La vente aux enchères des JO, du SuperBowl et de la Coupe du monde de Foot : le modèle économique pour diffuser ces événements sportifs (partie 1)

Maxime Kurdali
10 min readJul 27, 2020

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La coupe du monde au Brésil : un coup de boost pour BeinSport en termes d’abonnés (50% supplémentaires)

Rappel : Les droits TV jouent un rôle majeur dans l’économie du sport professionnel. Ces droits TV génèrent près de 10 milliards par saison rien que pour les 5 grands championnats européens de football. Pour en savoir sur le marché des droits TV, vous pouvez consulter mon précédent article : Comment les championnats européens de football ont dépassé le milliard en droit TV ?

Je vais maintenant aborder la partie analytique de la distribution des droits TV dans trois articles.

Dans le premier article (celui-ci) : Le modèle économique de la diffusion des événements sportifs.

Dans le deuxième article : une approche théorique des appels d’offre pour obtenir les droits : les mécanismes d’enchère.

Dans le troisième article : l’optimisation du montant des droits TV par les ayant droits : le prix minimum et la redevance.

Pour obtenir le droit de diffuser des événements sportifs, les diffuseurs passent par une vente aux enchères.

Mais qu’est-ce qu’une vente aux enchères ?

Une vente aux enchères est un mécanisme structuré de négociation par lequel un agent économique (vendeur ou acheteur) met en concurrence plusieurs autres agents, durant un laps de temps limité, en vue de leur vendre ou de leur acheter des biens ou des services aux meilleures conditions. La finalité d’une vente aux enchères consiste à déterminer de manière objective le prix de réalisation d’une transaction commerciale.

Les acteurs sur le marché des droits TV

Lors d’une enchère pour les droits TV des événements sportifs, nous avons deux acteurs distincts :

  • Les vendeurs qui correspondent aux détenteurs des droits TV comme la LFP (Ligue Professionnel de Football) qui s’occupent de vendre les championnats nationaux en France. Généralement, l’entité qui gère et organise la compétition.
  • Les acheteurs qui correspondent aux diffuseurs qui sont généralement des chaînes de télévision comme Canal +, Bein Sport, RMC Sport, Eurosport etc.

Cette procédure d’enchère permet d’obtenir beaucoup de revenus pour la vente des droits TV, mais ne garantit pas le succès.

Beaucoup de facteurs rentrent en compte et les chaînes de télévisions ne contrôlent pas tous ceux qui influencent leurs revenus. Il existe plusieurs procédures d’enchère et des outils comme la mise en place d’un prix minimum ou d’une partie variable afin de rassurer les acheteurs et/ou de modifier la répartition des gains entre l’acheteur et le vendeur. Ces éléments seront développés dans le deuxième et troisième article consacré à l’analyse des droits TV.

L’emballement inflationniste des droits TV couplé à l’incertitude inhérente liée aux enchères ont entraîné plusieurs échecs pour les chaînes de télévision. Les coûts pour obtenir les droits de diffusion se sont révélés parfois excessifs par rapport aux revenus générés.

Nous avons donc assisté plusieurs fois à la malédiction du vainqueur (1971 par Capen, Clapp et Campbell) qui est une situation où le vainqueur de l’enchère fut trop optimiste quant à son évaluation de la valeur des droits par rapport à sa valeur réelle qui est quant à elle inférieure. Ainsi, le vainqueur subira des pertes malgré qu’il ait remporté l’enchère.

Ces échecs ont entraîné une restructuration du marché du côté de la demande suite à la banqueroute de ITV digital au Royaume Uni et de Kirch media en Allemagne mais également plusieurs fusions entre diffuseurs italiens et espagnols.

Ainsi, le marché s’est concentré en ayant moins d’acteurs susceptibles d’acheter des programmes pour les détenteurs des droits TV. Cette concentration entraîne deux effets inverses :

  • L’effet négatif est qu’il y a moins de concurrence avec la concentration du marché donc le montant des enchères est tiré vers le bas.
  • L’effet positif est qu’il y a moins de chaînes donc les événements diffusés sont plus profitables car les téléspectateurs sont dispersés sur moins de chaînes qu’auparavant.

L’ampleur de ces effets détermine la hausse ou la baisse du montant de ces droits.

Si effet positif > effet négatif alors la concentration est bénéfique et inversement.

Nous allons nous intéresser à l’impact du nombre d’acheteurs potentiels sur le montant des droits TV.

Le modèle économique de la diffusion des événements sportifs

Pour schématiser, un modèle économique est viable si à moyen et/ou long terme les bénéfices générés excèdent les coûts engagés. Afin de comprendre ce modèle économique des droits TV, nous allons aborder :

  1. Les coûts associés à la diffusion de ces événements
  2. Les différentes sources de revenus liées à leur diffusion
  3. Les bienfaits de la procédure d’enchère et de la pression concurrentielle pour les vendeurs

La structure des coûts

Ces coûts influencent la profitabilité des droits. Plus ils sont élevés pour le diffuseur, moins il fait de profit. Les coûts de structure sont de deux types :

  • Les coûts de transmissions
  • Les coûts de programmations

Les coûts de transmissions correspondent à la mise en place d’une infrastructure nécessaire pour que la chaîne puisse diffuser une image que ce soit par câble ou satellite. L’installation de cette infrastructure correspond aux coûts fixes de la chaîne de télévision et ceux-ci sont indépendants du nombre de téléspectateurs, c’est-à-dire que ces coûts seront subis par la chaîne qu’elle ait 10 spectateurs ou 10 millions

Les coûts de programmations correspondent, quant à eux, aux coûts pour que l’événement soit produit. Nous y trouvons le salaire des commentateurs, des cameramans, de la régie, l’achat des micros, des caméras etc. Ce sont les coûts variables.

Afin de diffuser les événements sportifs, les coûts fixes sont très importants, mais les coûts variables sont très faibles comparativement. Cette structure de coût offre la possibilité aux chaînes de réaliser des économies d’échelles.

Economie d’échelle, coût fixe et coût variable

Une économie d’échelle correspond à la baisse du coût unitaire d’un produit qu’obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production. On parlera ainsi d’économie d’échelle si chaque bien produit coûte moins cher à produire lorsque les quantités produites (économies d’échelle par rapport au coût de production) ou vendues (économies d’échelle par rapport au coût de revient) augmentent.

Illustration du concept d’économie d’échelle

exemple : Une usine papetière comme Sofidel qui réalise des mouchoirs en papier.

  • Coûts fixes : Achat des machines, des locaux etc.
  • Coûts variables : Achat des matières premières, salariés

En ne produisant pas, Sofidel engage les coûts fixes. Lorsqu’elle se met à produire, elle ajoute les coûts variables avec l’achat de matières premières. L’entreprise amortit une part des coûts fixes à chaque vente si le prix de vente est supérieur au coût variable. Ainsi, plus elle produira plus les coûts fixes seront amortis.

C’est pourquoi lorsque les coûts fixes sont importants, il y a une tendance vers une concentration du marché.

En effet, peu d’acteurs peuvent se permettre d’entrer sur le marché avec des coûts fixes trop élevés. De plus, la répartition du risque entre diffuseur et détenteur des droits est un élément à prendre en compte. Cette économie d’échelle est d’autant plus importante que les droits de diffusion sont fixes et élevés.

  • Si les droits sont fixes alors le risque est entièrement à la charge du diffuseur.
  • Si les droits dépendent du nombre de téléspectateurs alors le risque est partagé entre les deux partis.

Cette structure des coûts et des risques conduisent le marché vers un oligopsone où il y a un faible nombre d’acheteurs possédant des parts de marché importantes (inverse d’un oligopole où il y a un faible nombre de vendeurs). Cette structure de marché influence le choix de la procédure d’enchère (détaillé dans la partie 2) et conduit à l’utilisation d’instrument pour maximiser les revenus (détaillé dans la partie 3).

Les revenus des diffuseurs

Les chaînes de télévision ont plusieurs sources de revenu. Nous trouvons les revenus liés à la publicité, au temps d’antenne et aux abonnements.

Le modèle de la publicité et les chaînes payantes

Une chaîne vend à des annonceurs publicitaires des spots entre les programmes qu’elle diffuse. Plus le programme est suivi (nombre de téléspectateurs élevés), plus le spot publicitaire est intéressant pour les annonceurs. C’est pourquoi une chaîne de télévision comme TF1 segmente la diffusion de ces programmes d’intervalles publicitaires.

Toutefois, un autre modèle apparaît avec celui des chaînes payantes. Ainsi pour pouvoir regarder les programmes de ces chaînes, le téléspectateur doit payer un abonnement pour y accéder. Canal + est le groupe emblématique des chaînes payantes françaises.

Afin d’attirer plus d’abonnées, une chaîne peut décider d’investir dans plusieurs événements sportifs distincts comme le fait Canal + avec la diffusion de la ligue 1, du championnat anglais mais également de la Formule 1 pour les fans d’automobiles ou des masters de Monte Carlo et de Paris Bercy pour les inconditionnels de tennis. Ces droits de diffusion multiples permettent également à Canal + de réaliser ce que les économistes appellent des économies d’envergure en utilisant ses infrastructures pour diffuser plusieurs événements.

La coupe du monde de foot et le Super Bowl : des événements très convoités

L’hétérogénéité des événements est un moyen d’attirer plus d’abonnées, mais certains événements sportifs ont plus de valeurs que d’autres comme la Coupe de monde de Foot, Les JO ou encore le Super Bowl aux US.

L’achat des droits de certains de ces événements peut entraîner l’abonnement de plusieurs milliers de téléspectateurs. La chaîne Bein sport créée en 2012 a bénéficié d’un boost de croissance suite à l’achat de l’entièreté des matchs de la coupe du monde 2014 au Brésil tandis que TF1 et M6 ne diffusaient qu’une partie des rencontres (28 et 56 en exclu pour Bein Sport).

Cette acquisition a entraîné une croissance de 50 % d’abonnés sur la période passant de 1.7 à 2.5 millions d’abonnés.

Nous retrouvons une croissance identique avec la Fox suite à l’acquisition de la diffusion des matchs de NFL (National Football League) qui lui a permis de devenir un des 4 plus gros réseaux audiovisuels américains.

Cette croissance de nombre d’abonnés permet également d’augmenter le prix de ses spots publicitaires aux annonceurs. L’achat pour 1.58 milliards de dollars sur 4 ans pour diffuser les rencontres de NFL apparaît avant tout comme un investissement pour faire grandir la chaîne. En effet, l’acquisition de ces événements phares permet à la chaîne d’obtenir des revenus indirects en bénéficiant d’une hausse du nombre d’abonnés comme nous l’avons vu, mais également de bénéficier du Lag effect.

Lag effect

Cet effet correspond à la proportion de téléspectateurs qui reste sur la chaîne après que le programme phare soit terminé augmentant l’audience des programmes suivants ce qui permet à la chaîne de toucher plus de revenus liés aux spots publicitaires de ces programmes.

Ce lag effect est utilisé également par les chaînes publiques qui souhaitent attirer les téléspectateurs vers le programme en prime time où les spots publicitaires sont les plus rentables avec des programmes courts généralement comiques tel qu’un gars, une fille.

Obtenir des droits de diffusion pour des événements sportifs convoités peut être très rentable pour les chaînes de télévision, mais la concurrence élevée entre les diffuseurs l’est également pour les détenteurs qui mettent en vente ces droits par une procédure d’enchère.

Une concurrence bénéfique pour les vendeurs

John McMillan dans son article : “ Bidding for olympic broadcast rights : the competition before the competition (1991) décrit l’efficacité du mécanisme d’enchère pour la vente des droits TV en prenant l’exemple des JO d’été de Moscou de 1980.

A cette époque, les droits n’étaient pas vendus par le CIO (Comité international olympique) mais par un détenteur des droits locaux. Celui-ci a organisé une concurrence féroce entre diffuseurs américains comme CBS, ABC et NBC. Les chaînes ont enchéri secrètement tous les 24H.

Toutefois, afin d’augmenter le montant des enchères, le détenteur des droits a fait fuiter lui-même ces informations. Cette manœuvre lui a permis d’augmenter le montant des droits TV de 140 % par rapport aux JO de 1976 organisés à Montréal. Ce résultat est d’autant plus impressionnant que les JO de 76 se déroulaient sur le même fuseau horaire que les USA tandis que ceux de 80 avaient un décalage horaire très important (Russie) ce qui est censé jouer négativement sur le montant des droits TV.

A contrario, en Europe, les diffuseurs publics étaient en monopole jusque les années 90. Ainsi, il n’y avait pas de concurrence entre les diffuseurs pour faire grimper les prix. Par conséquent, pour les JO de 80, 84 et 88 les droits TV ont rapporté en Europe que respectivement 8 %, 8 % et 10 % de ceux rapportés pour la diffusion aux US.

Avec la mise en place d’une compétition entre les diffuseurs en Europe, ces chiffres sont passés à 50 % du montant par rapport aux US pour les JO de 96 à 2008. Cette hausse du montant des droits grâce à la mise en place d’une concurrence accrue n’est pas un cas isolé.

En Norvège, le championnat national de football a vu son montant triplé pour sa diffusion suite à la mise en place d’une concurrence entre trois diffuseurs orchestrée par la ligue norvégienne détentrice des droits.

Ainsi on observe qu’une enchère lorsqu’il y a de la concurrence pour obtenir les droits peut entraîner une hausse significative de ceux ci. Toutefois, la mise en place d’une telle procédure ne garantit en rien son succès et plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Certains sont entre les mains du vendeur, mais d’autres non. Quels sont en théorie les facteurs qui influencent le montant final des enchères ?

Quelle procédure d’enchère est la plus efficace ?

Team enchère à l’anglaise ou Team enchère scellée au premier prix ? Nous le découvrirons dans la deuxième partie.

A retenir :

  1. Sur le marché des droits TV : les vendeurs sont les entités détentrices des droits comme la LFP et les acheteurs sont les diffuseurs comme Canal+, TF1, BeinSport ou MediaPro.
  2. La concentration du marché joue positivement et négativement sur le montant des droits.
  3. La structure des coûts avec des coûts fixes élevés et des coûts variables faibles entraînent des économies d’échelle amenant naturellement à une concentration du marché.
  4. Les revenus des diffuseurs dépendent des publicités pour les chaînes gratuites et des abonnements pour les chaînes payantes qui bénéficient également de la vente d’espace publicitaire.
  5. La pression concurrentielle entre diffuseurs entraîne une inflation des droits TV.

Note prise de l’article : “ The Auctioning of TV-Sports Rights “ de Harry Arne Solberg (2006)

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Maxime Kurdali

Fondateur de Beyond The Court le média qui explore et analyse l’argent et le business du sport