La vente aux enchères des JO et de la Coupe du monde de foot : quelle procédure d’enchère utiliser pour que le montant des droits TV explose ? (partie 2)

Découvrez, si vous êtes averse, neutre ou non-averse au risque !

Maxime Kurdali
10 min readAug 3, 2020

Rappel 1 : les droits TV jouent un rôle majeur dans l’économie du sport professionnel. Ces droits TV génèrent près de 10 milliards par saison rien que pour les 5 grands championnats européens de football. Pour en savoir sur le marché des droits TV, vous pouvez consulter mon premier article : Comment les championnats européens de football ont dépassé le milliard en droit TV ?

Rappel 2 : une vente aux enchères est un mécanisme structuré de négociation par lequel un agent économique (vendeur ou acheteur) met en concurrence plusieurs autres agents, durant un laps de temps limité, en vue de leur vendre ou de leur acheter des biens ou des services aux meilleures conditions. La finalité d’une vente aux enchères consiste à déterminer de manière objective le prix de réalisation d’une transaction commerciale.

Lors d’une enchère pour les droits TV des événements sportifs, nous avons deux acteurs distincts :

Les vendeurs qui correspondent aux détenteurs des droits TV comme la LFP (Ligue professionnel de Football) qui s’occupent de vendre les championnats nationaux en France. Généralement, l’entité qui gère et organise la compétition.
Les acheteurs qui correspondent aux diffuseurs qui sont généralement des chaînes de télévision comme Canal +, Bein Sport, RMC Sport, Eurosport etc.

Plus de détails dans : La vente aux enchères des JO, du SuperBowl et de la Coupe du monde de Foot : le modèle économique pour diffuser ces événements sportifs (partie 1)

Les procédures d’enchères utilisées pour la vente des droits TV

Il existe de multiple procédures d’enchères, mais nous allons nous concentrer sur les deux procédures les plus utilisées pour la vente des droits TV d’événements sportifs :

  • la procédure d’enchère à l’anglaise
  • la procédure d’enchère scellée au premier prix

Afin de comparer ces deux procédures, nous allons mettre en place un cadre théorique composé de deux illustrations.

1ere illustration : il y a 6 offreurs avec chacun une évaluation différente du lot proposé. Les évaluations sont les suivantes :

A, B, C, D, E, F correspondent chacun à un diffuseur

2eme illustration : il y a deux offreurs avec une évaluation différente du lot proposé.

Procédure d’enchère à l’anglaise

L’enchère commence à un prix faible et croît jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de surenchère. Le vainqueur paye le prix qu’il a soumis.

Cette procédure est la plus classique.

Stratégie optimale pour les offreurs (diffuseurs)

Ici, les éléments à prendre en compte pour les offreurs sont :

  1. Leur propre évaluation de la valeur des droits TV
  2. Leur estimation de celles des autres offreurs
  3. Les offres passées des autres offreurs

Pour les offreurs, la stratégie optimale est d’augmenter petit à petit son offre et d’arrêter d’enchérir lorsqu’il a atteint son prix de réserve (= le prix maximum que l’offreur est prêt à mettre pour remporter l’enchère) .

Le vainqueur payera un prix légèrement supérieur à l’évaluation du deuxième plus offrant.

Stratégie optimale pour les demandeurs (détenteurs des droits)

Quant au détenteur des droits, il va chercher à extraire le maximum du vainqueur. Ce qui importe pour lui, c’est la différence d’estimation entre le premier et le deuxième plus gros offreur de l’enchère.

Si cet écart est élevé alors le détenteur des droits ne pourra pas récupérer une grosse partie du surplus du vainqueur. Inversement, si cet écart est faible alors le détenteur des droits pourra s’accaparer d’une grosse partie du surplus du vainqueur.

Avec une procédure d’enchère à l’anglaise, les résultats diffèrent entre l’illustration 1 et l’illustration 2.

Effet de la pression concurrentielle

En effet, avec l’illustration 1, le vainqueur paiera un montant de 191 tandis qu’avec l’illustration 2, il ne paiera qu’un montant de 151. Ainsi, on peut noter que malgré une estimation équivalente pour le vainqueur dans les deux cas, le prix payé diverge fortement.

Ce résultat est dû au nombre de concurrents et à l’intensité concurrentielle.

Le cas où la concurrence est plus importante permet aux détenteurs des droits d’en tirer plus de profits que dans la situation où la concurrence est faible.

Effet de l’incertitude

L’intensité concurrentielle n’est pas le seul facteur qui influence le montant des droits TV et les estimations réalisées par les offreurs. Lorsque les droits TV sont vendus pour plusieurs années, il est impossible de faire unes estimation précise. Il existe une incertitude inhérente du fait du nombre de facteurs incertains liés au temps qui s’écoule.

Il peut avoir des fluctuations de demande très importante en fonction des événements. On peut prendre le cas d’une blessure d’un sportif dans un sport individuel comme Federer qui est une véritable locomotive pour son sport. En 2016, lorsqu’il annonce la fin de sa saison en juillet, son retour en janvier 2017 pour l’Open d’Australie est accueilli par toute la fanbase tennis. Il remplit le stade de Perth à la Hopman Cup lors d’un simple entrainement.

Une perte d’intérêt du public peut apparaître également lors de l’élimination d’une équipe nationale lors d’une grande compétition. L’exemple le plus marquant est la coupe du monde de football. Durant cette compétition, chaque pays s’arrête pendant 90 minutes lors des rencontres de son équipe nationale. L’élimination de l’équipe qui représente la nation apparaît comme un deuil national sur les quelques jours suivants celle-ci.

L’effet négatif d’une offre excessive

De plus, une offre trop importante peut baisser les revenus individuels générés par chaque événement. En effet, certains week-ends nous pouvons avoir une finale d’un grand tournoi de tennis, des matchs de championnat de football très important, un combat de boxe pour le titre, des rencontres de play-off en NBA et un Grand Prix de formule 1. Ici, même le fan inconditionnel de sport aura des difficultés à suivre tous ces événements qui ont lieu sur un intervalle de temps très court. Cette offre excessive dilue le nombre de spectateurs entre tous les événements les rendant individuellement moins rentables.

La procédure d’enchère à l’anglaise dévoile de l’information sur les estimations de chaque offreur. Or, certains d’entre eux sont plus expérimentés. Par conséquent, leurs estimations sont plus précises. Les moins expérimentés vont pouvoir acquérir une information précieuse en observant les évaluations des offreurs plus expérimentés afin d’être moins averse aux risques et être plus agressifs sur leurs enchères.

Toutefois, une autre procédure d’enchère est utilisée. Elle ne dévoile pas d’informations sur l’estimation des concurrents.

Aparté sur l’aversion au risque

c’est un comportement qui amène un investisseur à hésiter lorsqu’il doit prendre une décision qui induit un certain risque. Il s’agit d’une notion subjective qui diffère selon les personnes (des risk averse et non risk averse). Une personne averse à risque préférera investir dans un produit financier avec un rendement plus faible pour limiter les risques de pertes.

Jouons à un jeu ensemble pour savoir si vous êtes averses ou non au risque.

Si vous avez 2 choix :

  1. Gagner 50€ directement
  2. Jouer à pile ou face : si vous gagnez alors vous obtenez 100€ sinon rien.

Votre espérance de gain est la même dans les deux cas de figure : 50€

Résultat :

  • Si vous choisissez directement les 50€ vous êtes averses au risque
  • Si vous êtes indifférents entre les deux choix alors vous êtes neutres au risque
  • Si vous choisissez de jouer à pile ou face vous êtes non-averses au risque

Note : si vous préférez 50€ sans jouer à pile ou face plutôt qu’une 3eme possibilité : celle de jouer à pile ou face et de remporter 105€ alors vous êtes à la fois très averse au risque, mais surtout irrationnel économiquement.

Je ne vous félicite pas.

Pour aller plus loin sur l’aversion au risque.

Fin de l’aparté.

Procédure d’enchère scellée au premier prix

C’est une procédure où chaque offreur soumet une offre qui est cachée aux autres concurrents. Le vainqueur paye le montant qu’il a soumis.

Les offreurs doivent prendre en compte :

  • leur propre évaluation
  • leur anticipation de l’évaluation de leurs rivaux
  • les stratégies associées

Les effets du manque d’informations sur le choix des diffuseurs

On trouve deux effets contraires liés aux manques d’informations pour prédire l’évaluation de ses concurrents.

Tout d’abord, l’absence d’information pourrait conduire à une aversion aux risques plus forte des offreurs. Cependant, ce manque d’information sur l’écart entre le deuxième meilleur offreur et le premier pourrait amener à mettre dans son enveloppe une offre proche de son prix max qui serait bien supérieur au prix max du deuxième meilleur offreur pour s’assurer de remporter l’enchère.

Les résultats des deux illustrations diffèrent avec cette procédure.

Dans la situation 2 (2 offreurs) avec une enchère anglaise la chaîne A va remporter l’enchère avec une offre qui n’excédera pas 151 car il sait avec cette procédure que la chaîne F ne pourra pas aller au-delà de 150.

Or, dans l’enchère scellée au premier prix, il risque soit :

  • d’être trop prudent en mettant un prix proche de son prix max
  • de vouloir réaliser un surplus trop important en faisant une offre basse afin d’augmenter ses gains, mais en prenant le risque de ne pas sortir vainqueur de cette enchère

Il faut noter également qu’une chaîne ne peut diffuser tous les programmes.

En effet, il y avait des limitations techniques avant l’arrivée du numérique (moins de fréquences disponibles). Il faudrait payer un prix exorbitant pour s’accaparer tous les droits (plusieurs milliards rien que pour les 5 championnats européens de football) mais surtout cela serait une stratégie non-optimale car cela diluerait les téléspectateurs sur tous les événements les rendant moins rentables individuellement.

Augmenter artificiellement le montant des droits : la diffusion de fausses informations

Les offreurs peuvent avoir comme stratégie non pas de remporter l’enchère, mais de faire payer un maximum le vainqueur d’un appel d’offre.

Pourquoi faire monter le montant des droits TV est une stratégie intéressante pour les diffuseurs ?

Les chaînes de télévision qui diffusent des événements sportifs sont un petit microcosme ainsi nous retrouvons régulièrement les mêmes concurrents pour les différents appels d’offre.

Une stratégie pourrait être d’augmenter artificiellement le montant des droits d’un événement qui n’est pas prioritaire pour sa chaîne. Cette stratégie aurait pour objectif de limiter les fonds disponibles de ses concurrents pour les événements qui nous intéressent réellement.

L’avantage de la procédure d’enchère scellée où l’information révélée est inexistante est qu’il n’est pas nécessaire de prendre des risques comme en enchère à l’anglaise. Il suffit de transmettre une information erronée publiquement en affirmant que cet événement nous intéresse afin de mettre la pression sur nos concurrents.

Ainsi Canal + pourrait souhaiter n’obtenir que les droits TV pour le championnat anglais. La chaîne cryptée déciderait de dévoiler publiquement une fausse information concernant les droits de la ligue 1 Française afin que les concurrents comme Beinsport, RMC etc. augmentent leurs enchères. Cette hausse réduirait l’enveloppe globale du vainqueur de l’enchère pour la ligue 1 lorsqu’il souhaiterait enchérir pour la Première League.

Ce type de stratégie peut faire augmenter les prix des droits TV, mais d’autres stratégies peuvent au contraire réduire leur montant.

La mise en place d’un cartel

Les chaînes peuvent décider de s’entendre afin de se répartir les droits étant donné que le nombre d’acheteurs potentiels est limité comme nous l‘avons vu précédemment.

Les chaînes de télévision formeraient donc un cartel afin de se redistribuer les profits totaux obtenus. Une telle collaboration est illégale, mais il pourrait s’avérer difficile à prouver étant donné qu’aucune chaîne de télé n’est forcée de participer à un appel d’offre.

L’autorité de la concurrence (autorité administrative indépendante) sanctionne régulièrement la formation de cartel qui se forme dans toutes les industries ou presque.

  1. Compote : les principaux fabricants de compotes ont été sanctionnés à hauteur de 58,3 millions d’euros pour entente sur les prix et répartition de marché en 2019.
  2. Produits laitiers : 11 fabricants ont été sanctionnés pour entente sur le marché des produits vendus sous marque de distributeurs (MDD). Le montant total des amendes prononcées s’élève à 192,7 millions d’euros. Les fabricants se mettaient d’accord sur les hausses qu’ils voulaient annoncer aux distributeurs et sur les arguments pour les justifier en 2015.

L’instabilité inhérente des cartels

Un cartel est soumis structurellement à des risques de trahison par ses membres.

Une chaîne de télévision pourrait décider de ne pas respecter l’agrément pour deux raisons :

Tout d’abord, elle pourrait réaliser un profit à court terme si le prix payé n’excède pas les revenus perçus. Enfin, cette trahison pourrait amener à moyen terme à la fermeture de certaines chaînes qui feraient banqueroute suite au manque de programme à diffuser lié à cette trahison. Ces chaînes perdraient une partie de leur audience, auraient moins d’annonceurs ou d’abonnés si ce sont des chaînes payantes. Elles généreraient donc moins de revenus.

Cette trahison n’est possible qu’en enchère scellée.

Avec une procédure à l’anglaise, la trahison serait visible instantanément et les chaînes trahies pourrait s’adapter dans la foulée. Toutefois, l’enchère à l’anglaise pourrait discipliner les membres du cartel.

Avec l’enchère scellée, le cartel serait instable car la trahison serait invisible pour les autres membres du cartel jusqu’à l’attribution des droits.

A long terme, la trahison pourrait générer une concurrence plus intensive ce qui engendrerait plus de revenus pour les détenteurs des droits sur la durée.

Ainsi, les détenteurs des droits pourraient préférer une enchère scellée au premier prix afin de rendre instable un éventuel cartel plutôt qu’une procédure à l’anglaise qui ne favoriserait pas la trahison.

Les détenteurs des droits choisissent la procédure, mais ils ont également des outils à leur disposition afin de s’accaparer un maximum de surplus des offreurs.

Vous découvrirez deux outils que les détenteurs des droits utilisent afin d’optimiser leur vente dans la dernière partie consacrée aux droits TV.

En résumé

  1. Quelle que soit la procédure d’enchères choisie, la pression concurrentielle augmente le montant des droits.
  2. L’offre excessive réduit la valeur individuelle de chaque événement.
  3. l’importance de l’information et de l’expérience afin d’être moins averse au risque.
  4. Dévoiler une fausse information à ses concurrents peut être une stratégie viable.
  5. Les cartels réduisent la pression concurrentielle et donc le montant des droits TV. Le revers de la médaille est qu’ils sont par essence instable.

Note prise de l’article : “ The Auctioning of TV-Sports Rights “ de Harry Arne Solberg (2006)

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Maxime Kurdali

Fondateur de Beyond The Court le média qui explore et analyse l’argent et le business du sport