Mes 4 astuces préférées pour manipuler des gens intelligents

Jonathan Sabbah
5 min readMay 13, 2018

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Les diverses formes de bullshit que l’on a vues jusqu’à maintenant ont cette particularité remarquable de gagner en efficacité si vous les mixez avec des astuces garanties 100 % malhonnêtes.

Besoin de manipuler un auditoire ? De masquer votre totale ignorance du sujet de la conversation ? Ou bien avez-vous simplement envie d’écraser vos adversaires de débat ?

Dans tous les cas, servez-vous, c’est cadeau !

#1 : La profondité

Au cours de la discussion, lâchez de profondes-absurdités (ou profondités) telles que :

« L’âge n’est qu’un nombre ».

L’astuce vient de la confusion entre deux sens :

  • Le sens 1, littéral, est indiscutablement vrai, mais banal (l’âge est bien un nombre, en effet).
  • Le sens 2 qui sous-entend que l’âge ne compte pas du tout, est certainement plus profond… mais aussi plus faux. Pensez par exemple aux subtiles différences physiques et mentales entre le père Fouras et votre petite nièce de 2 ans.

Et si jamais on vous jette une profondité à la figure, n’hésitez pas à répondre qu’une prison n’est qu’un bâtiment.

#2 : La polysémie

Trompez votre auditoire en employant sciemment le même mot dans deux sens différents. Non seulement l’auditeur sera convaincu par votre propos, mais en plus, il vous trouvera très intelligent.

« Vous acceptez sans difficulté les miracles de la science : pourquoi devenez-vous soudainement si critiques quand il s’agit de ceux de la Bible ? »

Le mot miracle confond ici les deux définitions suivantes :

  • Définition 1 : Fait, résultat étonnant, extraordinaire, qui suscite l’admiration
  • Définition 2 : Phénomène interprété comme une intervention divine.

Bonus : la profondité polysémique

Mixez cette astuce avec une profondité et faites des étincelles !

« La théorie de l’évolution n’est qu’une théorie »

  • Le sens 1 est vrai, mais trivial. À peu près aussi intéressant que de dire qu’une chaise bleue est une chaise.
  • Le sens 2 est profond, mais faux. En effet, il amalgame les « théories » au sens d’hypothèses non testées (langage courant) avec les « théories » au sens de thèses argumentées (langage scientifique).

#3 : Les mots sont vos alliés

Faites comme l’Arabie Saoudite, changez le sens des mots quand vous en ressentez le besoin.

Pendant longtemps, l’image photographique était interdite pour des raisons religieuses. Malheureusement, les recherches de pétrole nécessitaient des prises de vue aériennes. C’est ainsi que le Roi Ibn Saud a convoqué l’Ulema, un groupe de théologiens musulmans qui exercent une grande influence sur la moralité publique et lui a fait statuer que la photographie n’était finalement pas une image, mais une combinaison de lumière et d’ombre qui décrit sans les violer les créatures d’Allah.

Bonus : le néologisme

Appropriez-vous une vieille idée en lui offrant un nouveau mot, de cette manière vous aurez l’air moderne et précurseur :

« plus qu’un innovateur, devenez un innovacteur »

Le conférencier et essayiste Idriss Aberkane est passé maitre dans l’usage de cette astuce. Pour cacher l’absence de profondeur (voire la fausseté) de son argumentaire, il a mis sur pieds des dizaines de mots à l’aspect indiscutablement scientifique : neurodroits, neurochronologie, neuro-infirmité, neuro-inspiration, neurocybernétique, neuronaissance, neuropsychologie, neurophénoménologie, neurofascisme, neurodatasome…

Comme Neuro-Idriss, conservez un certain flou autour de la définition, chacun y trouvera ce qu’il y cherche.

#4 : La Causalité Factice

Moins une astuce qu’un piège à éviter dans vos propres raisonnements, la Causalité Factice consiste à confondre éhontément causalité et corrélation. Comme vous vous en doutez surement, la présence de parapluie dans les rues est fortement corrélée avec celle de la pluie. Et bien, pour caricaturer, la Causalité Factice vous pousserait à sous-entendre que les parapluies en sont la cause !

Là où cette astuce prend tout son sens, c’est que dans beaucoup de cas, on a bien du mal à identifier les causalités. Par exemple, on sait grâce de nombreuses études que la consommation de cannabis est corrélée avec de mauvais résultats scolaires. Mais le cannabis en est-il vraiment la cause ?

Il est possible aussi que les mauvaises notes poussent à fumer…

…ou alors que les gens plus sociables tendent à la fois à fumer et à négliger leurs études.

On peut également imaginer que les trois hypothèses soient correctes en même temps…ou qu’aucune ne l’est ! En effet, la corrélation ne prouve pas grand-chose en soi. Si je vous disais par exemple que le nombre de pompes que j’arrive à faire est parfaitement corrélé avec la durée de démarrage de mon ordinateur, vous n’y verriez qu’une coïncidence, non ?

Ah et n’excluons pas trop vite les multiples autres combinaisons possibles (64 au total).

Profitez donc de cette situation pour choisir l’hypothèse qui vous arrange !

La suite à découvrir dans “L’art délicat du bullshit” 👇

Sources

Baillargeon, N., & Charb(2005).Petit cours d’autodéfense intellectuelle. Montréal : Lux.

http://www.scilogs.fr/raisonetpsychologie/baratin-a-francaise/

Cavender, N., & Kahane, H.(2009).Logic and contemporary rhetoric: The use of reason in everyday life — 11th edition. United States: Wadsworth Publishing Co

http://rationalwiki.org/wiki/Deepity#cite_note-santi-1

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