Une annonce

Sébastien Delahaye
11 min readAug 23, 2018

Aujourd’hui 23 août 2018, je boucle mon dernier numéro de Canard PC. Je quitte le magazine et la presse de jeux vidéo.

Un parcours

Mon premier texte payé, c’était en août 2000, sur un petit site web (sans lien avec du jeu vidéo) disparu quelques semaines plus tard où l’on retrouvait des gens comme Rahan et une bonne partie des membres du channel IRC #joystick sur Undernet (un chan où l’on croisait des rédacteurs du magazine, mais aussi, avant qu’ils n’aillent fonder Gamekult et Cloneweb, rejoindre Joystick ou faire des voxels dans un studio de jeu vidéo, des gens comme Raggal, Poischich, Moloss, Bishop, Tbf, Yavin, Sir_Carma… et moi, donc).

En janvier 2001, j’ai rejoint Gamedata, un petit site web (de jeu vidéo) monté par l’équipe de PC Force (éphémère magazine mensuel) et dirigé par Prodigy, plus tard pigiste pour Gamekult. Le site a fermé en juillet, et avec une partie de l’équipe on a monté Gamatomic (qui existe toujours aujourd’hui), que j’ai copieusement alimenté en articles durant des mois et quitté quelques semaines avant son ouverture officielle en 2002.

Entre-temps, j’avais aussi rejoint, quelques semaines après sa création, un petit site spécialisé (de jeu vidéo) nommé NoFrag. D’abord pour les aider à corriger leurs news (je n’en suis pas fier, mais au début je me moquais de leurs erreurs dans mes news sur Gamedata), puis fin 2001 pour écrire. Je suis resté 14 ans à NoFrag (qui existe toujours) avec DrLoser. On a monté une asso (Nonerd), puis une boîte (Nocorp), on a proposé l’un des derniers gros ftp publics européens pour les jeux vidéo (à une époque où Steam n’existait pas et il fallait attendre des heures pour télécharger sur Fileplanet, Gamer’s Hell ou 3dgamers), hébergé d’autres sites indépendants (dont Factornews, pour lequel j’ai aussi écrit plus tard et qui existe toujours) et créé d’autres sites (les éphémères AventureNews et Jeutu, ou le moins éphémère site de Maïa, Sexactu), on a dû changer plusieurs fois d’hébergeur en catastrophe, on a écrit des trucs à la fois justes et drôles (même si ce n’est plus toujours ce qui me ferait rire aujourd’hui), on s’est fâchés avec tout le monde, c’était bien. Je trouve aussi une grande satisfaction (totalement imméritée) dans le nombre de créateurs (de jeux mais pas que) qui ont émergé au fil des ans dans les forums ou les blogs du site (dans une communauté pourtant pas facile, où je ne me suis pas toujours senti vraiment à ma place). J’ai quitté NoFrag après l’avoir refilé à une nouvelle équipe (dirigée par Noddus, depuis parti pour Gamekult et donc lui-même remplacé par une autre équipe pour NoFrag), tout en conservant un rôle de conseiller quand on a (très rarement) besoin de mes lumières. Même si je ne joue plus que très peu aux FPS et que l’approche énervée et négative de NoFrag n’est plus la mienne aujourd’hui, j’apprécie que le site perdure, et avec lui les 21289 articles (dont beaucoup de brèves, mais quand même) que j’ai pu écrire dessus.

(Dans les premières années de NoFrag (je mets tout ça entre parenthèses car c’en est une, on pourra dire ce qu’on veut mais dans l’ensemble le monde est quand même bien fait), histoire de ne pas avoir trop de temps libre, j’écrivais aussi un peu sur LinuxFr et je contribuais pas mal à daCode, son CMS maison. PHP, MySQL, techniques de cache, versioning avec CVS, je sais bien que tout ça vous obsède mais le temps presse, on en parlera une autre fois. Peu après je me suis passionné (c’est mon petit côté funky) pour ce qui allait devenir Firefox, mais qui à l’époque s’appelait Phoenix 0.2 puis Firebird. J’ai fait beaucoup de « bug triaging » (dans le jeu vidéo, aujourd’hui on appelle ça QA) et, pour faciliter le processus de test du navigateur, qui à l’époque évoluait très vite mais qui n’était distribué que sous forme d’archive à télécharger et installer soi-même, j’avais développé un logiciel d’installation qui automatisait le tout (le téléchargement, l’installation, la base de registre, la désinstallation propre… c’était de la belle ouvrage). Fidèle à mon instinct, je m’en suis désintéressé pile avant que ça devienne Firefox et donc mainstream. Si vous relancez Firefox 1.5 aujourd’hui (il faut de la motivation mais ça peut vous faire un projet si vous n’avez rien prévu pour le week-end) et que vous allez dans les remerciements, vous pouvez apercevoir mon nom au milieu de quelques milliers d’autres. Avant de fermer cette parenthèse de mes aventures les moins trépidantes, je tiens à préciser que j’ai également appris à jongler avec deux balles et que je peux (je n’en suis pas peu fier, il paraît que c’est assez unique) retenir ma respiration pendant dix-sept secondes)

En 2006, j’ai rejoint Libération, dans la rubrique Écrans, consacrée à Internet, au cinéma, aux DVD, aux téléphones, à la télé… et aux jeux vidéo. J’y ai été dirigé, formé et protégé par Erwan Cario, qui était, et est toujours, un modèle pour moi. Je suis resté un peu plus de deux ans à Libé, le temps d’y faire environ 900 articles, avant d’en partir pour monter une boîte de sites internet avec des amis. On était trois, alors on l’a appelée 3 Slips (c’était drôle jusqu’à ce que l’on me demande de mettre le nom sur ma boîte aux lettres). On avait déjà créé ensemble puis dirigé pendant deux ans les DS in Paris, des rassemblements hebdomadaires de joueurs de DS (puis de 3DS, puis de Switch). On avait ensuite passé la main, et aujourd’hui les DS in Paris existent toujours, avec un public qui s’est renouvelé, et j’en suis toujours très fier. La boîte, quant à elle, n’a pas duré longtemps, on n’a pas réussi à s’entendre, mais on a tout de même eu le temps de publier un recueil de Dans Ton Chat, pour lequel j’avais écrit des introductions originales inédites pour chaque chapitre.

En 2010, un type nommé Pierre-Alexandre Rouillon (que tout le monde appelle Pipomantis) m’a demandé si je voulais écrire dans Canard PC, magazine de jeux vidéo (monté par des anciens de Joystick, que je lisais quand j’étais ado, d’ailleurs c’est bien pour ça que je m’étais retrouvé sur le chan #joystick d’Undernet), je lui ai dit « oui », puis j’ai vérifié et il n’était pas dans l’ours du magazine (gros malin). En fait cet hurluberlu me proposait de pitcher avec lui un projet de « Canard Consoles » à Canard PC. N’ayant rien de mieux à faire, j’ai dit « oui ». On a fait un plan, un budget, quelques textes, on a proposé le tout, et je peux le dire maintenant : c’était nul (ce qui, avec le recul, explique pourquoi Canard PC n’a pas accepté notre proposition). N’ayant toujours rien de mieux à faire, nous avons décidé de monter un autre site web (de jeux vidéo), qui devait servir à montrer ce qu’on pouvait faire pour de vrai. C’est devenu Barre de Vie (où, hasard ou coïncidence, on a fait écrire pour la première fois un petit jeune du nom de Gautoz, qui est ensuite parti chez Gamekult). Le contenu était (je peux le dire maintenant) assez inégal, mais suffisamment moins nul pour que, à l’été 2011, Canard PC nous rappelle pour nous filer la conception d’un « cahier consoles » dans chaque numéro, soit seize pages à nous tous les quinze jours. Et c’est ainsi que j’ai passé les sept dernières années à Canard PC. Pipo, vous le savez peut-être, est parti en début d’année rejoindre Gamekult (le site dirigé autrefois par Raggal puis Poischich du channel #joystick, et où il a retrouvé Noddus et Gautoz, on est clairement dans la conspiration). En sept ans à Canard PC, j’ai écrit 1736 pages (dont quelque chose comme 800 tests) réparties dans 145 numéros de Canard PC (dont un qui paraîtra le 1er septembre 2018), neuf numéros de Canard Console sur iPad (car on a réussi à le faire, quoique brièvement), 22 numéros de Canard Jeux Vidéo (toujours une édition numérique), huit hors-séries (je suis particulièrement heureux d’avoir pu participer au spécial entretiens et à celui dédié au jeu en famille, qui faisaient part de plus d’ouverture et de bienveillance que d’habitude et qui m’ont permis de parler à des gens que j’admire) et un eBook.

À Canard PC, avec une certaine stabilité, une grande autonomie et une envie de mieux faire, j’ai pu améliorer nettement mon écriture, réaliser des enquêtes dont je suis fier et collaborer avec des personnes (comme Cécile Fléchon, alias Maria Kalash, avec qui nous avons formé le duo « Kalabes et Netsalash » pour quelques dossiers, dont une série d’articles, en collaboration avec Mediapart, sur les conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo, et qui a elle aussi quitté la rédaction cet été) qui m’ont beaucoup appris. Mais après sept années là-bas cet été, dix-huit ans depuis août 2000 (durant lesquels je ne suis jamais allé à l’E3, je n’ai fait qu’une poignée de voyages de presse dont le dernier remonte à tant d’années qu’il me faut deux mains pour les compter, et je ne me suis presque jamais montré (mettant en avant mes textes plutôt que moi-même, même si bien sûr tous mes textes ne parlent que de moi…), bref dans l’ensemble je m’en tire très bien), j’ai envie de faire autre chose. Est-ce que je quitte le monde du jeu vidéo pour toujours ? Je ne sais pas, mais peut-être au moins pour un moment. Je suis content de mon parcours, de la façon dont j’ai fait évoluer ma manière de travailler et mon écriture, dont j’ai pu donner du sens à ce que j’écris, ce qui n’était pas forcément là au début. J’espère avoir réussi à faire découvrir de bons jeux, à vous faire rire parfois, à vous donner un regard différent sur les jeux, leur industrie et ses coulisses.

Le point commun de ces diverses expériences, à première vue, c’est l’écriture. C’est important pour moi, c’est évident. Mais le réel fil rouge, depuis le début, de mes premières news qui indiquaient toutes les sources (ça semble évident, mais au début des années 2000, mettre des liens pointant vers autre chose que son propre site était une hérésie sur beaucoup de sites français sur les jeux vidéo) à mes pages E3 annuelles en passant par mon fil twitter ou mes contributions à des programmes en open source, c’est le besoin de proposer un outil, d’être une interface, mais en même temps de livrer toutes les clefs. Ça tombe bien parce que c’est tout à fait ce que je veux continuer à faire.

Un projet

J’ai un projet professionnel précis en tête, assez différent (mais pas tant que ça) de ce que je fais depuis toutes ces années et qui implique un retour à la fac dès septembre. Oui, c’est très bientôt. Ça va être prenant et pas forcément facile (d’autant que ça implique un déménagement temporaire), mais je suis très content de ce changement. Le but de cette réorientation professionnelle : devenir documentaliste. Pas un responsable de CDI en collège mais plutôt ce que les Québecois appellent un « recherchiste », c’est-à-dire un spécialiste de la veille, de la recherche de documents (avec une part d’investigation), des données et des synthèses, (donc oui : différent de ce que je fais aujourd’hui mais pas tant que ça). Quelqu’un qui donne les clefs pour comprendre et qui aide les autres, donc. Idéalement toujours dans la presse, mais on verra.

(J’ai aussi un autre projet professionnel en tête (je sais, j’aurais dû écrire « deux projets » dans mon intertitre, mais il n’y aurait plus de surprise, et puis ç’aurait été moins joli), en complément, pour écrire en parallèle (mais pas forcément la même chose qu’aujourd’hui). C’est beaucoup moins avancé, moins proche, moins concret pour le moment, mais quoi qu’il arrive je ne me vois pas ne plus écrire, surtout maintenant que je suis content de ce que je produis. Mais ça aussi, on verra.)

C’est un gros changement de cap, un peu stressant forcément, mais j’ai hâte de m’y mettre. Et si vous avez une question, une requête, une proposition (par exemple moi, je cherche un stage en documentation pour le printemps 2019, donc si mon profil vous intéresse, n’hésitez pas à m’écrire) ou juste envie de dire bonjour, vous pouvez me contacter par DM sur twitter (ils sont toujours ouverts) ou sur seb@delahaye.net, je serai ravi de pouvoir vous aider.

En attendant, voici une sélection de quelques-uns de mes textes préférés de ces deux dernières années (j’ai demandé à ce que la plupart de ces textes restent désormais en accès libre sans abonnement sur le site de Canard PC, profitez-en). Si vous ne connaissez pas (ou pas bien) le magazine, ça vous donnera quelques exemples de ce qu’on peut y trouver et vous donnera, j’espère, envie d’en lire plus. Et qu’importe si je n’y écris plus : le mag’ est rempli de textes tous au moins aussi bons et souvent bien meilleurs encore.

Des articles de 2018

Des articles de 2017

J’avais déjà fait une sélection il y a quelques mois, mais après mûre réflexion, eh bien je vous la remets pratiquement telle quelle.

Bonne lecture !

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