Un peu de magie dans ce monde (digital) de brutes - 1/2

Nadege Bide
6 min readApr 29, 2022

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Gérard Majax, si tu nous entends ! (oui, j’avais la référence…)

PASSION POUR LE DESIGN, FASCINATION POUR LA MAGIE

Petite j’avais la boite “Magie Festival” qui mêlait l’apprentissage des tours de bases avec des références culturelles du monde entier. J’ai ensuite passé quelques heures à répéter des tours de carte ou à faire apparaitre des pièces derrière les oreilles de ma mère (mon père faisait ça avec sa cigarette… c’était les années 80). Plus tard je me suis intéressée au symbolisme des cartes et tarots et à leur pouvoir sur l’imaginaire qui couplé à une narration permet d’emmener le spectateur ou destinataire d’un message, loin bien plus loin.
Et c’est par un pur hasard que je me suis retrouvée 30 ans plus tard à mêler mon métier de designer à un passe-temps d’enfant au sein d’une startup tech parisienne Magency Digital.

Magie Festival, Gérard Majax

L‘entreprise à laquelle je fais référence a été créée en 2011 par un tech-
illusionniste (Vincent Bruneau, connu aussi sous le nom de scène de Senzo le magicien). L’ADN de l’entreprise, forgée par la magie digitale, couplée à la maitrise de la technologie, lui a permis d’acquérir une expertise dans la création d’engagement et de liens émotionnels entre les individus et a donné naissance Spark up app, plateforme spin-off de Magency qui permet d’animer des réunions, présentations, formations et événements immersifs.
La pomme n’est pas tombée loin de l’arbre.

“ANY SUFFICIENTLY ADVANCED TECHNOLOGY IS
INDISTINGUISHABLE FROM MAGIC.”

- Capitaine Clarke (Star Treck)

Cette expérience a déjà quelques années, mais les enseignements que j’en ai tirés sont toujours vrais. A l’heure de l’hyper intellectualisation de nos pratiques (UX, Design Thinking, Design Ops,…) j’avais envie de revenir à une approche sensible et émotionnelle de la conception d’objets ou services qu’ils soient digitaux ou physiques. Cet article porte sur quelques pistes sur lesquelles j’aurais plaisir à échanger avec celles et ceux que cela intéresse.

MAGIE ET ENGAGEMENT

Tout d’abord, la magie présente beaucoup d’avantages lorsqu’il s’agit de (ré)enchanter une expérience.
* Elle est basée sur la rupture de modèles de pensée (patterns)et le changement d’émotions.
* Elle permet d’animer un message et de le mettre en valeur en donnant du rythme, elle joue sur l’interactivité en encourageant la participation du spectateur.
* Elle marque également les esprits et influence positivement le souvenir en lui donnant une tonalité émotionnelle, en cela elle augmente donc significativement l’impact du message et sa mémorisation.

“Le souvenir est supérieur à l’expérience elle-même” explique Sophie Daumal (dans Design d’expérience utilisateur : Principes et méthodes UX) qui préconise de designer l’expérience POUR créer des souvenirs.

C’est exactement ce que fait la magie.

Elle a un rôle de métaphore et permet d’illustrer une idée, un concept, en faisant rêver. En créant des images et en s’appuyant sur un story-telling fort, elle ancre le discours de façons remarquable quelque soit le nombre de participants. Elle permet parfois même d’amener du sens à un concept trop
abstrait.
Enfin son arme secrète réside en l’ADN même de son art : en montrant que la réalité est différente pour chacun, en mettant à jour les enjeux de l’interprétation… elle devient un outil très puissant pour remettre en cause les certitudes et donc amorcer un changement de comportement attendu.

INTERVIEW DE MAGICIENS : CE QUE LA MAGIE NOUS APPREND SUR LES LEVIERS DE L’ENGAGEMENT

TEDxBrussels Vincent Bruneau “What’s your magic? ”

Les magiciens que j’ai interrogés à l’époque ont tous commencé à pratiquer très jeunes et vivent de leur passion ce qui signifie qu’ils ont de l’expérience dans l’animation de shows de magie… mais dans leur conception aussi. Ils ont dû apprendre à décortiquer les mécaniques de l’engagement (à comprendre ici dans le sens de participation, motivation, implication) car c’est de celui-ci que dépend le succès d’un numéro.
Mes entretiens avec eux m’ont permis d’en tirer 10 principes intéressants, les voici.

Principe n°1 : créer un contexte propice

En s’appuyant sur la création d’un univers imaginaire ou réaliste, la magie peut également faire penser à la gamification et s’appuie sur des logiques d’(UX) design.

“Everything we feel is context related” me dit Laurent Beretta (magicien et mentaliste)

et c’est sur le contexte justement qu’il s’appuie pour créer ses shows. L’engagement intervient donc dans un contexte précis qui est anticipé et pensé en amont lors de la conception de tours. La bonne action, au bon moment, pour la bonne personne.

Principe n°2 : la première fois doit être la bonne

Il faut penser à la première fois de l’utilisateur/ spectateur.

“Le magicien débutant a l’excitation de faire un nouveau tour à chaque fois, alors que pour le spectateur c’est toujours la première fois”.

Améliorer la première fois, voilà le créneau des magiciens. “On n‘a jamais
deux fois l‘occasion de faire une bonne première impression”.
Je vous laisse faire le parallèle avec le processus d’accueil (ou on-boarding)sur une plateforme digitale ou tout service numérique qui est stratégique pour susciter l’adhésion puis booster l’engagement.
Soignons donc l’on-boarding de nos produits.

Principe n°3 : L‘empathie est à la base de l’illusionnisme

La recette consiste en 1/3 de technique, 1/3 de psychologie (“c’est à dire attention, conception et relation” m’a précisé l’un d’entre eux) et 1/3 de création.
En approfondissant le coté psychologique (que certains magiciens ont développé via des techniques de coaching, de PNL etc) on se rend compte que la conception de tours de magie peut s’apparenter au design thinking et à la recherche centrée utilisateur.
La différence entre un tour réussi qui enchante le spectateur, le surprend, et un tour qui ne fait “que” marcher… est principalement l’empathie. Le magicien se met à la place de la personne en permanence, anticipe ses gestes et réactions, donne du sens et justifie chaque action ou “input”… tout cela dans le but de détourner son attention (on parle de “misdirection” et de son inventeur le magicien Slydini) pour amplifier la surprise et susciter l’adhésion.
Par exemple : le cerveau observe davantage un geste qui monte qu’un geste qui descend. Le magicien va donc lever le poing pour détourner l’attention d’un main qui cache une pièce. En anticipant la réaction et le geste (mouvement des yeux) du spectateur, le magicien prépare son effet de surprise.
La démarche UX utilise la même logique, afin d’améliorer et créer une expérience utilisateur fluide, engager l’utilisateur voir même le surprendre et le fidéliser. Et ces principes utilisés à mauvais escient vous feront probablement penser aux dark patterns utilisés parfois en design conçue pour tromper ou manipuler un utilisateur à des fins commerciales notamment.

Principe n°4 : l’émotion positive ancre le message et le transforme en expérience

La magie utilise beaucoup de ressorts psychologiques, parmi eux, les dissonances et résonances cognitives (ré-interpréter le réel pour faire en sorte que les croyances restent intactes)…
Mais elle s’appuie essentiellement sur des émotions positives : “émerveillement, surprise, joie”. L’ancrage positif du message est une clé, c’est un “mécanisme d’influence”, certains prestidigitateurs parlent même de “mini-transe hypnotique”.
L’anxiété, la peur, la déception” peuvent également être utilisées pour accentuer l’émotion finale (qui doit toujours être positive) et augmenter l’engagement, on joue alors sur “l’ascenseur émotionnel”. Celles et ceux qui s’intéressent au Design ou au marketing émotionnels penseront probablement à étayer leur granularité émotionnelle pour proposer des expérience encore plus extraordinaires à leurs utilisateurs.

Roue des émotions de Robert Plutchik

Principe n°5 : utiliser tous les sens

Le magicien dirige l’attention grâce à la gestuelle (mains, déplacements) et au langage (les mots, la voix). En sollicitant 3 des 5 sens (vue, ouïe, kinesthésie) on est dans l’expérientiel. Nos services numériques jouent de plus en plus avec ces dimensions en proposant des services vocaux ou grâce à la réalité mixte. Une expérience riche passe de plus en plus par une expérience multisensorielle. Qu’il s’agisse d’un seul point de contact ou d’un parcours 360.

Voilà pour cette semaine. Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour les 5 derniers principes.
D’ici-là je vous souhaite de mettre un peu plus de magie dans vos productions !

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Nadege Bide

Du Design de Mode au Design de produits et services numériques. J’aime réfléchir à de nouvelles idées et les réaliser. Parfois, cela donne un truc pas mal.