre-Président Rudy Vervoort interpellé en commission du développement territorial sur cette question a déclaré que le registre ‘‘était en cours de finalisation’’.

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