S’il y a bien une problématique sur laquelle tout le monde s’accorde sur la nécessité d’agir, c’est l’inoccupation. Des logements vides, il y en a dans toutes les communes. Beaucoup trop. Mais des outils pour faire réoccuper, il y en a aussi. Ils se trouvent pour partie dans le Code du logement et les communes peuvent s’en saisir. La Ville de Bruxelles les utilise tous (ou presque). Coup d’œil sur une approche intégrée.

Chaque commune bruxelloise est censée tenir un inventaire des logements vides. C’est ce que prévoit le Code du logement. Toutes n’en font pourtant pas une priorité. Ces dernières années, la Ville de Bruxelles a développé une connaissance fine du phénomène sur son territoire, grâce à un recensement systématique dans tous les quartiers et à une base de données partagée entre services. Si au départ, ce sont surtout les quartiers du centre-ville qui étaient visés, l’action a été étendue par la suite à Laeken, Neder-over-Heembeek et même Haren. Le dernier repérage visuel date de fin 2017[1], il a duré deux mois et mobilisé deux équivalents temps plein engagés pour l’occasion.

Les adresses identifiées par le recensement sont soumises à de multiples vérifications, via une application informatique partagée, en simultané, entre services de l’urbanisme — la problématique des logements vides est par ailleurs rattachée à ce service avec 2 ETP — de la population, des finances et le service juridique de la Ville. Ce dernier se charge d’instruire d’éventuelles actions en justice contre les propriétaires. Le croisement de données va permettre de vérifier l’historique du bien (actions déjà menées…), confirmer le vide (pas de domiciliation par exemple, le bien est déjà taxé…) et d’écarter d’éventuelles raisons légitimes à l’inoccupation (permis d’urbanisme introduit qui annonce de futurs travaux…). Grâce à l’application informatique, chaque adresse peut être facilement monitorée, ce qui permet en outre de dégager des évolutions, quartier par quartier.

Pour déployer cette mise en réseau, la Ville de Bruxelles utilise des subsides régionaux, ceux de l’appel à projets observatoires communaux, lancé en 2016 et renouvelé depuis lors chaque année par la Ministre du logement. L’enveloppe s’élève à 25.000€/an par lauréat. En 2017, 10 autres communes en ont aussi bénéficié. Toutes ne vont pas vers les mêmes développements que la Ville de Bruxelles mais l’objectif du financement reste bien l’identification des logements vides.

L’inventaire de la Ville ne cible pas que les logements mais tout type de bâtiment vide (bureaux, entrepôts, commerces…), ainsi que les terrains à l’abandon. Au total, en 2015, ce sont plus de 1000 adresses qui ont été répertoriées dont 600 immeubles. L’inventaire est transmis annuellement à la Région. Peu de communes respectent cette obligation de transmission, ce qui est problématique dans la mesure où la lutte contre les logements vides est aussi et surtout une compétence régionale.

Source : département de l’urbanisme, cellule planification, Ville de Bruxelles

La Ville de Bruxelles taxe les immeubles inoccupés. Cette année, 180 biens ont été taxés dont 146 logements. La taxe est effective bien qu’elle devrait pouvoir se déployer davantage vu la taille de l’inventaire[2]. C’est de l’avis des responsables, un outil capable de faire bouger certains propriétaires.

Il faut savoir qu’il y a quelques années encore, toutes les communes bruxelloises possédaient un règlement-taxe contre l’inoccupation. L’existence d’un règlement n’impliquait cependant pas toujours qu’il soit mis en œuvre, ni que la taxe ait un effet réel sur la réoccupation des logements. C’est l’absence de réaction de certaines communes ou leur difficulté à prioriser la chasse aux logements vides qui ont conduit à la création d’un service régional, sur papier dès 2009 et dans les faits en 2012. Un service habilité à poursuivre les propriétaires indélicats, dans toutes les communes, en leur imposant des amendes administratives salées.

Pour encourager les communes à collaborer — à transmettre des plaintes à la Région (des adresses de biens présumés vides) — le législateur de 2009 a convenu que les communes se séparant de leur règlement-taxe pour l’amende régionale, se verraient rétrocéder 85% du produit de l’amende. Avec en tête, l’objectif d’arriver enfin à mobiliser les communes les moins actives. A ce jour, 10 communes (et bientôt 11) ont franchi le pas.

La Ville de Bruxelles a conservé son règlement, estimant sans doute posséder avec sa taxe, un outil efficace pour faire face à une problématique prioritaire au niveau local, ce qui ne l’empêche cependant pas de collaborer avec le service régional. Ce qui est en effet regrettable pour toutes celles qui ont maintenu leur taxation[3], à l’exception d’Auderghem depuis peu, c’est d’ignorer l’outil régional.

La stratégie adoptée à Bruxelles est d’abord de taxer. Le recours à la Région est envisagé dans un second temps, si le propriétaire ne fait pas mine de bouger. C’est alors l’effet cumulatif (taxe+amende)[4] qui est recherché pour tenter de faire évoluer les choses. La collaboration entre la Ville et la Région est récente. En 2016, 42 plaintes ont été envoyées à la cellule régionale, 15 en 2017 et 78 sont en cours d’examen et doivent encore fait l’objet d’une approbation par le Collège.

L’amende administrative régionale est un volet seulement des réformes introduites en 2009 dans le Code du logement. L’action en cessation en est un autre. On parle ici de la possibilité d’intenter une action en justice contre un propriétaire, suivant une procédure en référé (en urgence) pour le contraindre à faire réoccuper son bien. Si la sanction financière ne suffit pas à faire entendre raison au propriétaire, la condamnation judiciaire va l’y forcer. Les communes peuvent initier ce type de démarche[5]. Cette option-là n’est évidemment pas la première à activer en cas d’inoccupation, mais elle est néanmoins utile quand rien d’autre ne donne de résultat.

C’est la Ville de Bruxelles qui s’est lancée la première. Fin 2011, d’abord, pour un immeuble fortement dégradé, situé rue du Bon secours dans le centre-ville et laissé à l’abandon depuis plusieurs années, malgré les multiples tentatives des services communaux pour faire évoluer la situation. Le jugement a été prononcé par défaut à peine deux mois plus tard et en faveur de la Ville. En 2012 ensuite, pour un bien avec rez commercial dont les étages étaient inoccupés[6], rue Marie-Christine à Laeken. Là encore, l’inoccupation n’était pas récente. Les propriétaires contestaient l’affectation des étages en logement. Le juge leur a donné tort. L’action a été plus longue, près d’un an, du fait d’une procédure en appel.

Les propriétaires ont été, dans les deux cas, condamnés à réaliser les travaux nécessaires et à faire réoccuper dans des délais imposés par le Juge, sous peine d’une astreinte de 250€ par jour de retard. Les étages de la rue Marie-Christine ont été reloués, mais pas ceux de la rue du Bon Secours[7]. La Ville de Bruxelles s’apprête à réclamer les astreintes (qu’elle aurait dû réclamer depuis longtemps déjà), ce qui, vu les montants concernés, devrait mener à une vente publique.

On le voit, la procédure peut être lente dans certains cas et ne mène même pas toujours, à court terme, à une remise en location, mais elle envoie un signal fort aux propriétaires contre l’impunité. La menace d’une action en cessation a clairement un effet dissuasif sur les plus récalcitrants qui savent désormais que la commune pourrait aller jusqu’au bout. Chaque année, plusieurs propriétaires sont mis en demeure de faire cesser l’inoccupation, au risque, dans le cas contraire de se voir condamner en justice et visiblement, ça marche. Des solutions sont dégagées avant de devoir en arriver là. Actuellement à Bruxelles, 8 dossiers sont au stade de la mise en demeure.

La Ville de Bruxelles n’est pas la seule à avoir utilisé ce dispositif. Les communes de Schaerbeek et de Molenbeek ont chacune eu recours à l’action en cessation et ont gagné. Toutes les opérations entreprises jusqu’à présent ont abouti en faveur des communes, toutes concernaient des situations enlisées depuis des années. Un constat positif qui devrait motiver d’autres communes, d’autant qu’elles ont toutes les cartes en main pour réussir : prouver l’inoccupation d’un logement, connu, bien souvent depuis des années par les services communaux, est à la portée de toutes.

Le CPAS de Bruxelles est aussi actif dans la lutte contre le vide, via Renobru, l’ancien projet x. Si, historiquement, cette association a priorisé la rénovation de logements insalubres occupés, via des opérations-tiroirs et toujours en partenariat avec les propriétaires, elle s’ouvre désormais et de plus en plus à des actions visant des logements inoccupés, nécessitant travaux avant remise en location. Des opérations moins complexes puisqu’elles n’impliquent pas de devoir reloger temporairement les locataires.

Depuis son lancement en 2005, l’association a rénové 289 logements. Les évolutions récentes n’ont pas entamé ses missions premières : rénovation, formation professionnelle[8] et socialisation du parc. Renobru intervient dans le périmètre des contrats de quartier. Le subside contrat de quartier (financé par la Région mais aussi par la Ville) couvre une partie du cout des travaux[9] (65%), hors main d’œuvre. Le reste est avancé par le CPAS et remboursé progressivement par le propriétaire sur les loyers. En contrepartie, ce dernier cède la gestion de son bien, soit au département des propriétés du CPAS, soit à l’AISB (l’agence immobilière sociale à Bruxelles) pour une durée de 9 ans minimum. Dans tous les cas, les loyers sont calqués sur la grille AIS et sont donc relativement bas.

Renobru collabore étroitement avec la cellule logements vides de la Ville. L’inventaire des immeubles vides est partagé de manière à ouvrir des opportunités pour la rénovation. Renobru constitue l’argument incitatif vis-à-vis des propriétaires parmi une série de mesures plutôt coercitives. L’action de Renobru devrait pouvoir s’étendre à l’ensemble du territoire, grâce aux subsides de la Politique de la Ville avec en ligne de mire, la rénovation de bâtiments acquis par le CPAS ou la commune via ce financement régional. Et cela, en complément des interventions réalisées dans les contrats de quartier.

Renobru est une structure atypique dans le paysage régional, solidement soutenue et par la Ville et par son CPAS. C’est ce qui lui permet d’avoir une telle envergure, avec une cinquantaine de travailleurs (personnel encadrant et ouvriers) à sa disposition.

L’action de Renobru ressemble en pratique à un autre dispositif prévu dans le Code du logement, celui du droit de gestion publique. Sur le fond, l’objectif est cependant tout autre, le législateur visant dans ce cas précis à sanctionner le propriétaire face à son immobilisme, en lui retirant temporairement l’administration de son ou de ses logement(s).

Si la prise en gestion (publique) peut être conclue à l’amiable, elle peut aussi être imposée en cas de refus de coopérer. Le CPAS de Forest a déjà usé à plusieurs reprises de ce droit, mais toujours en accord avec les propriétaires, de même pour Saint-Gilles. A ce jour, la Ville de Bruxelles est la seule commune de la Région à l’avoir appliqué, en 2016, de manière contrainte et ce, vis-à-vis d’un immeuble appartenant à un multipropriétaire resté sourd à toutes les propositions et sanctions. Il aura fallu plus de deux ans pour que la procédure aboutisse. Tout récemment, la Ville de Bruxelles a obtenu son permis d’urbanisme pour entamer des travaux de rénovation importants et couteux (343.000€), pour 4 studios[10].

Il faudra 28 ans à la Ville de Bruxelles pour récupérer — sur les loyers — tous les frais engagés auprès du propriétaire. Mais aussi 28 ans pour que ce dernier puisse à nouveau gérer souverainement ses propriétés[11].

L’opération est lourde, longue et couteuse pour la Ville — néanmoins rendue possible grâce à la capacité financière, technique et aux moyens humains de sa régie — mais ce qu’il faut en retenir, c’est sa symbolique et son côté exemplaire qui ne manquera pas d’effrayer tous les propriétaires attachés à leur patrimoine.

C’est donc aussi et surtout un moyen de pression pour faire revenir les propriétaires dans le droit chemin. L’inventaire des biens vides dont il a été question plus haut permet à la régie foncière de la Ville d’identifier des logements qui pourraient aboutir à une prise en gestion. L’année dernière, quatre propositions ont été faites à des propriétaires. Les quatre ont trouvé à se résoudre autrement.

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut lutter contre les logements vides. La problématique concerne toutes les communes. Il existe des moyens pour le faire pour peu qu’on veuille bien les utiliser. Leur efficacité réside justement dans leur combinaison.

Nous remercions la cellule planification du service de l’urbanisme de la Ville de Bruxelles et Renobru qui ont aimablement accepté de nous éclairer sur le sujet.

Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1]Le repérage sur le terrain a lieu tous les deux ans ce qui, de l’avis des travailleurs de la cellule ‘‘inoccupés’’ à l’urbanisme, est insuffisant.

[2]Certains immeubles sont exonérés de la taxe parce qu’une demande de permis d’urbanisme a été introduite ou qu’une vente est en cours. En ce qui concerne les étages vides au-dessus des commerces, il est souvent difficile de déterminer s’ils servent ou pas d’espace de stockage indispensable au bon fonctionnement de l’activité commerciale et s’ils doivent dès lors, être taxés ou pas.

[3]Auderghem, Berchem, Ville de Bruxelles, Etterbeek, Jette, Saint-Gilles, Uccle, Woluwé-Saint-Lambert. Ganshoren est sur le point de basculer vers l’amende régionale.

[4]La taxe et l’amende peuvent coexister. Ce fait a été confirmé par un arrêt de la Cour constitutionnelle de 2010 (arrêt 91/2010). Le cumul n’est pas considéré comme une double sanction car taxe et amende poursuivent des objectifs distincts : la levée d’un impôt pour la première, la répression d’une infraction — laisser un immeuble vide — pour l’autre.

[5]Le Code du logement prévoit que seules les autorités administratives et les associations agréées spécialement à cet effet par le Gouvernement et ayant pour objet la défense du droit au logement, sont autorisées à mener des actions en cessation. Elles sont introduites auprès du Tribunal de première instance statuant comme en référé.

[6]La problématique des étages vides au-dessus des commerces est difficile à solutionner, notamment en l’absence d’un accès séparé. Pour encourager les propriétaires à faire des travaux pour restaurer l’accès aux étages, la Ville de Bruxelles octroie une prime. D’autres communes font de même.

[7]La réalité est plus complexe. Certains logements sont à nouveau loués mais dans des conditions déplorables, les travaux imposés par le juge n’ayant pas été réalisés.

[8]Renobru forme des personnes peu qualifiées aux métiers de la construction. Elles sont engagées sous contrat article 60 par le CPAS.

[9]L’association se charge de la rénovation intérieure des logements. Les gros travaux de toiture, de structure… restent entièrement à charge du propriétaire.

[10]Le préfinancement régional, via le fonds droit de gestion publique, n’a pas été possible vu la hauteur des sommes à engager. La Région préfinance en effet les travaux à concurrence de 50.000 euros maximum par unité de logement.

[11]A moins qu’il n’en reprenne la gestion avant, en remboursant la totalité des frais d’une seule traite.

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